Comment contrer la Russie ? Un sommet crucial pour l’Otan
Le sommet de l’Otan qui commence ce mardi soir à Madrid va déterminer sa ligne stratégique pour les dix prochaines années. Un sommet que la guerre en Ukraine a rendu encore plus crucial puisque cette dernière exige des engagements immédiats et concrets.
« Maintenir le cap » face à Moscou: alors que la guerre en Ukraine s’installe dans la durée, risquant de mettre à l’épreuve leur unité, les dirigeants occidentaux vont devoir serrer les rangs lors du sommet crucial de l’Otan, qui se tiendra sur deux jours, à Madrid, à partir du mardi 28 juin au soir.
L’Alliance atlantique doit notamment dévoiler ses plans pour protéger son flanc oriental, proche de la Russie. Ainsi elle va décider de transformer sa Force de réaction et de porter « bien au-dessus » de 300.000 hommes les troupes à haut niveau de préparation pour faire face à la menace russe, a annoncé lundi le secrétaire général de l’Alliance. « Je pense que les alliés vont dire clairement à Madrid qu’ils considèrent la Russie comme la menace la plus importante et la plus directe pour notre sécurité« , a déclaré le Norvégien Jens Stoltenberg lors de la présentation des enjeux du sommet.
« Ce sommet sera un tournant et plusieurs décisions importantes vont être prises« , a-t-il affirmé. « Nous allons renforcer nos groupements tactiques dans la partie orientale de l’Alliance, jusqu’au niveau de la brigade », a-t-il précisé. Huit groupements tactiques ont été créés. Ils sont basés en Lituanie, en Estonie, en Lettonie, en Pologne, en Roumanie, en Hongrie, en Slovaquie et en Bulgarie. Certains seront renforcés « jusqu’au niveau de la brigade » – unités tactiques de 3.000 à 5.000 hommes, a précisé Jens Stoltenberg.
L’Allemagne, chef de file du Groupement tactique basé en Lituanie, a annoncé son intention de porter sa capacité au niveau d’une brigade, mais l’essentiel des troupes restera stationné dans le pays. Des unités sont « pré-désignées » dans d’autres pays membres de l’Alliance pour intervenir dans les pays où sont basés des groupements tactiques et où des armements lourds auront été prépositionnés, a expliqué le secrétaire général de l’OTAN. L’Alliance va également « transformer sa Force de réaction », forte de 40.000 soldats, et va porter le nombre de ses forces à haut niveau de préparation « bien au-dessus » de 300.000 militaires, a-t-il ajouté. « En faisant cela, nous fournissons une dissuasion crédible dont l’objectif n’est pas de provoquer un conflit, mais d’empêcher la Russie ou tout autre adversaire potentiel d’attaquer un pays allié », a-t-il insisté. « Je suis convaincu que le président Poutine comprend les conséquences d’une attaque contre un pays de l’OTAN », a-t-il ajouté.
Ce renforcement défensif s’accompagnera d’un nouveau « concept stratégique » – la première révision de la feuille de route de l’alliance en dix ans – qui devrait donc durcir sa position à l’égard de la Russie mais aussi mentionner pour la première fois les défis posés par la Chine.
Quel soutien à l’Ukraine ?
Alors que les troupes russes progressent dans le Donbass, il s’agit d’un « moment critique pour l’évolution du conflit », ont souligné Boris Johnson et le président français Emmanuel Macron. Ils pensent qu’il est « possible de renverser le cours de la guerre ».
Jens Stoltenberg considère que ces mesures constituent « le plus grand remaniement de notre défense collective depuis la guerre froide »
Vu la situation actuelle, il n’est donc pas question de reporter sine die l’application des accords. C’est aussi pourquoi la poursuite du soutien à l’Ukraine, quatre mois après le début de l’offensive russe, sera tout comme pour le G7, au cœur de ce sommet de l’OTAN. Les dirigeants de l’Alliance vont renforcer leur soutien à l’Ukraine. Le président Volodymyr Zelensky s’adressera à eux par liaison vidéo. Ils vont fournir davantage d’armes lourdes et veulent « à plus long terme aider l’Ukraine à passer des équipements militaires de l’ère soviétique aux équipements modernes de l’OTAN ». Jens Stoltenberg considère que ces mesures constituent « le plus grand remaniement de notre défense collective depuis la guerre froide« . Mais cela aura un prix. « Nous devons investir davantage », a-t-il averti.
D’autant plus que, et le chancelier Olaf Scholz l’a encore rappelé cette semaine: le soutien à l’Ukraine va demander « de la persévérance » car « nous sommes encore loin » de négociations de paix entre Kiev et Moscou. « L’agression de la Russie a fait prendre conscience aux pays qu’ils ont besoin les uns des autres », observe Stefan Meister, chercheur à l’institut de recherche allemand DGAP. A plus forte raison alors qu’inflation ou menaces de crises énergétique et alimentaire testent la résistance de la communauté internationale. La guerre en Ukraine pourrait durer « des années », a mis en garde le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg. Face à un risque de « fatigue » du camp occidental, évoqué par Boris Johnson, le président américain a lancé un nouvel appel à l’unité du G7 et de l’OTAN face à Moscou. Vladimir Poutine espérait « que, d’une manière ou d’une autre, l’OTAN et le G7 se divisent. Mais nous ne l’avons pas fait et nous ne le ferons pas », a assuré M. Biden.
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Les dirigeants pourraient aussi discuter de l’appel lancé cette semaine par Olaf Scholz en faveur d’un « Plan Marshall » pour la reconstruction de l’Ukraine, projet de longue haleine qui coûtera des « milliards » et impliquera « plusieurs générations ». Pour rappel, le plan Marshall, du nom du secrétaire d’État des États-Unis d’alors, le général George Marshall, fut un programme américain de prêts accordés aux différents États d’Europe pour aider à la reconstruction des villes et des installations bombardées lors de la Seconde Guerre mondiale.
Investir plus, oui mais quelle conséquence pour la Belgique ?
Les Alliés se sont engagés à consacrer 2% de leur PIB à leurs dépenses de défense en 2024, mais neuf seulement des 30 membres ont atteint cet objectif en 2022 (Grèce, Etats-Unis, Pologne, Lituanie, Estonie, Royaume-Uni, Lettonie, Croatie et Slovaquie). La France est à 1,90%, l’Italie à 1,54%, l’Allemagne à 1,44% et l’Espagne, pays organisateur du sommet, est avant-dernière de la liste à 1,01%, devant le Luxembourg (0,58%), indiquent les données publiées lundi par l’OTAN. « Pour répondre à la menace, cet objectif de 2% devient un plancher, plus un plafond », a annoncé Jens Stoltenberg. « 19 alliés ont des plans clairs pour atteindre cet objectif d’ici 2024 et cinq autres ont pris des engagements concrets », a-t-il souligné.
La Belgique, elle, n’a promis que des investissements s’élevant à 2 % du PIB d’ici 2035. Et dans cet effort prévu, on ne mentionne pas les F-35 supplémentaires qui seront nécessaires pour répondre aux exigences de l’OTAN en ce qui concerne le renforcement de la capacité de puissance de feu et aérienne. Deux points tout aussi importants que les fameux 2% du PIB.
Selon le professeur Alexander Mattelaer (VUB/Egmont), interviewé par De Morgen, « si les nouveaux investissements permettent de combler une partie des lacunes, les nouveaux besoins creuseront en fait l’écart avec les autres partenaires au lieu de le réduire. Le problème belge est fondamentalement que nous avons réduit notre effort de défense plus longtemps et plus profondément que les autres alliés. La conséquence est que nous sommes désormais dépendants. Nos propres diplomates ont donc averti que la Belgique risque d’être considérée comme un passager clandestin. »
La question du désarmement nucléaire
La Belgique possède aussi des armes nucléaires tactiques à Kleine Brogel, ce qui donne un certain poids au pays. Sauf que, au grand dam de certains, la Belgique a participé la semaine dernière en tant qu’observateur à la Conférence pour un traité d’interdiction nucléaire à Vienne. Et si la position d’observateur n’engage à rien, le rôle de la Belgique à Vienne est en contradiction avec le nouveau concept stratégique de l’OTAN qui devrait à nouveau davantage mettre l’accent sur la dissuasion nucléaire. Cette dissonance pourrait être exploitée par Moscou et Pékin. Remettre en question aujourd’hui la légitimité de la dissuasion nucléaire saperait en réalité le système de défense contre la Russie et la Chine puisque l’un des principaux éléments qui empêchent le risque d’escalade nucléaire par Poutine est le parapluie nucléaire de l’OTAN. Et celui-ci n’est efficace que s’il existe une seule et même voix sur ce sujet. De quoi provoquer quelques tensions en coulisses.
Le blocage d’Ankara
Le blocage par Ankara des candidatures de la Suède et la Finlande jette cependant une ombre sur la démonstration attendue d’unité entre les alliés. La Turquie avait en effet annoncé un blocage surprise des candidatures suédoise et finlandaise mi-mai et la question doit occuper une part importante du sommet de Madrid, qui dure de mardi soir à jeudi. Ankara accuse notamment la Suède d’abriter des militants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qu’Ankara considère comme « terroriste ». La Turquie dénonce aussi la présence de partisans du prédicateur Fethullah Gülen, qu’elle soupçonne d’avoir orchestré la tentative de coup d’État de juillet 2016. Elle exige aussi la levée des blocages d’exportations d’armes décidés à son encontre par Stockholm et Helsinki après l’intervention militaire turque dans le nord de la Syrie en octobre 2019, le durcissement de la législation antiterroriste suédoise et l’extradition de plusieurs personnes qu’elle qualifie de « terroristes ».
La situation pourrait néanmoins se débloquer puisque le président turc Recep Tayyip Erdogan va rencontrer mardi à Madrid son homologue finlandais et la Première ministre suédoise pour discuter. De nouvelles « négociations » visant à débloquer le veto turc étaient également prévues lundi au siège de l’OTAN à Bruxelles, précise Helsinki. Mais le président Erdogan a semble-t-il douché ces espoirs. « Nous fournirons des documents et des images démontrant l’hypocrisie de nos interlocuteurs à l’égard des organisations terroristes comme le PKK, les YPG et FETO (le groupe Gulen) », a-t-il annoncé. La participation à la réunion de Madrid ne signifie pas que la Turquie est sur le point de lever ses objections à l’adhésion des deux pays nordiques au bloc militaire, précise Ankara.
Le secrétaire général de l’OTAN s’est lui montré prudent sur les résultats possibles de la réunion. « Il encore trop tôt pour dire si nous aurons des avancées d’ici au sommet » de Madrid, a-t-il déclaré. « Je ne ferai aucune promesse et je ne spéculerai pas sur des délais spécifiques », a-t-il prévenu. « Le sommet n’a jamais été une échéance. Mais il a lieu. Tous les dirigeants (de l’OTAN) y sont présents, ainsi que les dirigeants suédois et finlandais. Cela nous donne donc une occasion que nous devrions saisir pour voir si nous pouvons faire des progrès », a-t-il expliqué.
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