Le coup de génie de ce talent au prénom de pierre précieuse? Ne pas terminer les individus qu’elle représente. © Vincent Everarts

A définir (2020) Aymeraude du Couëdic

Le Vif
Le coup de génie de ce talent au prénom de pierre précieuse? Ne pas terminer les individus qu’elle représente.
Le coup de génie de ce talent au prénom de pierre précieuse? Ne pas terminer les individus qu’elle représente. © Vincent Everarts

Chose promise, chose due. Avant que les mois de vacances n’interrompent le cours de la rubrique «Agenda», nous nous étions engagés à rendre compte du travail au fusain d’Aymeraude du Couëdic (Le Vif du 16 juin). Pour rappel, la jeune femme (Paris, 1995) s’est distinguée par une «mention spéciale» du jury du prix Elisabeth Burdot, une récompense imaginée comme soutien à la jeune création. La série A définir de cette Française installée à Bruxelles est exemplaire. Elle retient l’attention à plusieurs titres.

C’est d’abord le sujet qui marque: des visages et des morceaux de corps d’une foule anonyme et totalement remplaçable – une qualité suggérée par l’interchangeabilité des panneaux composant une fresque impressionnante de 240 cm x 480 cm. Méprisée, la «masse» n’a pas la faveur des penseurs, sans doute est-elle perçue comme trop imprévisible. Pourtant, à l’instar de Kae Tempest et de sa chanson People’s Faces, il faut rappeler que «There is so much peace to be found in people’s faces» (Il y a tant de paix à trouver dans les visages des gens). Agençant à la perfection le noir et le blanc, le vide et le plein, la jeune artiste restitue toute la complexité des figures. Sous son fusain, chacun réalise cet appel à la responsabilité, tant de fois évoqué par le philosophe Emmanuel Levinas, que représente autrui. Sans doute le coup de génie de ce talent au prénom de pierre précieuse est de ne pas terminer les individus qu’elle représente. D’où le choc esthétique: la très grande précision du trait contraste avec les ellipses omniprésentes. Le message est clair, il témoigne de l’impossibilité de circonscrire, d’enserrer l’humain, car à peine l’a-t-on abordé que déjà il déborde, toujours au-delà de ce que nous pouvons dire ou peindre de lui. Il faut beaucoup d’humilité pour s’arrêter en chemin, et faire preuve d’une maturité précoce. Le champ des possibles ainsi ouvert dépasse tous les accomplissements imaginables. «Quelque part dans l’inachevé», aurait écrit Vladimir Jankélévitch.

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