Alors que, chaque jour, la presse spécialisée détaille la chute inexorable du Standard, sur le terrain les joueurs ne peuvent que subir la situation. © BELGA IMAGE

Trop peu d’argent et trop d’agents: qui a tué le Standard? (récit)

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

En un peu plus d’une décennie, le Standard a changé trois fois de propriétaire et a plongé dans une crise financière majeure. Retour sur une saga qui a mené bien bas le porte-drapeau sportif de la Wallonie.

Le 10 mai dernier, tout a l’allure d’une contestation de tribune comme les autres. Une de ces dérives de supporters qui font s’indigner la presse et crier les consultants. Pourtant, chez ces dizaines d’Ultras qui servent de barrière humaine pour rendre vaine l’ouverture du portail du SL16 Football Campus, centre d’entraînement du Standard, il y a autant de bienveillance que de colère. Presque comme un parent qui priverait son enfant de sortie, de peur de le voir rejoindre une fois de plus de mauvaises fréquentations. Une forme de mal pour un bien. Si les plus fervents amoureux du blason rouche font barrage pour empêcher la tenue d’un match anecdotique contre Westerlo, c’est parce qu’ils ne voient plus d’autre manière de secouer les Américains de 777 Partners, propriétaires du club liégeois depuis le printemps 2022. «Ils s’en sont un peu pris à Jean-Michel Javaux (NDLR: administrateur du club) sur les réseaux sociaux, au CEO Pierre Locht aussi, mais ils ont bien vu que le principal problème ne venait pas d’eux», glisse un interlocuteur bien introduit dans les couloirs du Standard. «Le problème est là, ils ne savent plus sur qui gueuler.»

Une décennie avant de priver leur bébé de sortie, les Ultras étaient pourtant plutôt du genre à forcer l’entrée. Comme ce matin du 10 juin 2013, lorsque l’arrivée du facteur constitue un prétexte idéal pour s’introduire dans les bureaux des dirigeants du Standard. Une dizaine de supporters se fraient alors un chemin jusqu’à la porte du président Roland Duchâtelet, tranquillement assis avec sa tasse de café pour préparer une assemblée générale lors de laquelle il a prévu de prélever 20 millions d’euros de dividendes sur les comptes du club liégeois. «C’est purement fiscal», se défend l’homme d’affaires flamand, qui a racheté le club à Margarita Louis-Dreyfus et Lucien D’Onofrio deux ans plus tôt pour 32 millions d’euros. Le tour de passe-passe ne fera toutefois jamais réapparaître l’argent sur les comptes du Standard, et marquera le début de la chute d’un trésor de guerre monté jusqu’à 46 millions après les ventes de talents comme Axel Witsel, Steven Defour, Eliaquim Mangala ou Mehdi Carcela.

«Le problème est là, les supporters ne savent plus sur qui gueuler.»

Certes, l’arrivée à Sclessin, grâce aux relations du président Duchâtelet avec l’agent israélien Dudu Dahan, du peu connu Guy Luzon ramène le calme avec une inattendue course en tête vers le titre lors de la saison 2013-2014, conclue par un effondrement et un retour d’Anderlecht toujours jugé suspect par l’ancien président des Rouches. L’accalmie n’atteint toutefois pas l’hiver suivant: le 19 octobre 2014, une défaite à domicile face à Zulte Waregem force Roland Duchâtelet à quitter le chaudron principautaire à dix minutes du coup de sifflet final d’un match qui n’ira jamais jusqu’à son terme. Moins d’un mois plus tard, Bruno Venanzi devient le vice-président d’un club qu’il rachètera intégralement à la fin de la saison. Est-ce le début des problèmes annoncés par Lucien D’Onofrio, presque prophétique face à son ami de longue date Henri Depireux auquel il annonce dans la foulée de son échec de reprise en 2011, «je leur donne cinq ans, au Standard»?

Venanzi et la course à l’argent

Associé de Bruno Venanzi chez le fournisseur d’énergie Lampiris, Bruno Vanderschueren ne cache en effet pas sa surprise face à cet important investissement de son acolyte. Dans le trimestriel Wilfried, il affirme avoir été «très, très étonné d’apprendre qu’il assumerait seul cette responsabilité. Nous n’avions pas encore conclu la revente de Lampiris, il s’exposait complètement. Je voyais ça comme un risque.»

Parce qu’il n’a pas encore les reins assez solides –la reprise de son entreprise par Total n’étant pas actée définitivement–, Bruno Venanzi recourt à une double manœuvre pour obtenir les clés du club de son cœur. La première consiste en un nouveau prélèvement de Roland Duchâtelet sur les comptes du Standard, avec une diminution de capital de dix millions d’euros pour réduire la valeur du club. La seconde, en un coup de pouce d’un ami de Venanzi, l’agent Christophe Henrotay. Interrogé par Sport/Foot Magazine en 2017, l’homme qui gérait alors les carrières de Thibaut Courtois ou Youri Tielemans après avoir longtemps été l’agent de Daniel Van Buyten le reconnaît: «Je n’ai pas racheté le Standard, comme on a pu le dire. Mais sur une période de six mois, on a aidé Bruno, d’une certaine manière.» Le coup de pouce est chiffré à un peu plus de cinq millions d’euros, et fait de Sclessin un carrefour de choix dans le business de Henrotay. Le tout en catimini, bien sûr, puisque le règlement footballistique fédéral interdit à un agent de joueurs d’être lié financièrement à la gestion d’un club professionnel. Dans les faits, pourtant, Daniel Van Buyten est propulsé «conseiller présidentiel» et devient le bras droit de Bruno Venanzi contre 500.000 euros brut annuels. Un choix qui fait gronder les employés du club à cause de compétences managériales loin d’atteindre le niveau de sa carrière de joueur.

Jusqu’à la vente définitive de Lampiris, le président du Standard jongle donc avec les contraintes imposées par ses limites financières. D’une part, il doit démesurément compter sur les réseaux de Christophe Henrotay pour renforcer son noyau. Certains coups visent dans le mille, comme les arrivées de Sambou Yatabaré et Matthieu Dossevi, voire la bonne pioche de Christian Luyindama. Plusieurs de ces transactions se retrouveront toutefois dans le viseur de la justice belge qui y cherche des montages financiers frauduleux effectués par l’agent de joueurs. D’autre part et à d’autres instants, la fraude semble plutôt sportive. Le 31 août 2016, au cœur d’un important convoi de transferts entrant vers Liège le dernier jour du mercato, le défenseur Elderson Echiéjilé arrive de Monaco (où Henrotay a ses entrées) pour un passage de six mois en catimini. Les Football Leaks révèleront au sujet de cette transaction un e-mail adressé par Nicolas Holveck, directeur général adjoint monégasque, à son CEO Vadim Vasilyev: «J’ai dit au Standard qu’il n’y avait pas besoin de faire de visite médicale, comme c’était un prêt. Sinon, on était morts!» Farès Bahlouli était arrivé au même moment, après un été loin d’être encourageant sur le Rocher quand il avait entamé la préparation physique avec 18% de masse graisseuse (loin au-dessus des 10% de moyenne dans le football professionnel). Le Standard ferme les yeux sur ces transactions diligentées par Henrotay.

«J’ai dit qu’il n’y avait pas besoin de faire de visite médicale. Sinon, on était morts!»

Dans les bureaux, quelques années plus tard, les yeux sont au contraire écarquillés quand la confidentialité des clauses liées à la revente du club par Duchâtelet à Bruno Venanzi est éventée. Des collaborateurs du président liégeois découvrent quatre conventions signées entre les deux hommes. Révélées par la RTBF, elles ont certes été résiliées le 26 septembre 2016, un peu plus d’un an après leur signature, mais coûtent dans l’intervalle près de cinq millions d’euros au Standard. Elles prévoient en effet d’offrir 1,2 million d’euros hors TVA aux clubs de Charlton (D2 anglaise), Alcorcón (D2 espagnole) et Ujpest (D1 hongroise), tous trois dans le portefeuille de Duchâtelet, pour offrir au Standard une priorité de recrutement sur les joueurs de ces clubs. Seul le latéral gauche Darwin Andrade sera finalement issu de ce filon. Facture à laquelle il faut ajouter le million annuel à verser à Elex, société de l’ancien président, pour des missions de «prospection, négociation et conseil» qui sont généralement l’apanage de cellules de recrutement propres au club. Bruno Venanzi ressemble alors à un homme qui aurait vidé son compte en banque pour construire une piscine, mais n’a plus les fonds pour la remplir.

De g. à dr.: Olivier Renard, Daniel Van Buyten et Bruno Venanzi. Le premier fut préféré au second pour la gestion sportive © BELGA IMAGE

Les fastes de l’ère Preud’homme

La vente actée de Lampiris permet toutefois à Bruno Venanzi de se défaire de ses dettes envers Roland Duchâtelet et Christophe Henrotay, d’écarter ce dernier du giron de Sclessin en préférant Olivier Renard à Daniel Van Buyten pour la gestion sportive, puis de réinjecter au capital du club les dix millions ponctionnés au moment du rachat. En parallèle d’une fin de saison 2017-2018 inattendue, qui voit le Standard de Ricardo Sá Pinto remporter la Coupe de Belgique et échouer de peu derrière Bruges dans sa remontée fantastique en play-offs, le président négocie un retour en grande pompe de Michel Preud’homme, l’ancien gardien fétiche de Sclessin devenu coach à succès quand il avait ramené le titre en Principauté en 2008.

Les premiers contacts entre les deux hommes remontent déjà au mois de septembre précédent, quand ils se rencontrent au détour d’une partie de golf, la grande passion de l’ancien Diable Rouge. Alléché par la perspective de faire revenir son idole de jeunesse dans le chaudron liégeois, Bruno Venanzi confie «tout le trousseau» du club, pour paraphraser un employé du Standard, à «MPH»: entraîneur, directeur sportif, membre du conseil d’administration et même vice-président, le tout avec un contrat de quatre ans et des émoluments à la hauteur de ces multiples fonctions et du prestige de celui qui va les endosser. Le contrat renseigne 1,5 million d’euros brut à l’année, sans compter les primes, auquel s’ajoutent 70.000 euros par mois pour la vice-présidence. Cerise sur la facture, Bruno Venanzi demande en dernière minute à son bras droit, Alexandre Grosjean, de préparer une convention de 50.000 euros pour Mogi Bayat, agent impliqué par Preud’homme dans son retour à Sclessin.

L’enquête démontrera que le Standard a sciemment maquillé le transfert. Un jeu dangereux.

Preud’homme emmène ses hommes de confiance dans son sillage pour constituer son staff, rend le Standard plus régulier sur le terrain, mais pèse très lourd dans les finances du club. Dès l’été de son arrivée, le départ de Junior Edmilson vers le club qatari d’Al-Duhail en est le premier signe. Homme fort de la fin de saison précédente, l’ailier quitte le Standard pour le Qatar contre une somme annoncée à deux millions d’euros. Un montant ridiculement bas qui interpelle Saint-Trond, club précédent du Belgo-Brésilien qui avait négocié 40% de la plus-value lors de son transfert vers Sclessin en janvier 2016.

L’enquête démontrera que le Standard a sciemment maquillé le transfert en faisant passer 3,2 millions d’euros payés par Al-Duhail en sponsoring. Un jeu dangereux qui mettra le club dans le collimateur de la Fifa et de la justice, tout ça pour économiser un peu plus de 1,2 million d’euros. La manœuvre interpelle autant que les fuites dans la presse quelques mois plus tard des transferts de Razvan Marin (vers l’Ajax) et de Moussa Djenepo (vers Southampton), montants à l’appui, alors que les transactions sont loin d’être conclues. Les révélations tombent toutefois à pic, alors que la commission des licences s’inquiète pour la première fois du manque de liquidités sur les comptes du Standard.

Les comptes dans le rouge

Quelques mois plus tard, quand Marin, Djenepo et Luyindama (vendu au Galatasaray avec un important pourcentage pour son club précédent et pour Christophe Henrotay) ont quitté Liège, l’argent coule à flots. Pas pour longtemps, puisqu’il est en grande partie réinvesti dans un mercato d’été 2019 que beaucoup d’observateurs pointent comme le tournant négatif des finances du club, bien plus que le Covid qui s’invitera quelques mois plus tard. «On venait de terminer consécutivement deuxième et troisième, c’était le bon momentum, et l’objectif était le titre», affirmait le CEO Alexandre Grosjean près de deux ans après les faits. «Réinvestir l’argent n’était pas une mauvaise idée en soi. En revanche, avec le recul, force est de constater qu’il n’a pas été bien investi et que nous le payons très cher.»

Montants de transferts démesurés, masse salariale qui décolle à près de 40 millions annuels, joueurs fragiles ou insuffisants et contrats longue durée: le cocktail du mercato piloté par Michel Preud’homme et Mogi Bayat fait des ravages dans les finances liégeoises. Au printemps, alors que la crise sanitaire provoque un coup de sifflet final anticipé du championnat et oblige à faire une croix sur les revenus financiers importants des play-offs, le Standard n’obtient pas la licence indispensable pour poursuivre son aventure professionnelle. Le tremblement de terre est alors minimisé par les dirigeants, qui plaident l’incompétence de la Commission qui n’a pas pris correctement en compte le document de vente du stade à l’Immobilière du Standard de Liège dans le cadre de travaux de rénovation de Sclessin. La décision révèle toutefois une nouvelle alerte sur le manque de cash sur les comptes rouches, sauvés par une vente extérieure qui ne pourra intervenir qu’une fois.

«Réinvestir l’argent n’était pas une mauvaise idée. Mais il n’a pas été bien investi et nous le payons très cher.»

En apnée, le Standard multiplie les recours pour sortir de l’ornière: pendant que le directeur sportif Benjamin Nicaise et le CEO Alexandre Grosjean font de leur mieux pour faire fondre la masse salariale, les Rouches vendent au rabais le prometteur Hugo Siquet, monnaient un paiement immédiat pour les cinq années de droits télévisés qui sont une importante rentrée financière annuelle des clubs belges, ou sollicitent leur ancien joueur Marouane Fellaini pour un prêt de trois millions d’euros. Preud’homme s’échappe par la sortie de secours, Venanzi fait le vide autour de lui et s’improvise directeur sportif. Il rapatrie le buteur Renaud Emond, sur le déclin à Nantes, et décide qu’ajouter des Flamands au vestiaire ramènera la hargne à Sclessin: l’anonyme Gilles Dewaele arrive de Courtrai, tandis que le milieu défensif Joachim Van Damme est acheté à Malines. Le club malinois était pourtant sur le point d’annoncer aux agents avertis que le joueur, en proie à des ennuis d’assuétude aux somnifères, pouvait quitter le club librement. Joueur apprécié par Venanzi depuis de longues années, le gaucher débarque à Sclessin contre une petite somme de transfert et un salaire coquet.

A Sclessin, les Américains de 777 Partners, que les supporters accusent d’avoir fait tomber leur club dans le rouge, ne sont plus les bienvenus. © BELGA IMAGE

Le Standard sans Venanzi

S’il se montrait rassurant publiquement malgré la crise sanitaire, promettant des finances dans le vert grâce aux recettes européennes ou aux transferts, Bruno Venanzi admet avec le recul qu’il a rapidement été confronté à une réalité inéluctable: «J’ai dû m’avouer que je ne bossais clairement pas dans la même catégorie que Bart Verhaeghe ou Paul Gheysens (NDLR : le président du FC Bruges et le propriétaire de l’Antwerp)», confiait récemment l’ancien président du Standard dans une interview à Forbes Belgique. Les conséquences économiques du Covid achèvent de convaincre l’homme qu’il n’est plus en mesure de diriger le navire liégeois en solitaire. Venanzi sonde alors le marché belge, d’abord par l’intermédiaire de ses connexions du monde politique et économique, puis en faisant appel à l’expertise du cabinet de conseil PwC. Sur le sol national, il n’y a que François Fornieri qui mord initialement à l’hameçon, mais l’accord scellé entre les deux hommes finit par capoter et n’aboutit qu’à des querelles par presse interposée. Wouter Vandenhaute est également sondé, mais le patron de la société de production Woestijnvis et de l’agence de management Let’s Play préfère rejoindre Marc Coucke à Anderlecht. Le dernier candidat idéal, Nicolas Lhoist (lire l’encadré), décline poliment malgré son amour profond pour les Rouches.

Pour élargir son horizon, rien de tel qu’une ouverture des frontières. Celle opérée par Bruno Venanzi le mène initialement vers la Russie, où le riche Sergey Lomakin a l’allure du repreneur rêvé. Le président le place en tête de sa liste de préférences, pas uniquement parce que sa fortune personnelle est faramineuse et promet le retour d’un Standard qui pèse sur le marché. Contrairement aux autres candidats acquéreurs, venus des Etats-Unis ou du Canada, le Russe permet non seulement à Bruno Venanzi de rester actionnaire minoritaire, mais lui promet aussi de conserver un rôle de président exécutif et de poursuivre sa gestion quotidienne des Liégeois avec une manne financière bien plus importante à disposition. Venanzi fait alors le ménage une dernière fois, se débarrassant de son fidèle Alexandre Grosjean dont le rôle de CEO deviendra obsolète dans cette nouvelle mouture de l’organigramme. La manœuvre s’opère à la fin du mois de février 2022, coïncidant avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le président du Standard doit se rabattre vers les autres candidats. Les Canadiens, emmenés par John Chayka, se montrent prudents et procéduriers quand ils ont accès aux documents financiers de la «data room», alors que les Américains de 777 Partners posent moins de questions. L’accord est presque bouclé avec les premiers au détour d’une poignée de main aux allures de promesse, mais ce sont finalement les seconds qui emportent la mise. Le Standard passe sous pavillon étoilé.

«Ils sont injoignables puis, d’un coup, on voit que les millions sont arrivés sur les comptes.»

La fuite de 777 Partners

Maintenu par les nouveaux propriétaires dans un rôle de CEO qu’il avait décroché pendant la transition entre l’ère Venanzi et l’intronisation officielle de 777 Partners, Pierre Locht esquisse un premier tableau enchanteur de la nouvelle réalité liégeoise: «La manière de travailler a changé, avec un actionnariat qui n’est pas présent au quotidien. L’avantage, c’est qu’aujourd’hui, on a une vue plus claire sur les finances et plus de responsabilités pour les respecter dans chaque secteur.» L’inconvénient, qui sera de plus en plus marqué dans les mois qui suivent, c’est que la vue sur les finances n’est pas assortie d’une grande clarté quant aux délais d’alimentation des comptes. A plusieurs reprises, le Standard est dans le viseur de la Commission des licences, écope même d’interdictions momentanées de transfert pour ne pas avoir honoré certaines factures et laisse ses administrateurs belges se débrouiller avec les procédures et les créanciers. «Ils ne donnent jamais de nouvelles, résume un membre du club. Ils sont injoignables puis, d’un coup, on voit que les millions sont arrivés sur les comptes.»

Le problème est que les arrivées financières s’espacent dans le temps et perdent en générosité. Les nouvelles venues de l’étranger, principalement d’Angleterre où 777 Partners tente d’acquérir le club d’Everton en vain, faute de garanties financières offertes au screening exigeant effectué par la Premier League, font s’effriter le château de cartes footballistique international des Américains. En Belgique, Jean-Michel Javaux puis Pierre Locht présentent leur démission, se désolidarisant d’une gestion à distance qui fait gronder les tribunes de plus en plus fort. La réduction des coûts paraît devenir une priorité, et la relégation vers la troisième division nationale du SL16 FC, équipe des moins de 23 ans alignée en D2 depuis deux saisons et qui permettait de faire grandir les jeunes talents du club, ressemble à un sabotage conscient tant les investissements ont été minimes pour sauver l’équipe. En interne, certains admettent que les frais de fonctionnement de cette deuxième équipe fanion étaient bien trop lourds à supporter, et que la descente n’a pas été accueillie comme une mauvaise nouvelle.

Chaque jour, la presse spécialisée détaille désormais les avancées d’une situation qui semble inexorablement se diriger vers une revente du Standard, la troisième en moins d’une décennie. Actuellement, 777 Partners négocie pourtant avec le frein à main, comme si la perte de l’un des clubs de son réseau devait avoir l’effet d’un domino. De premiers candidats frappent pourtant timidement à la porte de Sclessin. Encore faut-il qu’ils soient conscients de cette donnée indispensable, glissée depuis les bords de Meuse: «Pour pouvoir remettre le Standard sur les bons rails, il faudra être prêt à perdre beaucoup d’argent. Il faut sans doute sacrifier 100 millions d’euros pour que ça tienne la route.»

Plus que le cadre froidement chiffré d’une «data room», c’est presque d’une séance de speed-dating dont aurait besoin le Standard. Parce que dans les situations de crise, il est toujours bon de se reposer sur des adages. Et que l’un d’eux dit que quand on aime, on ne compte pas.

«Pour pouvoir remettre le Standard sur les bons rails, il faut sans doute sacrifier 100 millions d’euros.»

Lhoist, le nouveau rêve éveillé?

Aux yeux de Bruno Venanzi, une fois acté l’échec des négociations avec François Fornieri, le candidat de rêve pour une reprise du Standard ne faisait pas de doute. Certes, Lucien D’Onofrio avait évoqué un retour accompagné de fonds à la provenance mystérieuse. Autre ancien homme fort de Sclessin, Roland Duchâtelet avait même été sondé pour un retour en terres liégeoises en partenariat avec son successeur. Pourtant, l’espace de quelques jours au début de l’année 2022, c’est Nicolas Lhoist qui avait tenu la corde.

Grand supporter du Standard, l’homme est aussi l’un des héritiers de la riche entreprise familiale, devenue leader mondiale dans la production de chaux et présente dans des dizaines de pays sur plusieurs continents. De quoi s’asseoir sur un patrimoine si imposant que dans le giron des Rouches, on dit de lui qu’il «pourrait acheter le Standard avec sa carte Proton». L’idée avait d’ailleurs fait son chemin dans l’esprit de celui qui, depuis 2020, vit sa passion footballistique à travers le club de Rochefort, passé en quelques années de la première provinciale namuroise à la première division amateur du pays grâce à un impressionnant développement logistique, sportif et financier.

Connu par Alexandre Grosjean dans le cadre de sa présidence à la chambre de commerce et d’industrie au milieu des années 2010, Nicolas Lhoist est donc sondé une petite décennie plus tard dans le cadre d’une reprise du Standard. Enthousiaste, l’héritier accepte même un rendez-vous en toute discrétion dans les loges de Sclessin lors d’un calme jour de semaine. A l’abri des regards, le club va jusqu’à commander un traiteur pour faire en sorte que la rencontre se déroule dans le cadre le plus propice à la conclusion d’un accord. Elle n’aura finalement pas lieu.

Quelques jours avant le rendez-vous, Nicolas Lhoist fait volte-face. Il se dit que le reste de la famille n’aurait pas vu d’un bon œil l’importante exposition financière et médiatique d’une arrivée en grande pompe à Sclessin. S’ils avaient consenti à investir à Rochefort, dans des proportions financières bien moindres, c’était surtout pour compenser la publicité négative faite à leur entreprise suite aux conflits avec les moines de l’abbaye autour de la propriété de l’eau de la source de la Tridaine. Une réussite, tant l’image nationale de Rochefort grâce à la caisse de résonance de son club de football est désormais positive. Réussir la même prouesse à l’échelle du Standard demanderait toutefois d’autres moyens. A l’époque, Nicolas Lhoist justifiait son refus d’aller plus loin dans les négociations: «Nous n’avons pas désiré donner suite à ce dossier au niveau familial, dans un souci de discrétion. Nous sommes impliqués dans le projet de football à Rochefort, qui est davantage tourné vers le local, le social, dans une région qui nous est chère et dans un contexte moins médiatisé.»

Deux ans plus tard, son nom est pourtant à nouveau associé à celui de Bruno Venanzi dans le cadre du rachat d’un Standard aux abois sous pavillon américain. Selon la RTBF, les échanges entre les deux hommes à ce sujet seraient devenus réguliers. La situation familiale n’aurait pourtant pas évolué, laissant l’hypothèse d’une arrivée de Lhoist au Standard actuellement plus proche du rêve que de la réalité.

Standard ne rime plus avec pouvoir

L’histoire se raconte avec les yeux qui pétillent comme des coupes de champagne. Elle témoigne d’un passé pas si lointain où les loges de Sclessin étaient le centre nerveux de la Wallonie entrepreneuriale, voire de la politique belge. En incarnation sublime de «l’homme d’affaires» au sens strict, celui qui aime être au courant de ce qui se trame, Lucien D’Onofrio aimait s’entourer des puissants quand il faisait la loi au Standard. On raconte qu’il était capable de rassembler autour d’une table liégeoise les hommes politiques les plus influents du sud du pays pour les convaincre d’allonger le parcours du tram principautaire jusqu’à Sclessin. On sait qu’il a joué, indirectement, un rôle majeur dans le dénouement de la crise bancaire de Fortis en offrant, en septembre 2008, une loge à Yves Leterme, Didier Reynders et Guy Quaden (alors directeur de la banque nationale), dans la foulée d’un Clasico remporté par les Rouches grâce à Axel Witsel et Milan Jovanović. On y croisait Jean-Michel Javaux ou Stéphane Moreau, sans compter tous ceux qui aimaient y être vus, parce que les loges du stade Maurice Dufrasne étaient le rendez-vous incontournable de tous ceux qui comptent.

Une quinzaine d’années plus tard, les rendez-vous à Sclessin sont bien moins prisés. Si d’influentes entreprises locales ont toujours leur loge au cœur de la tribune 1, les soirs de match ne sont plus les opportunités uniques de réseautage du passé. Le Standard a perdu de sa superbe, et donc de son influence. En matière de pouvoir sportif, le club ne fait plus partie du fameux «G5», entité rassemblant les cinq clubs aux meilleurs résultats sportifs récents du pays. Finie, donc, la voix qui compte triple lors des débats à grands enjeux de la Pro League, privilège réservé aux membres du G5. Le Standard a intégré la masse, sans disposer d’un porte-voix assez charismatique au sein de l’assemblée pour peser d’un véritable poids lors des négociations, comme peut l’être le rival Mehdi Bayat pour le compte de Charleroi malgré une moyenne sportive pas franchement meilleure que celle des Rouches.

Au cœur de la crise sanitaire, quand il fallait négocier avec les autorités gouvernementales une issue la plus favorable possible pour le football, c’était d’ailleurs Mehdi Bayat qui, en tant que président de la Fédération de football qu’il était alors, s’était installé à la table des ministres. Il y rencontrait déjà beaucoup de politiciens hainuyers, signe d’un centre névralgique du pouvoir wallon qui s’était déplacé vers le Hainaut de Paul Magnette, Georges-Louis Bouchez ou Jean-Marc Nollet. A l’image de son étendard sportif, la principauté liégeoise perd de l’influence sur la scène politique, et n’aide pas le Standard à rester lié à l’image du pouvoir.

Symboliquement, le club reste toutefois la principale entité sportive du sud du pays, Sclessin offrant la possibilité d’un spectacle d’une ampleur sans pareille sur le sol wallon. C’est ainsi que la perspective d’une faillite a fait réagir le monde politique, encore plus en pleine campagne, pour marquer une forme de soutien à l’une des plus grandes bases de supporters du pays. Les fondations sont encore présentes pour que le club pèse sur la scène nationale, mais ce retour en grâce devra passer par des résultats qui font à nouveau du Standard une référence, et surtout être symbolisé par une voix qui pèse dans les coulisses du football belge. Très apprécié de ses confrères, notamment d’un Club de Bruges qui avait voulu l’engager voici quelques années, on dit toutefois de Pierre Locht qu’il n’a jamais véritablement influencé les débats qui comptent à la Pro League. Il faudra incontestablement une figure de proue pour que le Standard retrouve sa place sur l’échiquier footballistique national. Le reste sera une question de magnétisme, parce qu’un Standard qui brille peuplera inévitablement ses loges des paillettes du pouvoir.

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