Thorsten Fink
C’est calme, sur le banc, que le coach se sent le plus à sa place. Pas sur la ligne de touche à crier. © PHOTO NEWS

Thorsten Fink (Genk): «Pour un coach, l’empathie est plus importante que la tactique»

Jacques Sys Jacques Sys, rédacteur en chef de Sport/Foot Magazine.

Passé de joueur fidèle du Bayern Munich à coach globe-trotter, Thorsten Fink n’a eu besoin que de quelques mois pour changer Genk en machine à gagner. Rencontre avec le coach du moment.

Le KRC Genk pratique le meilleur football de Belgique, mais vous n’entendrez pas Thorsten Fink dire que c’est grâce à lui. L’Allemand ne se présente pas comme un maître de la tactique. Il ne se comporte pas non plus comme une personnalité médiatique qui lance toutes sortes de théories compliquées sur le football. Fink se concentre sur ses joueurs et leur développement, et ne cherche pas à être sous les feux de la rampe. C’était aussi son cas en tant que footballeur. Au Bayern Munich, il jouait comme milieu de terrain défensif. Un stratège discret qui lâchait rapidement le ballon sur le terrain et rendait les autres meilleurs. Des qualités qui l’ont également aidé en tant qu’entraîneur, même si Fink n’a jamais vraiment été sur le devant de la scène très longtemps. Sauf à Hambourg, où il a travaillé un peu moins de deux ans avant d’être licencié. Par la suite, il est resté au chômage pendant un an et demi.

Après de nombreuses pérégrinations, Thorsten Fink a atterri à Saint-Trond au milieu de l’année 2023. Il y a reçu des éloges pour la manière constructive et audacieuse avec laquelle il a fait jouer l’équipe. Cela lui a valu d’être transféré au KRC Genk l’été dernier. Là aussi, il a transcendé l’équipe. Fink, fils de mineur et élevé dans la Ruhr, dégage beaucoup d’énergie positive. Il veut que tout le monde se sente en sécurité avec lui et donne l’impression d’être une figure paternelle pour ses joueurs. Pourtant, ce n’est pas ainsi qu’il a été formé: Fink a commencé sa carrière d’entraîneur à Salzbourg, en tant qu’assistant du légendaire et sévère Italien Giovanni Trapattoni, sous les ordres duquel il a également joué au Bayern Munich.

De quel entraîneur avez-vous le plus appris?

Aucun entraîneur ne m’a vraiment formé, on apprend de tout le monde. Trapattoni était un personnage particulier, un type incendiaire. Je me souviens d’une conférence de presse mémorable après un match perdu par le Bayern, au cours de laquelle il a traité l’un des joueurs, Thomas Strunz, de «bouteille vide». Cette séquence est encore visible sur YouTube, c’est vraiment hilarant. Mais de lui, j’ai appris comment organiser une défense. C’était un professionnel, à sa manière. Tout comme Ottmar Hitzfeld, qui m’a entraîné pendant quatre ans au Bayern. Il fut le premier à me dire de penser comme un entraîneur sur le terrain. Hitzfeld était un excellent gestionnaire d’équipe. C’est lui qui m’a appris à quel point c’est important.

Vous avez joué pour le Bayern Munich pendant neuf ans. Cela témoigne d’un grand amour pour ce club.

En effet, je me suis toujours senti très attaché au Bayern. J’ai fait partie de l’équipe première pendant six ans. J’aurais pu aller ensuite à Kaiserslautern, mais Uli Hoeness, l’homme fort du club, m’a persuadé de rester et de jouer pour la deuxième équipe. Avec le même salaire, mais pas les mêmes primes, évidemment. En revanche, il m’a donné l’autorisation de m’entraîner à Cologne. J’y étais quatre jours par semaine, du lundi au jeudi. Puis je prenais l’avion pour Munich et je jouais avec la deuxième équipe. J’ai eu une relation exceptionnelle avec Hoeness. Il aimait que je m’identifie autant au club, comme lui. Si vous disiez ne serait-ce qu’un mot de travers sur le Bayern, vous étiez fini à ses yeux. Hoeness aurait aimé que je travaille dans le club après ma carrière, dans la relation avec les supporters, mais ça ne me plaisait pas. Je souhaitais absolument devenir entraîneur. D’une certaine manière, je pensais qu’il existait un bon entraîneur en moi. Sur le terrain, je n’étais pas le plus rapide, mais je savais où placer le ballon.

«Les datas, on ne peut plus s’en passer.»

En tant qu’entraîneur, votre but est avant tout de faire en sorte que les joueurs se sentent bien.

Je pense que c’est la tâche principale d’un coach: se connecter avec les joueurs et le staff, travailler dans l’unité, dans une atmosphère positive. C’est la clé du succès. Il faut être capable de transmettre son message de manière claire et convaincante et de sentir ce que tout le monde ressent. Je pense que c’est ma plus grande qualité. L’empathie est bien plus importante pour un coach que la tactique. Les tactiques, on les apprend dans les livres, pour ainsi dire. Interagir avec les gens, c’est autre chose. Je pense être doué pour cela, former un groupe qui pense dans la même direction. Ce qui n’enlève rien au fait qu’une certaine philosophie du football est nécessaire. Mon principe de base est de posséder le plus possible le ballon et de le récupérer le plus vite possible quand on l’a perdu. Le chemin vers le but doit être le plus court possible.

Avez-vous travaillé de cette façon partout?

Absolument. Seulement, il faut aussi faire le bon choix en tant qu’entraîneur. Lorsqu’on est approché par un club, il faut toujours se demander quelle est la motivation à aller dans ce club? A Genk, ça n’a pas été difficile. Je n’ai jamais eu d’entretiens préalables aussi instructifs que ceux auxquels j’ai participé là-bas. Il y avait un plan, une vision bien définie, et une grande attention à la formation des jeunes. Bien sûr, ce plan existe depuis longtemps: ces dix dernières années, ils ont vendu des joueurs pour 400 millions d’euros. Je leur ai demandé ce qu’ils attendaient de moi. Ils ont été surpris par cette question, mais la réponse est venue tout de suite: décrocher un ticket européen, et faire en sorte que les spectateurs s’amusent.

Les débuts de votre carrière d’entraîneur ont suivi des chemins sinueux. Vous avez travaillé dans sept pays avant d’arriver en Belgique. Et à huit reprises, votre contrat a été résilié de manière anticipée.

Disons que je n’avais pas prévu certaines situations. Et peut-être qu’à certains moments, je n’étais pas assez mûr. A Hambourg, par exemple. Non pas que je ne maîtrisais pas le football, mais j’avais du mal avec ce qui gravitait autour. Dans ce club, chaque mot prononcé est examiné dans les moindres détails. J’ai parfois réagi de manière émotionnelle. J’ai eu notamment une discussion avec le président; je lui ai dit très clairement ce que je pensais, et je suis allé directement à l’encontre de son opinion sur certains dossiers. Or, il vaut souvent mieux laisser passer certains problèmes et dormir dessus. C’est ce que j’ai appris là-bas. Ça m’a rendu beaucoup plus calme. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne m’arrive plus d’être émotif et de parfois élever la voix. Je ne suis pas une «bouteille vide». (rires)

Après Hambourg, vous êtes resté sans club pendant un an et demi.

Il y a eu des offres, des contacts avec La Gantoise, par exemple, mais je voulais laisser les choses se mettre en place. Finalement, l’impatience m’a gagné. C’est pourquoi je suis allé à l’Apoel Nicosie: le club jouait la Ligue des champions, ça m’attirait. Mais en tant qu’entraîneur, il faut bien réfléchir à la destination qu’on choisit et au conseiller avec lequel on devra travailler. C’était un problème, il y avait trop de conseillers à un moment donné. J’ai commencé à Nicosie en janvier 2015. Deux semaines avant la fin de la saison, nous avions quatre points d’avance et avions atteint la finale de la Coupe. On ne pouvait pas faire mieux. Mais ils m’ont dit qu’ils comptaient acheter dix nouveaux joueurs. Nous n’en avions pas besoin, je le leur ai dit. Ils m’ont renvoyé. J’ai alors compris qu’il y avait d’autres intérêts en jeu.

Pour Fink, tout le groupe doit aller et penser dans la même direction. © GETTY IMAGES

Vous vous êtes retrouvé par la suite au Japon et en Lettonie, entre autres.

J’ai adoré travailler au Japon. C’est un beau pays, sans criminalité, avec des gens polis et accueillants, beaucoup de respect mutuel et une grande culture sportive. Seulement, la finalité, en tant qu’entraîneur, ne peut pas être là. Une offre est venue du FC Riga, en Lettonie, dirigé par un propriétaire russe qui voulait acheter six clubs, dont le Standard et Saint-Etienne. J’y étais entraîneur, mais je devais me rendre régulièrement dans ces clubs pour contrôler la philosophie du football. Cela me paraissait intéressant. Mais la guerre en Ukraine a éclaté. Mon équipe comptait trois joueurs ukrainiens. Ce n’était plus possible. J’ai quitté le pays. Je suis parti aux Emirats arabes unis. Où j’ai bien dû me rendre à l’évidence que d’autres facteurs que le football entraient en jeu. J’ai appris à réfléchir aux multiples facettes du football. J’ai commencé par un match nul à l’extérieur, et on m’a dit que ma position était remise en question. Je souhaitais alors définitivement retourner en Europe, même si j’avais reçu une offre financièrement très intéressante de la Corée du Sud. J’ai demandé à mon avocat de se renseigner sur les équipes libres. C’est comme cela que j’ai atterri à Saint-Trond. Sur le papier, l’équipe aurait dû être reléguée avant mon arrivée. Elle disposait du plus petit budget et la valeur marchande totale du groupe était la plus basse du championnat: 12,7 millions d’euros. Au bout d’un an, cette valeur est passée à 40 millions d’euros. Saint-Trond était également la plus jeune équipe de première division. J’aime travailler avec des jeunes, je leur donne toutes les chances de se développer, ils ont le droit de faire des erreurs. Là aussi, j’ai essayé de jouer avec le ballon. Saint-Trond était l’une des équipes qui avait le plus de possession de balle.

Vous avez également un jeune groupe à Genk.

Un entraîneur doit faire deux choses: rendre les joueurs meilleurs et s’assurer, par son approche, qu’ils ne veulent pas partir immédiatement. C’est ce à quoi je travaille avec mon équipe. J’ai des assistants très compétents, à qui je laisse faire le travail sur le terrain quand il le faut. Lorsque j’étais assistant à Salzbourg, j’ai tout de suite compris que rester sur le terrain avec les joueurs, leur apprendre des exercices techniques, ce n’était pas pour moi. Des spécialistes peuvent le faire bien mieux que moi. Le fait que nous utilisions beaucoup de datas nous aide aussi, bien sûr. Après chaque entraînement, nous savons exactement combien de kilomètres chacun a parcouru. On ne peut plus se passer de ces outils. Je suis très ouvert avec les joueurs. Certains disent que c’est une faiblesse, mais je pense que l’ouverture est nécessaire pour travailler de manière optimale. C’est un signe de confiance.

«Si une chose m’obsède, c’est bien l’ambiance du groupe. Rien ne doit la perturber.»

Pendant les matchs, vous vous distinguez par le calme que vous dégagez. Vous criez rarement sur la ligne de touche.

Cela n’a pas de sens et ne fait que générer du stress inutile chez les joueurs. Je préfère rester sur le banc. De là, je peux mieux me concentrer et analyser. Et utiliser les observations à la mi-temps, pour procéder à des ajustements si nécessaire.

Genk pratique le meilleur football de Belgique. L’équipe peut-elle encore progresser?

C’est certain. La gestion du temps doit être améliorée. Je veux dire par là qu’il faut mieux gérer certaines situations, jouer avec encore plus d’intensité à certains moments. On ne peut pas, par exemple, mener 0-1 à Courtrai et encaisser ensuite deux buts en contre. Il faut alors parfois oser utiliser un long ballon. Quand on est rapidement menés 1-0 à l’Union, il faut savoir comment gérer cela, avec des situations où on a moins de temps pour construire. Mais bien sûr, nous sommes satisfaits de cette saison. J’aime voir cette équipe jouer. Et je constate une fois de plus qu’il est important de créer un climat positif. Si une chose m’obsède, c’est bien l’ambiance du groupe. Rien ne doit la perturber.

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