Thomas Detry est devenu une référence mondiale du golf après son succès à Phoenix © PRESSE SPORTS

Thomas Detry a médité pour gagner: la recette de la plus grande victoire de l’histoire du golf belge

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Vainqueur de l’Open de Phoenix, Thomas Detry a offert au golf belge la plus grande page de son existence. Une histoire d’études américaines, de méditation et de roadtrip en famille.

La confiance semble être là. Ce n’est pourtant pas le genre de la maison. Sur les parcours emplis de pièges du golf professionnel, on aime effectivement décrire Thomas Detry comme un «choker». Un incontestable talent, mais trop souvent rattrapé par la pression à l’heure où la victoire ne semble plus être qu’à quelques coups de club.

Même s’il vient de réaliser un «birdie», soit un coup de moins que le par (le nombre prédéterminé de coups à réaliser pour terminer un trou), au quinzième trou de l’Open de Phoenix, le Belge se retrouve alors face au célèbre trou numéro 16. Le lieu est chargé d’histoire, sur un tournoi déjà rempli de grands noms. On dit que le PGA Tour, compétition à laquelle est intégré l’Open de Phoenix, est l’équivalent golfique de la Ligue des champions de football. On dit aussi que ce trou numéro 16 est un mythe. C’est là qu’en 1997, le légendaire Tiger Woods a réussi le premier «hole in one» (placer la balle dans le trou en un seul coup) de sa carrière professionnelle, à 21 ans seulement et alors que le par est fixé à trois coups. Les golfeurs font face à des gradins en forme d’amphithéâtre, remplis de supporters enivrés. Dans le milieu, on le décrit comme le trou le plus bruyant de la planète golfique. La pression jusque dans les oreilles, comme pour refléter un cœur qui bat forcément trop vite.

Pourtant, Thomas Detry paraît plus calme que jamais. Il analyse posément le coup de l’Américain Daniel Berger, son plus proche poursuivant à l’aube du sprint final. «J’avais vu Daniel frapper son fer 9 un peu trop fort pour dépasser le green, et j’ai utilisé cette information pour frapper une balle légèrement plus douce», commentera le Belge après avoir soulevé le trophée. Une analyse froide au moment le plus chaud du tournoi.

Quelques heures plus tôt, la journée de Thomas Detry avait commencé par un moment de méditation. Une nouvelle habitude prise depuis quelques mois, en compagnie de sa femme Sarah ou avec un préparateur mental. «Avant, j’avais tendance à me projeter trop rapidement dans l’avenir. Lorsque j’étais en tête d’un tournoi, je me voyais déjà soulever le trophée. Cela me mettait une pression inutile sur le parcours. Là, j’apprends à rester exclusivement dans le présent.»

Le présent, c’est donc ce trou où le par est fixé à trois coups. Cette tribune qui s’apprête à faire du bruit. Cette analyse du coup de Berger, et cette frappe légèrement plus douce. «Honnêtement, je voulais qu’elle retombe au milieu du green, à trois mètres du drapeau», reconnaît Detry. Le Belge voit sa frappe atterrir à quelques centimètres du trou. Impassible quelques instants, il parvient même à savourer avec la foule, lui demandant de la main de faire plus de bruit. Le birdie est une formalité. Il y en aura encore deux autres, aux deux derniers trous, pour aller chercher sa première victoire depuis 2017. La plus belle de sa carrière, incontestablement. La plus belle page de l’histoire du golf belge, aussi.

Rêve américain, mode d’emploi

A 31 ans, Thomas Detry s’installe désormais à la 22e place du classement mondial. Le plus haut point d’une carrière débutée sur les greens du parcours des Sept Fontaines, à l’ouest du Brabant wallon, dans une jeunesse pourtant marquée par sa passion pour le hockey. Très vite, ce sont pourtant les prédispositions en golf de celui qui accompagne son père sur les parcours qui lui permettent de décrocher un statut d’élite sportive et d’intégrer, avec un cursus adapté, le fameux Sint-Jan Berchmans College d’Hasselt lors de ses études secondaires. Du Limbourg, il passera à l’Illinois pour boucler sa scolarité avec un baccalauréat en Management et Entrepreneuriat au sein d’une université qui met le sport, et plus particulièrement le golf, au centre de son projet d’établissement.

Ancien golfeur habitué du circuit PGA, le célèbre Mike Small est le coach local, avec une liste longue comme un parcours 18 trous de noms prestigieux passés entre ses mains pour progresser. Si le jeu de Thomas Detry était déjà prometteur avant de franchir l’Atlantique, il change de dimension sous les ordres de Small pour devenir plus rigoureux et discipliné. C’est cette régularité qui le distinguera de ses compatriotes Thomas Pieters ou Nicolas Colsaerts, également brillants sur le circuit international mais jamais à la hauteur de l’exploit désormais réalisé par Detry.

Il ne lui reste qu’à décrocher une participation à la prestigieuse Ryder Cup, un tournoi disputé tous les deux ans et qui oppose les meilleurs golfeurs américains aux européens, mais sa récente victoire à l’Open de Phoenix et les deux ans de présence garantis sur le circuit PGA grâce à ce succès le rendent probablement incontournable aux yeux du sélectionneur du Vieux Continent. Nicolas Colsaerts et Thomas Pieters ont déjà eu droit à cet honneur par le passé, et il est désormais difficile d’imaginer que Detry ne les rejoindra pas dans ce club très select des golfeurs de l’élite européenne à l’occasion de l’édition 2025.

Une vie de Airbnb

Il y a à peine trois ans, c’est sans doute avec ces objectifs gargantuesques dans le viseur que Thomas Detry avait débarqué sur le circuit américain. Récompense de ses belles performances lors des finales du Korn Ferry Tour, compétition rassemblant les joueurs qui aspirent à rejoindre le prestigieux PGA Tour. Il se classe à quatre reprises dans le Top 20 lors de ses douze premiers tournois. Surtout, il est souvent assez bien placé pour éviter le «cut», ce couperet qui écarte du tournoi après les deux premiers tours les joueurs qui ont un retard trop important par rapport au score du leader.

Sa progression et l’ivresse de cette nouvelle vie l’entraînent, avec sa famille dans son sillage, dans une vie à l’américaine. Sa femme Sarah et sa fille l’accompagnent, bientôt suivis par leur deuxième enfant. Sans véritable demeure de l’autre côté de l’Atlantique, les Detry passent d’un Airbnb à l’autre et profitent du soleil de la République dominicaine quand se présente l’occasion de faire un break. Les semaines de tournoi, c’est la crèche du PGA Tour qui prend le relais pour s’occuper des enfants. A Phoenix, lors du dernier trou, il n’y a pourtant plus que Sarah pour regarder, en compagnie de ses deux enfants, Thomas Detry frapper ses derniers coups de club vers la victoire. Ils seront les premiers à l’étreindre dans la foulée de ce succès majeur. «Vivre sa passion aux côtés de sa famille, ça donne des ailes», avouait l’intéressé à La Libre quelques mois après son entrée sur le circuit américain, concluant désormais sa version sportive d’un «American dream» avec une récompense fixée à 1,65 million de dollars.

Le déclic belge?

Malgré la présence de plus en plus grande de talents sur le circuit international, la Belgique et ses 80.000 golfeurs licenciés reste un petit joueur sur les greens mondiaux. Les Américains sont évidemment les incomparables chefs de file, raison pour laquelle Thomas Detry, comme Thomas Pieters avant lui, a mené son cursus universitaire et sportif de l’autre côté de l’Atlantique.

La jeunesse belge, bien que n’étant pas encore en nombre comparable avec des nations comme les Etats-Unis ou l’Espagne, commence toutefois à se structurer avec une dynamique de plus en plus présente. Le parcours universitaire de Detry aux Etats-Unis, tout comme celui de Pieters avant lui, souligne la nécessité pour les golfeurs belges de se confronter à un environnement plus compétitif pour se mesurer aux meilleurs. Ce modèle d’évolution à l’international, souvent incontournable pour accéder aux plus hauts niveaux, témoigne des défis auxquels les golfeurs belges doivent faire face dans un pays où leur sport reste encore marginal par rapport à d’autres disciplines sportives populaires.

L’augmentation du nombre de compétitions, de clubs et d’académies dédiés à la formation montre toutefois que le pays est sur la bonne voie. Si le nombre de golfeurs licenciés reste insuffisant pour rivaliser avec les géants mondiaux, il est possible que dans les prochaines années, des figures comme Detry deviennent de véritables modèles de réussite pour la nouvelle génération. A ce titre, l’exploit de Phoenix pourrait avoir un retentissement national allant bien plus loin que la réussite personnelle d’un golfeur.

Quelques séances de méditation peuvent décidément avoir un effet bien plus spectaculaire que prévu. Un shoot de concentration extrême face au trou le plus bruyant au monde, puis des cris qui font écho jusqu’aux parcours des quatre coins de la Belgique, par exemple.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire