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Quel avenir pour le tennis masculin après Djokovic-Nadal-Federer?

En 18 ans, ils ont conquis soixante Grands Chelems. Roger Federer, Rafael Nadal et Novak Djokovic n’ont cessé de repousser le jour de leur déclin. Le premier semble l’avoir atteint, celui du deuxième approche à grands pas. Djokovic est le dernier à résister, même s’il devra tôt ou tard plier l’échine face aux représentants de la NextGen. Le tennis est-il prêt à une passation de pouvoir?

Il s’est assis sur sa chaise quand Daniil Medvedev l’a vaincu en finale de l’US Open avec une étonnante aisance, le privant ainsi du joyau tant convoité: un Grand Chelem calendaire, après ses victoires à l’Open d’Australie, Roland-Garros et Wimbledon. La première réaction de Novak Djokovic, qui avait qualifié cette finale de match de sa vie, n’a pas été la colère ni une amertume profonde, plutôt du soulagement. Il était enfin délivré d’une immense pression, placée sur ses épaules par les observateurs et par le joueur lui-même. Il ne s’agissait pas seulement d’un Grand Chelem mais d’un record de victoires dans cette catégorie, puisqu’à Wimbledon, il s’était hissé à la hauteur de Roger Federer et Rafael Nadal, avec vingt succès.

La finale de l’US Open 2021 pourrait bien constituer un tournant dans l’histoire du tennis masculin.

Même le Serbe, apparemment doté d’un mental en acier, n’a pu répondre aux attentes. Il a raté une chance unique d’entrer dans l’histoire et de pimenter encore un peu plus la légende des Trois Magnifiques. Leur histoire n’en est pas moins unique en tennis comme dans le sport en général: depuis que Roger Federer a conquis son premier Wimbledon en 2003, il a gagné, avec Nadal et Djokovic, pas moins de soixante des 73 Majors disputés depuis lors (82%). Avant la défaite du Djoker contre Medvedev, le trio a même remporté seize des 17 derniers trophées, seul Dominic Thiem s’étant immiscé entre eux durant l’édition Covid de l’US Open 2020, un tournoi boudé par Federer et Nadal, tandis que Djokovic en a été disqualifié pour avoir malmené une juge de ligne.

Mieux encore, il faut remonter à Roland-Garros 2004 pour ne trouver aucun d’eux en demi-finale d’un Grand Chelem. Un an plus tard, Nadal remportait le premier de ses treize titres à Paris. Les pourcentages de victoires de l’Espagnol, du Serbe et du Suisse dans les Grands Chelems sont hallucinants: Nadal s’est imposé à vingt reprises en 62 participations (32%) et a été finaliste à huit reprises. Djokovic a gagné vingt fois sur 66 (30%) et perdu onze finales. Federer atteint un bilan de vingt sur 81 (24,6%), avec onze finales perdues.

Andy Murray a été le seul à les menacer quelque peu, en 2016, grâce à un titre à Wimbledon, aux Jeux de Rio et en ATP Finals. Il est ensuite resté numéro 1 mondial pendant 41 semaines avant de souffrir de la hanche. Djokovic l’a relayé au sommet du ranking jusqu’à présent, à l’exception de douze semaines fin 2019, durant l’intermède de Nadal.

Si Federer et lui ont continué à dominer le tennis passé le cap de la trentaine, c’est essentiellement parce qu’ils se concentrent sur les grands événements. Par contre, leurs succès dans les Masters 1000, les huit ou neuf principaux tournois ATP en dehors des Grands Chelems, comme Miami ou Indian Wells, se sont faits plus rares: depuis 2017, ils n’en ont gagné que 18 sur 38 (47%). Nadal en a gagné huit dont six sur terre battue, Djokovic six et Federer quatre.

Les raisons? Soit ils n’y ont pas participé, parfois à cause d’une blessure, soit ils ont été confrontés à des joueurs plus jeunes, capables de prendre leur mesure en deux sets gagnants. L’exemple le plus frappant? Les ATP Finals, le tournoi qui réunit les huit meilleurs joueurs de l’année, dont l’édition 2021 débute dimanche à Turin. Les quatre derniers lauréats sont Grigor Dimitrov en 2017, Alexander Zverev en 2018, Stefanos Tsitsipas en 2019 et Daniil Medvedev en 2020, Dominic Thiem ayant disputé les deux dernières finales.

Jannik Sinner
Jannik Sinner© BELGAIMAGE

Après chaque titre, la question se repose: le Big Three est-il fini, et la NextGen – du nom du tournoi réservé aux meilleurs joueurs U21 – est-elle enfin prête? Même John McEnroe l’a prédit en 2018, mais chaque fois, la réponse est négative. Dans les Grands Chelems, Zverev & cie restent dans l’ombre de Djokovic, Federer et Nadal. Ils ne sont pas encore assez mûrs ni réguliers dans un tournoi de deux semaines. Toni Nadal, l’oncle et ancien coach du maître de la terre battue, l’a évoqué récemment dans L’Équipe : « Ces dernières années, leur pic est très proche de celui de Rafa, Roger et Novak. Leur niveau de base les handicape: quand ils jouent moins bien, ça se remarque très fort et c’est fatal dans un Grand Chelem. »

Le tournant

La récente finale de l’US Open pourrait quand même avoir marqué un tournant dans l’histoire du tennis. Après Dominic Thiem en 2020, un autre joueur né après 1990, Daniil Medvedev, s’est adjugé un Grand Chelem et, pour la première fois, en battant un des trois grands en cours de route. Pourtant, en Australie, le Russe de 25 ans avait été étrillé par Djokovic en finale. Il a inversé les rôles à Flushing Meadows et inspiré les autres jeunes, qui espèrent ne plus devoir s’en remettre aux tournois en deux sets gagnants, comme les Masters 1000 et les Jeux de Tokyo, où Djokovic n’a pas décroché de médaille, pour battre TheSerbinator. Ils rêvent aussi de le vaincre en Grand Chelem, même si là, sa fameuse condition physique et son sens tactique ont souvent été décisifs. Exactement la façon dont il a battu… Medvedev la semaine dernière au final du Masters 1000 à Paris, en trois sets.

Alexander Zverev (24 ans) s’est rapproché du trio ces derniers mois: médaille d’or à Tokyo, un titre en Masters 1000 à Cincinnati et le tournoi de Vienne. Zverev, Medvedev et, dans une moindre mesure, Stefanos Tsitsipas semblent les principaux candidats à la relève à court terme.

Dans leur sillage, une volée de joueurs encore plus jeunes a très vite émergé l’année dernière: l’Italien Jannik Sinner (vingt ans), lauréat de l’European Open d’Anvers, a même intégré le top 10 du classement ATP. Juste devant lui, on trouve le Norvégien Casper Ruud (22 ans), huitième. Un peu plus loin, deux Canadiens: Félix Auger-Aliassime (21 ans), demi-finaliste du dernier US Open, est onzième, et Denis Shapovalov (22 ans), occupe la 19e place. Celui qui possède sans doute le plus de talent est 35e. Andy Murray vient de le qualifier de  » really, really good« : c’est l’Espagnol de 18 ans Carlos Alcaraz, le nouveau Nadal, qui a atteint les quarts de finale à Flushing Meadows et est bien plus qu’un spécialiste de terre battue.

Carlos Alcaraz
Carlos Alcaraz© BELGAIMAGE

Plus de 35 ans

Le temps joue en faveur de la NextGen. Federer n’a plus empoché de Grand Chelem depuis 2018, à l’Open d’Australie. L’année suivante, il a gaspillé deux balles de match contre Djokovic en finale de Wimbledon et depuis, il n’est pas allé plus loin que les demi-finales à Melbourne en 2020, et les quarts de finale de Wimbledon cette année. Les genoux du si souple et élégant Suisse craquent de plus en plus. Il a déjà subi quatre opérations: au genou gauche en 2016, au droit à deux reprises en 2020 et en août dernier, après un come-back en mars et son élimination à Wimbledon. Federer reconnaît lui-même ne plus atteindre son meilleur niveau sur gazon. Il a maintenant quarante ans: peut-il encore se rapprocher de son prime? D’autant qu’il s’est astreint à une revalidation de plusieurs mois, qui l’a contraint à repartir de zéro. Federer veut à tout prix achever son illustre carrière en beauté et espère revenir « dans le courant de 2022 ». Avec, en guise d’ultime objectif, un dernier Wimbledon?

Un sport individuel a besoin de champions charismatiques, dominants, différents.

Rafael Nadal n’a pas annoncé de bonnes nouvelles non plus. Fin août, il a mis un terme prématuré à sa saison, à cause d’un pied gauche douloureux, qui le tracasse en fait depuis l’âge de 17 ans. L’Espagnol souffre du syndrome de Müller-Weiss, une malformation rare et complexe du pied. On lui a même dit, durant son adolescence, qu’il devrait sans doute faire une croix sur une carrière en tennis. Des semelles orthopédiques lui ont permis de continuer, jusqu’à l’été dernier. Âgé de 35 ans, Nadal a subi un traitement intense durant les mois suivants. Il espère effectuer son retour en décembre dans un match d’exhibition à Abu Dhabi, pour préparer l’Open d’Australie.

Ce Grand Chelem sera aussi le dernier avant que Novak Djokovic franchisse le cap des 35 ans, le 22 mai 2022. Pour autant qu’il participe au tournoi qu’il s’est déjà adjugé à neuf reprises, puisque l’Australie exige que les joueurs soient vaccinés. Le temps ne joue pas en sa faveur non plus. Depuis le début de l’ère Open en 1968, seuls deux joueurs ont remporté un Major après leur 35 ans: Ken Rosewall a gagné l’US Open en 1970 et l’Open d’Australie en 1971 et 1972. Et… Roger Federer, lauréat en Australie et à Wimbledon à 35 ans, en 2017, puis encore aux Antipodes un an plus tard.

Serena Williams
Serena Williams© BELGAIMAGE

Jusqu’au dernier Wimbledon, Djokovic est resté affûté, souverain même. Il a donc de fortes chances de suivre l’exemple des deux joueurs précités, à Melbourne ou plus tard. Il pourra donc ajouter, seul, un chapitre à la domination du trio infernal.

Et maintenant?

Une question se pose: que se passera-t-il quand ils prendront leur retraite? Pendant 18 ans, ils ont été les astres-rois autour desquels tournait le tennis masculin. Sous leur impulsion, les primes ont doublé dans les Grands Chelems, ces dix dernières années, les Majors ont accueilli un nombre-record de spectateurs et leurs duels ont dopé l’audimat. C’est à la fois une bénédiction et une malédiction, car les tournois qui ne les ont pas accueillis ont bénéficié d’une attention nettement moindre. Un sport individuel a besoin de champions dominants, charismatiques, différents. Dans les années 70 et 80, ils avaient pour noms Björn Borg, Jimmy Connors, John McEnroe, Ivan Lendl et Boris Becker. Dans les années 90, Stefan Edberg, Pete Sampras et Andre Agassi dominaient le tennis. Puis Roger Federer a entamé une nouvelle ère en 2003, avec Nadal et Djokovic.

À la fin de chaque période, la même question s’est posée: et maintenant? Chaque fois, de nouvelles vedettes ont émergé. Ce qui fait la différence, c’est que nous allons devoir prendre congé des trois meilleurs joueurs de tous les temps, qui ont dominé le tennis durant une période exceptionnellement longue. Il est donc important que Medvedev, Zverev, Alcaraz et/ou Sinner parviennent à les battre avant qu’ils prennent leur retraite, comme Medvedev l’a fait à l’US Open. En 2001, Federer a posé les jalons de sa popularité en battant Pete Sampras, sept fois lauréat de Wimbledon, alors qu’il n’avait que 19 ans. Sampras avait lui-même poussé Ivan Lendl et John McEnroe à la retraite à l’US Open de 1990, au même âge. Des moments iconiques de passation de pouvoir.

Toutefois, nous vivons à l’heure des réseaux sociaux. Le tennis doit se battre pour sa place dans un paysage sportif de plus en plus morcelé. Les jeunes de la Génération Z, nés entre la fin des années 90 et 2015, ne passent plus cinq heures devant le petit écran pour suivre un match en cinq sets. Le tennis peut-il s’adapter à cette nouvelle donne et, en dehors des Grands Chelems, multiplier les nouveaux formats comme la Laver Cup, entre le Team Europe et le Team Monde, ou les Tie Break Tens, un tournoi qui propose des matches très courts en tie-break? L’ATP est-elle en mesure d’exploiter des histoires, en produisant des documentaires comme Drive to Survive, la série Netflix qui a boosté la popularité de la Formule 1?

La nouvelle génération peut-elle conquérir le coeur des jeunes, en dehors des courts? En s’ouvrant positivement sur les réseaux sociaux, en s’exprimant sur des thèmes sociétaux? Et surtout: de nouveaux champions capables de supporter l’énorme pression engendrée par leur statut de princes héritiers vont-ils émerger dans les prochaines années? Seront-ils en mesure de se maintenir pendant des années au sommet, comme Federer, Nadal et Djokovic?

Une chose est sûre: trois joueurs ne vont plus rafler chacun vingt Grands Chelems ou plus. Mais l’avenir n’est pas sombre pour autant, avec Jannik Sinner et Carlos Alcaraz, qui marchent sur les traces d’Alexander Zverev et Daniil Medvedev. À court terme, ils seront certainement encore battus par Novak Djokovic et qui sait, par Rafael Nadal et Roger Federer, dans un ultime sursaut. Dans l’espoir de retarder le plus longtemps possible le jour tant attendu, celui de la fin définitive des Trois Magnifiques.

À quand une nouvelle reine?

Le tennis féminin est bien différent du masculin: depuis deux décennies, il est dominé par une seule joueuse qui émerge nettement du lot, Serena Williams. Elle a remporté son premier Grand Chelem, l’US Open, en 1999, et elle y a ajouté 22 autres victoires sur un total de 79 (29%), plus dix finales perdues. Aucune joueuse de sa génération ne s’en approche. Sa soeur Venus et Justine Henin ont gagné sept Grands Chelems. Parmi les joueuses actives, outre Venus, aucune ne compte plus de quatre Majors, comme Naomi Osaka ou… Kim Clijsters.

Toutefois, la suprématie de l’Américaine, âgée de quarante ans, s’effiloche depuis un certain temps: elle a conquis son dernier Grand Chelem en Australie en 2017. En 2018 et en 2019, elle a disputé quatre finales, autant d’occasions d’égaler Margaret Court, qui détient le record de victoires (24), mais chaque fois, Williams a trébuché sur la dernière haie. Comme elle a fait l’impasse sur la plupart des tournois pour se concentrer sur les Grands Chelems, elle n’a empoché qu’un seul titre WTA depuis l’Open d’Australie: à Auckland, en janvier 2020.

Pas moins de treize joueuses se sont infiltrées dans la brèche laissée, se partageant les 18 derniers Grands Chelems. Jusqu’au début de cette année, Naomi Osaka (24 ans) semblait être la prochaine reine, avec quatre sacres (US Open 2018 et 2020, Open d’Australie 2019 et 2021) mais la pression, notamment durant les conférences de presse d’après-match, a eu raison d’elle. La Japonaise a abandonné à l’issue du premier tour de Roland-Garros et n’a plus pris part qu’à trois tournois depuis: les Jeux de Tokyo, les Masters 1000 de Cincinnati et l’US Open. Elle a été éliminée au deuxième ou au troisième tour.

Seules Simona Halep (trente ans) et Ashleigh Barty (25 ans) ont inscrit deux épreuves à leur palmarès. D’autres, comme Bianca Andreescu (lauréate de l’US Open 2019, à 19 ans), Sofia Kenin (Australie 2020, à 21 ans) et Iga Swiatek (Roland-Garros 2020, 19 ans) ont été trop irrégulières, notamment à cause de blessures. On peut se demander si c’est le sort qui attend Emma Raducanu. La Britannique a triomphé en septembre, à l’US Open, à 18 ans et à la surprise générale, en finale face à une autre adolescente, la Canadienne Leylah Fernandez (19 ans). A new star was born, compte tenu des qualités athlétiques, de la nationalité et de l’allure de Raducanu. Malheureusement, elle a sombré au premier tour d’Indian Wells puis au troisième tour du Transylvania Open. Elle a déclaré avoir du mal à gérer son nouveau statut de vedette mondiale.

Est-elle capable, de même que Leylah Fernandez, de prolonger son conte de fées en 2022? Osaka va-t-elle surmonter son passage à vide? Ou allons-nous à nouveau assister à des matches de très haut niveau, remportés par différentes joueuses, sans rivalité ni figures plus dominantes? Cela ferait certainement plaisir aux passionnés de tennis, mais le grand public préfère des championnes plus consistantes. Il faudra que celles-ci émergent pour que le tennis féminin vive un nouvel âge d’or.

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