©  inge kinnet

Sur le toit de Bruxelles

On est douze sur un toit de Bruxelles, le regard braque les feux d’artifices traversant la nuit. Je demande à Gilles si le toit va tenir. Il me répond qu’il y a passé tout l’été, ce qui ne veut rien dire. Mais vu le taux d’alcoolémie, pas la peine de lui faire une leçon d’arithmétique.

J’ai une cannette dans une main, une tasse de bulles dans l’autre, un mégot éteint entre les dents. À l’intérieur, la musique tabasse les murs, un couple s’embrasse, ma copine, ivre elle aussi, danse toute seule, un ami tout aussi ivre tape dans les restes évidents d’une quiche poire-roquefort.

Plus tôt dans la soirée, on est à table avec des gars qu’on ne connaît qu’à moitié. Et va-t’en comprendre par quel moyen, on évite l’éléphant quiche poire-roquefort, le premier sujet qu’on aborde en est un qui ne s’épuise jamais et qui s’écrit en quatre lettres. Le foot est donc plus fort qu’une quiche improbable.

Je parle de ma P4, Gilles de sa P5. Math a l’humilité de pas mentionner ses quelques matches en P2, Maxence nous rabâche qu’il était gardien en U10 comme si ça comptait. Momo a joué en P1, alors on le voit comme un Dieu jusqu’à ce qu’il nous dise que son idole c’est Azpilicueta. Je dis: «Momo, dire ça, c’est comme dire: Moi, j’adore les femmes. D’ailleurs, je suis amoureux de Gérard Darmon». Il me fait un doigt en me disant que j’y connais rien et j’attends qu’il me retourne la question, mais elle ne vient pas, alors je garde Inzaghi, Blondel et KDB dans ma barbe. Chichon, qui accepte de ne rien y connaître en foot, nous demande: «Et Pelé?». Je dis: «Franchement, je le connais pas, est-ce qu’il n’a pas tout inventé parce qu’il était le premier dans la chronologie? Comme si on louait Adam d’avoir inventé le serpent». J’en sais rien en vérité, je suis juste en passe de tomber dans la case ébriété. Toujours est-il que j’ai davantage d’affection pour Maradona, par exemple. Je leur dis: «D’ailleurs, les mecs, est-ce que vos copines savent qui est Maradona? L’autre jour, je lis un livre intitulé Maradona et ma copine me demande: Tu lis quoi? Je dis: Bah, à ton avis? Et elle me dit: Raconte! Alors, je dis: Un livre sur Maradona. Et là, je comprends qu’elle sait pas qui c’est, alors je lui demande: Tu sais qui c’est? Mais ma question sous-jacente, c’est: Me mérites-tu vraiment? Et sa réponse aux deux questions, c’est non, parce qu’elle répond sur un ton désinvolte: Ha ouais, c’est Roberto, non? Roberto Maradona. Et je dis, atterré: Non, c’est Diego, c’est peut-être le plus grand joueur de l’histoire. Et elle me dit: C’est joli Diego comme prénom, je le mets sur ma liste de prénoms. Comment est-ce possible?» Les gars sont choqués, alors je demande à table: «Oh les filles, vous savez qui c’est Maradona?» Et là, ma copine me fait un doigt et elle dit aux filles de pas me répondre, et donc les filles me font des doigts. Tous les mecs sont soulagés, ils connaîtront jamais la réponse, ou bien ils parviendront à se foutre de la réponse, alors que moi, ma première résolution devrait être de changer de copine.

Roberto Maradona! Comment est-ce possible?

On est douze sur un toit de la ville, on regarde les feux d’artifice s’imprimer dans un ciel sans étoile. Sans étoile ou presque, puisque deux légendes de plus s’y planquent. Je murmure «Roberto Maradona» en mâchant mon mégot, puis je le crache à terre. Ma copine surgit de la nuit, passe ses bras autour de mon ventre et j’ai un moment de recul, mais je sens son sourire dans mon cou, elle pose son menton sur mon épaule façonnée par le ciel pour l’y accueillir, elle me dit: «Bonne année, petit con». Et on devient si légers que le vent nous emporte. Finalement, pas de résolution pour cette année, non. Hormis celle de la garder bien là, au creux de moi jusqu’à la mort. Et de raconter moins de conneries.

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