Quelles sont les chances de médaille de Nafi Thiam? 7 athlètes belges analysent ses performances
Ne dit-on pas «jamais deux sans trois»? Nafi Thiam marquera-t-elle l’histoire de l’athlétisme à Paris en s’offrant un troisième titre olympique consécutif? Les détenteurs des records belges des sept épreuves de l’heptathlon analysent les performances de la championne.
1. 100 m haies: «pas trop mauvais»
«Le 100 m haies n’est pas l’épreuve où Nafi Thiam excelle, mais son niveau n’est pas trop mauvais», commence Eline Berings (38 ans), détentrice du record de Belgique du 60 m en salle (7″92) depuis son titre européen à Turin en 2009. Le record du 100 m haies en extérieur (12″71) est lui détenu par Anne Zagré depuis 2014. Celui de Nafi Thiam est de 13″21. «Ce temps est plutôt bon, mais si vous le comparez à celui de la détentrice du record du monde Jackie Joyner-Kersee (NDLR: 12″61), il y a une grande différence», poursuit Eline Berings. Le mètre 84 de Nafi Thiam n’est pas un avantage. Elle ne pourra jamais courir en 12″80 ou 12″90 en raison de son gabarit.»
Lors des récents championnats d’Europe de Rome, Nafi Thiam n’a pas brillé sur la première épreuve de l’heptathlon. «De son propre aveu, elle a pris un mauvais départ, mais je pense qu’entre la cinquième et la dixième haie, elle a surtout eu du mal à maintenir sa cadence de course», analyse Eline Berings. «Pour n’importe quelle coureuse de haies, la longueur de la foulée est comprise entre 1m80 et 1m85. Celle de Nafi Thiam est supérieure à deux mètres. Sur le 100 m haies, elle est donc obligée de faire des plus petits pas, ce qui n’est pas évident. On l’a bien vu à Rome. Elle aura du pain sur la planche d’ici là en vue des Jeux. Je pense qu’elle doit augmenter sa vitesse, mais avec plus de fraîcheur physique, une meilleure technique et cadence, ça ira. A mon avis, Nafi Thiam pourrait terminer l’heptathlon olympique juste au-dessus des 7.000 points», conclut Elise Berings.
2. Saut en hauteur: «C’est déjà bien»
«Le saut en hauteur est la discipline dans laquelle elle excelle», affirme Tia Hellebaut (46 ans), détentrice du record de Belgique (2m05) depuis son titre olympique à Pékin en 2008. Depuis 2019, le record de Nafi Thiam est de 2m02. Aux championnats d’Europe, elle a franchi une barre à 1m95. «Mais je pense qu’elle peut dépasser 1m98 à Paris. A Rome, elle n’a pas commencé son heptathlon complètement reposée. Nafi Thiam est forte et puissante, mais sa réactivité et sa détente sont dès lors moins importantes. Elle a connu des blessures et puis les périodes de hauts et de bas font partie de la carrière d’une athlète de haut niveau», pense Tia Hellebaut.
Tia Hellebaut, qui fut aussi heptathlonienne (médaille d’or aux championnats du monde en salle en 2008), pense que Nafi Thiam peut encore progresser dans le saut en hauteur. «Dans l’ensemble, c’est déjà bien, mais la dernière partie de sa course d’élan et le franchissement de barre peuvent être améliorés. Mais quand tu dois maîtriser plusieurs disciplines, tu n’as pas le temps de t’entraîner dans toutes deux à trois fois par semaine. Si j’étais l’entraîneuse de Nafi Thiam, je mettrais l’accent du dernier mois de préparation sur sa vitesse et son départ sur le 100 m haies et le 200 m. Travailler ces points devrait l’aider dans la plupart des autres disciplines, à l’exception du lancer du poids et du saut en longueur qui pourraient en subir de petites conséquences. Selon moi, Nafi Thiam n’aura même pas besoin d’une journée parfaite pour remporter son troisième titre olympique.»
3. Lancer du poids: «Phénoménal»
«C’est phénoménal de la voir réaliser de telles performances», s’enthousiasme Jolien Boumkwo (30 ans), recordwoman national du lancer du poids avec un record personnel de 17m29. Celui de Nafi Thiam remonte à 2019, lorsqu’elle avait lancé son poids à 15m41. «A Rome, elle a livré une très bonne performance avec un lancer à 15m06, qui lui permettrait de finir troisième aux championnats de Belgique. Nafi Thiam est très athlétique: grande, rapide avec beaucoup de force, surtout au niveau du torse. Elle a beaucoup de vitesse dans les bras et les jambes. Lorsque je la vois, je ne remets pas en question sa technique. Elle ne fait pas qu’écouter les conseils des autres, elle sait aussi ce qu’il faut faire. Son entraîneur ne lui tient pas la main. Selon moi, Nafi Thiam est une athlète assez indépendante», estime Jolien Boumkwo.
Cette dernière ne conseille pas à la double championne olympique de consacrer plus de temps au lancer du poids. «Je ne connais pas la tactique de Nafi, mais on peut penser qu’elle ne se concentre pas sur le lancer du poids. Elle a déjà atteint un haut niveau et un lancer de 15m50 ne lui rapportera pas beaucoup de points à l’heptathlon (NDLR: 29 de plus qu’avec ses 15m06 aux derniers championnats d’Europe). A sa place, je me concentrerais davantage sur le saut en hauteur. C’est sa spécialité et un centimètre peut faire la différence dans cette discipline (NDLR: 13 ou 14 points). Nafi Thiam a déjà remporté deux titres olympiques, deux titres mondiaux et trois titres européens. Elle n’a plus rien à prouver. Un nouveau titre olympique ne changera rien à sa carrière. Personnellement, je ne m’attends pas à ce qu’elle décroche facilement l’or à Paris. Ce n’est pas grave si elle ne gagne pas pour une fois. Nous ne devrions pas considérer comme acquis ce qu’elle accomplit.»
4. 200 m: «La plus grande marge de progression»
«C’est la discipline dans laquelle Nafi Thiam possède la plus grande marge de progression», lance Kim Gevaert, aujourd’hui âgée de 45 ans et qui détient toujours le record de Belgique du 200 m (22″20) depuis 2006. Le record personnel de Nafi Thiam est de 24″37 depuis 2019. «Son chrono de référence n’est pas trop mal en soi, mais pour augmenter ses points dans un heptathlon, il faudrait qu’elle fasse mieux. Dans le virage et à la sortie du virage, je la vois se battre avec elle-même à chaque fois. Nafi possède une impulsion énorme et est très explosive. Sinon, on ne peut pas sauter aussi haut. Mais lorsqu’elle cherche à atteindre sa vitesse maximale, elle manque encore un peu de technique. Elle ne pousse pas assez bien et gaspille pas mal d’énergie. Bien sûr, c’est plus facile à dire qu’à faire. Aux championnats d’Europe, elle a réussi à maintenir sa vitesse et a bien terminé. Pour moi, elle doit améliorer sa technique de course et augmenter sa vitesse de pointe pour s’améliorer. Mais il ne faut pas oublier qu’à son âge, c’est un peu plus difficile», rappelle Kim Gevaert.
Celle qui est désormais directrice du Mémorial Van Damme est consciente que Nafi Thiam préfèrera sans doute se concentrer sur ses points forts. «Si vous devez passer beaucoup de temps dans une discipline qui ne rapporte pas beaucoup de points, je comprends qu’on préfère viser celles qui rapportent plus. A mon avis, le 200 m n’est pas non plus l’épreuve qu’elle affectionne le plus. Mais bien sûr, en tant qu’ancienne spécialiste de la distance, j’espère qu’elle pourra encore y progresser. Passer sous les 24 secondes devrait être possible pour une athlète de sa taille et avec son explosivité», pense Kim Gevaert, qui voit bien Nafi Thiam accrocher une troisième médaille d’or autour de son cou lors des Jeux. «Même en cas de baisse de régime, elle reste très performante, et ne sera pas moins bonne qu’avant. Elle s’est entraînée ces derniers mois pour gagner à Paris», conclut la directrice du Mémorial Van Damme.
5. Saut en longueur: son point fort
«C’est indéniablement l’une des épreuves où elle est la plus forte», estime le quinquagénaire Erik Nys, recordman de Belgique masculin (8m25) depuis 1996. Nafi Thiam a amélioré son propre record national en 2019, avec un saut à 6m86. «Une marque qui lui permettrait de figurer sur le podium de n’importe quel championnat international. Si elle se concentrait sur le saut en hauteur, je pense qu’elle pourrait briguer aussi l’or. Dans les épreuves de saut, Nafi Thiam fait partie du gratin mondial et c’est bien souvent ce qui lui permet de faire la différence avec les autres heptathloniennes. Dans les autres catégories, elle est bonne, mais sans avoir la classe mondiale.»
«Ce n’est pas différent avec Nafi Thiam, qui peut combiner vitesse, explosivité, endurance et force, tout en ayant une certaine stature.»
Erik Nys
Erik Nys souligne aussi qu’un bon sauteur en longueur est toujours un athlète développé. «Ce n’est pas différent avec Nafi Thiam, qui peut combiner vitesse, explosivité, endurance et force, tout en ayant une certaine stature. Les pentathlètes ont donc tendance à être de bons sauteurs en longueur. Techniquement, ce n’est pas la discipline la plus difficile de l’heptathlon. Les qualités générales que j’ai énumérées plus haut sont plus déterminantes. Dès le départ, le centre de gravité de l’athlète est déjà déterminé et il n’est pas possible de prendre de la masse. En saut en hauteur, c’est différent. Avec une excellente technique, on peut encore se redresser tout en restant suspendu en l’air. Pour moi, Nafi Thiam ne doit pas consacrer autant de temps au saut en longueur, principalement parce que le facteur chance y joue un grand rôle. Il y a une course d’élan d’environ 40 mètres, mais le vent peut déterminer à lui seul la qualité de votre saut. Nafi Thiam possède les qualités nécessaires pour sauter jusqu’à à 6m86 dans ses meilleurs moments. Mais à cause de la chance, il est plus probable qu’elle doive se contenter de 6m50. Il en ira de même pour ses adversaires», prédit Erik Nys.
6. Lancer du javelot: «Nafi Thiam est hors catégorie»
«Que Nafi soit détentrice du record de Belgique du lancer de javelot en dit long sur ses qualités», affirme Timothy Herman, âgé de 33 ans et détenteur du record national masculin (87m35). Le meilleur lancer de Nafi Thiam (59m32) remonte déjà à sept années, en 2017, à Götzis. «Des petits défauts se sont glissés dans sa technique ces dernières années, vraisemblablement à cause de ses blessures au coude. Le lancer de javelot est une discipline extrêmement technique et toute blessure peut modifier la technique, ce qui devient très difficile à corriger. De plus, cette partie du corps reste souvent un point sensible après une blessure. Je ne connais pas Nafi Thiam personnellement et je m’en tiens à ce que je vois. Elle « est très courte sur la ligne », ce qui raccourcit sa foulée transversale et la place dans une position où elle ne peut pas retenir sa jambe de blocage. La seule solution est de plier un peu sa jambe, mais cela conduit à un lancer moins bon. Son envergure est un atout majeur par rapport aux autres athlètes et Michael Van der Plaetsen, son nouvel entraîneur, pourrait l’aider dans cette discipline puisqu’il est le frère du décathlonien Thomas, qui n’est pas un mauvais lanceur de javelot et qui est très régulier dans l’exercice. Depuis cinq ans, Nafi Thiam a un peu de mal avec sa technique, mais aux championnats d’Europe, elle a lancé trois fois au-delà de 50 mètres et a signé le septième meilleur lancer de sa carrière. Je vois que ça fonctionne. Elle ne porte plus d’attelle et lance de manière un peu plus détendue. J’estime qu’elle pourra lancer le javelot jusqu’à 55 mètres à Paris. Seule Anouk Vetter atteint ce niveau, mais dans l’ensemble, Nafi Thiam est hors catégorie. Si elle n’a pas de malchance, elle est normalement imbattable», pense Timothy Herman.
7. 800 mètres: «J’ai été agréablement surprise»
«J’ai été agréablement surprise par son 800 mètres aux championnats d’Europe», lance d’emblée Sandra Stals (49 ans), détentrice du record de Belgique (1’58″31) depuis 1998. «Ses deux autres épreuves de course ne se sont pas bien passées, mais j’ai trouvé que c’était impressionnant qu’elle ait pu suivre Noor Vidts aussi longtemps sur le 800 m. Je pense que Nafi Thiam a travaillé sur cette épreuve au cours de l’hiver dernier et j’ai été heureuse de voir qu’elle a pu améliorer son record personnel (NDLR: en 2’11″79). Mais il faut être honnête: s’il faut faire un choix, une heptathlonienne ne va pas se concentrer sur le 800 m. Un bon coureur prendra moins de points et Nafi Thiam brille dans les épreuves de saut et de lancer, ce qui est un désavantage important pour ses adversaires. Il leur est quasiment impossible de compenser ce déficit lors des épreuves de course. Avec la logique de l’heptathlon, il n’est pas réaliste de la voir réaliser des chronos en-dessous de deux minutes au 800 m. Courir entre 2’04″ et 2’05″ serait déjà une très belle performance, mais pour une coureuse comme Nafi Thiam, cela ne lui rapporterait qu’un gain marginal.»
Sandra Stals doute du fait que la double championne olympique doive investir plus d’énergie dans le 800 m. «Je ne pense pas qu’elle ait encore une grande marge de progression. Si elle peut réaliser un chrono de 2’10″ ou 2’09″, elle gagnera un peu plus de points. La seule question qui se pose est la suivante: est-ce que cela vaut la peine de terminer un entraînement supplémentaire de course à pied dans l’espoir de gagner une seconde de plus? J’en doute. Nafi Thiam peut améliorer son endurance et sa résilience pour aller plus haut en acidification, mais cela nécessitera des séances très spécifiques et difficiles. Ce n’est pas évident dans un sport où vous devez équilibrer tous les entraînements. Je pense que Nafi Thiam a plus intérêt à lancer son javelot trois mètres plus loin que de courir trois secondes plus vite. Je pense qu’elle remportera une nouvelle médaille à Paris. L’or? Je n’ose pas trop le dire, car on ne peut jamais exclure une surprise en sport», conclut Sandra Stals.
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