Pourquoi ils veulent tous aller au marathon de New York
Ce n’est ni le plus ancien ni le plus rapide, mais certainement le plus couru. Pourquoi un tel engouement pour le marathon de New York, auquel participera le belge Bashir Abdi ce 3 novembre?
En longeant le côté est du vaste plan d’eau Jacqueline Kennedy-Onassis de Central Park, à New York, à la hauteur de la 90e rue, on tombe sur une statue en bronze grandeur nature d’un homme vêtu d’un survêtement et coiffé d’une casquette occupé à regarder sa montre. Sur le socle, son nom : Fred Lebow, fondateur du marathon de New York en 1970 et président, durant 22 ans, du mythique club des New York Road Runners.
Chaque année, le premier dimanche de novembre, pour marquer «son» marathon, la statue est déplacée à proximité de la ligne d’arrivée, au célèbre restaurant Tavern on the Green. Un hommage à un pionnier, décédé prématurément d’une tumeur au cerveau en octobre 1994, à l’âge de 62 ans. Quelques jours après sa disparition, 3.000 coureurs et membres du New York Road Runners, accompagnés du maire de l’époque, Rudolph Giuliani, franchissaient main dans la main la symbolique ligne d’arrivée du marathon. Ce fut la plus grande commémoration organisée à Central Park depuis la mort de John Lennon.
Un mois plus tard, et deux jours avant la 25e édition du marathon, la statue de Lebow fut dévoilée en présence de 23 anciens vainqueurs. Parmi eux, très émue, la Norvégienne Grete Waitz, victorieuse à neuf reprises: «Fred a changé la vie de beaucoup de gens, y compris la mienne, et a donné un nouveau visage à New York.»
Un pompier premier vainqueur
Fred Lebow a eu une vie mouvementée. Né Fischl Lebowitz en 1932, à Arad, dans l’ouest de la Roumanie, il est fils d’un couple de juifs orthodoxes et a dû se cacher des nazis. Après la Seconde Guerre mondiale, il fuit le régime communiste. Via la Tchécoslovaquie, les Pays-Bas et l’Irlande, il débarque finalement aux Etats-Unis où il fait fortune dans l’industrie textile et devient accro à la course à pied.
En février 1970, il participe au Cherry Tree Marathon. L’événement a lieu dans le Bronx, au nord de Manhattan. Une course décevante, sans spectateurs hormis quelques enfants lanceurs de pierres, et lors de laquelle la circulation automobile s’avère gênante. Lebow se dit qu’il devrait exister à New York un meilleur endroit pour organiser un marathon. Son regard se porte tout naturellement vers Central Park, que le maire John Lindsay a fermé aux voitures durant les week-ends. En juillet, Fred Lebow et Vince Chiappetta, le président des New York Road Runners, obtiennent l’autorisation d’organiser la course le 13 septembre 1970.
Lebow fait don de 1.000 dollars pour aider à l’organisation: chronomètres, trophées… Et 127 participants paient chacun un dollar pour pouvoir s’élancer dans les quatre boucles du parcours d’une distance totale de 42,195 kilomètres à travers Central Park. C’est un pompier, Gary Muhrcke, qui est le premier des 55 coureurs à franchir la ligne d’arrivée. Cette première édition ne suscita que peu d’enthousiasme. Les spectateurs se résumant à quelques passants. Quant au New York Times, il ne publia qu’un court article le lendemain, sur une page pleine de publicités pour les voitures, titré: «Fireman Is First to Finish in Marathon».
«Lorsque vous arrivez sur First Avenue, c’est comme si vous entriez dans une discothèque.»
Plus de 50.000 participants
En 1976, à l’occasion du 200e anniversaire des Etats-Unis, le parcours du marathon de New York est redessiné. Désormais, les participants courent à travers les cinq arrondissements de la ville, avec un départ de Staten Island. De plus en plus de coureurs internationaux s’inscrivent, et de plus en plus d’amateurs, aussi. Chaque année, le peloton grossit de plusieurs milliers de personnes.
Jusqu’à ce qu’en 2013, un an après l’annulation de l’épreuve à la suite des dégâts de l’ouragan Sandy, la barre des 50.000 participants soit franchie pour la première fois. Six ans plus tard, le New York City Marathon établit un nouveau record: 53.629 coureurs prennent le départ. En 2023, ils étaient 51.402, originaires de 148 pays et de tous les Etats américains. En 52 éditions, plus de 1,4 million de personnes ont ainsi couru le célèbre marathon.
La 50e édition du marathon de Berlin, en septembre dernier, a certes dépassé le record de New York, avec 54.280 coureurs, mais en matière de prestige, celui de Big Apple arrive en tête. Peut-être même davantage chez les coureurs amateurs que chez les élites. Revers de la médaille: décrocher un ticket est difficile, surtout pour les non-Américains, qui représentaient un peu moins d’un tiers du nombre total de participants en 2023 (16.748).
Pour participer, quatre solutions pour les non professionnels. La première, se qualifier grâce à un temps validé lors d’un autre marathon. Par exemple, les hommes de moins de 50 ans doivent déjà avoir couru en moins de 3 heures et 5 minutes, les femmes en moins de 3 heures et 38 minutes. Plus on est jeune, plus le temps est bas. Deuxième option, s’inscrire au tirage au sort annuel qui a lieu en février ou mars. Pour l’édition de cette année, plus de 165.000 demandes ont été enregistrées pour 6.600 heureux élus, soit 4% des inscrits. Troisième choix: réserver un voyage organisé auprès d’un des tour-opérateurs ayant obtenu un agrément des New York Road Runners. Pour la Belgique, il s’agit d’Omnia Travel et de Tui. Ici aussi, les places sont comptées. Et le prix autour des 3.000 euros, dossard, hôtel et vol compris, pour cinq jours. Enfin, collecter des fonds pour une œuvre de bienfaisance, par l’intermédiaire du programme officiel des charity partners, permet aussi de prendre le départ. Pour ces coureurs, il existe quelque 14.000 billets. En 2023, ils ont récolté 50 millions d’euros.
Un parcours difficile
La raison de cet intérêt massif? La magie de «la ville qui ne dort jamais». La meilleure façon de voir New York serait, semble-t-il, de courir le marathon. Le parcours serpente de Fort Wadsworth, à Staten Island, à travers les quatre autres «boroughs» de New York: Brooklyn, la Queens, le Bronx et Manhattan. Ceux-ci sont reliés par des passages sur cinq ponts. Dès le départ, le Verrazzano-Narrows Bridge (de Staten Island à Brooklyn), puis le Pulaski Bridge (de Brooklyn au Queens), le Queensboro Bridge (du Queens à Manhattan), le Willis Avenue Bridge (de Manhattan au Bronx) et le Madison Avenue Bridge (de retour à Manhattan). Depuis ces ponts, la vue sur l’horizon de Manhattan est à couper le souffle.
Il y a toutefois un inconvénient: en raison notamment de ces passages de ponts, le nombre de mètres de dénivelé sur les 42,195 kilomètres s’élève à environ 300. «Pour réaliser un bon chrono, mieux vaut commencer par des marathons plus plats comme Berlin, Chicago ou Valence», conseille Koen Naert, qui a réalisé l’an dernier le meilleur résultat belge de tous les temps à New York: 2h10’25’’, décrochant au passage la cinquième place. Son record personnel est plus rapide de trois minutes et demie.
«Pour réaliser un bon chrono, mieux vaut commencer par des marathons plus plats.»
Les ponts rendent les choses difficiles. Surtout le Queensboro Bridge, après 25 kilomètres, «où il faut franchir 40 mètres de dénivelé en un kilomètre et demi», précise Koen Naert. Le reste du parcours n’est guère plus aisé car constamment en légère montée et en descente. Y compris dans les derniers kilomètres, toujours meurtriers. Après un court passage dans le Bronx et sur le pont de Madison Avenue, le retour à Central Park en passant par la Cinquième Avenue affiche une trentaine de mètres de dénivelé en un peu plus d’un kilomètre et demi. «En 2017, lors de ma première participation, j’y ai explosé, raconte l’athlète belge. L’année dernière, grâce à cette expérience, je me suis un peu retenu avant, ce qui m’a permis de décrocher la cinquième place. D’ailleurs, dans les deux derniers kilomètres, deux petits virages s’enchaînent dans Central Park. C’est très délicat si on doit sprinter à cet endroit. Même les amateurs feraient mieux de garder une certaine réserve pour cette dernière ligne droite.»
Ces derniers, tout comme les élites, peuvent se réjouir de l’organisation parfaite et de l’atmosphère unique. Tout au long du parcours, des centaines de milliers de spectateurs encouragent ardemment les participants, jusqu’à la dernière ligne droite. Le marathon est une fête populaire pour laquelle toute la ville se mobilise. Aucun autre dimanche de l’année ne voit autant de personnes se déplacer en métro: en 2023, il y a eu plus de 2,3 millions de voyages.
«L’ambiance new-yorkaise surpasse celle de tous les autres marathons urbains.»
New York is back!
«L’ambiance new-yorkaise surpasse celle de tous les autres marathons urbains, confirme Koen Naert. Que ce soit dans Central Park le vendredi ou le samedi qui précède la course ou qu’on se promène dans le Convention Centre où se tient la Marathon Expo, l’enthousiasme se ressent. Et pendant le marathon, cela va même crescendo. Le moment le plus magique est le passage sur la First Avenue à Manhattan, juste après le Queensboro Bridge. On y court pendant trois kilomètres en silence car aucune foule n’est autorisée sur les ponts. Mais à l’approche de la First Avenue, on entend les spectateurs au loin. En 2017, je courais en tête lorsque nous avons tourné sur First Avenue. C’était comme entrer dans une discothèque. J’ai rarement eu autant la chair de poule qu’à ce moment-là.»
C’était tout à fait vrai lors de la 50e édition, en 2021, un an après l’annulation du marathon en raison de la pandémie de Covid. Pour de nombreux habitants, la course a servi de métaphore au redressement de New York. La ville a été durement touchée, confinée pendant des mois. Elle s’est complètement rétablie le 7 novembre 2021. Les centaines de panneaux «New York is back!» le long de la route illustraient le soulagement.
Pour beaucoup de New-Yorkais, le marathon est donc bien plus qu’une simple course à pied. Il reflète l’âme toujours vibrante d’une métropole qui ne dort jamais. Un mélange hétéroclite de cultures et d’horizons parmi les milliers de spectateurs et coureurs, qui vivent leur grand moment sportif de l’année. Exactement comme Ted Lebow l’avait imaginé en 1970.
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