Mondialement connus (mais surtout en Belgique)
Au cours des quatre dernières années, Wout van Aert (28 ans) et Remco Evenepoel (23 ans) se sont hissés au sommet du cyclisme international. En Belgique, pays du vélo par excellence, ils ont remporté autant de trophées de Sportif de l’Année et ils ont suscité une véritable fièvre. Comment sont-ils devenus si populaires? Et cela vaut-il aussi à l’étranger?
Après sa victoire à la Vuelta et son titre mondial, Remco Evenepoel a salué la foule depuis le balcon de la Grand-Place. À Zonhoven, Wout Van Aert en a fait autant depuis le sommet du Kuil.
Ces images ont fait le tour de Belgique et marqué les esprits des fans de cyclisme, mais il y a déjà bien longtemps que la popularité des citoyens de Schepdaal et de Herentals a franchi le cercle fermé des amateurs de vélo. En 2022, Evenepoel a été élu Belge de l’Année par les lecteurs de Het Laatste Nieuws. Van Aert, lui, émerge du peloton des sportifs belges au terme d’un sondage effectué parmi un nombre équivalent de Flamands et de Wallons pour le compte de La Dernière Heure. C’est remarquable car les six dernières fois, ce sont des femmes qui l’ont emporté (cinq fois Nafi Thiam et une fois Nina Derwael). En 2022, le Campinois a récolté 27% des voix devant Thiam (26%), Kevin De Bruyne (25%) et Nina Derwael (22%). Remco Evenepoel ne s’est classé «que» cinquième avec 20,8%.
Van Aert doit surtout sa victoire à la Flandre, où il a obtenu 35,4% des voix. En Wallonie, il ne termine que sixième avec 16,5%, juste derrière Evenepoel. Par rapport à 2021, il gagne deux places tandis que le champion du monde n’en gagne qu’une. Mais en 2020, Evenepoel s’était classé deuxième. Sans doute parce que, cette année-là, à cause du Covid, il y avait eu peu de sport. Et parce ce que sa chute en Lombardie lui avait valu de la compassion.
Bien qu’il ait gagné à peu près tout ce qu’il y avait en jeu, en décembre 2022, Evenepoel était donc toujours un peu moins populaire que Van Aert. Sans doute parce que l’étiquette d’ex-footballeur arrogant lui colle toujours à la peau, même si le coureur de l’équipe Quick-Step a déjà adapté son comportement et sa communication. Cette image n’est donc plus tout à fait exacte. Mais il l’a admis lui-même sur Sporza après son titre de Sportif de l’Année: «J’aurai toujours plus de sympathisants et de détracteurs, un peu comme Cristiano Ronaldo. Lionel Messi, lui, a peu d’opposants. Je remarque tout de même que j’en ai de moins en moins, ça évolue dans le bon sens.»
Van Aert, lui, a tout pour être un héros: sa charmante épouse, Sarah ; un chouette gamin, Georges ; des origines modestes auxquelles chacun peut s’identifier. De plus, le Campinois vient du cyclo-cross, où il a toujours dû se battre face à Mathieu van der Poel. Cette discipline lui permet aussi de faire parler de lui toute l’année, même si ce sont sa combativité et son esprit d’équipe exemplaire sur la route qui lui ont permis de conquérir définitivement les cœurs. De plus, jusqu’ici, son image est immaculée: pas d’accident en Lamborghini, pas d’excès de vitesse, pas de traces de cocaïne dans les urines et pas de séparation mouvementée comme Tom Boonen à l’époque. En matière de communication, de comportement et de look, c’est un type exemplaire et ça compte.
Beaucoup de kudos
D’autres paramètres démontrent que la popularité de Wout Van Aert auprès des amateurs de cyclisme augmente également. C’est ainsi que 7582 d’entre eux, venus de 133 pays différents, en ont fait pour la deuxième année consécutive leur coureur préféré de tous les temps dans le sondage en ligne annuel Favorite500, lancé par le site de data procyclingstats.com. Il y a devancé Peter Sagan, Tadej Pogacar, Mathieu van der Poel, Alejandro Valverde, Alberto Contador, Fabian Cancellara et Eddy Merckx – il faut dire que les votants sont relativement jeunes. Malgré sa super saison, Remco Evenepoel n’arrive qu’en treizième position. Et c’est la première fois qu’il est dans le top 20.
Autre indication: le nombre de suiveurs et de kudos (likes) sur Strava. Fin 2022, Van Aert était même le sportif professionnel le plus suivi sur la plate-forme d’entraînement en ligne (il faut dire que les adeptes de Strava sont surtout des coureurs cyclistes). Mi-janvier 2023, le Campinois comptait plus de 381.000 followers, soit 130.000 de plus qu’un an avant. Mathieu van der Poel (357.000) est le seul coureur cycliste à faire presque aussi bien.
Ce n’est pas un hasard si le Néerlandais et le Belge monopolisent aussi le top 10 des prestations ayant reçu le plus de kudos en 2022. Dans le top 22, seul Tadej Pogacar (264.000 suiveurs) s’ajoute à eux. Van der Poel a reçu le plus de likes pour son succès au Tour des Flandres (80.516) et sa victoire d’étape au Giro (67.558). Van Aert a surtout séduit par sa victoire en solitaire à Calais au Tour (63.414). MvdP décroche trois des quatre premières places, WvA figure sept fois dans le top 10 avec, selon Strava, la plus forte moyenne de 26.000 kudos par activité.
Ces excellentes statistiques, le coureur de Jumbo-Visma ne les doit pas seulement à ses résultats, mais aussi au fait que ça fait longtemps qu’il a un compte sur Strava. Son tout premier post remonte déjà à janvier 2012, alors qu’il était junior deuxième année. Au cours des années suivantes, il s’est limité à publier ses sorties en stage mais depuis quelques années, Van Aert poste toutes ses activités sur la plate-forme, qu’il s’agisse d’un jogging, d’un entraînement à vélo, d’une course sur route ou dans les labourés ou même d’une promenade avec Sarah et Georges. Et ce que les suiveurs aiment par-dessus tout, c’est que Van Aert donne à chacun de ses posts un titre amusant ou mystérieux. Il avoue même en faire un jeu. Mi-janvier, pour décrire un entraînement collectif en Espagne, il a écrit: The chase is better than the catch et Gekookte melk (lait bouilli). Il a aussi titré un échauffement sur route avant le cross de Gullegem «Van Zwevehem naar Hullehem», se référant à l’accent ouest-flandrien.
Le citoyen de Herentals ne révèle cependant pas tous ses secrets sur Strava: pas question de publier des informations concernant son rythme cardiaque ou les puissances développées à l’entraînement, par exemple. Remco Evenepoel ne le fait pas non plus, même s’il essaye de temps en temps de trouver un titre amusant à ses posts et s’il publie fidèlement chaque entraînement. Il ne le fait cependant que depuis septembre 2021, ce qui explique qu’il n’a qu’un peu plus de 100.000 suiveurs sur Strava. Il a donc encore une grosse marge de progression.
Plus que jamais, les réseaux sociaux déterminent la popularité, la renommée et la valeur commerciale d’un athlète. Le nombre de suiveurs dépend partiellement des contenus (intéressants) publiés chaque jour. Dans ce domaine aussi, Wout van Aert vit avec son temps. Son premier tweet remonte déjà au 8 septembre 2011, juste avant son 17e anniversaire («Enfin sur Twitter! La nouvelle saison de cross débute dans deux semaines, je m’en réjouis!») Au cours des semaines, des mois et des années qui ont suivi, il a beaucoup tweeté, publiant chaque jour des posts sur ses entraînements et ses courses, souvent avec un clin d’œil mais aussi, parfois, avec un commentaire cinglant. Comme il était encore jeune et relativement peu connus, il pouvait se le permettre sans susciter trop de réactions.
Depuis juin 2012, Van Aert est aussi sur Instagram (sur sa première photo, on le voit avec un verre de bière San Miguel). Et depuis octobre 2013, il a une page Facebook. Ces dernières années, il a toutefois moins publié et, sur Twitter, il se limite généralement à des retweets (seulement 45 posts en 2022 sur les deux plateformes). Sur Instagram, par contre, il publie presque chaque jour des stories (qui disparaisse après 24 heures) avec des photos et des vidéos de lui – et pas mal d’humour, comme sur Strava – qui permettent à chacun de voir un peu à quoi ressemble sa vie de coureur. Par contre, il évoque très rarement sa vie privée.
Le passage sur Instagram se voit aussi à son nombre de suiveurs sur les trois réseaux sociaux. Mi-janvier: 157.000 sur Facebook, 252.000 sur Twitter et 798.000 sur Instagram. Avec, et ce n’est pas une surprise, le Tour de France pour levier principal: en juillet 2022, son nombre de followers est passé de 655.000 à 771.000 (plus 116.000, soit une augmentation de 18%). Depuis, la courbe s’est aplanie: plus 27.000 en six mois, mais une augmentation de plus de 35% par rapport au début de l’année dernière. Sur Twitter, l’augmentation pendant le Tour fut moins forte: de 219.000 à 242.000 suiveurs (+11%). Et depuis, ils ne sont que 10.000 de plus.
Van Aert fait néanmoins désormais partie du top 10 des coureurs les plus suivis sur ces deux réseaux sociaux (voir tableaux). Les coureurs qui le précèdent sont plus âgés et ont souvent brillé au Tour ou sont issus de marchés plus grands (anglo-saxon ou sud-américain). Seule exception de taille: le Slovaque Peter Sagan, qui est toujours le coureur le plus suivi sur Twitter, Instagram et Facebook (près de 4,5 millions de suiveurs au total). Le showman charismatique a été, pendant des années, la seule véritable vedette du cyclisme et son management n’a pas lésiné sur la stratégie marketing pour le mettre en évidence.
Wout van Aert n’aura sans doute jamais autant de suiveurs que Sagan, mais contrairement au triple champion du monde, il gère encore seul ses comptes. Ce qui n’est plus le cas de Remco Evenepoel. Depuis début 2022, celui-ci fait appel à l’entreprise de communication SportPlus Media, fondée par l’agent de joueurs de football Evert Maeschalck, à qui Patrick Evenepoel, le manager de Remco, avait déjà demandé conseil lorsque son fils jouait encore au football.
Avant cela, Evenepoel postait tout lui-même. Sa première photo sur Instagram remonte au 20 août 2015 (un hommage à son père et «meilleur ami», qui fêtait son anniversaire). Son premier tweet date du 16 septembre 2018 (une vidéo à dix jours du championnat du monde à Innsbruck dans laquelle il demande à ses fans de le suivre sur Twitter, Facebook et Instagram. Il y annonce également espérer décrocher deux maillots arc-en-ciel, ce qu’il parviendra à faire).
Evenepoel a parfois combiné les tweets pleins de confiance et les réactions émotionnelles à la critique. Aujourd’hui, il n’est plus question de cela. Avant toute publication, il discute avec Thomas Burssens, spécialiste en communication. Il ne suscite plus la controverse et ne fait plus de prévisions, mais veut se montrer tel qu’il est: un jeune homme qui a mûri sur tous les plans.
Avec ses résultats, cette politique a permis à ses followers d’augmenter fortement en 2022, en grande partie entre fin août et début octobre (avec la Vuelta et le Mondial): + 37% sur Twitter (124.000 followers à la mi-janvier 2023), + 22% sur Instagram (599.000) et + 14% sur Facebook (289.000). Evenepoel figure ainsi dans le Top 15 des coureurs les plus suivis, mais pour franchir le cap du million et voir sa notoriété mondiale franchir les frontières du cyclisme, il devra briller au Tour de France.
Les coureurs sont beaucoup moins connus que les joueurs de football ou de tennis, les pilotes de F1 et les stars de NBA. Même Tadej Pogacar, double vainqueur du Tour, ne compte que 757.000 suiveurs sur Instagram. C’est plus qu’Evenepoel mais moins que Van Aert. Et ça s’explique en partie par le fait qu’il vient d’un petit pays, la Slovénie, où le cyclisme est bien moins populaire qu’en Belgique.
Le Tour avant tout
L’importance du Tour dans la réputation mondiale d’un coureur se voit aussi sur Google Trends, qui donne le nombre de fois qu’un nom est tapé dans le moteur de recherche. Au cours de la dernière semaine du Tour 2022, la courbe graphique de Wout van Aert a atteint la cote maximale de 100. Un an plus tôt, alors qu’il avait déjà brillé à la Grande Boucle, avec notamment une victoire au Ventoux, il n’avait atteint que 67.
Aucune autre course n’a autant de succès: avant le Tour des Flandres, avec sa victoire dans l’E3 Classic puis le coronavirus, sa courbe de tendance sur Google Trends s’arrêtait à 21 ; au cours de la semaine du championnat du monde à Wollongong, elle était à 12 ; et à la fin de l’année dernière, malgré de nombreux duels face à Mathieu van der Poel dans les labourés, elle était à 19. Étonnant: Van Aert n’a eu qu’une fois un pic plus important sur Google Trends qu’au cours des trois dernières années: c’était en juillet 2019, lorsqu’il s’est ouvert la cuisse en heurtant une barrière lors du contre-la-montre du Tour à Pau, après avoir remporté une étape. Sur Google, les mauvaises nouvelles ont toujours plus de succès que les bonnes.
L’importance du Tour en matière de reconnaissance mondiale se remarque aussi lorsqu’on compare le graphique de Van Aert à celui d’Evenepoel. Par rapport au pic du Campinois lors du dernier Tour (100), le Brabançon a atteint 47 lors de la dernière semaine de la Vuelta et 65 lors de la semaine qui a suivi son titre de champion du monde en Australie. Il n’est arrivé à 95 qu’après avoir chuté dans un ravin au cours du Tour de Lombardie en août 2020. Encore une mauvaise nouvelle, donc.
Surprenant: si on limite la recherche à la Belgique, la chute en Lombardie et le maillot arc-en-ciel du coureur Quick-Step ont amené plus de recherches que les deux derniers Tours de France de Van Aert: 100 et 88 pour 73 et 71.
Autre comparaison intéressante: celle du graphique de Wout Van Aert et de ceux de Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard, les vainqueurs des deux derniers Tours. Alors que les recherches sur le Belge ont clairement dépassé celles du Slovène (100 pour 31 en 2022 et 65 pour 43 en 2021), le Danois a fait mieux que Van Aert (100 contre 62). Sans doute parce que son histoire, celle du coureur qui travaillait sur un marché au poisson, était encore relativement peu connue du grand public.
Ces trois dernières années, la courbe Google Trends de trois autres coureurs a fait mieux que celle de Wout Van Aert lors du dernier Tour de France. Deux fois, pour de bonnes nouvelles, cette fois: les quatre victoires d’étape de Mark Cavendish lors de son come-back au Tour 2021 et le maillot jaune de Mathieu Van der Poel au début de ce tour -en plus de l’émotion suscitée par le fait qu’il était le petit-fils de Raymond Poulidor. Malheureusement, la collision entre Egan Bernal et une camionnette, début de l’année dernière, a aussi engendré de nombreuses recherches. Sur Google Trends, les nombreuses fractures du Colombien se sont traduites par un score de 100 pour 38 à Van Aert lors du dernier Tour.
Par rapport aux stars du football, ces résultats sont cependant très relatifs. Le pic maximal de Lionel Messi lors de la dernière Coupe du monde comparé à celui de Wout van Aert au Tour de France est de 100 pour 3. On obtient le même ratio si on compare le pic de Cristiano Ronaldo (lors de son transfert de la Juventus à Manchester United en août 2021) à celui du Campinois: 100 pour 2. Pareil pour la comparaison avec la victoire de Novak Djokovic à Wimbledon en juillet 2022 (100 pour 2). Ou encore avec Stephen Curry, vainqueur de la NBA avec les Golden State Warriors à la mi-juin (100 pour 11).
En 2022, il n’y a qu’en Belgique que Van Aert et Evenepoel font mieux que Messi, Ronaldo, Djokovic et Curry. Ils devancent aussi les Diables rouges lors de la Coupe du monde au Qatar. Seuls les problèmes d’Eden Hazard ont suscité presque autant d’intérêt que la Remcomania en Australie: 79 pour 100.
Conclusion: en Belgique, pays de cyclisme, Van Aert et Evenepoel sont plus populaires que jamais, le coureur de Jumbo-Visma est également très populaire auprès des fans de cyclisme étrangers, mais au niveau du sport mondial, les deux hommes sont encore de petits poissons.
Ce problème concerne cependant tout le cyclisme.
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