Mauvais perdant, footeux occasionnel: qui est vraiment Will Still ?
Coach à 24 ans, sensation internationale à 30 ans, le coach belge défraie la chronique à la tête de Reims. Voici le vrai parcours atypique d’un gars comme les autres. Garanti sans diplôme ou Football Manager.
Sur les pavés estudiantins de Louvain-la-Neuve, une bonne décennie après y avoir tenté d’éphémères études de kiné, chacun de ses pas s’accompagne d’yeux qui se retournent. Il y a longtemps déjà que le trentenaire ne passe plus inaperçu. Un mètre nonante, des épaules taillées pour les mêlées de rugby et des cheveux d’un roux éclatant ne sont pas la meilleure armure pour se protéger des regards. La différence est qu’aujourd’hui, en plus d’être vu, Will Still est reconnu. Le Brabançon est désormais coach du Stade de Reims. Au sein de l’élite française, la série de 17 rencontres consécutives sans connaître la défaite depuis sa prise de fonction a fait parler. Beaucoup. Trop?
Dès qu’il en a l’occasion, Will aime chausser les crampons pour un match entre potes.
Son premier revers, contre Marseille, Will Still l’accueille évidemment avec la rage de l’éternel mauvais perdant, néanmoins teintée d’une pointe de soulagement. Celui d’un buzz qui pourrait enfin se dégonfler, après des semaines à alimenter la tornade médiatique entre son âge exceptionnel pour la fonction, l’étiquette de coach geek et l’absence de diplôme valable pour exercer son métier sur un banc du championnat français. «Je préfère qu’on ne parle pas de moi», glissait déjà Still deux ans plus tôt, quand le départ d’Hernan Losada vers Washington l’avait transformé en entraîneur intérimaire du Beerschot, l’un des clubs historiques d’Anvers. Le voilà confronté à une célébrité bien plus marquée qu’à l’époque. Une vie où chaque sortie au supermarché devient un shooting photo, chaque jogging, un exercice d’intervalles interrompu par les selfies ou les compliments. Où son nom s’associe jusqu’ici, sans réel fondement, à des clubs de la richissime Premier League anglaise en quête du coach idéal.
Pour redevenir quelqu’un de normal, Will aime franchir la frontière dans le sens de ses origines après son entraînement du vendredi, chausser les pompes à semelles lisses et frapper fort dans un ballon de futsal, dans l’anonymat du championnat provincial brabançon. «Tous les jours, sur le terrain, j’ai encore envie de jouer», confie volontiers celui qui a longtemps rêvé de faire carrière. «Chaque semaine, je fais ces allers-retours pour jouer avec mes potes et rester connecté au vrai foot.» Peu importe la renommée de l’adversaire au menu rémois du week-end, Still tient à ses racines. Aux souvenirs de cette période où il n’était qu’un joueur parmi d’autres. Presque un paradoxe, lui qui a pourtant longtemps cherché à se faire remarquer.
Oser pour rêver
Une fois les rêves de carrière sur la pelouse rangés au vestiaire, c’est de l’autre côté de la Manche que Will Still a cherché son avenir. A Preston, en marge des entraînements avec l’équipe de son collège dont certains condisciples animent aujourd’hui les stades de League One, la troisième division anglaise, le Brabançon touche à toutes les matières qui concernent le ballon rond, du marketing à l’analyse vidéo. C’est cette dernière branche, déjà démocratisée dans les clubs britanniques mais toujours embryonnaire en Belgique, qu’il tente de pratiquer dans un club professionnel à son retour au bercail. Toutes les portes se ferment, jusqu’à ce qu’il frappe à celle de Saint-Trond, club dont il a porté les couleurs dans sa jeunesse. C’est Yannick Ferrera qui l’accueille sur le seuil. «J’ai apprécié le fait qu’il ose venir me parler, se souvient celui qui dirige alors les Trudonnaires en deuxième division. Tout le monde n’a pas l’audace de faire cette démarche pour réaliser son rêve. Il avait l’air de savoir ce dont il était capable, et je me suis dit qu’il me demandait une chance que j’avais mis des années à recevoir.»
Le rêve de vivre du football est à portée de main. «S’il fallait, j’aurais rempli les gourdes ou lavé les chasubles, tant que j’étais dans le foot», concède aujourd’hui Still. Au lieu d’une buanderie, son test grandeur nature se passe dans les tribunes du stade de Jambes, au cœur de Namur. Quelques jours avant la reprise du championnat, il débarque avec sa caméra, filme puis découpe en clips un match amical de Virton, premier adversaire de la saison des Canaris. Saint-Trond gagnera le match et Will un stage, au terme duquel Ferrera lui paie nourriture et déplacements jusqu’au terme de la saison, couronnée par un titre et un contrat à 1 300 euros brut. Le conte de fées se poursuit au bout de l’été suivant, quand le Standard débauche Yannick Ferrera et que celui-ci ne se voit pas rejoindre la Cité ardente sans son «petit frère» dans les valises.
En une présentation, Still convainc le président Bruno Venanzi et le conseiller sportif Daniel Van Buyten de l’importance de son travail, et rejoint Sclessin. Le stade est loin d’être inconnu pour celui qui, avec son grand frère Edward – actuel coach d’Eupen – tout juste détenteur du permis de conduire, empilait les abonnements à la fin de l’adolescence pour passer un maximum de temps dans les gradins à regarder et comprendre le football. C’est là, dans les tribunes brûlantes du chaudron liégeois, que Will a vu son cœur se teinter de rouche.
Le refrain de l’intérimaire
L’amertume est au rendez-vous un an plus tard, quand Yannick Ferrera est licencié. Le coach retrouve rapidement de l’embauche à Malines, mais son aura n’est plus la même qu’un an plus tôt lors de son arrivée en grande pompe au Standard et les dirigeants du Malinwa ne lui laissent pas le luxe de choisir son staff. Will continue d’abord les analyses en se glissant dans les tribunes des futurs adversaires, mais cherche finalement à tracer sa propre route. Les portes restent closes, même quand il tente d’entrer par la fenêtre, rusant pour se retrouver face à l’un ou l’autre coach à la sortie d’une conférence de presse et lui présenter sa candidature. Finalement, c’est dans l’antichambre de l’élite que Still rebondit. D’abord au Lierse, puis au Beerschot, toujours avec la même trajectoire. Celle d’un adjoint qui se retrouve entraîneur principal au gré des circonstances, adoubé par des vestiaires où sa personnalité fait presque toujours l’unanimité.
Au Lierse, ses diplômes encore insuffisants forcent le club à le remplacer, malgré une belle série de résultats, pour ne pas voir sa licence – et donc sa présence dans le football professionnel – menacée. Au Beerschot, s’il stoppe l’hémorragie et assure une fin de saison tranquille, le club choisit de le remplacer par le chevronné Peter Maes au terme de son intérim. Partout, le vestiaire regrette son départ, sa didactique enthousiaste et son discours rafraîchissant. «J’ai toujours été proche des joueurs, admet Will. J’ai cette facilité de communiquer avec eux, tout simplement parce que je les considère comme vous et moi. Depuis l’extérieur, tout le monde à l’image du footballeur bien payé, un peu bête, qui s’en fout du monde qui l’entoure. Il n’y a rien de plus faux. Ce sont des gens normaux.»
Pour la première fois, des opportunités pour devenir plus qu’un adjoint se présentent. Elles mènent à Eupen ou au FC Eindhoven, dans l’antichambre de l’élite du football néerlandais. Pourtant, le Brabançon opte pour un retour au costume d’assistant en France. Le Stade de Reims l’accueille une première fois, et le séduit autant par la qualité de ses installations que par sa connaissance approfondie de son parcours. «Ils m’ont parlé de l’énergie que je mettais dans mes entraînements, ils avaient même analysé mes matchs avec le Lierse, c’était impressionnant», rembobine le trentenaire entre deux gorgées de thé glacé. La première aventure française est pourtant éphémère. Le mal du pays, la rupture trop brutale avec le lien social que constitue ce vestiaire de football provincial où il aime encore se rendre dès que possible, puis les perspectives belges alléchantes le ramènent de l’autre côté de la frontière, au grand mécontentement des dirigeants rémois. Très proche de rejoindre Vincent Kompany à Anderlecht, Still cède finalement aux sirènes du Standard où il atterrit en pleine crise, au moment du départ de Mbaye Leye. C’est Luka Elsner qui débarque sur le banc de Sclessin, et le feeling est excellent. Bien plus qu’avec Ricardo Sá Pinto, coach principal lors de son deuxième – et très bref – passage au Standard, qui le voyait comme un analyste de bureau plutôt qu’un homme de terrain. Là, Still avait rapidement claqué la porte. Comme un homme qui sait ce qu’il veut et, surtout, ce qu’il ne veut pas.
Comme si son histoire était un refrain, le Standard se sépare de son entraîneur et laisse Will Still finir une saison déjà terminée. Hors du Top 8, donc sans match officiel à disputer, le club enchaîne les entraînements et les matchs amicaux dans l’anonymat, coaché par un Still qui est le seul à être resté à bord. Au début de l’été, le club souhaite lui offrir les rênes de son équipe des moins de 23 ans, en deuxième division, mais le Brabançon préfère retourner en France, répondant à l’appel d’Oscar Garcia, le coach de Reims. Le club est sceptique, blinde son contrat d’une clause de départ fixée au-delà du demi-million d’euros, et le couplet suivant démarre. Déjà, au loin, on entend le refrain.
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Les recettes de Will Still
Le 15 octobre dernier, devant les 15 000 spectateurs du stade du Moustoir à Lorient et en raison des problèmes familiaux de l’entraîneur principal, Will Still entame un intérim de plus. En training, comme toujours, là où les coachs optent de plus en plus pour le jeans ou la cravate. «Quand j’avais coaché mon premier match en D1 avec le Beerschot, on allait à Zulte Waregem, les gens m’avaient demandé comment j’allais m’habiller. Mettre un costard ou une chemise, ça ne me correspond pas. En fait, ça me semblait tellement naturel que je ne m’étais même pas posé la question. Un match de foot, c’est un combat que tu dois gagner, tu mets ton bleu de travail», sourit naturellement Still, dépanneur jusqu’aux choix vestimentaires.
Censé durer cinq matchs, jusqu’à la trêve imposée par la Coupe du monde, le bail se poursuit après un précieux 9/15 dans la course au maintien. Au grand déplaisir d’Oscar Garcia, mais à la joie d’un vestiaire qui s’exprime beaucoup mieux dans le système de jeu et avec les consignes construites par le jeune Belge. «J’aime laisser beaucoup de responsabilités aux joueurs dans l’élaboration du plan. Après, ça ne veut pas dire qu’on fait n’importe quoi. Tout est cadré, mais c’est en comprenant ce qu’on fait et en en assimilant les raisons qu’ils l’appliqueront le mieux.»
Si ses discours en franglais et son style direct, capable de désarçonner les joueurs en une réplique avant de les remettre en confiance dans la foulée, sont les premiers atouts qui sautent aux yeux du public français, le sens tactique de Will Still est loin d’être un accessoire secondaire. «Ses débuts comme analyste vidéo lui ont donné une très grande capacité pour lire les adversaires, souligne Hernan Losada, qui l’a eu sous ses ordres au Beerschot. Il s’en sert encore aujourd’hui pour trouver leurs points faibles et découvrir la meilleure façon de les affronter.» En France, on décrit d’ailleurs Reims comme un adversaire inconfortable, toujours préparé à souffrir et prêt à faire mal. Will Still apprécie le compliment, mais aime rétorquer qu’il fait encore «parfois de la merde, tous les jours». Avant de s’excuser pour son langage. Ceux qui l’ont croisé sur un terrain de football provincial le savent: l’émotion du foot lui fait parfois oublier les bonnes manières. Malheureusement pour la bienséance, Will Still a choisi de vivre en crampons.
Bio express
1992
Naissance, le 14 octobre, à Braine-l’Alleud.
2014
Analyste vidéo à Saint-Trond.
2015
Passage au Standard avec Yannick Ferrera.
2017
Coach intérimaire du Lierse (remplace Fred Vanderbiest).
Janvier 2021
Coach en D1 belge au Beerschot après le départ d’Hernan Losada.
Juillet 2021
Entraîneur assistant à Reims.
Octobre 2021
Entraîneur assistant au Standard.
Juillet 2022
Retour à Reims comme entraîneur assistant.
Octobre 2022
Coach principal de Reims, par intérim puis nommé jusqu’en fin de saison.
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