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Et s’il était temps pour les jeunes d’Anderlecht de quitter le nid? Des légendes de Neerpede témoignent

Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Sur dix joueurs formés par la maison qui sont dans le noyau pro, un seul joue plus que la saison dernière. Certains ont carrément quitté les radars. Les Neerpede Boys ne feraient-ils pas mieux de changer d’air? Analyse avec des témoins qui totalisent près de 25 années en mauve.

Alex Czerniatynski – Trois saisons à Anderlecht

« Ils doivent partir ou rester? Tu me poses une question délicate… Et je suis sûr que cette question, pas mal de parents des jeunes concernés se la posent aujourd’hui. Ils doivent se demander si leur gamin ne ferait pas mieux de reculer un peu, d’aller prendre du temps de jeu dans un club de milieu de classement ou même en D1B. Pour revenir ensuite et être titulaire. Il y a suffisamment d’exemples qui montrent que ça marche, qu’on peut revenir plus fort après avoir changé d’air.

L’avantage, quand tu as fait ta formation à Anderlecht, c’est que tu en as reçu une très bonne. Mais ta formation, elle ne peut pas non plus durer trop longtemps. Un moment, il faut jouer.

D’un autre côté, Anderlecht a besoin très vite de résultats. Là-bas, ils ne cachent pas qu’il faut terminer dans les quatre premiers. Est-ce que c’est le bon moment pour intégrer des jeunes dans une équipe qui ne tourne pas? Imagine, VincentKompany en relance subitement quelques-uns et ils font zéro sur douze. Quelle pression sur le club, sur l’entraîneur, sur ces joueurs! La situation serait bien plus simple si Anderlecht pouvait se contenter d’être une équipe de milieu de classement où une défaite n’est pas vue comme une catastrophe. Kompany se dit peut-être que pour le moment, le timing n’est pas le bon. Mais le problème, c’est qu’on n’a plus rien aujourd’hui: plus de jeu, plus de résultat et plus de jeune de Neerpede dans l’équipe. Lui aussi est sous pression. Les supporters lui ont longtemps donné du crédit, mais ça diminue de semaine en semaine. Moi, j’attends maintenant que les chevronnés qui sont sur la pelouse prennent leurs responsabilités. Ce n’est pas non plus le coach qui fait des erreurs derrière et qui rate des occasions devant.

Les jeunes doivent changer d’air et bosser avec des entraîneurs beaucoup plus durs. »

Michel De Wolf

Il y a quelques jeunes formés au club qui continuent à recevoir leur chance en commençant parfois des matches, en montant de temps en temps pour le dernier quart d’heure ou les vingt dernières minutes. Ceux-là peuvent continuer comme ça pendant un an ou deux et espérer se faire une place à plus long terme. Mais ceux qui ne jouent plus jamais, ils ont intérêt à provoquer une table ronde avec les parents, la direction et l’entraîneur. Parce que personne n’est gagnant. »

Michel De Wolf – Quatre saisons à Anderlecht

« Anderlecht reste une vitrine, mais pour te montrer, tu dois jouer. Et donc, les jeunes qui ne sont pas dans l’équipe, ils perdent leur temps. Le club aurait intérêt à en laisser partir un maximum en janvier pour qu’ils prennent du temps de jeu avec des gars expérimentés. Et au moins, on verrait ce qu’ils ont vraiment dans le ventre. Ils ont des qualités énormes, je n’ai pas de doute là-dessus. Mais assez pour Anderlecht? Là je suis moins sûr.

Je constate aussi que ça marche assez vite à l’étranger pour des jeunes qui n’arrivaient pas à percer à Anderlecht. Par exemple DodiLukebakio. Il ne jouait pas ici, mais il est devenu une valeur sûre en Allemagne. Il y a un problème. Ça veut dire qu’il lui manquait quelque chose quand il était à Anderlecht. En partant, il a côtoyé des coéquipiers expérimentés qui l’ont fait progresser.

Il y a un an, je trouvais que Vincent Kompany faisait une erreur en alignant trop de jeunes de Neerpede. Entre-temps, il a complètement retourné sa veste. Il est passé du noir au blanc alors qu’il aurait fallu chercher un équilibre. Est-ce qu’un LiorRefaelov peut apporter quelque chose à cette équipe? Il y a deux ou trois ans, j’aurais dit oui. Aujourd’hui, je dis non. Surtout qu’à la place où il joue, il ne peut pas vraiment guider les gamins. La direction a vu qu’il était gratuit, elle a foncé sur l’occasion. Une erreur pour moi. Un transfert inutile.

Killian Sardella (à gauche) et Hannes Delcroix, deux visages que l'on ne voit plus guère au Sporting. Si Delcroix est blessé au genou, Sardella est simplement boudé par Kompany.
Killian Sardella (à gauche) et Hannes Delcroix, deux visages que l’on ne voit plus guère au Sporting. Si Delcroix est blessé au genou, Sardella est simplement boudé par Kompany.© PHOTONEWS

Il y a une autre chose qui me frappe. Les jeunes d’Anderlecht sont très forts. Le problème, c’est qu’en vieillissant, ils se bonifient moins que les joueurs d’autres équipes. Parce que ça a été trop facile pour eux dans les catégories d’âge. Ils étaient tellement au-dessus du lot, techniquement et physiquement, qu’on n’a pas trouvé utile de leur donner les bases tactiques. Ça aurait été plus profitable pour eux de jouer en troisième ou en quatrième division, contre des adultes, plutôt que de gagner tous leurs matches les doigts dans le nez en catégories de jeunes. Il y a aussi l’aspect mental qui joue: quand tu es au-dessus de tout le monde, tu n’as pas de challenge. Et alors, ça bloque quand ils arrivent en première division. Je remarque que, tactiquement, ils ne savent pas se corriger eux-mêmes. Ils ont toujours besoin que le coach le fasse pour eux. Je prends trois générations d’internationaux: celle d’ EricGerets, celle de Vincent Kompany, celle d’ AxelWitsel. Dans ces équipes nationales, il y a plein de joueurs capables de faire des corrections tactiques. Combien de jeunes d’Anderlecht ont cette faculté-là? Bref, ils doivent changer d’air et bosser avec des entraîneurs beaucoup plus durs. »

Alex Czerniatynski
Alex Czerniatynski© BELGAIMAGE

Stéphane Demol – Quatre saisons à Anderlecht

« Quand je vois le niveau de la défense, et quand je vois en même temps que des joueurs comme MarcoKana et KillianSardella ne jouent plus, ça me fait rigoler. Qu’est-ce qu’ils ont fait de mal pour être mis sur le côté comme ça? Je comprendrais qu’ils ne soient plus que réservistes si ceux qui jouent à leur place étaient bons. Mais on en est très loin. TaylorHarwood-Bellis? Je ne suis pas du tout convaincu. WesleyHoedt? Pareil. SergioGómez et BogdanMikhaylichenko, ça ne ressemble à rien (sic). Tous des joueurs transférés qui n’apportent pas grand-chose, et pendant ce temps-là, on continue à faire tout un tralala sur le talent des jeunes sortis du centre de formation.

Vincent Kompany a parfois fait jouer des gauchers à droite de la défense alors qu’il a Kana et Sardella dans son noyau. Il faut juger au cas par cas, mais pour moi, ces joueurs-là auraient intérêt à aller voir ailleurs, oui. Même chose pour AntoineColassin. On parle quand même ici d’une équipe qui ne va pas bien. Collectivement, ça coince. Et les individualités ne sont pas bonnes. Alors, pourquoi continue-t-on à ignorer des gars qui ont été formés par la maison? Les jeunes ont joué des bons matches dans la passé, ils en ont fait des moins bons aussi, mais qu’on ne me dise pas que ceux qui sont sur le terrain sont meilleurs.

Michel De Wolf
Michel De Wolf© BELGAIMAGE

Derrière, ça ne va pas. Dans le milieu, tu as JoshCullen et KristofferOlsson qui courent comme des fous, mais ça s’arrête là. Devant, c’est un peu juste aussi même s’il y a deux ou trois joueurs qui ont sûrement du talent. Ça te donne une équipe qui n’arrive pas à mettre de la constance dans ses prestations. Je lis les journaux, je lis qu’untel et untel jouent le week-end parce qu’ils se sont bien entraînés en semaine. Moi, je ferais d’abord jouer ceux qui sont bons le week-end, même s’ils ont été moins bien en semaine. Je ne veux pas critiquer Vincent Kompany, ce n’est pas à moi de lui dire ce qu’il doit faire, mais il manque de constance dans les prestations et dans ses compositions.

Ont-ils conscience que s’ils ne sont pas dans l’équipe, c’est sans doute parce qu’ils ne sont pas assez mordants, pas assez motivés? »

Bertrand Crasson

Est-ce qu’un FrancisAmuzu doit changer d’air? Il ne m’a pas encore convaincu alors qu’il a souvent reçu sa chance. Il va vite, oui. Il passe presque chaque fois son homme, oui. Mais après ça, c’est fini. Il n’a pas encore montré qu’il devait être titulaire chaque week-end. Lui, il a peut-être intérêt à relever un nouveau défi ailleurs. La situation est différente pour YariVerschaeren et AnouarAitElHadj. À leur place, je patienterais. Mais ils ont un problème: Anderlecht a fait venir Lior Refaelov, BenitoRaman, JoshuaZirkzee et ChristianKouamé. Tous des joueurs offensifs qui les empêchent d’avoir plus de temps de jeu.

Stéphane Demol
Stéphane Demol© BELGAIMAGE

Verschaeren, Ait El Hadj, Kana et Sardella sont des habitués de l’équipe nationale espoir qui survole son groupe, mais on ne croit pas énormément, ou même pas du tout en eux dans une équipe dans le dur comme Anderlecht. Allez… Maintenant, tout serait beaucoup plus simple si l’équipe tournait à un haut niveau. Ils seraient alors entraînés vers le haut. Là, on ne peut pas leur demander de tirer l’ensemble. »

Bertrand Crasson – Douze saisons à Anderlecht

« C’est compliqué avec la génération actuelle. Il faut être patient avec les jeunes, et eux-mêmes doivent être patients. On est à une époque où dès qu’un joueur n’est pas régulièrement sur le terrain, il s’imagine qu’il doit partir et que ça se passera mieux ailleurs. Je poserais le problème autrement. Ces jeunes se posent-ils les bonnes questions? Ont-ils conscience que s’ils ne sont pas dans l’équipe, c’est sans doute parce qu’ils ne sont pas assez mordants, pas assez motivés? Et tout ça, Kompany le voit évidemment à l’entraînement.

JeremyDoku et AlbertSambiLokonga étaient jeunes aussi, mais ils étaient titulaires parce qu’ils en voulaient probablement plus que tous ceux qui sont toujours là. Anderlecht reste un grand club, et si tu veux avoir ta place, tu dois montrer que tu la mérites. Aller voir ailleurs aussi vite, ce n’est pas la bonne solution selon moi. Qu’ils s’accrochent, qu’ils sortent les crocs et leur tour finira bien par venir. Surtout qu’il y a peu d’incontournables dans cette équipe qui ne joue pas à un bon niveau. Des places vont se libérer régulièrement, c’est sûr. Simplement, les jeunes qui trépignent et se plaignent devront être prêts au bon moment. S’ils ne sont pas meilleurs que pour le moment, rien ne leur garantit qu’ils seront titulaires ailleurs, même dans une moins bonne équipe. Qu’ils sortent, ou pas, du centre de formation d’Anderlecht. Ce n’est pas un passe-droit d’office. Mais la mode actuelle, c’est parler beaucoup et ne pas montrer grand-chose. Une jeune footballeur est irrégulier par défaut. À eux de prouver qu’ils sont moins irréguliers que la norme. Vincent Kompany n’est pas aveugle, il les lancera s’il a l’impression qu’ils sont prêts.

Sardella a eu régulièrement sa chance. Pourquoi n’est-il plus jamais dans l’équipe? Parce qu’il a été un bon exemple de cette absence de régularité. Chaque fois qu’il a joué, il n’a pas été suffisamment convaincant. Pourquoi le temps de jeu d’Ait El Hadj reste-t-il limité alors qu’il a beaucoup de qualités? Lui aussi doit se poser les bonnes questions, voir la réalité en face: dans un foot devenu très physique, il manque d’impact. Il a la technique, mais il doit continuer à travailler d’autres aspects de son jeu. Tout ça, c’est aussi une question de maturité. Verschaeren est un bon exemple. Lui aussi a eu du mal à s’imposer, mais il n’a jamais rien lâché et il a quand même un bon temps de jeu cette saison. »

Bertrand Crasson
Bertrand Crasson© BELGAIMAGE
Et s'il était temps pour les jeunes d'Anderlecht de quitter le nid? Des légendes de Neerpede témoignent

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