© INGE KINNET

La famille De Bruyne raconte son KDB: « La paternité l’a rendu plus calme »

Frédéric Vanheule Frédéric Vanheule is redacteur bij Sport/Voetbalmagazine.

Chaque semaine jusqu’à l’EURO, Sport/Foot Magazine se penche sur un Diable.Épisode 4: rencontre avec la famille de Kevin De Bruyne, son père Herwig et sa soeur, Stéphanie.

Le rendez-vous a été fixé au stade de Drongen, club de première provinciale. Les parents de Kevin De Bruyne habitent à deux pas et c’est ici qu’a lieu chaque année la Kevin De Bruyne Cup, un tournoi U15 qui a révélé des joueurs comme Ansu Fati ou Eric García. La cinquième édition, annulée l’an dernier, devrait avoir lieu en août. Reste à trouver des équipes.

Kevin, le frère

Quel genre d’enfant était Kevin?

STEPHANIE DE BRUYNE: Un emmerdeur (Elle rit). Vous pouvez l’écrire. On se disputait tout le temps.

HERWIG DE BRUYNE: Que pouvait-on faire? C’étaient un garçon et une fille, ils n’avaient pas du tout le même caractère.

STEPHANIE: Le dimanche matin, il voulait regarder Match of the Day, moi pas. On n’avait qu’une télé et c’était toujours lui qui obtenait gain de cause. Quand j’ai eu onze ans et qu’il est parti à Genk, j’étais au septième ciel: toute l’attention se portait sur moi. Maintenant, j’ai 27 ans et je relativise. Je faisais aussi beaucoup de sport. Entre mes six et mes douze ans, j’ai fait dix heures de trampoline par semaine, puis de l’acrogym. Kevin et moi, on aimait bien jouer dehors.

HERWIG: Plus tard, ils se sont bien entendus, mais Kevin était déjà parti.

STEPHANIE: Au début, quand Kevin jouait à Gand, j’aimais bien aller au football. J’y avais des amis. À Genk, c’était différent: c’était loin, il fallait traverser la Belgique chaque semaine. J’en ai peu de souvenirs. Aujourd’hui encore, je ne regarde pas tous les matches de Kevin, il y en a trop et j’ai ma vie. Mais je suis les rencontres importantes.

Auriez-vous aimé être sportive professionnelle?

STEPHANIE: Non, je ne suis pas une compétitrice. À un certain moment, on m’a fait monter de catégorie, mais je n’aimais pas ça, j’étais séparée de mes amies alors, j’ai arrêté. Je faisais du sport pour me détendre, pour avoir une vie sociale. Je n’aurais pas changé de vie pour le sport. Sur ce plan, je suis très différente de mon frère. J’ai vu les sacrifices qu’il a fait. Je n’aurais pas pu.

HERWIG: Il y a peu, Kevin voulait aller au zoo. Il faisait beau, les enfants allaient adorer. Le club n’a pas voulu. Pendant plus de onze mois par an, il ne fait pas ce qu’il veut de sa vie.

STEPHANIE: Kevin est plus renfermé, je suis plus enthousiaste. Je n’ai jamais joué au football, sauf à l’école, à Don Bosco Zwijnaarde, parce qu’on était obligées de faire du sport sur le temps de midi. À la maison, ce n’était pas marrant. Il m’a fait des centaines de petits ponts.

Comment vous entendez-vous à présent?

STEPHANIE: Avec la distance, on n’a jamais été très soudés. Je dis souvent que je suis une fille unique qui sait qu’elle a un frère. Mais quand il le faut, il est là. Je suis la marraine de son premier enfant. On ne s’envoie pas beaucoup de messages, je ne sais d’ailleurs pas quoi lui demander. « Salut Kevin, comment s’est passé l’entraînement? » Quand je veux des nouvelles des enfants, je discute plutôt avec sa femme. Il m’envoie un message pour mon anniversaire, Noël ou le Nouvel An. Mais je sais qu’il pense à moi. Il y a deux ans, pour mon anniversaire, il m’a offert un beau voyage aux Maldives. Il l’avait acheté aux enchères dans une vente publique au profit d’une oeuvre caritative. Et il aime bien me charrier sur ma taille. Quand il arrive à la maison, il dit: « Elle est où ma soeur? Ah là! Je ne t’avais pas vue ».

Kevin aime tout à Manchester. Michelle s’y plaît aussi. La vie à l’anglaise leur convient. »

Herwig De Bruyne

HERWIG: Qui n’est jamais là quand il y a une fête de famille? Kevin! Quand mes beaux-parents ont fêté leur cinquante ans de mariage, des gens sont venus d’Angleterre et de Paris. Tout le monde était là, sauf Kevin: il était en équipe nationale.

Oui mais ça, c’est temporaire.

HERWIG: On n’en sait rien. Kevin vit à l’étranger depuis qu’il a 19 ans. Où s’installera-t-il plus tard? Il pourrait rester à Manchester ou aller aux États-Unis? Les enfants grandissent, il va devoir en tenir compte. Ils fréquentent une école anglaise. Parviendront-ils à s’adapter en Belgique?

STEPHANIE: Par contre, quand on est ensemble, que ce soit dans le Limbourg ou à Manchester, c’est beaucoup plus intense: on ne se quitte pas pendant trois ou quatre jours.

Kevin, le fils

Comment avez-vous vécu l’évolution de votre fils?

HERWIG: J’ai loupé beaucoup de choses. À l’âge de quatorze ans, il n’était déjà plus là, on ne se voyait presque plus. Après les matches, on le ramenait à la maison et on devait être durs avec lui: « Kevin, n’oublie pas d’étudier! » Il est devenu un petit adulte du jour au lendemain. Dans le vestiaire, il fréquentait des gars de trente ans. Mais je suis content pour lui, car il a atteint son but. Comme il était timide, j’avais toujours l’impression que ce qu’on disait ne le touchait pas. Tout tournait autour du football. Kevin a toujours fait ses choix lui-même. C’est lui qui a voulu aller à Genk, tandis qu’on aurait préféré qu’il aille à Bruges ou à Anderlecht, parce que c’était plus près. Il nous a manqué, mais l’inverse est vrai aussi.

Herwig De Bruyne:
Herwig De Bruyne: « Kevin sait très bien ce qu’il vaut et il savait que c’était probablement son dernier gros contrat. C’est beaucoup d’argent? Oui. Est-ce que je trouve ça normal? Non. »© INGE KINNET

Les premières années, à Genk, il était très seul. Vous l’aviez remarqué?

HERWIG: Il avait surtout un problème à l’internat, car sa vie se déroulait en dehors de celui-ci. Quand les autres étaient ensemble, il s’entraînait. Quand il rentrait, ses camarades étaient déjà dans leur chambre. Après, on l’a autorisé à aller dans une famille d’accueil le mercredi après-midi. Comme ça, il avait un ami. Il n’est pas facile de se faire des copains dans le monde du football, car les joueurs sont concurrents, il y a beaucoup de pression et la lutte est impitoyable. On ne lui a jamais mis de pression. Pour nous, il n’était pas obligé de devenir professionnel. Le plus important, c’était l’école. Je suis même allé voir s’il était possible de l’inscrire dans une haute école où il pouvait apprendre un métier en rapport avec le sport, ou devenir policier. Kevin avait son diplôme de l’enseignement secondaire et un contrat pro, mais on ne sait jamais, tout pouvait prendre fin rapidement.

Enfant, c’était un emmerdeur! On se disputait tout le temps. » Stephanie De Bruyne

Timide dans la vie, déchaîné sur le terrain. C’est comme ça qu’on le connaît.

HERWIG: Le fait que sa famille d’accueil n’ait plus voulu de lui parce qu’il n’était pas très sociable l’a incité à montrer à tout le monde qui il était. Petit, sa fierté lui a joué des tours. Pour oser exprimer une autre opinion que celle de l’entraîneur quand on a douze ans, il faut avoir du caractère. Je me souviens d’un match à Gand à onze contre onze. L’entraîneur lui a dit de jouer au milieu. Kevin s’est mis juste sur la ligne: le ballon n’arrivait jamais aussi loin. L’entraîneur n’a pas apprécié. Je ne dis pas que Kevin avait toujours raison, loin de là. L’entraîneur doit aussi changer les joueurs de place pour qu’ils apprennent quelque chose. Mais Kevin, lui, voulait toujours aller vers le but.

Stephanie De Bruyne:
Stephanie De Bruyne: « J’ai beaucoup d’amis, mais aucun ne vient du monde du foot, même si on regarde les grands matches ensemble. »© INGE KINNET

STEPHANIE: Kevin dit souvent que, quand il monte sur le terrain, il entre dans un autre monde. Il n’entend pas ce qu’on lui dit, car il est très concentré. Moi, je peux faire deux ou trois choses en même temps: j’étudiais en regardant un film et en parlant au téléphone. J’ai décroché deux diplômes sans problème.

HERWIG: Au début, on se faisait du souci, mais elle en était capable. Elle étudiait seule, tandis que Kevin devait sentir notre présence.

Kevin, le père de famille

HERWIG: Avant, Kevin était beaucoup plus impulsif et rancunier. Maintenant, il retombe plus vite. La paternité l’a rendu plus calme.

STEPHANIE: Il dit souvent qu’avant, après une défaite, il était furieux. Maintenant, quand il rentre à la maison, c’est oublié.

HERWIG: Sauf s’il perd la finale de la Ligue des Champions. Il a déjà très mal supporté d’être éliminé les années précédentes.

STEPHANIE: Après les naissances de Mason et de Rome, il a toujours été blessé. Quand j’ai entendu que Michelle était encore enceinte, je lui ai dit de faire attention. Je crois que c’est le stress.

HERWIG: Kevin sait qu’il doit récupérer. Il a tout ce qu’il faut à la maison, même une piscine. Mais il n’aime pas les salles de fitness.

STEPHANIE: Il en a une à la maison, mais elle est vide.

HERWIG: C’est pour Michelle. Le corps de Kevin n’aime pas le fitness. C’était déjà le cas à Genk. À la place où il joue, il ne doit pas être costaud, mais mobile et rapide.

Sur le plan émotionnel, a-t-il changé avec l’âge?

STEPHANIE: Il y a un peu plus d’émotion dans ses messages. Quand je fais quelque chose pour lui, il dit: « Merci soeurette ». Avant, c’était juste: « Merci ». Il n’est pas très émotif. Toi non plus, papa.

HERWIG: Il a hérité ça de moi, comme son talent (Il rit).

À quoi ressemble sa vie à Manchester?

HERWIG: C’est club-maison-club. S’il y a une fête, c’est souvent au club, comme à l’anniversaire de Mason. J’ai regardé autour de moi: il y avait des joueurs pour un milliard d’euros. On fête rarement l’anniversaire de Kevin. C’est le 28 juin: tous les deux ans, il y a un grand tournoi. Ou alors, ils sont en vacances. Donc, on le lui souhaite par Facetime.

STEPHANIE: ( Elle rit)… sauf qu’on ne voit rien parce que les enfants prennent le téléphone.

Kevin, le personnage célèbre

Votre nom de famille attire les garçons?

STEPHANIE: Ça va encore. Avant la Coupe du monde au Brésil, on a pris part à Iedereen Duivel. On m’a vue et j’ai eu des centaines de demandes d’amis. Je me suis dit que les gens étaient assez stupides pour croire que j’allais les ajouter alors qu’ils ne me connaissent pas. Je ne supporte pas qu’après cinq minutes, on me parle de mon frère. J’ai beaucoup d’amis, mais aucun ne vient du monde du foot, même si on regarde les grands matches ensemble.

HERWIG: Il faut dire que tu n’utilises pas ton nom.

STEPHANIE: Un jour, un ami a eu un accident de moto et s’est retrouvé en chaise roulante. On a organisé une action afin de récolter des fonds pour aménager sa maison et quelqu’un m’a demandé si je pouvais offrir un maillot de Kevin pour le vendre aux enchères. On a organisé un souper spaghetti et un autre ami demandé si c’était un vrai maillot de Kevin. Il ne savait pas que j’étais sa soeur, alors que ça faisait deux ans qu’on faisait de la moto ensemble. Ceux qui me courent après en raison de mon nom de famille n’ont aucune chance. Et quand je vais chez mon frère, je n’emmène personne avec moi: c’est la famille. Je ne demande pas non plus à mon frère de faire des vidéos avec un message. Je parle déjà très peu avec lui alors… Je jure que, le jour de mon mariage, le premier qui osera demander à mon frère de poser pour la photo sera viré. Pour beaucoup, ce sera la première fois qu’ils voient Kevin, mais qu’ils ne fassent pas ça devant moi. Je pense d’ailleurs que Kevin n’accepterait pas.

Avant, après une défaite, il était furieux. Maintenant, quand il rentre à la maison, c’est oublié. »

Stephanie De Bruyne

HERWIG: Quand il va au restaurant en Angleterre, on l’installe dos aux gens, afin qu’il puisse manger en paix.

STEPHANIE: Un jour, à la mer, on s’est assis à la Q Beach house. Tout se passait bien jusqu’à ce qu’ils remarquent Kevin. Il suffit que quelqu’un ose lui parler pour que les autres suivent. On a bien essayé de faire croire que ce n’était pas lui, mais ils ont dit qu’il lui ressemblait (Elle rit).

HERWIG: Il y a six ou sept ans, Kevin a voulu manger un hamburger à l’Overpoort, à Gand: ils ont dû s’enfuir et sont rentrés dans un bar à pitas, qu’il a fallu fermer. « Je n’ai rien mangé », a dit Kevin. Un jour, il est allé courir avec des amis à la Watersportbaan. Quelques minutes après, il y avait sa photo sur les réseaux sociaux et tout le monde débarquait. Pareil à Ibiza: une minute après son arrivée à la piscine, la photo faisait le tour du monde. Une heure plus tard, les journaux la reprenait sur leur site internet. Je comprends que, parfois, il en ait marre.

Kevin, le joueur de City

HERWIG: Il a toujours voulu resigner. Encore fallait-il trouver un accord, mais ça a été assez facile. Il aime tout, là-bas: la vie, le club, l’entourage, le centre d’entraînement. Michelle s’y plaît aussi, les enfants vont à l’école. La vie à l’anglaise leur convient.

L’entraîneur aussi.

HERWIG: Ça se passe très bien avec Pep. Ils se comprennent, car ils ont le même avis à propos de beaucoup de choses. Mais Kevin ne liera jamais sa carrière à celle d’un entraîneur. Tout change très vite dans ce monde.

Les chiffres de son contrat ont été publiés partout. Cela suscite-t-il des jalousies?

STEPHANIE: Je savais que l’info allait tomber et je l’attendais (Elle rit). Je lis tout. Les réactions sont souvent stupides. Du genre: « Ne devrait-il pas payer ses impôts? » Parfois, j’ai envie de réagir et de dire qu’il les paye déjà en Angleterre. Le salaire répond à la loi de l’offre et de la demande. Si, demain, mon patron me dit qu’il va me payer trois fois plus, je ne refuserai pas non plus.

HERWIG: Personne ne connaît les véritables chiffres.

STEPHANIE: Moi aussi, j’étais un peu jalouse. Ce jour-là, j’avais passé une sale journée au boulot, rien n’allait, j’avais dû recommencer un travail qui m’avait pris cinq heures. Quand je suis rentrée à la maison et que j’ai entendu les chiffres, je me suis dit que j’allais démissionner. J’ai un petit salaire et je ne gagnerai jamais autant que mon frère. D’habitude, ça ne me pose aucun problème. Mais ce jour-là… (Elle rit).

HERWIG: Kevin a davantage le sens des réalités aujourd’hui. Il a assisté aux réunions relatives aux réductions salariales avec la fédération anglaise et, depuis qu’il est plus ou moins capitaine, les autres joueurs viennent le voir. Kevin sait très bien ce qu’il vaut et il savait que c’était probablement son dernier gros contrat. C’est beaucoup d’argent? Oui. Est-ce que je trouve ça normal? Non. Mais si le club le lui offre, c’est qu’il trouve ça raisonnable. Ça suscite des réactions négatives, mais on sait tous que rien n’est équitable dans ce monde.

Et après? Kevin entraîneur?

HERWIG DE BRUYNE: Les deux grands rêves de Kevin ont toujours été de remporter la Ligue des Champions et la Coupe du monde. Il n’y a pas mieux. Le fait que Chelsea soit l’adversaire en finale, il s’en fiche. C’est oublié. Les médias en parlent encore, mais pour lui, c’est un adversaire comme les autres.

A-t-il changé comme joueur?

HERWIG: Il est plus malin. Il en fait moins, mais se montre plus efficace. C’est ça, l’expérience: il faut savoir quand faire les choses. Et Pep lui laisse beaucoup de liberté.

Vous parlez parfois de son rôle de faux 9?

HERWIG: Je lui ai déjà demandé s’il aimait ça. Il m’a répondu que non, mais que ce n’était pas grave. Son statut a changé: quand il presse, tout le monde suit.

Kevin deviendra-t-il entraîneur?

HERWIG: Il a toujours dit que non, mais Pep m’a dit que beaucoup disent ça et le deviennent quand même par la suite.

STEPHANIE: On fait souvent le contraire de ce qu’on dit. Moi aussi.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire