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Emma Messeman, figure de proue des Belgian Cats: « Est-il si difficile de traiter les gens avec égalité? »

Emma Meesseman n’est pas seulement la figure de proue des Belgian Cats, elle est à l’origine d’un projet de sensibilisation des jeunes à l’égalité des sexes et à la lutte contre l’homophobie et le racisme. Elle évoque son implication sociale.

Ceux qui connaissent personnellement Emma Meesseman (28 ans) n’ont pas été étonnés par le discours de sept minutes qu’elle a posté sur YouTube en juin, juste avant l’EURO de basketball. Elle y parle d’égalité et de justice sociale. Elle ne s’est en effet jamais limitée aux parquets de basket. Elle s’intéresse depuis longtemps aux problèmes sociaux de toute nature, en Belgique et bien au-delà.

« Je me sens concernée depuis l’enfance », raconte Meesseman depuis Tokyo. « Mes parents ne m’ont pas inculqué cette conscience sociale, elle a grandi naturellement en moi. Mais quand on allait en vacances, par exemple, ça n’était jamais un séjour « piscine ». On partait à la découverte de la région, de la culture locale, on bavardait avec les gens. Le Jamboree ( rassemblement international de scouts, ndlr) de Londres, auquel j’ai assisté à l’âge de quinze ans, a également été un tournant. Ce mélange des cultures reste un des plus beaux souvenirs de ma jeunesse. J’ai appris que les gens étaient différents, mais qu’ils n’en avaient pas moins de valeur pour autant. J’ai ainsi développé un énorme besoin de justice. Je me suis toujours impliquée en faveur de ceux qui étaient opprimés ou oubliés. La différence, c’est que maintenant, plus que jamais, je peux m’adresser au monde entier. »

Quand j’ai appris l’horrible assassinat d’un homosexuel à Beveren, je me suis demandée: Que se passe-t-il? Comment est-ce possible, en Belgique? » Emma Meesseman

Un autre facteur a eu un impact sur son évolution: son passage en WNBA. Elle se produit pour les Washington Mystics depuis 2013. « Je n’avais jamais été confrontée directement au racisme en Belgique, aux Blue Cats Ypres, ni en France, à Villeneuve-d’Ascq. Par contre, à Washington, j’ai été témoin du racisme dont souffraient mes coéquipières noires comme de la ferveur avec laquelle elles défendaient leurs droits. En 2016, toute l’équipe a porté, à l’échauffement, un t-shirt avec l’inscription Black Lives Matter, pour protester, car des agents de police avaient une fois de plus abattu des Américains noirs. Une coéquipière, Tierra Ruffin-Pratt, avait déjà perdu son cousin et meilleur ami comme ça. C’était une action audacieuse, car la WNBA avait déjà infligé une amende à d’autres joueuses, mais ça n’a pas fait reculer mes partenaires. Après le match, on a également refusé de répondre aux questions portant sur le basketball. On n’a parlé que des violences policières. »

Par la suite, de nombreuses équipières de Meesseman ont joué un rôle de premier plan dans le mouvement Black Lives Matter, surtout l’été dernier, après la mort de George Floyd, tué par un policier blanc, et l’affaire Jacob Blake, un Noir criblé de balles par la police devant ses enfants. « On a alors franchi un pas supplémentaire et refusé de disputer un match. C’était une pression terrible, car on savait que cette décision aurait un impact financier très lourd pour la WNBA, mais on a tenu bon. On est montées sur le terrain avec un t-shirt blanc sur lequel figuraient sept impacts de balles pour les sept balles qui avaient touché Jacob Blake dans le dos. Toute l’équipe s’est agenouillée. On a désigné une joueuse, Ariel Atkins, qui est par ailleurs ma compagne de chambre, comme porte-parole. Très émue, elle hésitait sur ce qu’elle allait dire face aux caméras. Je n’oublierai jamais deux phrases: – What do I have to say? Stop killing us!? C’était très dur… Ayant assisté en première ligne aux protestations, aux speeches et aux discussions du groupe, j’ai réalisé que je devais également faire quelque chose. Je ne pouvais plus me taire. Surtout au printemps, quand, d’Ekaterinbourg, j’ai appris l’horrible assassinat d’un homosexuel à Beveren et l’acquittement des auteurs de deux affaires de viols. Que se passe-t-il? Comment est-ce possible, en Belgique? »

Ne plus se taire

Avant l’EURO, la joueuse s’est donc tournée vers la fédération de basketball. « J’ai demandé si l’équipe, et donc pas seulement moi, pouvait mettre sur pied un projet contre le racisme et pour l’égalité des sexes, en prenant les Mystics pour exemple. Pas en portant un maillot l’espace d’un match pour ne plus rien faire ensuite comme en football. Non, il fallait aller plus loin, ça devait devenir une partie de l’identité des Belgian Cats.

On allait obtenir une plate-forme plus large grâce à l’EURO et encore plus avec les Jeux. On voulait expliquer aux nombreux jeunes qui nous regardent que chacun est l’égal des autres, dans le monde très inclusif du basketball. On a passé toutes sortes d’idées en revue avec la fédération: faire passer des messages via les réseaux sociaux, instaurer des projets equality avec des centres pour jeunes, déployer des banderoles pendant nos matches… On va poursuivre tout ça avec la fédération, dans les prochains mois et années. C’est un projet sans fin. »

Elle est plus convaincue que jamais que les sportifs de haut niveau ne peuvent plus se taire, qu’ils doivent user de leur voix pour lutter contre les inégalités. « Pourquoi devrait-on se taire et ne parler que de sport, sous prétexte que d’autres ne supportent pas ces thèmes? Shut up and dribble, comme l’a dit une présentatrice américaine à LeBron James un jour… Hallucinant. On ne sert pas seulement de divertissement, on fait partie de la société. »

Elle s’accommode des réactions. « Je n’en ai heureusement pas encore reçues suite à la vidéo YouTube des Cats. Par contre, il y en a eu suite à la photo que j’ai postée sur Instagram l’été dernier, un cliché où on voyait les Mystics monter sur le terrain avec le maillot blanc, bras dessus-bras dessous, après l’affaire Jacob Blake. J’ai explicitement écrit:  » People question why we have to say Black Lives Matter: this is why. » Les messages… Je suis entrée en discussion avec les gens. Je suis parvenue à en convaincre certains, d’autres s’en sont tenus à leur point de vue. J’étais déjà heureuse de pouvoir entamer une conversation. Mes coéquipières m’avaient dit de ne pas réagir, mais faire changer d’avis une seule personne est déjà un bon début. »

Emma Meesseman et les Mystics avec leur t-shirt représentant les impacts de balles reçus par Jacob Blake.
Emma Meesseman et les Mystics avec leur t-shirt représentant les impacts de balles reçus par Jacob Blake.© BELGAIMAGE

C’est pour ça qu’elle aime se tourner vers les jeunes. « Il est malheureusement trop tard pour changer la vision du monde de la plupart des adultes, mais on peut expliquer aux enfants, via certaines activités, que le monde ne doit pas être injuste, même si leurs parents disent le contraire. Qu’y a-t-il de plus merveilleux que d’inspirer les jeunes, en montrant l’exemple sur le terrain et en dehors? Pas en tant que vedette, mais en tant que personne normale. »

L’Yproise est en fait plutôt introvertie, elle préfère s’exprimer sur le parquet, par ses mouvements et ses tirs. « Avant, j’étais même très timide durant les interviewes, mais j’ai appris à m’ouvrir, au fil du temps, sachant que ce serait tout profit pour la popularité de mon sport. Maintenant, je veux défendre l’égalité et la société, mais à ma façon. Je ne m’exprimerai jamais devant des foules, comme le fait ma coéquipière Natasha Cloud. Par contre, je peux envoyer un message sur les réseaux sociaux, durant une interview et encore plus pendant des activités organisées pour les enfants. »

On ne sert pas seulement de divertissement, on fait partie de la société. » Emma Meesseman

Libération

D’autres sportifs de haut niveau, le pilote Lewis Hamilton, l’athlète Allyson Felix, le footballeur Marcus Rashford, le basketteur Patty Mills, ont déjà reconnu avoir eu peur, au début, de s’ériger en pourfendeurs du racisme et de l’inégalité, mais s’être sentis libérés après avoir franchi le pas. C’est différent pour Emma. « Je n’ai jamais subi ce genre de traitement, contrairement à eux, depuis leur enfance. Un moment donné, ils ont réalisé qu’ils ne devaient plus subir tout ça en silence. Je n’ai donc pas ce sentiment, mais je me sens soutenue car je sais que je ne suis pas la seule sportive à agir ainsi. Pour moi, c’est n’est pas un tournant dans mon existence. Je dis simplement tout haut ce que je pense et ressens depuis longtemps. »

Meesseman est un des rares sportifs belges, avec son modèle, Romelu Lukaku, à se manifester aussi franchement. « Pourquoi? La plupart des gens trouvent peut-être le racisme et l’homophobie normaux. Ils n’en ont pas souffert. Moi bien, par l’intermédiaire de mes coéquipières en WNBA. Sans cette expérience, je n’aurais sans doute pas franchi le pas non plus.

Beaucoup de gens se disent peut-être qu’ils ne peuvent pas faire la différence dans un petit pays comme la Belgique. Tous les sportifs ne disposent pas du gigantesque podium des stars du football ou de la NBA. Mais même dans notre petit pays, chaque voix peut faire la différence, aussi minime soit-elle. Même si un sportif n’inspire qu’une seule personne. »

Elle n’a pas encore réfléchi aux conséquences de son nouveau rôle sur sa légitimité de basketteuse, indépendamment de ses titres et trophées. « Je veux que les gens disent de moi que, malgré tous mes succès sportifs, je suis restée moi-même, les pieds sur terre. Et qu’ils se souviennent que j’ai usé de ma voix, ce que je continuerai à faire quand j’aurai quitté le sport. Mais ma position n’est en rien comparable à celle que vivent mes coéquipières des Mystics. Natasha Cloud n’a même pas disputé la saison passée de WNBA, pour se consacrer au mouvement Black Lives Matter. C’est un sacrifice beaucoup plus conséquent que le mien, même si nous poursuivons le même objectif, à savoir que chacun soit traité et accepté de la même façon. Ça ne doit quand même pas être si compliqué? »

Protestations à Tokyo

Le CIO interdit toute forme de protestation pendant les cérémonies de podium aux Jeux de Tokyo. Emma Meeseman ne comprend pas cette attitude. « Je peux admettre qu’il veuille éviter que certains athlètes envoient un message politique, mais pourquoi interdire les messages concernant l’égalité? Personne ne peut s’opposer à ce principe. Le fait que le CIO l’autorise durant la présentation de l’équipe et aux conférences de presse est déjà positif, mais pourquoi pas sur le podium? Je pense que certains sportifs ne tiendront pas compte de cette interdiction et que le monde les soutiendra. Je suis curieuse de voir la réaction du CIO. Va-t-il se tirer une balle dans le pied? »

Emma Meesseman à l'entraînement avec les Belgian Cats à Tokyo.
Emma Meesseman à l’entraînement avec les Belgian Cats à Tokyo.© PHOTONEWS

Ambassadrice de Phonak

Emma Meesseman est depuis peu ambassadrice de Phonak, une firme d’appareils auditifs. Comme son frère, elle souffre d’une malformation congénitale et est à moitié sourde. Elle porte un appareil auditif depuis son enfance. Elle veut montrer aux jeunes que pareilles affections ne constituent pas un handicap pour leur évolution personnelle. « Mon frère et moi n’avons jamais souffert de moqueries, que ce soit à l’école, au basket ou chez les scouts. On a eu une jeunesse normale et on n’a jamais trouvé notre état étrange. Ce n’est que quand j’ai été jouer en France, à Villeneuve-d’Ascq, que j’ai réalisé que ça n’était pas si normal que ça aux yeux de certains. Une coéquipière voulait même jouer sans se nouer les cheveux, pour que personne ne voie qu’elle portait un appareil. Je lui ai dit que j’avais toujours joué avec une queue de cheval et qu’elle ne devait pas avoir honte de son problème.

Par la suite, en WNBA, j’ai été considérée comme un exemple. Au début, j’ai même fait l’objet d’articles et de reportages sur « la joueuse belge avec un appareil auditif ». Des étudiants de la Gallaudet University, un établissement pour sourd et malentendants de Washington, ont même assisté à des matches des Mystics pour moi. Leur admiration m’a vraiment surprise. Là aussi, j’ai insisté sur le fait qu’un problème auditif grave ne devait pas les empêcher de poursuivre leurs objectifs ni leurs rêves.

Les réactions ont été très positives, comme maintenant, dans l’accomplissement de ma mission pour Phonak. Je reçois énormément de questions d’enfants malentendants ou de leurs parents sur la manière dont je gère ce problème. Je réponds toujours: « Un appareil auditif, c’est comme des lunettes pour les oreilles. C’est parfaitement normal. La fonction bluetooth me permet même de téléphoner et d’écouter de la musique. Les gens sont surpris quand je le raconte et se disent qu’ils devraient peut-être faire de même. Si je parviens à les défaire de leurs craintes, j’ai atteint mon objectif. »

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