La célèbre poignée de main entre Big Rom et KDB est inspirée de la NBA, dont ils sont de grands fans. © belgaimage

Ligue des champions: De Bruyne et Lukaku, la bromance de la finale

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Adversaires en finale d’une Ligue des champions qui les obsède, Kevin De Bruyne et Romelu Lukaku ont une complicité insoupçonnée. Bromance au sommet.

Elle est là. Omniprésente. Même si on essaie de ne pas la voir, le grand cirque footballistique en parle tellement qu’on ne peut que l’entendre. C’est une coupe gigantesque, aux anses aussi démesurées que les sommes investies pour la soulever. La brandir vers le ciel, c’est valider sa place au firmament du football européen, et par conséquent mondial. Parce que si la Coupe du Monde et sa temporalité si particulière gardent une symbolique inégalable, les plus belles luttes sportives du football se jouent depuis des années dans le sprint final de la Ligue des champions.

C’est un trophée qui obsède. Un Graal qui a longtemps échappé aux Belges quand il est passé de «Coupe des clubs champions» à «Ligue des champions», voici désormais trente ans, invitant presque systématiquement tous les géants continentaux au festin. Certes, Daniel Van Buyten l’a remporté avec le Bayern Munich en 2013, mais en passant l’intégralité de la finale sur le banc. Six ans plus tard, Divock Origi s’est invité au palmarès, claquant au passage le deuxième but de la victoire des Reds de Liverpool contre Tottenham, mais les projecteurs de son équipe restaient néanmoins braqués ailleurs, sur le Sénégalais Sadio Mané ou l’Egyptien Mohamed Salah. Il a fallu attendre le printemps 2022 pour qu’un ténor de la fameuse génération dorée belge soit enfin couronné. Pas Eden Hazard, cloué au banc de touche durant toute la campagne européenne du Real Madrid, mais son compatriote et gardien Thibaut Courtois, star galactique et héros de l’apothéose parisienne. Le couronnement est tel que le Limbourgeois va jusqu’à se le graver dans la peau, faisant tatouer le trophée sur son avant-bras. On dit de la Pieuvre de Bilzen qu’il est dopé à la victoire. Désireux de graver l’histoire de son sport au point d’avoir transformé une pièce de sa demeure madrilène en musée à sa gloire.

Rom et KDB auront l’occasion de débloquer leur compteur européen au cœur des gradins d’Istanbul.

S’ils n’égalent pas Courtois dans le domaine, Romelu Lukaku et Kevin De Bruyne sont aussi, à leur manière, obsédés par les titres et la reconnaissance. Dans le couloir des vestiaires stambouliotes, cadre de la prochaine finale de Ligue des champions, les deux Diables auront l’occasion de marquer l’histoire, onze ans après l’avoir effleurée du bout des doigts.

Chelsea: De Bruyne et Lukaku rois d’Europe à distance

Le 19 mai 2012, quand Munich est refroidie par la victoire aux tirs au but de Chelsea contre le Bayern local, KDB et «Big Rom» sont déjà sous contrat chez les Blues. Pourtant, aucun d’eux ne gagne vraiment la Ligue des champions. Acheté au bout du mois de janvier précédent, De Bruyne vient tout juste d’aider Genk, son club formateur auquel Chelsea l’a prêté jusqu’à la fin de saison, à boucler le championnat belge sur le podium. Lukaku, lui, est déjà à Chelsea, mais n’a pas été inscrit sur la liste européenne par le coach André Villas-Boas, et suit donc la finale depuis les tribunes bavaroises. S’il fait la fête sur la pelouse et dans les vestiaires, le Belge refusera de toucher le trophée. «J’estime que je ne le mérite pas», commente alors Romelu.

Quelques semaines plus tard, l’ancien buteur d’Anderlecht accueille deux nouveaux compatriotes à Londres. Eden Hazard débarque comme une superstar, acheté 35 millions et présenté en tant que nouvel homme fort du projet blue. De Bruyne fait une entrée plus discrète, sans pour autant désespérer de convaincre Roberto Di Matteo de lui faire confiance d’emblée chez les champions d’Europe en titre. Dès la tournée de présaison aux Etats-Unis, il demande des comptes à son coach, puis sollicite un prêt qui l’emmènera finalement sur les pelouses allemandes. Lukaku, lui, cherchera son bonheur et du temps de jeu à West Bromwich, dans les tréfonds de la Premier League. S’ils se séparent déjà en août, les deux Belges ont néanmoins le temps de créer des liens particuliers. Leurs retrouvailles un an plus tard, alors que la légende locale José Mourinho a repris les rênes de Chelsea, ne font que conforter cette amitié naissante.

A l’heure de valider son retour à l’Inter, Lukaku a négocié seul avec quelques avocats. KDB a fait de même à City.
A l’heure de valider son retour à l’Inter, Lukaku a négocié seul avec quelques avocats. KDB a fait de même à City. © getty images

S’ils quittent une nouvelle fois Chelsea, Lukaku étant transféré à Everton alors que De Bruyne finit par prendre la direction de Wolfsburg, leur relation reste intacte. Née, paradoxalement, dans un club où ils n’auront jamais foulé ensemble la pelouse lors d’un match officiel. Une seule fois, ils ont disputé la même rencontre, mais KDB avait quitté le jeu depuis huit minutes lorsque Romelu Lukaku a remplacé Fernando Torres en août 2013, pour le premier match de la saison face à Hull. C’est donc dans la difficulté de deux présaisons de doutes que les deux Diables se sont rapprochés, scellant une relation déclarée au grand jour en plein cœur de l’été 2014.

Handshake et NBA

A Salvador de Bahia, il fait si humide que les corps donnent l’impression qu’il pleut. Le soleil est pourtant au rendez-vous, Tim Howard aussi. Pendant les nonante premières minutes de ce huitième de finale de Coupe du monde, le gardien américain arrête toutes les tentatives belges. Jusqu’à ce que Romelu Lukaku s’invite sur la pelouse, offre le premier but à Kevin De Bruyne, puis plante le second sur une offrande de KDB. «Big Rom» pense d’abord à sa mère, à laquelle il fait une déclaration d’amour collé à la caméra, puis à son passeur avec lequel il entame une poignée de main aux airs de chorégraphie, conclue les doigts pointés vers le ciel.

L’image devient iconique, puis récurrente. Le duo rejoue la scène après des buts de Lukaku contre l’Irlande à l’Euro 2016, le Panama et la Tunisie au Mondial 2018, puis encore quand le buteur perce les filets finlandais lors de l’édition 2021 du championnat d’Europe. Un check des grandes occasions que De Bruyne se retrouve finalement contraint d’expliquer: «Ce n’est pas vraiment une célébration, c’est plus une poignée de main qu’on fait toujours, Romelu et moi.» Des caméras parfois indiscrètes dévoilent effectivement le rituel du duo, dans le tunnel qui mène à la pelouse de l’Etihad Stadium avant un duel entre Manchester City et Everton ou à même le pré, dans la foulée d’une douloureuse défaite pour Lukaku et son Chelsea – où il est revenu lors de la saison 2021-2022 – face aux puissants Cityzens de KDB. «On voit ce genre de célébration en NBA», ajoute encore le maître à jouer de l’équipe de Pep Guardiola, précisant dans la foulée que les parquets américains abritent des handshakes bien plus complexes.

C’est lors des premiers mois passés ensemble à Londres que les deux joueurs se sont découvert une passion commune pour la NBA. Plus tard, en équipe nationale, il n’était pas rare que leurs coéquipiers les voient échanger ensemble sur l’un ou l’autre joueur, De Bruyne vouant une passion inconditionnelle à LeBron James tandis que Lukaku ne jurait que par Russell Westbrook. Souvent, les soirées se terminaient tard dans leur chambre, à l’hôtel des Diables, le décalage horaire obligeant les fans de la balle orange à se transformer en noctambules pour suivre le rythme des parquets américains. Les soirs où aucun match n’était au programme, les documentaires consacrés aux légendes du basket américain défilaient sur l’écran.

Une passion presque inévitable pour Romelu, fasciné de longue date par la culture US, mais qui a souvent étonné l’entourage de KDB. «Kevin, c’est un Africain dans un corps de blanc», rigole Marvin Ogunjimi, son ancien coéquipier à Genk. Une formule déjà utilisée par Lukaku pour qualifier son acolyte: «C’est avec Kevin que j’ai la meilleure relation, avait raconté l’attaquant de l’Inter sur VTM. Les gens ne le voient peut-être pas, mais c’est le cas. Comment ça se fait? Quand tu connais bien Kevin, tu sais qu’au fond de lui, c’est un Africain. Plus j’apprends à le connaître, plus je vois ça en lui. La musique qu’il écoute, la façon dont il se comporte, ses préoccupations pour la famille…» Et la NBA, donc.

Mauvais client pour les tabloïds, De Bruyne mène une vie à l’abri des caméras. Un goût du secret qu’il partage avec Lukaku.
Mauvais client pour les tabloïds, De Bruyne mène une vie à l’abri des caméras. Un goût du secret qu’il partage avec Lukaku. © getty images

Bromance et Jay-Z

Longtemps, il n’y a pourtant eu que ces poignées de main à l’américaine pour trahir le lien aussi fort que secret entre deux des membres du trident offensif magique de la génération dorée. Peut-être aussi quelques saillies sur les réseaux sociaux, comme quand Big Rom salue une passe décisive délicieuse offerte par KDB à Gabriel Jesus lors d’un match entre Manchester City et Aston Villa. Rien de bien palpable, néanmoins, à l’heure où les amitiés se tartinent parfois sans modération sur les réseaux sociaux, comme le faisait Romelu Lukaku du temps de sa bromance abondamment documentée avec Paul Pogba, peu de temps avant sa signature à Manchester United en 2017.

Il faut dire qu’à l’extrême opposé de l’extravagant Pogba, on trouve certainement la discrétion de Kevin De Bruyne. Mauvais client pour les tabloïds, le Diable mène une vie rangée et à l’abri des caméras. Un goût du secret qu’il partage avec Lukaku, peu prolixe voire mystérieux au sujet de l’aspect personnel de sa carrière: «J’ai déjà raconté des choses à Kevin que je n’ai dites à personne d’autre, a un jour confié Lukaku. Je sais qu’il ne les répétera jamais. Et c’est la même chose pour lui à mon égard.»

Certains diront cependant que ce manque de portée médiatique est préjudiciable au roi des passes décisives dans la course au Ballon d’or, trophée individuel majeur du football. C’est peut-être aussi ce que pensait Lukaku quand il a fait le lien entre KDB et Roc Nation, l’agence de gestion d’athlètes pilotée par le rappeur Jay-Z et censée promouvoir l’image d’une poignée de footballeurs triés sur le volet. Après Lukaku et les défenseurs Jérôme Boateng et Eric Bailly, De Bruyne est ainsi devenu le quatrième joueur à confier ses intérêts à l’entreprise de «Monsieur Beyoncé». «Romelu nous a aidés à attirer De Bruyne», ne cachait d’ailleurs par Michael Yormak, homme fort de Roc Nation en Europe, dans les colonnes du Laatste Nieuws en 2019.

La course aux étoiles de Lukaku et De Bruyne

A défaut d’avoir conquis les podiums de mode, De Bruyne truste de plus en plus ceux du ballon rond. C’est avec la si convoitée Ligue des champions dans le viseur qu’il a choisi de prolonger son contrat avec Manchester City, après un examen minutieux des possibilités qui s’offraient à lui. Sans agent, après des ennuis judiciaires avec son représentant historique Patrick De Koster, KDB a négocié en «solitaire», entouré d’avocats, comme l’a fait Romelu Lukaku à l’heure de valider son retour à l’Inter en compagnie d’un bureau belge.

Une méthode plus moderne, à l’américaine, qui rend le pouvoir aux joueurs et dont les deux icônes des Diables comptent parmi les précurseurs. Kevin De Bruyne a même poussé la logique plus loin dans la culture anglo-saxonne, engageant des spécialistes de l’analyse de données pour quantifier quel maillot il devrait porter pour avoir le plus de chances de remporter la Ligue des champions au cours des prochaines années. Le verdict n’a pas pointé le Real Madrid, pourtant spécialiste de la compétition continentale. Plutôt le Bayern Munich et Manchester City. En restant chez ces derniers, avec lesquels il a déjà pris part à l’apothéose européenne de la saison en 2021 – une courte défaite face à Chelsea – KDB semble avoir fait le bon choix.

Nulle part, dans ces analyses pourtant pointues, un cas de figure envisageant une finale de Ligue des champions disputée face à l’Inter n’avait émergé. C’est néanmoins l’équipe de Simone Inzaghi qui se dressera sur la route de Kevin De Bruyne et des siens dans la quête de la première Coupe aux grandes oreilles de l’histoire du club mancunien. Onze ans après leur sacre à distance avec Chelsea, Rom et KDB auront l’occasion de réellement débloquer leur compteur européen au cœur des gradins d’Istanbul. Nul ne sait encore comment le match se terminera. La seule certitude, c’est qu’il commencera par une poignée de main.

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