Florian Descamps, en action à l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, le Saint-Graal de la discipline. © NICO DENEFFE

Les experts belges du trail sont un couple: «Courir 5 km dans les bois, c’est déjà du trail»

Florian Descamps et Laura Van Vooren sont champions de Belgique de trail. Ils sont aussi en couple. Ensemble, ils racontent leur discipline, entre souffrance corporelle et connexion à la nature.

La commune de Haybes, en France, sur les rives de la Meuse, compte 1.800 âmes et quatre friteries. Quelle meilleure manière de résumer la proximité de la frontière belge? Deux de ces âmes sont les coureurs de trail belges Florian Descamps (33 ans) et Laura Van Vooren (34 ans). Les frites locales, ils ne les ont jamais goûtées. Le sport avant tout. Le couple pratique le trail, une variante tout-terrain de l’athlétisme à laquelle les vastes forêts escarpées des environs de Haybes se prêtent parfaitement. Les Ardennes françaises sont moins touchées par le tourisme que l’Ardenne, de l’autre côté de la frontière.

Descamps et Van Vooren sont tous deux triples champions de Belgique de trail. Le 9 novembre, ils défendront leurs titres masculin et féminin lors du championnat de Belgique d’Ultra, une épreuve de 66 kilomètres avec 2.599 mètres de dénivelé dans les Hautes Fagnes. S’ils gagnent, ils pourront participer aux championnats du monde d’Ultra 2025 dans les Pyrénées. Avant cela, on les rassemble au coin du feu pour une discussion sur l’amour de la course rapide et de la vie au ralenti.

Le trail est-il à l’athlétisme ce que le gravel est au cyclisme?

Florian Descamps: Le trail consiste à courir sur une longue distance dans la nature, principalement sur des sentiers étroits et non pavés. Cela va des sentiers techniques de plusieurs centaines de kilomètres en haute montagne aux courses en forêt d’une dizaine de kilomètres. Je le comparerais plutôt à une longue distance en VTT.

Laura Van Vooren: En trail, il y a quatre façons d’avancer: la course en montée, la marche en montée, la course à plat et la course en descente. Les muscles que vous utilisez et l’impact sur le corps sont différents à chaque fois. Il faut donc entraîner ces quatre mouvements.

S’agit-il uniquement d’endurance ou également de tactique?

L.V.V.: C’est un sport d’endurance avec un aspect tactique, oui. Il faut être capable de bien évaluer sa propre force et celle de ses concurrents.

F.D.: Il y a plus de tactique que dans un marathon sur route. Sur un parcours aussi plat, il est plus facile d’établir son rythme en vue d’un certain temps d’arrivée. En trail, il y a plus de variété: des montées raides à marcher, des montées à courir, des descentes techniques, etc. Vous pouvez mettre la pression sur un concurrent dans un tronçon qui lui convient moins. Bientôt, ce sera le championnat de Belgique, et je prévois…

L.V.V.: (elle l’interrompt) Tu ne vas tout de même pas dévoiler ta tactique à l’avance à la presse!

F.D.: Ce n’est pas grave. Ils peuvent le savoir.

L.V.V.: Tu es comme Tadej Pogacar, qui dit qu’il partira à 100 kilomètres de la ligne.

F.D.: Ma force réside dans les sentiers techniques avec un grand dénivelé, car nous nous y entraînons beaucoup. Dans les descentes difficiles, j’y vais très fort. Lors du championnat, j’irai solidement dans le rouge sur ces sections. J’espère que mes rivaux essaieront de me suivre et se feront mal aux jambes dans l’aventure.

La descente est-elle plus difficile que la montée?

L.V.V.: Sur le plan musculaire, c’est plus lourd, oui. L’impact sur les quadriceps est énorme.

Mais vous marchez aussi pendant certaines parties de la course?

L.V.V.: Cela dépend de la distance. Fin août, j’ai participé à l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB). Il s’agit d’une course épique de 171 kilomètres avec 10.000 mètres de dénivelé. Là, on marche sur des sections qui montent. Mais au championnat de Belgique, je ne marcherai pas.

L’UTMB, c’est le Saint-Graal du trail?

«Certains découvrent grâce au trail à quel point il est bénéfique d’être dans la nature.»

L.V.V.: Oui, cette course est plus importante que les championnats du monde. On peut la comparer à l’Ironman d’Hawaï en triathlon. D’ailleurs, l’UTMB a été racheté par The Ironman Group. La course a pris de l’ampleur et ça a eu des conséquences négatives. Quoi qu’il en soit, je voulais vraiment participer.

Comment cela s’est-il passé?

L.V.V.: Après 30 kilomètres, des problèmes d’estomac m’ont empêché de manger quoi que ce soit. Il me restait alors un peu plus de 140 kilomètres à parcourir. C’étaient 25 heures de nausées, de vomissements et de souffrance. Je n’ai pu boire que du soda et une boisson isotonique.

F.D.: C’est vraiment fou ce que tu as fait. Avec cette journée complètement ratée, tu as tout de même terminé 21e.

L.V.V.: J’ai énormément souffert. En théorie, il est toujours possible d’abandonner, mais avec ma personnalité, ce n’est pas envisageable, à moins de me casser une jambe. Avec moi, c’est tout ou rien. Allez, c’est rarement rien et généralement tout. Même si je ne sais pas si je pourrais à nouveau aller aussi loin dans mes retranchements que lors de l’UTMB.

«Si vous y prenez plaisir, vous deviendrez également plus fort physiquement.»

Ce n’est pas très sain.

L.V.V.: C’est vrai. Ces deux ou trois courses d’ultratrail dans l’année sont une souffrance pour le corps. Mais tous les autres jours de l’année, je mène une vie bien plus saine que la moyenne des gens. L’UTMB était une exception extrême, mais la douleur physique n’est pas nécessairement mauvaise. Elle a le droit d’être là. Je ne suis pas masochiste et je ne la recherche pas, mais pendant le trail, dans les conditions contrôlées que je me crée, ce n’est pas une expérience négative. Elle ne l’emporte pas non plus sur tous les aspects positifs: expérience de la liberté, longues journées dans la nature, camaraderie, aventure…

Vous pourriez aussi faire de la randonnée tranquille en montagne.

L.V.V.: Il s’agit aussi de repousser ses limites, de se réaliser. En soi, je n’ai jamais trouvé une telle course très amusante. Elle est même souvent épuisante. Mais tout le processus qui y mène est intéressant. Chaque jour, on essaie de devenir une meilleure version de soi-même, physiquement et mentalement. Vous avez besoin de la compétition comme objectif pour suivre ce processus.

Etes-vous des athlètes de haut niveau?

L.V.V.: Je ne me décrirais pas ainsi, mais je vis comme une athlète professionnelle. Plus que pour mon sport, je vis pour être heureuse et en bonne santé. C’est ainsi que le trail me permet de me sentir.

F.D.: Nous travaillons tous les deux à temps partiel. En 2019, j’ai cessé de travailler à temps plein pour Special Olympics Belgium. Mes collègues pensaient que le trail en était la raison, mais ce n’est pas vrai. C’est surtout le calme et la tranquillité de Haybes qui m’ont attiré. Ici, on peut passer une journée à courir dans les bois sans voir ni entendre une seule voiture.

L.V.V.: C’est une question de qualité de vie.

F.D.: En effet, je n’ai pas besoin de gagner beaucoup d’argent. Je préfère vivre de manière plus frugale et avoir plus de temps pour moi. Ce temps libre, à mes yeux, c’est de l’or. Mais nous devons parfois nous rendre à Gand ou à Bruxelles pour quelques jours dans le cadre de notre travail.

L.V.V.: A Gand, les possibilités de faire une sortie de cinq heures dans la nature sont limitées. Ici, c’est une évidence. Là-bas, je suis obligée de m’entraîner pendant des heures sur le StairMaster (NDLR: une machine qui simule la montée d’escaliers).

F.D.: Quand je dois quitter Haybes ou les Alpes pour Bruxelles, j’ai le cafard. C’est un privilège d’avoir pu organiser ma vie de telle sorte que ce n’est pas si souvent nécessaire.

Le 9 novembre, Florian et Laura défendront leurs titres masculin et féminin lors du championnat de Belgique de l’Ultra. © ADIL NAKHEL

Le trail est vraiment un sport de nature. Quelle est l’importance de cet aspect?

L.V.V.: La plupart des coureurs de trail sont des amoureux de la nature. Ne pas laisser de traces est un principe sacré dans notre sport. Tout se fait dans le respect de la faune et de la flore. Certains découvrent grâce à ce sport à quel point il est bénéfique d’être dans la nature. Moi, je le savais déjà avant. En tant que bioingénieure, j’ai fait mon doctorat sur les écosystèmes dans les champs agricoles. J’ai quantifié les bienfaits de la nature. Mais c’est une façon très anthropocentrique de voir la nature. Elle ne devrait pas toujours être au service de l’homme. Pendant les longues sessions de formation, je peux vraiment me sentir en harmonie avec la nature. On est une petite créature avec un petit sac à dos qui gravit une montagne gigantesque. Je me sens alors comme une infime partie de cette splendeur. Après des heures de déplacement dans un paysage de forêt ou de montagne, où l’on se concentre sur le fait de manger, de boire et de respirer, on entre dans une sorte d’état méditatif. Le terme «transcendance» peut sembler un peu flou, mais il s’en rapproche: on se transcende soi-même. Sur le plan émotionnel –et non intellectuel– on prend conscience que la vie consiste à apprécier les petites choses. Je ressens alors une intense gratitude. Une expérience d’une telle profondeur ne m’envahit certainement pas lors de chaque séance d’entraînement de longue durée. Je ne la recherche donc pas consciemment. Mais j’éprouve un sentiment de liberté totale à chaque séance d’entraînement.

Le ressentez-vous de la même manière?

F.D.: Pas aussi intensément que Laura. Je suis peut-être un peu plus terre-à-terre et j’apprécie surtout l’environnement dans lequel je cours. En tant que passionné de cartes, je recherche toujours les sentiers les moins fréquentés dans des environnements magnifiques et accidentés. J’aime explorer les sentiers sauvages, la nature à l’état pur.

L.V.V.: Puis je l’engueule: «Mais Flo, il n’y a pas de sentier ici!» (rires) Pour toi, le trail est davantage une expérience extérieure, tandis que pour moi, il s’agit plutôt d’une introspection.

Vous arrêtez-vous pour admirer un beau champignon pendant l’entraînement?

Ensemble: Absolument!

L.V.V.: Pendant un entraînement par intervalles, je ne m’arrête évidemment pas. Mais lors d’un entraînement d’endurance, nous nous arrêtons certainement pour admirer une orchidée ou pour nous rafraîchir dans un ruisseau de montagne. Nos temps sur Strava ne disent pas tout (rires).

F.D.: Beaucoup de gens pensent qu’il faut s’entraîner de manière très structurée pour atteindre un haut niveau, mais ce n’est pas du tout le cas. Bien sûr, j’ai un plan plus large, mais je suis également flexible et je regarde au jour le jour ce que je veux et ce que je peux faire. Si on y prend plaisir, on devient également plus fort physiquement.

Dans les médias, le trail semble surtout être résumé à une affaire d’ultrarunning extrême. Est-ce représentatif?

F.D.: Ce sensationnalisme est regrettable. Une course en forêt de cinq kilomètres, c’est aussi du trail. Il s’agit avant tout de s’amuser.

L.V.V.: Le trail est un sport très accessible. A part des chaussures et éventuellement des bâtons de randonnée, on n’a besoin de rien. Il suffit de commencer.

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