Les coupables de l’Euro des Diables: les bizarreries de Tedesco, la disette de Lukaku et la défense surprotégée
Eliminée sans gloire par la France, la Belgique quitte l’Euro avec un sentiment d’échec. Au premier rang des coupables, outre le sélectionneur, Romelu Lukaku est pointé du doigt. La défense, curieusement, est épargnée.
La frontière ressemble à une falaise. Quand la Belgique affronte la France, elle se retrouve toujours dans la peau d’un élève qui entame une leçon de grandeurs. Sans cesse, on parle d’estimer l’écart et de tenter de le réduire. On mesure chacune des paroles venues du camp d’en face, pour évaluer le respect qu’il nous accorde. Chez le voisin hexagonal, tout semble plus grand, même quand la qualité des prestations n’est pas au rendez-vous. C’est le chroniqueur Daniel Riolo qui, sur les ondes de RMC, le résume le mieux: «On ne mesure pas à quel point les adversaires des Bleus ont peur des Bleus. Ça les empêche de jouer.»
Contaminé par le sentiment national, Domenico Tedesco dessine donc un plan au millimètre. Contrer la vitesse de Kylian Mbappé, qui ne prend plus jamais la profondeur, semble alors plus important qu’exploiter son absence totale d’activité défensive. Sur le flanc droit, choisir le plus travailleur des ailiers nationaux –Yannick Carrasco– est une option qui permet d’amortir le choc potentiel des débordements du bulldozer Théo Hernandez plutôt que de chercher à profiter des espaces qu’il offre dans son couloir. La Belgique place Kevin De Bruyne très bas, son pied droit devant servir de catapulte à des contre-attaques bien trop rares. Il faut attendre 26 minutes pour voir Loïs Openda toucher le premier ballon diabolique dans la surface française. Septante pour le premier véritable arrêt de Mike Maignan, uniquement sollicité par un coup franc rentrant parti des pieds de KDB avant ce tir excentré de Lukaku.
Les Belges n’ont joué aucun match digne de figurer dans une boîte à souvenirs.
Si le but est cruel, mettant un terme amer à la très longue carrière internationale de Jan Vertonghen, l’issue n’est guère surprenante dans un match où les Diables ont surtout joué à ne pas perdre. Dans aucun des six premiers huitièmes de finale, une équipe n’a produit si peu que les 0,23 expected goal (outil statistique qui mesure la qualité de chaque tir de finir au fond des filets en fonction de sa position) de la Belgique, malgré des affiches bien plus disproportionnées offertes à des nations plus modestes comme la Géorgie (face à l’Espagne), la Slovaquie (contre l’Angleterre) ou la Slovénie (opposée au Portugal). La route s’est arrêtée une borne plus loin, mais les conclusions sont identiques à celles de la dernière Coupe du monde au Qatar: les Belges n’ont joué aucun match digne de figurer dans une boîte à souvenirs.
Les choix paradoxaux de Tedesco
Dans ces cas-là, quand il s’agit de passer devant le jury populaire, le sélectionneur est souvent au premier rang des coupables. Domenico Tedesco n’échappe pas à la tradition, avec des critiques presque paradoxales. D’un côté, les spécialistes lui reprochent d’avoir été trop conservateur, d’une sélection réduite à 25 noms jusqu’à l’utilisation minime voire nulle de Johan Bakayoko, Charles De Ketelaere ou Maxim De Cuyper. Au coup de sifflet final de l’Euro belge, l’Italo-Allemand n’aura en effet aligné que 18 joueurs différents, seuls quatorze d’entre eux dépassant les 100 minutes passées sur le terrain. Parmi ces derniers, tous à l’exception d’Orel Mangala faisaient déjà partie de la liste de Roberto Martínez au Qatar.
A l’autre bout des contestations, on trouve ceux qui déplorent un goût de l’aventure tactique trop prononcé. De la défaite inaugurale contre la Slovaquie, marquée par la titularisation inattendue de Yannick Carrasco au poste d’arrière gauche, jusqu’à l’élimination face à la France avec un surprenant 4-4-2 alignant Lukaku et Loïs Openda de concert aux avant-postes, les expériences ponctuelles ont parfois semblé supérieures à l’harmonie collective. Certes, les deux attaquants avaient déjà été titularisés ensemble en Autriche, lors du match le plus difficile de la phase qualificative, mais le test n’avait pas été concluant, au point d’être avorté dès la mi-temps. «On n’a pas encore beaucoup d’automatismes avec ce système», reconnaît d’ailleurs Jérémy Doku après la défaite.
Il y a des réalités que le storytelling ne doit pas occulter.
Franchir le premier tour était l’objectif fixé en catimini dans les couloirs de la Fédération à Tubize, l’Euro 2024 y étant présenté comme une compétition de transition entre les derniers combattants de la génération dorée et les premiers pas continentaux des nouvelles têtes diaboliques. Au bout de 360 minutes souvent insipides, le constat est à l’échec. Pas à la remise en cause de Domenico Tedesco, le sélectionneur étant soutenu par le CEO Piet Vandendriessche qui avait fait de la prolongation du contrat de l’Italo-Allemand l’un des premiers chantiers de son mandat entamé en décembre dernier. «Je suis un grand partisan de Tedesco», avait reconnu l’ancien homme fort de Deloitte dans les colonnes du Standaard en mars, suite à l’annonce du contrat élargi jusqu’en 2026 pour Tedesco et son staff. «Nous aimons travailler avec lui, il nous a qualifiés pour l’Euro sans la moindre défaite, il a renouvelé l’équipe et travaille de façon très professionnelle.»
Un avis que tous ne partagent pas dans les bâtiments brabançons, d’aucuns jugeant que les bases étaient encore trop fragiles pour affirmer que le jeune entraîneur était bien l’homme de la situation. Ceux-là rappellent que la victoire en Allemagne, spectacle le plus marquant de l’ère Tedesco, n’était qu’un match amical dont l’issue a été facilitée par la tactique initiale bancale de l’ancien sélectionneur Hansi Flick, d’ailleurs contraint de faire deux changements à la demi-heure du match avant de prendre la suite de la rencontre très largement à son compte. Dans les matchs qui comptent, sur la grande scène continentale, on n’a plus rien vu de cet enthousiasme de début de mandat, le tournoi allemand semblant démesurément conditionné par la défaite inaugurale contre la Slovaquie et la peur constante créée par l’inefficacité offensive des Diables.
Lukaku, le «all-in» tourne mal
Incapable d’inscrire le moindre but en quatre matchs pourtant presque disputés dans leur intégralité, preuve de la confiance montrée par Tedesco à ses cadres (attitude longtemps reprochée à son prédécesseur), Romelu Lukaku est le symbole de cette Belgique qui ne marque plus. Contre la France, l’attaquant de la Roma a ajouté l’invisibilité à la maladresse, pris dans les griffes d’un William Saliba qui fait incontestablement partie des meilleurs défenseurs du monde, buvant le calice jusqu’à la lie quand l’une de ses pertes de balle s’est retrouvée à l’origine du but français. Visiblement loin de sa meilleure forme physique, le vice-capitaine des Diables a souffert de sa disette offensive, voyant sa confiance s’étioler au fil des occasions ratées. Le problème, c’est que Domenico Tedesco n’avait pas vraiment prévu de faire sans lui.
Le «all-in» avait débuté en laissant à la maison un Michy Batshuayi qui n’était jamais vraiment entré dans les plans de la nouvelle vague. Absent du premier rassemblement en mars 2023, le «supersub» de l’ère Martínez n’a pas marqué de but, et encore moins de point lors des cinq maigres opportunités reçues lors de l’année écoulée. Il n’y avait que deux attaquants de métier dans la sélection belge, avec une hiérarchie claire. Car même si Loïs Openda a affolé les datas lors de sa découverte du championnat allemand sous le maillot de Leipzig, aucune de ses apparitions en équipe nationale n’a suffisamment convaincu pour en faire un challenger de «Big Rom». Sous Tedesco, le véloce attaquant sauce Red Bull avait reçu sa chance à onze reprises avant le tournoi, dont cinq opportunités d’au moins 45 minutes, sans jamais trouver le chemin des filets. En comparaison avec les quatorze buts de Lukaku en qualifications (près de deux tiers des buts belges), le bilan ne faisait évidemment pas le poids. Tedesco pouvait-il fragiliser l’état de confiance d’un attaquant qui marquait un but toutes les 46 minutes jouées depuis sa prise de fonction?
Le problème est que Romelu Lukaku semble s’être égaré sur le chemin de sa carrière. Vexé par sa présence sur le banc au coup d’envoi de la finale de la Ligue des Champions 2023, le buteur belge a envoyé son agent prendre la température du côté des rivaux d’une Inter où il parvenait pourtant à nouveau à se sentir chez lui, un peu plus d’un an après un départ houleux vers Chelsea dans la foulée d’un titre de champion dont il était un protagoniste. Déraciné d’une partie de ses proches, vexé par son échec en Premier League et par sa réputation de joueur qui ne brille pas dans les matchs qui comptent, l’attaquant comptait sur l’Euro pour se refaire une réputation et éclaircir un avenir incertain. Le contexte était idéal, entouré par une nouvelle génération remplie d’enfants de Neerpede, le centre de formation d’Anderlecht où on le présente toujours comme un modèle. Avec six grosses occasions manquées, il quittera le tournoi avec une image de joueur maladroit et le douloureux souvenir de sifflets d’un public belge qui l’a une nouvelle fois pris en grippe.
La défense mérite-t-elle vraiment les louanges?
Pour le deuxième grand tournoi consécutif, les craintes défensives de la Belgique se sont transformées en désert offensif au fil des matchs. Symboliquement, c’est donc l’arrière-garde diabolique qui sort la moins meurtrie par les critiques de l’été allemand. En quatre matchs, Wout Faes et ses acolytes n’ont encaissé que deux buts, le premier dû à une passe dangereuse de Jérémy Doku contre les Slovaques et le second sur un tir malencontreusement dévié de Randal Kolo Muani. Voilà pour la version héroïque de l’histoire défensive nationale. Parce qu’il y a des réalités que le storytelling ne doit pas occulter.
Le jeu installé par Tedesco est plus adapté aux limites de notre défense qu’aux vertus de notre attaque.
Si Doku se retrouve à devoir faire des prouesses techniques à quelques mètres de son poteau de corner, c’est en partie parce que la Belgique est mise sous pression et qu’il sait que ses dribbles sont une des armes majeures pour que ses défenseurs ne doivent pas la subir. Si Vertonghen dévie une frappe au fond de ses filets, c’est la conséquence malheureuse mais probable d’un onze belge presque totalement retranché dans sa surface face à une France pourtant loin d’être en réussite offensive depuis le début du tournoi. Le constat d’un été passé à avoir peur, c’est que le jeu diabolique installé par Domenico Tedesco est plus adapté aux limites de notre défense qu’aux vertus de notre attaque. Doku est un dribbleur si exceptionnel qu’il peut être secondé par un arrière latéral qui ne pense qu’à défendre. De Bruyne a une telle vision du jeu que des longs circuits travaillés ne sont pas indispensables pour le mettre en position de donner une passe décisive. Lukaku est si prolifique (52% de conversion des tirs en qualifications) qu’il n’y a pas besoin d’énormément de danger pour faire trembler les filets. Les défenseurs peuvent donc penser à défendre plus qu’à relancer ou à apporter le surnombre dans les zones dangereuses, et il est même possible de leur ajouter un voire deux milieux sans création de perspectives offensives pour encore ouater leur zone de confort.
Si la Belgique a bien défendu en Allemagne, c’est avant tout parce qu’elle pensait de moins en moins à la meilleure manière d’attaquer. Le premier tournant de l’ère Tedesco sera peut-être à trouver un soir amical de mars à Wembley, quand la souffrance défensive des Diables s’est retrouvée très exposée dès que les lignes n’étaient pas fermées à double tour. Le problème est que ce plan bancal a été validé par un match nul de prestige, qui aurait même pu être une victoire si Jude Bellingham n’était pas apparu dans les arrêts de jeu (presque un pléonasme). Ce jour-là, Domenico Tedesco a quitté Londres en pensant au retour de Witsel plus qu’aux 37% de possession de ses joueurs. Depuis, les Diables n’ont plus cessé de regarder dans leurs rétroviseurs.
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