« Le VAR tue < football »
Alexis Ponnet (83 ans), Marcel Van Langenhove (78 ans) et Guy Goethals (70 ans). Trois noms ronflants de l’époque où les arbitres étaient encore juste des arbitres. Des hommes honorables qui, ensemble, ont plus de 85 ans d’expérience (inter)nationale. Comment jugent-ils l’évolution actuelle de leur ancien métier?
Qu’il est bon de se remémorer des souvenir dans l’ancien bâtiment principal de l’Union belge, avenue Houba de Strooper, à un jet de pierre du Heysel. Face à nous, trois hommes qui ne manient pas la langue de bois. Alexis Ponnet, Marcel Van Langenhove et Guy Goethals parlent comme ils sifflaient: sans détour. Tour à tour, ils sont «Le bon, la brute et le truand». Et comme dans les western-spaghetti, ils ont la gâchette facile. Au départ, ils se montrent encore modérés mais dans les arrêts de jeu, ils tirent sur tout ce qui bouge. Mais remontons d’abord le temps…
Comment êtes-vous devenus arbitres?
ALEXIS PONNET : Je jouais au Cercle Sportif Saint-Josse. Lors d’un match, j’ai été violemment taclé et je me suis déchiré les ligaments croisés. C’était en 1958. La médecine n’était pas encore aussi pointue que maintenant. L’opération était très lourde, j’en ai gardé une cicatrice énorme. Pour retrouver la forme, mon père m’a suggéré d’arbitrer. Il était lui-même arbitre en Promotion. C’est comme ça que j’ai été contaminé par le virus.
MARCEL VAN LANGENHOVE : Alex m’a arbitré alors que je jouais en Juniors à l’Association Sportive Auderghem. J’étais médian et j’avais une bonne lecture de jeu. Malgré ma petite taille, j’avais un bon jeu de tête parce que j’avais une bonne détente. Je ne marquais pas beaucoup, mais j’étais un leader. N’oubliez pas qu’en dehors de l’arbitrage que j’ai commencé à l’âge de seize ou 17 ans, j’ai tenu une épicerie pendant 36 ans. Plus tard, j’ai aussi fait de la politique à l’échelon local: je suis devenu bourgmestre de Wemmel.
GUY GOETHALS : Lorsque mon père (le regretté Raymond Goethals, ex-sélectionneur national, ndlr) entraînait Saint-Trond, j’y jouais en Juniors, mais je n’avais pas beaucoup d’avenir comme joueur. Alors, à 18 ans, je suis devenu arbitre.
«On buvait une bière avec les joueurs»
Ce qui est fou, c’est que vous étiez aussi juges de ligne.
VAN LANGENHOVE : Avant, il était habituel que les arbitres de première nationale fassent parfois la ligne à l’étranger. Nous sommes souvent partis ensemble.
GOETHALS : Quand j’ai débuté en D1, Alex et Marcel étaient les meilleurs arbitres. J’ai eu la chance de partir à l’étranger avec eux. C’est ainsi que j’ai effectué mon premier déplacement à Aberdeen, avec Marcel.
PONNET : C’était une obligation: un arbitre principal et deux comme juges de ligne. Même en D2 et en D3, les arbitres faisaient la ligne. Ça n’a changé que dans les années nonante. À ce moment, je travaillais pour la commission d’arbitrage de la FIFA. C’est le président de l’époque, João Havelange, et son secrétaire général, Sepp Blatter, qui ont introduit les trios fixes.
VAN LANGENHOVE : C’était après la Coupe du monde 1990 en Italie, où j’ai officié en tant qu’arbitre et en tant que juge de ligne.
GOETHALS : C’est à l’EURO 1992 en Suède que j’ai travaillé pour la première fois avec des assistants. C’était un progrès. On communiquait plus facilement car au fil du temps, on créait des automatismes.
Et avant, c’était comment?
PONNET : C’est simple: le juge de ligne était l’homme le plus important. Il avait une influence énorme sur notre travail, surtout en matière de hors-jeu. Souvent, sur une contre-attaque, nous étions à cinquante mètres de l’action. C’était donc l’homme au drapeau qui prenait la décision. Nous devions lui faire aveuglément confiance. Mais maintenant… (il soupire). Si ça continue, dans cinq ans, il n’y aura plus de juge de ligne.
VAN LANGENHOVE : Nous avions un tic: dès qu’une attaque démarrait, nous devions tourner la tête vers la droite afin de voir si le drapeau se levait, sans quoi nous étions en retard.
GOETHALS : Et puis il y avait les signaux et les instructions traditionnels. Si une faute était commise juste en dehors du rectangle, l’assistant devait courir vers le milieu du terrain. Si c’était juste dans le rectangle, il courait au point de corner. Nous savions ainsi directement à quoi nous en tenir.
VAN LANGENHOVE : Un arbitre doit sentir ça. C’est ça, la définition d’un bon arbitre. D’ailleurs, aujourd’hui encore, quand je vais me promener et que je passe près d’un terrain où un match a lieu, j’entends directement au coup de sifflet de l’arbitre s’il a des couilles ou pas.
Un bon arbitre qui devait faire la ligne, c’était un peu dégradant, non?
PONNET : (sûr de lui) Pas du tout. C’était une expérience. C’est ainsi qu’au début des années septante, Marcel et moi avons accompagné le regretté Fred Delcourt au Real Madrid.
VAN LANGENHOVE : Pour nous, c’était le summum. À l’époque, il y avait encore 100.000 personnes dans les tribunes. Le président Santiago Bernabéu était encore en vie. Inoubliable.
GOETHALS : C’était une récompense, pas une dégradation.
À l’époque, on ne parlait pas non plus de quatrième arbitre.
VAN LANGENHOVE : Ça n’existait pas encore, non. Il nous manquait toujours un homme pour jouer aux cartes.
PONNET : Le quatrième arbitre n’est arrivé que dans la deuxième moitié des eighties. À l’époque, il n’y avait presque personne sur le banc, hormis le coach, quelques réservistes et peut-être un kiné. Puis il y a eu de plus en plus de monde. Ils sont au moins onze sur chaque banc. Ça fait deux équipes de plus à surveiller, hein. C’est pourquoi on a décidé d’ajouter un quatrième arbitre.
VAN LANGENHOVE : Il faut ajouter qu’à notre époque, le banc était plus respectueux. Aujourd’hui, je ne vois que des clowns qui gesticulent. Comme si un seul joueur comprenait ce qu’ils veulent dire. Ou voulait comprendre. Avant, il y avait moins de show, on en souffrait moins.
PONNET : (rêveur) Et après le match, nous étions en contact avec les joueurs. On buvait une bière ensemble dans leur salle. Ils nous disaient parfois qu’on avait mal arbitré et on pouvait leur dire qu’ils étaient passé à côté de leur match.
GOETHALS : C’était plus collégial.
VAN LANGENHOVE : Maintenant, ils ne se voient plus que de loin.
Ce n’est pas étonnant: dès qu’un joueur ouvre la bouche, c’est carte jaune.
VAN LANGENHOVE : Oh, je ne suis pas sûr qu’ils pouvaient parler davantage par le passé, mais nous avions tous notre style. Je n’aurais jamais pu arbitrer comme Alphonse Costantin. Et sûrement pas comme Alex non plus. Il avait une tête de plus que moi et beaucoup d’aura sur le terrain. Moi, j’étais un nabot.
PONNET : Allez, n’exagère pas, Marcel.
VAN LANGENHOVE : (ferme) Je suis petit, c’est sûr. Si je donnais une carte jaune à Arto Tolsa (un défenseur finlandais du Beerschot, dans les années septante, ndlr), qui mesurait presque deux mètres, je devais rester à cinq mètres de lui tandis qu’Alex la lui mettait sous le nez. Je devais tenir compte de cela.
PONNET : Mais Marcel avait un très bon contact avec les joueurs.
VAN LANGENHOVE : Je ne savais pas fermer ma gueule, c’est tout. Je parlais tout le temps. Et si un joueur était impoli envers moi, je lui répondais sur le même ton. S’il était correct, moi aussi. Celui qui jouait avec mes couilles volait dehors, c’était simple.
PONNET : Nous avions un avantage: la plupart des joueurs restaient longtemps dans la même équipe. Au fil du temps, on les connaissait tous et on les appelait par leur prénom. On arbitrait Bruges quatre ou cinq fois par an et si Courant faisait une faute, on lui disait juste: Paul, s’il te plaît…
Je vais le dire à votre place: avant, c’était plus facile.
VAN LANGENHOVE : Je ne dirais pas cela. C’était différent. Arbitrer Bruges – Standard, c’était aussi dur que maintenant. En défense, au Standard, il y avait des personnages comme Léon Jeck, Nico Dewalque ou Eric Gerets, avec Christian Piot au goal. Plus facile? Oublie!
«J’ai arbitré avec de l’argent dans la poche arrière, pour ne pas qu’on me vole»
Combien gagniez-vous à l’époque?
PONNET : La dernière année, en 1989, j’ai touché 2.750 francs pour arbitrer un match de D1. Ça fait un peu moins de septante euros. Que ce soit Anderlecht – Bruges ou un autre match, c’était le même tarif. Il fallait vraiment aimer l’arbitrage, hein. Et nous l’aimions. On ne peut pas comparer avec aujourd’hui. Vous savez comment ça marchait?
Non, racontez.
PONNET : À l’époque, nous recevions l’argent avant le match. Que dis-je? Nous devions recevoir l’argent avant le match, sinon nous ne pouvions pas arbitrer. Je me souviens qu’un jour, en 1976 ou 1977, je suis parti à Tbilissi avec Jean-Claude Jourquin et René De Bleeckere (le père de Frank, ndlr). Nous avons fait escale à Moscou et on nous a immédiatement emmenés faire nos comptes: l’indemnité journalière pour nous trois et les frais du voyage. On nous a donné l’argent en francs suisses dans une enveloppe, nous avons dû la ramener à Bruxelles et la remettre à l’UEFA. Vous imaginez? Ce n’est pas pour rien que, parfois, les gens pensaient que nous étions corrompus, hein.
VAN LANGENHOVE : À Salonique, en Grèce, j’ai arbitré avec l’enveloppe dans la poche arrière, pour ne pas qu’on me vole l’argent pendant le match. Au lieu des cartes jaunes et rouges, j’avais des billets dans la poche de mon short. (tout le monde éclate de rire).
Combien touchiez-vous pour un déplacement à risque à l’étranger?
VAN LANGENHOVE : Pour un match de Coupe d’Europe, c’était 125 francs suisses par jour, soit 3.000 francs belges (75 euros, ndlr). Et cet argent suisse m’a valu pas mal d’ennuis.
Comment, ça?
VAN LANGENHOVE : En 1990, j’ai arbitre la demi-finale retour de la Coupe d’Europe des Clubs Champions (l’ancêtre de la Ligue des Champions, ndlr). Marseille avait battu Benfica 2-1 à l’aller. Au Portugal, c’est longtemps resté 0-0, mais à sept minutes de la fin, Vata, un remplaçant, a fait 1-0 pour Benfica, qui est allé en finale parce qu’il avait inscrit un but de plus en déplacement (cette règle n’existe plus aujourd’hui, ndlr). Il s’est avéré après coup que Vata avait marqué de la main, ce que ni moi ni mon juge de ligne n’avions vu. Tout Marseille était en colère, son président Bernard Tapie en particulier. Il a même déclaré que j’étais corrompu et que j’avais un compte en Suisse. Une semaine avant de partir à la Coupe du monde en Italie, j’ai dû me rendre en Suisse pour m’expliquer. J’étais passible d’une peine de prison et d’une lourde amende. Heureusement, j’ai pu démontrer que je n’avais rien à cacher. Évidemment, j’étais malin… Nous étions payés en francs suisses, mais moi, je n’avais plus un franc en rentrant (il rit). Je ne mettais jamais l’argent à la banque.
Ah, s’il y avait eu la VAR…
VAN LANGENHOVE : Je n’aurais jamais eu tous ces ennuis, en effet. Ces accusations de Tapie, c’était une attaque personnelle, ça n’avait rien à voir avec la faute de main de Benfica. Il voulait juste ma peau. J’en ai souffert, tant sur le plan émotionnel que sur le plan physique. On a dit tout et n’importe quoi, hein. Je tenais une épicerie à Wemmel et j’entendais les gens dire: Ça fait 35 ans qu’on fait nos courses chez ce voleur. Ça fait mal. J’étais tout seul et je ne pouvais pas me défendre. Sûrement pas contre un homme comme Tapie qui était soutenu par le président français de l’époque, François Mitterrand.
«Le problème, c’est surtout le temps que ça prend «
Aujourd’hui, tout semble réglementé à l’excès.
GOETHALS : Non, c’est devenu une science. Et je me demande si c’est bien ce dont le football actuel a besoin.
VAN LANGENHOVE : Qu’on installe un œil électronique sur la ligne de but pour voir si le ballon a bien franchi entièrement la ligne, d’accord. Mais signaler un hors-jeu parce que l’attaquant chausse du 48 alors que celui qui chausse du 45 ne le serait pas, ça va trop loin. Enlevez les arbitres du terrain et plus personne ne viendra voir les matches, parce qu’il n’y aura plus de sujet de discussion.
PONNET : On parle du football professionnel, mais regardez ce qu’il se passe dans les petites divisions: là, il n’y a pas de VAR. Je ne voudrais pas y être juge de ligne, hein. Le match n’a pas encore commencé que ça discute déjà. Pourquoi n’y a-t-il pas de VAR là aussi? Pour moi, c’est simple: le football doit être le même pour tout le monde. Personnellement, il ne faut pas me parler de la VAR. Pour moi, ça tue le football.
Pourquoi?
PONNET : Parce que ça dure trop longtemps. Avant, tout le monde regardait le juge de ligne: levait-il son drapeau ou pas? Non? Alors c’était goal. Aujourd’hui, c’est la misère. On peut dire ce qu’on veut: il y a un sérieux problème avec la VAR.
GOETHALS : Le problème, c’est surtout le temps que ça prend pour regarder et juger. De plus, il y a quelque chose qu’on ne pourra jamais changer: l’interprétation. Pour toi, il y a faute. Pour moi pas. Et tout est dit. Autre nuance importante: Alex et Marcel n’ont jamais connu les moyens technologiques. Moi, au milieu des années nonante, j’ai connu les débuts.
Avec quoi?
GOETHALS : Un bip au bras. Mes deux assistants avaient un bouton sur lequel ils pouvaient appuyer lorsqu’une phase m’échappait: un hors-jeu, une faute grave ou quelque chose comme ça. Quand ça vibrait, je savais qu’il s’était passé quelque chose et je pouvais leur parler. Après, il y a eu les oreillettes et le micro, un véritable système de communication, mais je ne l’ai jamais utilisé.
Dans quelle mesure ce bip vous aidait-il?
GOETHALS: (il évite le sujet) Oh, c’était une question d’habitude, comme tout le reste. Bien que je me demande si je me serais senti à l’aise avec le système de communication actuelle. Je n’en sais rien. En fait, nous prenions des décisions unilatérales en collaboration avec nos assistants. Maintenant, il y a tout un système, on demande l’avis je ne dirais pas de Pierre, Paul ou Jacques, mais presque. Il y a le quatrième arbitre, deux officiels, les gens derrière l’écran et que sais-je encore.
«Quel arbitre a vraiment de la personnalité aujourd’hui?»
Pour me faire l’avocat du diable: tout ceci ne fait que miner l’autorité de l’arbitre.
VAN LANGENHOVE : (sûr de lui) Exactement! Vous savez qu’il y a trois personnes qui regardent par-dessus votre épaule. Vous perdez votre personnalité. Je le dis honnêtement: ça aurait été très difficile pour moi.
PONNET : (il opine du chef) Moi aussi.
GOETHALS : En fait, l’arbitre dirige aujourd’hui un conseil d’administration et c’est lui qui prend la décision finale. Ne pas prendre de décision et laisser ce soin à quelqu’un d’autre, c’est une erreur. C’est l’arbitre qui décide et les gens doivent le sentir. Sinon ce n’est pas bon pour l’image.
VAN LANGENHOVE : Mais quand ils remontent sur le terrain, ils font un geste pour dire que c’est l’écran qui a tranché, que la décision a été prise plus haut.
PONNET : Vous savez pourquoi tout ça s’est accéléré? À cause du coup de tête de Zinédine Zidane à Marco Materazzi en finale de la Coupe du monde 2006 en Allemagne. Personne ne l’avait vu venir. Sauf une personne qui, par hasard, suivait le match sur un écran au bord du terrain. À partir de là, tout a évolué très vite. Combien de fois cela ne s’était-il pas produit dans notre dos auparavant. Notre seul recours, c’était de demander au juge de ligne s’il avait vu quelque chose. Et si ce n’était pas le cas, l’affaire était close, on reprenait le jeu. Évidemment, ça ne jouait pas en notre faveur, car 20.000 spectateurs avaient tout vu.
VAN LANGENHOVE : (finement) Surtout si c’était à l’avantage de leur équipe.
GOETHALS : Évidemment, on espère toujours que la décision finale soit correcte. Ça doit rester l’objectif numéro un. Un tel système peut être positif si quelqu’un d’autre a pris la bonne décision et a bien communiqué.
VAN LANGENHOVE : Tout à fait d’accord, Guy. Mais ce qui prête à confusion, c’est que la VAR ne peut pas intervenir sur certaines phases. Comment expliquer ça au supporter moyen devant sa TV? Il se demande à quoi sert la VAR et il a raison.
Puis-je dire que vous siffliez davantage à l’instinct?
GOETHALS : Le système fait en sorte qu’aujourd’hui, tout est compartimenté: il faut faire comme ça, comme ça et comme ça. Celui qui n’a déjà pas beaucoup de personnalité est ainsi complètement étouffé. D’ailleurs, quel arbitre a vraiment de la personnalité aujourd’hui? Pratiquement aucun. C’est le système qui veut ça.
Pourtant, l’arbitrage est plus critiqué que jamais. Les joueurs, les entraîneurs, les dirigeants… Plus personne ne se retient.
GOETHALS : Bah, ça a toujours été comme ça. Je me souviens de l’ex-président de La Gantoise, Albert De Meester (celui qu’on appelait le Baron du Béton a été président des Buffalos en 1976, ndlr). C’était un spécialiste.
VAN LANGENHOVE : Je l’entends encore crier dans le couloir des vestiaires: Ne donnez pas à manger à ces arbitres, hein (tout le monde rigole).
PONNET : (finement) Aujourd’hui, les gens ont tout de même plus d’éducation. À notre époque, les présidents ne se retenaient pas, car ils siégeaient aussi au Comité Exécutif de l’Union belge et ils pensaient pouvoir se permettre plus que les autres.
VAN LANGENHOVE: Arsène De Gryse, de Courtrai, ne se gênait pas non plus. Un jour, je l’ai mis hors de mon vestiaire parce qu’il était venu me demander des explications. J’ai coupé court: dehors! Roger Petit, l’ex-homme fort du Standard, m’a fait servir mon repas sur un plateau déposé devant la porte de mon vestiaire. Je n’avais plus le droit d’aller à la réception parce que, à ses yeux, j’avais commis une erreur. Attention: il y a eu davantage de bons moments que de mauvais. Je me suis bien amusé. Et la critique? Bah, nous étions déjà très content d’arbitrer au plus haut niveau. De quoi pouvions-nous nous plaindre? Nous étions au sommet.
«Ce qui me dérange terriblement, c’est que l’arbitrage belge soit dirigé par un Allemand»
Que pensez-vous du niveau actuel des arbitres belges? Il est quand même incroyable que, les dernières fois qu’on a eu un arbitre dans un tournoi de haut niveau, c’était à l’EURO 2008 et à la Coupe du monde 2010, avec Frank De Bleeckere.
PONNET : C’est une question de mauvais lobbying. Pourquoi retrouve-t-on des arbitres roumains et bulgares dans les grands tournois et pas de Belges? Avant, nous avions toujours deux ou trois arbitres au top niveau international. Je ne veux pas dire de mal de l’Union belge, mais qui connaît nos dirigeants à l’UEFA et à la FIFA? Avant, dans chaque commission importante, il y avait au moins un Belge. Maintenant, il n’y en a presque plus. Qui, à l’UEFA ou à la FIFA, connaît le nom du président de l’Union belge? Nous y voilà! Comment voulez-vous que quelqu’un défende les arbitres belges?
VAN LANGENHOVE : Ce n’est quand même pas normal. Pourquoi suis-je allé à la Coupe du monde en Italie, en 1990? Parce qu’Alex siégeait à la commission d’arbitrage de la FIFA. Sans lui, je n’y serais pas allé. C’est simple.
PONNET : Sans me prononcer sur ses déclarations récentes, il faut admettre qu’à l’UEFA et à la FIFA, tout le monde connaît Noël Le Graët (le président de la Fédération française, ndlr). Quand il siège dans une commission et ouvre la bouche, tout le monde l’écoute. Qu’il dise la vérité ou pas (les autres opinent du chef).
VAN LANGENHOVE : Ce qui me dérange terriblement, en tant qu’observateur, c’est que l’arbitrage belge soit dirigé par un Allemand (Herbert Fandel a succédé au Britannique David Elleray à la présidence du Professional Refereeing Board (PRB) début septembre, ndlr) et deux Français (Bertrand Layec est directeur technique du PRB et Frédy Fautrel est manager de la VAR, ndlr). Désolé, mais je n’accepte pas cela. Comment voulez-vous être représenté à l’UEFA et à la FIFA si trois étrangers dirigent vos arbitres? Je parle peut-être comme un politicien, mais on fait erreur. Point. (il s’énerve). On parle bien de la Fé-dé-ra-tion bel-ge, non?
PONNET : Tu as 100% raison, Marcel. Est-ce que tu vois un étranger à la tête des fédérations italienne, anglaise, française ou allemande? Jamais! Même pas dans cent ans! L’argent qu’on donne à ces gens devrait servir à former de jeunes arbitres. C’est ça, le problème. On pourrait peut-être alors reconstruire et avoir un arbitre à l’EURO ou à la Coupe du monde dans cinq ans ou dans dix ans. Attention: je n’ai rien contre les étrangers. Mais je trouve que cette situation n’est pas normale.
VAN LANGENHOVE : Je n’ai rien de personnel contre ces gens-là non plus, hein! Mais leur place n’est pas ici, c’est ça que je veux dire.
PONNET : On ne va quand même pas me dire qu’un type comme Guy ne pourrait pas être président de la Commission Centrale des Arbitres?
VAN LANGENHOVE : Guy ne peut pas parler, car il est toujours observateur d’arbitres, mais il est tout de même aussi compétent que Layec, non? Ce dernier a quand même échoué à Chypre (où il était le patron de l’arbitrage avant de venir en Belgique, ndlr), hein. J’ai entendu des choses à son sujet à gauche et à droite, mais ici, on l’a engagé comme ça.
PONNET : Regardez le ranking UEFA actuel des arbitres. Vous trouvez normal qu’on y retrouve trois Espagnols, trois Français, trois Allemands, deux Anglais et deux Italiens? Il n’y a pas de place pour un Belge? Je me pose la question.
Qui décide?
PONNET : Le Referee Department de l’UEFA.
VAN LANGENHOVE : Et ce n’est pas un système de points. C’est comme aux fléchettes (il crie) one hundred and eighty! Patate, encore un Allemand. (tout le monde éclate de rire)
GOETHALS : Les grands pays ont toujours été avantagés, ce n’est pas un hasard. Mais il y a suffisamment d’autres pays, en effet. Une trentaine.
PONNET : Ces pays occupent déjà un tiers du ranking à eux seuls. Je ne dis pas qu’ils sont meilleurs ou plus mauvais que nos arbitres, mais les Belges méritent d’avoir leur chance. Sans quoi ce n’est pas demain qu’on trouvera le successeur de Frank De Bleeckere…
Alexis Ponnet
Né le
9 mars 1939
•
Arbitre
de 1961 à 1989
•
Arbitre FIFA
de 1975 à 1989
•
Coupe du monde 1982 et 1986
•
EURO 1984 et 1988
Marcel Van Langenhove
Né le
16 avril 1944
•
Arbitre
de 1961 à 1991
•
Arbitre FIFA
de 1976 à 1991
•
Coupe du monde 1990
•
8 fois Arbitre de l’Année (1984-1991)
Guy Goethals
Né le
26 décembre1952
•
Arbitre
de 1970 à 1997
•
Arbitre FIFA
de 1988 à 1996
•
EURO1992 et 1996
•
3 fois Arbitre de l’Année (1994-1996)
«Sortez les GSM des vestiaires»
À 78 ans, Marcel Van Langenhove est encore responsable de la réception des arbitres à Anderlecht. Et il évoque un problème spécifique. «Passez-moi l’expression, mais ce qui me fait chier, c’est de voir les quatre arbitres sortir leur smartphone au repos pour voir s’il y a eu des phases contestées en première période. Les gars, faites comme à l’école: rangez votre GSM. Confiez-le à l’observateur ou au délégué au moins trois heures avant le match.
«Supposons que vous ayez commis une erreur: ça va bousiller votre deuxième mi-temps, le contraire est impossible. Et après le match, même scénario: au lieu de prendre leur douche, ils regardent encore leur écran pendant je ne sais pas combien de temps. Parfois, je suis encore là à les attendre deux ou trois heures après le match. Actuellement, je n’ai plus de contact avec les arbitres. Si ça continue comme ça, on enverra un chauffeur pour aller les chercher et les ramener au point de rendez-vous. Pourquoi ont-ils encore besoin de quelqu’un qui les accueille?»
Vous en parlez parfois avec eux?VAN LANGENHOVE : Non, ce n’est pas mon rôle. Je dois juste les accueillir. Point. Je ne suis plus observateur, ni membre d’un quelconque comité. Je me contente d’accueillir poliment et cordialement les arbitres. Je ne parle jamais du match. Jamais!
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