RAAL's supporters pictured during a match between RAAL La Louviere and Jong Gent (KAA Gent), in the Belgian National Division 1 (Eerste Nationale), in La Louviere, Saturday 20 April 2024. BELGA PHOTO VIRGINIE LEFOUR

La RAAL raconte son succès: «On aime bien être différent»

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Rare success-story d’un football wallon en souffrance, la montée de la RAAL vers le football professionnel ressemble à l’histoire d’une start-up qui décolle. Rencontre avec les chefs de meute.

Les couloirs immaculés sont jalonnés de locaux modernes et spacieux à rendre jaloux une bonne partie des clubs de l’élite nationale. La Wolves Academy, repère d’une RAAL qui vient tout juste d’être sacrée championne de Nationale 1, grouille d’un personnel qui suit à la lettre le dresscode des start-up, du col roulé du patron au combo jeans-sneakers de ses employés.

En route pour le monde professionnel après un troisième titre en sept années d’existence, le club louviérois a un projet de stade sur les rails, un centre d’entraînement déjà bien ancré dans le futur et une structure pensée au millimètre par Salvatore Curaba, ancien joueur professionnel qui a fait fortune dans le milieu de l’informatique grâce à sa société Easi. Quand il lance le projet RAAL en 2017, l’enfant de La Louvière applique une méthode simple: calquer le fonctionnement de son club sur celui de son entreprise. Beaucoup l’ont revendiqué, peu l’ont réussi. Aujourd’hui, pourtant, la RAAL semble avoir un temps d’avance sur une bonne partie des blasons qui la devancent encore sportivement.

Dans la salle de projection où une ligne du temps et une photo rappellent les exploits du passé récent, le président prend place en compagnie des acteurs majeurs de son ambitieux projet (lire par ailleurs). A eux quatre, ils ouvrent la gueule du Loup.

Votre idée initiale était-elle de devenir un club professionnel avant de devoir l’être réglementairement?

Salvatore Curaba: Quand on a fondé la société, enfin je devrais dire le club, on était dans cet état d’esprit. On ne le fait pas parce que c’est une obligation, mais parce que ça fait partie de nos gènes. On a besoin de ça pour faire du bon boulot, être heureux. Le souci, c’est que je n’aime pas quand ce n’est pas organisé parce que dans ces cas, je ne résiste pas au stress. Tout doit être superorganisé, et on doit toujours tendre vers l’excellence. L’état d’esprit est de toujours faire le mieux possible tout en étant conscient qu’il y aura toujours moyen de continuer à faire mieux que ce qu’on a fait.

David Verwilghen: C’est un voyage vers le niveau professionnel, mais le véhicule avec lequel on le fait peut déjà être organisé. Je me rappelle de mes premières discussions avec Salvatore il y a quatre ans, il m’avait dit une phrase qui m’a marqué: «On est un club professionnel qui joue dans une division amateur.» L’idée était que le contexte dans lequel on est ne doit pas déterminer ce qu’on fait et qui on est.

S.C.: Nous, en fait, on ne sait pas ce qu’est un club professionnel, parce qu’on n’a pas de recul. Maintenant, Nico (NDLR: Nicolas Frutos) nous en donne, mais nous, on n’a aucun point de comparaison.

Frédéric Taquin: Sur le plan sportif, on démarrait de rien. La première année, j’ai rencontré 86 joueurs qui avaient déjà été triés. On a eu avec chacun entre une et trois interviews pour déterminer un noyau qui pourrait être compétitif. Ma chance, c’est que j’étais manager dans le privé, donc la gestion de groupe, c’est quelque chose que je maîtrise, et j’ai pu amener cette science dans mon approche du football en plus de mon bagage de joueur formé en élite et qui a joué trois ans en nationale. Après, c’est clair que si ce n’est pas Salvatore Curaba qui est à la tête du club, il y a 50.000 noms avant le mien. Il avait vu… Combien de coachs tu m’avais dit, Salvatore?

S.C.: Oh, je dirais une dizaine.

F.T.: Tu m’avais dit une trentaine.

S.C.: C’était pour te mettre un peu la pression, ça (il rit).

F.T.: Sportivement, on était sur la même longueur d’onde. Il n’a pas fallu une semaine pour qu’il prenne sa décision, on s’est tout de suite mis au travail, et ça a été quatre mois de fou. J’ai gardé mon agenda, c’était vraiment un truc de malade. On avait déjà cette ambition de grandir. Quand on est venu ici, au départ, il y avait des rats sur le terrain, pas de filets, des buts rouillés, pas de vestiaires… La seule chose qu’on avait, c’était l’identité RAAL et le stade, qui ne nous appartenait pas, et dont on n’était pas prioritaire. Ce qui a été grandiose, c’est l’engouement immédiat pour le club.

Nicolas Frutos: Quand je regarde cette partie de l’histoire, je la trouve magnifique parce qu’en général, le football, ce sont plutôt des équipes professionnelles gérées comme des amateurs. Alors peut-être que, comme ils disent, c’est moi qui ai le plus de recul et de points de comparaison, mais je peux vous dire que j’ai fait pas mal de clubs et j’ai dû aller très loin pour trouver une structure qui avait déterminé son idée directrice et son cap à suivre. A la RAAL, tout est très clair.

«Quand on est venu ici, il y avait des rats sur le terrain, pas de filets, des buts rouillés, pas de vestiaires…»

Frédéric Taquin, coach du RAAL.

Que manquait-il dans la structure avant ton arrivée?

N.F.: Personnellement, j’avais préparé un plan pendant des années et je cherchais un endroit où tout était mis en place pour pouvoir le faire fonctionner. En vérité, n’importe qui serait venu avec un peu d’expérience et de recul et aurait pu réussir. Administrativement, le club avait une énorme structure et il restait à professionnaliser la partie football.

D.V.: Je ne pense pas que n’importe qui aurait pu arriver comme ça et que tout se passe bien. Moi, j’étais un peu à la genèse de l’idée de Nico et ce qui a fait la différence, c’est quand on l’a rencontré et qu’il nous a présenté son plan déjà très clair et structuré. Ce n’était pas qu’un nom. A la première réunion, je lui ai dit que c’était comme s’il avait déjà une boîte à outils prête pour structurer la partie football d’un club.

N.F.: J’avais la boîte à outils, mais elle n’aurait pas fonctionné dans tous les clubs.

D.V.: Oui, il fallait que ça entre dans le puzzle.

C’est le fil conducteur du club: tout le monde doit entrer dans la structure, ce n’est pas elle qui s’adapte aux autres?

S.C.: Je suis très confiant pour le futur parce qu’à la tête de la RAAL, ce sont des gens extrêmement compétents et surtout sans aucune rivalité entre eux. On travaille tous dans le même sens et je ne supporterais pas le contraire. Je ne sais pas comment ça se passe dans d’autres clubs.

D.V.: On n’arrête pas de nous poser la question de la répartition du travail, le fait que ça ne doit pas être clair au quotidien… Pourtant, ça l’est toujours.

F.T.: Les gens aimeraient bien que ça ne fonctionne pas.

S.C.: Mais ça veut dire que dans les clubs, il n’y a pas une autorité qui inspire cette bonne relation nécessaire entre les membres?

N.F.: Je mangeais l’autre jour avec Jean-François Lenvain (NDLR: ancien responsable de la cellule sociale d’Anderlecht) et un autre ami, et cette personne nous disait que quand elle entendait parler de la RAAL, tout semblait parfait. Elle se demandait où était le problème. Jean-François lui a répondu que c’était la transparence et l’honnêteté. Dans le monde du football, c’est spécial.

«Personne ne peut regarder son intérêt personnel. L’intérêt du club prime sur tout.»

Salvatore Curaba, président du club louviérois.

Avez-vous la sensation d’être regardé comme un club à part?

S.C.: On aime bien être différent. Nous, on aime faire ce que les autres ne font pas. On ne fait pas ça pour les autres, mais on ne se contente pas de faire des choses juste parce qu’on les fait ailleurs.

F.T.: C’est presque le contraire, en fait. Ce n’est pas pour les embêter. Mais systématiquement, on nous dit que ce qu’on fait, ça ne fonctionne pas dans le football, puis on prouve le contraire. On fait juste des choses différentes. Que ça plaise ou non, ça ne nous intéresse pas, on le fait parce qu’on estime qu’on doit le faire.

S.C.: Ce qui me fait un peu peur, c’est que des gens vont commencer à nous souhaiter de moins bonnes choses peut-être parce qu’on parle un peu trop de nous. J’ai peur d’agacer un petit peu. Parce qu’en plus, on ne le fait pas pour faire les malins.

D.V.: Il y a une phrase que tu disais souvent, Nico, dès notre premier coup de fil: «Elle est où l’arnaque?» Parce que tout avait l’air trop beau, trop bien huilé.

S.C.: Mais vraiment, on est un peu différent…

N.F.: Pas vraiment différent. C’est juste qu’on fait la même chose que les autres mais en adaptant la manière et en suivant notre ligne de conduite.

S.C.: Avec une nuance importante, c’est que personne ne peut regarder son intérêt personnel. L’intérêt du club prime sur tout. Il y avait d’ailleurs une charte écrite il y a sept ans; il faudrait la relire parce qu’elle reste d’actualité. Cette cohérence, elle est là.

«En matière d’émotions, il faut pouvoir faire la part des choses.»

David Verwilghen, en charge des performances et du recrutement.

On dit souvent que le plus difficile pour les chefs d’entreprise qui arrivent dans le football, c’est la gestion des décharges émotionnelles que procurent le jeu et les matchs. Comment y parvenez-vous?

S.C.: L’important, c’est l’aspect positif. L’an dernier, quand on sentait qu’on n’allait plus monter, j’ai commencé à dire que c’était peut-être mieux ainsi. Et puis, on dit qu’on grimpe vite, mais quand même pas si vite que ça. On a quand même mis sept ans pour monter trois fois.

F.T.: Cinq, si on ne compte pas le Covid. Et la première année du Covid, on n’est justement pas tombés dans l’émotionnel, là où beaucoup de clubs l’auraient fait. C’est une anecdote magnifique, qui a créé un fameux lien pour moi avec Salvatore. On fait 16/30, on a une réunion difficile après la défaite contre Stockay. C’était le 19 octobre 2019, je m’en souviens. Salvatore me regarde et me dit: «Fred, si on fait match nul ce week-end, on peut encore être champions.» Normalement, un dirigeant te dit que si tu perds le week-end, il te dégage. Là, il ne menaçait de rien et ne demandait même pas une victoire. On a fait 0-0 contre Rebecq, puis on n’a plus été battus pendant deux ans et demi. On était revenus à un point du premier et si le Covid n’avait pas arrêté le championnat, on aurait été champions. Dans plein de clubs, je pense que j’aurais été licencié, c’était terminé.

D.V.: En matière d’émotions, il faut pouvoir faire la part des choses. On n’est pas non plus des gestionnaires d’entreprise «froids». Si vous regardez un match à côté de notre direction, il se dit plein de choses, on crie… En revanche, dans la prise de décision, il faut être raisonné et considérer tous les éléments pour faire un choix. En ne montant pas, on a été dégoûtés mais on n’a pas pris de décision sur la base de cette émotion.

L’émotion peut aussi jouer des tours lorsqu’elle est positive. Comment gérez-vous, par exemple, le fait que de très bons joueurs de cette saison n’auront peut-être pas le niveau pour les nouvelles exigences de l’an prochain?

S.C.: C’est difficile, mais je pense qu’on fait la part des choses.

D.V.: On fait en sorte d’amener des éléments objectifs, on en discute, et on essaie de mettre toute la partie émotionnelle de côté pour prendre des décisions réfléchies. On tente de se projeter, de voir ce qui fonctionne dans la catégorie supérieure aussi, parce que Nico aime dire que ce sont les mêmes règles, mais que ce n’est pas le même sport. On doit considérer que chaque prolongation ou chaque recrue doit être un renfort.

N.F.: Le meilleur chef étoilé du monde, si vous le plongez dans une culture complètement différente, il ne saura pas cuisiner. Ici, nous sommes des chefs à notre position, et on passe dans une autre division, qui est une autre culture. On utilisera peut-être les mêmes ingrédients, mais la recette sera différente, donc on doit savoir s’adapter sans jamais perdre la base du club.

S.C.: Chaque année, on se remet en question, et ce sera encore trois fois plus difficile quand on montera en D1A. Puis il y aura les filles, qui devront arriver en Super League puis en Coupe d’Europe. On devra former des jeunes…

«On attire de plus en plus, et ce n’est que le début.»

Nicolas Frutos, directeur technique.

Au début du projet, on parlait d’ailleurs d’une équipe peuplée de jeunes Louviérois. On en est loin.

S.C.: Même dans mon entreprise, j’adore recruter des gens à 20 ans qui deviennent CEO. Si on peut avoir une telle ascension avec des gamins formés à la RAAL, ça donne de la fierté et du plaisir, et ça va être un de nos objectifs. Nico, au départ, avait d’ailleurs été recruté pour ça, avant que son rôle soit étendu à tout le secteur sportif.

D.V.: C’est logique que ça prenne du temps, parce qu’on est un jeune club. Le club n’a que 7 ans, c’était impossible de sortir cinq joueurs d’un niveau professionnel sur ce laps de temps.

N.F.: L’équipe première est montée tellement vite. Les parents qui choisissent un club pour y mettre leur enfant ne regardent pas la qualité du centre de formation, plutôt le niveau de l’équipe première. La quantité de qualité disponible dans notre centre de formation était donc surtout dépendante de notre équipe première. Maintenant qu’on est dans le monde pro, ça intéresse plus de gens. Le recrutement pour la saison prochaine fonctionne de façon exceptionnelle pour nos jeunes, c’est la preuve qu’on attire de plus en plus, et ce n’est que le début.

Au casting

Salvatore Curaba: président et fondateur de la RAAL en 2017.
Frédéric Taquin: coach de la RAAL depuis 2017.
David Verwilghen: membre de la cellule performance, en charge du recrutement depuis 2020.
Nicolas Frutos: directeur technique du club depuis 2023.

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