«La compétition le sublime»
Il a sans doute été la principale révélation de la saison cycliste 2022, mais tout comme son entraîneur Ioannis Tamouridis, Biniam Girmay est convaincu qu’il peut encore faire mieux cette saison-ci. «Gagner le Tour des Flandres et s’emparer du maillot vert au Tour de France? Pourquoi pas?»
«C’est Girmay qui gagne! Victoire de Girmay! Historique! Un Africain…» L’enthousiasme de Rodrigo Beenkens en dit long: Gand-Wevelgem 2022 entre dans l’histoire. Un coureur africain, BiniamGirmay, remporte une classique pour la première fois. La fête populaire en Érythrée n’éclatera que quelques jours plus tard lorsque le jeune coureur sera accueilli en héros dans son pays, mais dès l’instant où il lève les mains en l’air, des acclamations peuvent être entendues à une distance considérable de Wevelgem.
À Salonique, le 27 mars, IoannisTamouridis est assis dans sa voiture, nerveux. Après tout, Bini, comme il l’appelle invariablement, est l’un des poulains de l’entraîneur grec d’Intermarché-Wanty-Gobert Matériaux (cette année Intermarché- Circus-Wanty). Lorsqu’on entre dans le final de Gand-Wevelgem, Tamouridis demande à sa femme de prendre le volant pour qu’il puisse regarder le dénouement sur l’écran de son téléphone. «Mes enfants, sur la banquette arrière, ont été tellement surpris par mon cri de joie qu’ils se sont mis à pleurer», dit-il. (ilrit) C’était un moment très émouvant pour moi aussi. En tant qu’entraîneur, on parle beaucoup à ses coureurs, et on sait ce qu’ils ressentent, les sacrifices qu’ils doivent consentir et combien il est difficile d’en arriver là.»
Biniam Girmayn’est pas seulement important pour le cyclisme, mais aussi pour tout un continent.» IOANNIS TAMOURIDIS
«On s’est sérieusement inquiétés»
Avant cette victoire lors de son premier Gand-Wevelgem, il avait déjà terminé douzième lors de ses débuts à Milan-Sanremo et cinquième lors de sa première participation à l’E3 Saxo Bank Classic. En tant qu’entraîneur, vous connaissez ses qualités. Auriez-vous pensé qu’il était capable de tels exploits si jeune?
IOANNISTAMOURIDIS : Avec sa victoire à Gand-Wevelgem, il a surpris toute la communauté cycliste, nous compris. On savait qu’on avait là un grand talent. Et Bini est un coureur qui est toujours plus performant en course qu’à l’entraînement. La compétition le sublime, elle fait ressortir le meilleur de lui-même. Il est né pour ça, pour ainsi dire. Certains coureurs réalisent de grandes performances à l’entraînement, mais échouent en course à cause du stress ou d’un manque de perspicacité tactique. Pour Bini, c’est le contraire. Ne vous méprenez pas: ses capacités aérobies et anaérobies sont énormes, mais sa perception de la course est un atout supplémentaire.
Il n’a pas seulement impressionné pendant les classiques de printemps. Lors de son premier grand tour, le Giro, il a continué sur sa lancée.
TAMOURIDIS: (reprend) Déjà, lors de la première étape, il a failli triompher. Mais bon, être battu par Mathieu van der Poel n’est pas une honte. Le fait qu’il soit parvenu à battre un coureur de ce calibre lors de la dixième étape a été perçu comme un immense honneur.
Pouvez-vous comparer cette victoire avec celle de Gand-Wevelgem?
TAMOURIDIS: (diplomatiquement) Lui seul peut répondre à cette question. Mais le fait d’avoir relégué un champion comme Van der Poel à la deuxième place lors de sa victoire d’étape dans le Giro lui a donné un sentiment particulier. Personnellement, cependant, j’accorde plus d’importance à une grande classique comme Gand-Wevelgem.
La victoire à Jesi s’est avérée être son dernier exploit au Giro, après l’incident bizarre sur le podium. Fera-t-il plus attention en ouvrant une bouteille de champagne à l’avenir?
TAMOURIDIS: Au moment où il a légèrement touché le bouchon, avant d’essayer de déboucher la bouteille, celle-ci lui a explosé au visage, m’a-t-il dit après l’incident. Au début, ça ne semblait pas si grave, mais lorsqu’on a réalisé la gravité de la situation à l’hôpital, on s’est sérieusement inquiétés de son avenir en tant que cycliste. Quand un coureur perd un œil, ça signifie pour ainsi dire la fin de sa carrière. Jusqu’à ce qu’il recommence à bien voir après dix jours, on a vraiment craint ce scénario catastrophe. On est donc rapidement arrivés à la conclusion suivante: d’accord, il n’a pas pu saisir certaines grandes opportunités de ce Giro, comme la victoire au classement général par points qui était l’un de ses objectifs, mais il aura d’autres occasions de montrer son talent à l’avenir.
«On va chercher un appartement en Belgique pour les classiques»
À commencer par cette saison. Comment s’est passée sa préparation?
TAMOURIDIS: Comme la saison dernière, il a été exempté du premier stage d’entraînement. Il a obtenu un délai supplémentaire pour rester avec sa famille en Érythrée. Au début du deuxième stage, à la mi-janvier, on a effectué quelques tests, qui ont montré que sa condition physique était bonne. Il était également très heureux de pouvoir rejoindre le reste de l’équipe et de se concentrer à nouveau à 100% au cyclisme. Il a évidemment apprécié d’être avec sa femme et sa fille d’un an et demi, mais c’était aussi exigeant, a-t-il dit. Mon deuxième fils a le même âge, alors j’ai parfaitement compris ce qu’il voulait dire: d’abord se lever souvent la nuit et désormais courir tout le temps après lui, parce que la curiosité ne connaît pas de limite à cet âge. (Ilrit.)
L’année dernière, Saint-Marin était son QG en Europe. Ce sera maintenant Monaco?
TAMOURIDIS: Exact, mais on va aussi chercher un appartement en Belgique, où il pourra résider pendant les classiques printanières. Pour son bien-être mental, il est également important qu’il puisse se rendre régulièrement auprès de sa famille à Asmara (la capitale de l’Érythrée, ndlr). Au sein de l’équipe, on le comprend parfaitement.
Quelle différence cela fait-il pour vous de vous occuper d’un coureur qui passe régulièrement du temps en Afrique?
TAMOURIDIS: Les possibilités de communication en Érythrée sont limitées. Les coureurs qui s’entraînent en Europe, je peux les suivre quotidiennement. S’ils ont une question spécifique, ils m’appellent et je leur réponds immédiatement. Bini doit se rendre dans un cybercafé pour télécharger ses données d’entraînement et vérifier ses chiffres. Ce n’est pas si évident pour lui, car c’est une véritable star dans son pays. Les gens l’accostent tout le temps et lui demandent des selfies. C’est pourquoi il ne se rend dans un cybercafé que tous les trois ou quatre jours. Ensuite, on se téléphone et, en même temps, il télécharge son entraînement, que j’essaie immédiatement de commenter, et je lui envoie des photos de fichiers Excel sur lesquels il peut lire ses données. Tout cela prend un peu plus de temps, mais l’important est que je puisse faire confiance à Bini. Cependant, l’un des avantages de ses voyages en Érythrée est qu’Asmara se trouve à une altitude d’environ 2.000 mètres. C’est presque comme s’il effectuait des stages en altitude.
Les possibilités de communication en Érythrée sont limitées. Bini doit se rendre dans un cybercafé pour télécharger ses données d’entraînement.» IOANNIS TAMOURIDIS
«C’est un coureur intelligent»
Vous avez déjà mentionné son sens tactique. Selon vous, quelle est sa plus grande qualité en tant que coureur?
TAMOURIDIS: Son sprint à Gand-Wevelgem a été l’un de ses meilleurs la saison dernière, si l’on se base sur les chiffres. Lorsqu’on est capable de réaliser ça après une course longue et difficile, ça indique à la fois une capacité physique – il récupère rapidement après un effort intense – et une force mentale. Je pense que cette dernière est peut-être sa plus grande qualité. Et en effet, comme je l’ai dit, c’est un coureur intelligent. Son style est différent de celui de Van der Poel ou de Van Aert, qui courent de manière beaucoup plus agressive. Bini roule de façon plus calculée. Il sait très bien lire une course et choisit parfaitement sa position. Vous n’avez pas à lui apprendre ça, il a ce don par nature. C’est pourquoi il s’est si bien comporté la saison dernière lorsqu’il a découvert les classiques flamandes du printemps. Lors d’une arrivée au Mont Ventoux ou à l’Alpe d’Huez, on peut dire à l’avance: le coureur x a les meilleurs chiffres, il pousse x watts par kilogramme, donc il va gagner. Dans une classique, plusieurs facteurs peuvent avoir une influence sur le résultat.
Outre ses points forts, il a évidemment des points faibles. On doit encore travailler sur son endurance, mais on le fera étape par étape. On ne veut pas le pousser, car après tout, il n’a que 22 ans. Je laisse suffisamment de marge dans son programme d’entraînement, je ne le pousse certainement pas encore à ses limites. Ça ne semble pas non plus nécessaire, comme le prouvent ses résultats. En outre, ses performances lui procurent, ainsi qu’à moi en tant qu’entraîneur, une certaine tranquillité d’esprit. On sait qu’on peut encore augmenter le volume et l’intensité de l’entraînement dans les années à venir pour continuer à progresser. Il en va de même pour son alimentation: on le surveille, on lui donne des conseils, mais on ne va pas trop loin dans ce domaine.
De toute façon, on parle de Bini tout le temps maintenant, mais n’oubliez pas qu’il pouvait aussi compter sur une équipe forte à Gand-Wevelgem. Dans le groupe des poursuivants, il avait trois coéquipiers.
Deux d’entre eux, Alexander Kristoff et Andrea Pasqualon, sont partis pour une autre équipe.
TAMOURIDIS: Ils nous manqueront beaucoup dans les classiques, non seulement en raison de leurs qualités, mais aussi certainement en raison de leur expérience. Mais avec Mike Teunissen, on a trouvé un solide remplaçant et on a aussi quelques jeunes talents qui peuvent s’épanouir. Je pense à Hugo Page, par exemple.
«Le maillot vert? Pourquoi pas?»
Pour la première fois, Girmay prendra le départ du Tour des Flandres et du Tour de France. «Ce serait un rêve qui deviendrait réalité», a-t-il déclaré à CiclismoInternacional. Jusqu’où peut-il aller dans cette première «course de rêve»?
TAMOURIDIS: L’année dernière, on a respecté sa décision de rentrer à la maison après Gand-Wevelgem. Ce printemps, le Tour des Flandres est son principal objectif. Jusqu’où peut-il aller? Il peut gagner. Pourquoi pas? C’est inhérent à de tels super talents: ils peuvent immédiatement lutter pour la victoire. Mais on sait bien sûr que les autres coureurs garderont un œil plus attentif sur lui cette saison.
Et quelles sont ses ambitions pour le Tour de France? La saison dernière dans le Giro, en plus des victoires d’étapes, il visait le magliaciclamino, le maillot violet du classement par points. Le vert est-il un objectif cette année?
TAMOURIDIS: On est conscients que le Tour de France est une course unique, un cran au-dessus du Giro. C’est pourquoi on va préparer cette course de manière plus spécifique et on va reconnaître certaines étapes. Le maillot vert? Encore une fois, je dis: «Pourquoi pas?» Il est rapide et il peut marquer des points dans les étapes où les purs sprinteurs ne sont plus là.
Pour 2025, il s’est peut-être aussi déjà fixé un objectif: s’emparer du maillot arc-en-ciel lorsque les championnats monde se dérouleront pour la première fois en Afrique?
TAMOURIDIS: Il a tout ce qu’il faut pour y arriver, mais les championnats du monde, c’est une épreuve spéciale pour laquelle il faut aussi une équipe forte. Ce ne sera donc pas une tâche facile, mais ce serait formidable. Après tout, Bini n’est pas seulement important pour le cyclisme, il l’est aussi pour un continent entier. L’année dernière, de nombreux enfants et jeunes en Érythrée, et par extension dans toute l’Afrique, ont commencé à faire du vélo. Ça en dit long.»
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