Guillaume Gautier
La chronique de Guillaume Gautier | Qu’aurait-on écrit si Thierry Neuville avait perdu?
Thierry Neuville est devenu champion du monde des rallyes. Quelques heures avant le sacre, on craignait pourtant le «choke». Le récit aurait alors été bien différent.
Il est l’un de ces «héros accessoires» du sport belge, dont les podiums de fin de saison ou les rallyes remportés étaient devenus des faits divers. Des événements glissés en deuxième partie de gazette ou expédiés en une dizaine de secondes avec une photo ou quelques virages serrés en vidéo sur les plateaux télévisés. Un nom familier pour tous les suiveurs de sport, mais presque anonymisé par les années qui passent et les titres qui s’échappent. Faire-valoir du Français Sébastien Ogier, sacré champion du monde à huit reprises lors de la décennie écoulée, Thierry Neuville avait cette fois les cartes en main. La presse belge s’est réintéressée à lui, dans un mélange de nationalisme et d’opportunisme, augmentant inévitablement la pression sur le bout de ses doigts à l’heure de slalomer entre les pièges japonais. Evidemment, tout n’a pas commencé comme prévu.
On disait qu’il ne pouvait plus arriver grand-chose à Thierry Neuville. Pourtant, dès les premières spéciales du vendredi, des problèmes au moteur de sa Hyundai ont largement fait croître le pessimisme. Le «choke», l’échec, grandissait dans les rétroviseurs, accompagné de la perspective d’un indésirable sixième «titre» de vice-champion du monde. Finalement, une sortie de piste d’Ott Tanak, son dernier rival, sacre même le Belge plus tôt que prévu, en début de journée du dimanche et dans la foulée d’un samedi qui lui avait déjà permis de remonter au classement. Alors, le lundi, Thierry Neuville est le «Weltmeister» en Une du Grenz Echo, un champion «historique» sur la vitrine de la DH ou «Eindelijk nummer één» sur celle de Het Laatste Nieuws. La mise à l’honneur s’écrit au superlatif, à l’image d’un documentaire diffusé sur la RTBF dans la journée dominicale pour retracer le fil de sa saison. Difficile, au vu du scénario de ce week-end, de ne pas se poser cette question: et s’il avait perdu?
Beaucoup auraient certainement glosé sur la Belgique qui perd. Celle qui est incapable de transcender ses champions, systématiquement battus par la France sur les terrains de football ou fragiles quand les projecteurs olympiques s’emparent de disciplines plus confidentielles. Matthias Casse en judo, Sarah Chaâri en taekwondo ou les Belgian Cats au basket peuvent en témoigner: le fan belge de sport catégorise rapidement ses médaillés ou champions olympiques attendus comme des «losers» quand ils ne gagnent pas au moment où l’attention médiatique se pose sur leurs prestations.
Parce que s’il aime évidemment ses champions qui gagnent, Remco Evenepoel et Nafissatou Thiam en tête, le Belge reste aussi un supporter qui adore snober ses talents qui déçoivent. Pour beaucoup, une nouvelle deuxième place de Thierry Neuville aurait été accueillie avec le même sourire narquois qu’un énième quart de finale de Grand Chelem de David Goffin, perdu contre un adversaire a priori à sa portée. La déception d’un titre manqué avant l’admiration devant la performance d’avoir semblé être en mesure de l’obtenir.
Aujourd’hui, Thierry Neuville sera certainement en très bonne place au moment de déterminer l’identité du sportif belge de l’année. Sans l’accident d’Ott Tanak, il n’aurait peut-être jamais été cité parmi les outsiders potentiels. Pourtant, il aurait exactement roulé le même rallye du Japon. Les projecteurs auraient simplement disparu bien plus vite. Le choc aurait été un choke.
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