Laurens Devos a appris à adapter son jeu à son handicap. Avec succès.

Jeux paralympiques: «En match, profiter du handicap de l’autre n’est pas interdit»

Jef Van Baelen
Jef Van Baelen Journaliste Knack

L’essentiel

• Le pongiste belge Laurens Devos, champion paralympique en titre, vise une troisième médaille d’or consécutive aux Jeux paralympiques de Paris.
• Hémiplégique, il a surmonté son handicap grâce au sport de haut niveau.
• Il évolue la plupart du temps avec des joueurs valides et est actuellement classé 382e mondial.
• Le Belge estime que le niveau des Jeux paralympiques est moins élevé que celui des JO, mais qu’il est plus difficile pour lui de jouer contre des athlètes paralympiens car il est l’un des grands favoris.
• Il rêve de participer un jour aux Jeux olympiques des valides, d’il parvient à réunir les fonds nécessaires.

Titré aux Jeux paralympiques de 2016 et 2021, le pongiste Laurens Devos tente la passe de trois à Paris. Rencontre avec l’une des plus grandes chances de médaille belge.

Le 28 août, les Jeux paralympiques débutent à Paris. Lors de la dernière édition, la Belgique a remporté quinze médailles. La moisson devraient être encore plus abondante cette fois-ci. On attend notamment des médailles d’or de la part du pongiste Laurens Devos. A 16 ans, le Campinois avait déjà déjà décroché l’or à Rio en 2016, un exploit réitéré à Tokyo en 2021. «Jamais deux sans trois? Je ne dis pas non, sourit l’étudiant en finance et assurance âgé aujourd’hui de 24 ans, à la bonne humeur et à la tchatche enjouée. Tous les signaux sont au vert. La préparation s’est parfaitement déroulée et je suis en pleine possession de mes moyens. Mais beaucoup de choses dépendent de la forme du moment.»

Laurens Devos est hémiplégique. Un handicap qui ne transparaît pas au premier regard. «Les choses ont mal tourné à la naissance de ma sœur jumelle, raconte-t-il. Au cours de l’accouchement, j’ai souffert d’un manque d’oxygène, dont on s’est rendu compte seulement six mois plus tard, lorsqu’un scanner a montré que certaines cellules cérébrales étaient mortes. En conséquence, j’ai des muscles spastiques. Le grand défi consiste à contrôler ces spasmes. Lorsque j’étais enfant, j’ai subi des traitements au Botox et j’ai également marché pendant un certain temps avec des attelles de jambe. J’avais moins de force dans les membres et moins de stabilité. La motricité fine était également difficile à cause des crampes musculaires.»

Vous parlez au passé. L’hémiplégie ne vous gêne plus?

Plus vraiment, et je pense que c’est parce que je suis sportif de haut niveau. Le fait d’activer constamment mes muscles m’aide énormément à lutter contre les spasmes. Dans la vie de tous les jours, je ne souffre pratiquement pas. Je fais du vélo, je conduis. Mais lorsque je pars trois semaines en vacances, c’est une autre histoire. Les muscles s’affaiblissent très rapidement.

Comment avez-vous commencé le sport?

Grâce à mes frères aînés. Ils adoraient le tennis de table et j’ai tout de suite compris pourquoi. Le renvoi de la balle, le rythme, la tactique, le placement: il y a quelque chose d’addictif dans cette discipline. A 12 ans, j’étais le meilleur joueur de Belgique, valides compris. Un de mes frères était inscrit dans une topsportschool (NDLR: une école de sport de haut niveau, où le programme scolaire est adapté), et jouer au tennis de table toute la journée était aussi quelque chose que j’aimais. Mais l’établissement ne voulait pas en entendre parler. A cause de mon handicap, je n’atteindrais de toute façon jamais la plus haute marche du podium, les adversaires exploiteraient mes faiblesses et, tôt ou tard, cela deviendrait sans doute trop compliqué pour moi, disait-on. C’est difficile à entendre pour un adolescent. Mais j’ai continué à insister et on a fini par me laisser entrer. Après ces débuts difficiles, les encadrants m’ont beaucoup aidé. Le kinésithérapeute a dit à ma mère qu’il mettrait tout en œuvre pour que je marche normalement après deux ans. Il a établi un programme d’exercices intenses; au bout des deux ans, mes attelles de jambe ont pu être enlevées.

«Je suis très confiant. Je me suis bien entraîné, mais j’ai aussi pris le temps de me détendre.»

La plupart du temps, vous évoluez avec des joueurs valides. Vous jouez dans la très réputée ligue allemande et vous êtes aujourd’hui 382e au classement mondial.

Oh, si bas? (rires) J’ai négligé mon classement ces derniers temps et j’ai perdu quelques centaines de places. Les Jeux paralympiques passent avant tout.

Quel est le niveau des Jeux paralympiques par rapport aux Jeux olympiques?

Le niveau d’exigence est évidemment plus élevé chez les athlètes valides, car les joueurs en lice sont plus nombreux au sein de chaque catégorie. Chez les paralympiens, il existe aussi des catégories, mais on parle d’un champ de participants beaucoup plus restreint. Personnellement, pourtant, je trouve un peu plus difficile de jouer contre des athlètes paralympiens parce que je suis un des grands favoris. Tout le monde s’attend à ce que je gagne. Or, faire du sport en ressentant une pression, c’est complètement différent.

Vous concourez dans la catégorie T9. C’est-à-dire?

Les classes 1 à 10 concernent les limitations physiques, de la plus lourde à la moins lourde. T9 signifie que l’athlète souffre d’une déficience de deux membres, comme c’est mon cas avec mon bras droit et ma jambe droite. La catégorie T11 existe également. On y trouve des athlètes atteints d’un handicap mental, comme mon ami Florian Van Acker (NDLR: champion paralympique, champion du monde et double champion d’Europe en simple messieurs). La plupart de mes concurrents souffrent d’une forme d’hémiplégie, mais l’Australien Ma Lin, par exemple, n’a qu’un seul bras. Il pourrait devenir l’adversaire le plus dangereux à Paris. Mais en réalité, je ne me préoccupe pas de la concurrence. Ma préparation a été idéale et je suis très confiant. Je me suis bien entraîné, mais j’ai aussi pris le temps de me détendre.

Vous êtes champion paralympique du monde et d’Europe. Comment garder l’envie quand on a déjà tout gagné?

Je n’aborde pas les choses de cette manière. J’étais le meilleur aux Jeux paralympiques de 2016 et de 2021, mais Paris 2024 est un tournoi à part entière, que je veux vraiment remporter. Les succès passés ne rendent certainement pas les choses plus faciles. A Rio, en 2016, l’or est arrivé sans qu’on s’y attende. A Tokyo, en 2021, j’avais un titre à défendre. Ce n’est pas évident. Atteindre le sommet n’est pas facile, mais y rester est encore plus compliqué. Le plus difficile est surtout d’être au top au bon moment. Comme les JO, les Jeux paralympiques n’ont lieu que tous les quatre ans. On ne peut pas se permettre d’avoir une mauvaise journée, sous peine de laisser passer sa chance. Et il s’en faut parfois de peu.

Votre entourage attend une médaille. Un bus de 50 supporters part de Malle, dont vous êtes originaire, et ils n’ont de billets que pour la dernière journée.

Oui, mais cela ne me met pas de pression supplémentaire. Ce serait bien de gagner une médaille devant mes supporters, mais si je suis éliminé plus tôt, ils n’auront qu’à faire du tourisme à Paris. C’est sympa aussi (rires).

«Certains perdent confiance lorsqu’ils sont loin derrière. Pas moi, je me bats jusqu’à la dernière balle.»

Vous avez déjà évoqué votre rêve de participer un jour aux Jeux olympiques «classiques». Est-ce toujours d’actualité?

J’en rêve toujours, mais je ne sais pas si je pourrais faire les investissements nécessaires. Je connais bien Cédric Nuytinck et Martin Allegro, les pongistes qui ont représenté la Belgique aux JO. Pour se qualifier, ils ont dû participer à presque tous les tournois du calendrier. Comptez un investissement d’environ 40.000 euros. Investir une telle somme dans mon sport… Je pense que c’est un gros pari. Mais peut-être que je tiendrai un autre discours dans quelques années. J’ai 23 ans et dans ma discipline, on est au meilleur de sa forme vers 30 ans. J’ai encore du temps devant moi.

Vous avez déclaré lors d’une interview que vous aviez «adapté votre jeu à votre handicap». De quelle manière?

Ma jambe droite est moins forte, alors j’essaie de limiter mes mouvements. Un joueur de tennis de table classique domine avec son coup droit et emmène son adversaire là où il veut, pour ainsi dire. Cela signifie qu’il doit parcourir rapidement de longues distances et parfois jouer loin derrière la table. Mon jeu vise à éviter cela.

Les adversaires essaient-ils de vous faire bouger le plus possible?

Bien sûr. Ils m’analysent, et il n’est pas interdit de profiter du handicap de quelqu’un. C’est un beau défi d’imposer mon jeu, avec mon placement astucieux et mon revers redoutable. Ma plus grande qualité, plus encore que mon bagage technique, est de ne jamais abandonner. Certains perdent confiance lorsqu’ils sont loin derrière. Pas moi, je me bats jusqu’à la dernière balle. J’ai dû apprendre cela aussi.

Avez-vous déjà consulté un psychologue sportif?

J’ai essayé deux fois. Tout le monde me disait que j’en tirerais profit, et bien sûr, on veut toujours saisir toutes les occasions de s’améliorer. Mais ce n’est pas mon truc. J’ai l’habitude de résoudre mes problèmes par moi-même. Je me suis senti mal à l’aise de voir quelqu’un d’autre s’en mêler. Peut-être que je n’étais pas assez ouvert…

«Il ne faut pas faire des athlètes participant aux Jeux paralympiques des héros.»

Le Gamp, une association citoyenne qui travaille notamment autour de l’image des personnes en situation de handicap, pointe deux écueils lorsque les médias évoquent la problématique: la pitié mal placée et l’héroïsme exagéré.

Je peux comprendre leur point de vue. Il ne faut pas faire des athlètes participant aux Jeux paralympiques des héros. Ce sont des gens comme tout le monde, qui aiment le sport et sont bons dans ce domaine. Ils veulent concourir au plus haut niveau. Le fait qu’ils soient porteurs d’un handicap ne doit pas être un obstacle.

En Belgique, les Jeux paralympiques suscitent de plus en plus d’intérêt, mais ce n’est rien comparé à la Grande-Bretagne, où il s’agit d’un réel événement médiatique.

Je pense que l’attention portée aux Jeux paralympiques en Belgique est correcte. Ce qui serait mieux, c’est que nous ne soyions pas sous les feux de la rampe uniquement à ce moment-là. Quand on devient champion du monde ou quand on remporte un championnat d’Europe, on serait heureux que quelques lignes paraissent dans la presse. Mais je reste positif. J’ai trouvé que la couverture médiatique de Tokyo était nettement plus importante que celle de Rio, et Paris semble être encore plus médiatisé. De nombreux journalistes belges seront présents. Cela aidera à nous donner une visibilité.

Pour la petite histoire

Si le Comité international paralympique explique que le terme «paralympique» est un mot-valise issu de «parallèle» et «olympique», l’origine du nom est en réalité bien différente. Les participants aux premiers Jeux de Stoke Mandeville, l’ancêtre des Jeux paralympiques, parlaient en plaisantant des Jeux paraplégiques. Le nom ainsi pastiché s’est imposé, avant que la dénomination officielle n’apparaisse et que le comité organisateur tente de réécrire l’histoire.

Bio express

2000
Naissance, à Malle.
2015
Champion d’Europe en individuel et par équipe.
2016
Médaille d’or aux Jeux paralympiques de Rio, paralympien de l’année.
2017
Champion d’Europe en individuel et par équipe.
2018
Champion du monde.
2019
Champion d’Europe en individuel, médaille de bronze par équipe.
2021
Médaille d’or aux Jeux paralympiques de Tokyo.
2022
Champion du monde en individuel, bronze en double.
2023
Champion d’Europe en individuel.

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