La lutte pour le titre se joue de plus en plus entre de récents promus, à l’image de l’Antwerp et de l’Union la saison dernière. © belgaimage

Zoom sur les luttes d’influence au sommet de la Pro League

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

En quelques années, les rapports de force se sont complètement brouillés en Pro League, entre valeurs sûres qui stagnent et promus aux dents longues.

Est-ce une conséquence de l’automne? En ce mois de novembre 2022, il pleut en tout cas des fumigènes sur le Pays Noir. En plein match de Pro League, le court avantage des Zèbres sur leurs hôtes malinois ne calme pas la grogne populaire et le match finit par être abrégé au bout de la troisième interruption. Homme fort de Charleroi depuis une décennie, Mehdi Bayat ne masque pas sa colère, accuse les coupables de «pisser sur le blason» et dégaine son argument préféré: «Cela fait dix ans que le Sporting vit les meilleures années de son histoire. Le Sporting n’a jamais été aussi stable, ni financièrement ni sportivement.»

Rare bon élève d’une Pro League dont la majorité des clubs rendent des bilans comptables teintés de rouge, le club carolo est effectivement, depuis le milieu des années 2010, un exemple de progression méticuleuse. S’il s’est un temps retrouvé doublé par le club d’Ostende lorsque le milliardaire Marc Coucke – aujourd’hui propriétaire d’Anderlecht – mettait sa folie des grandeurs et son portefeuille au service des côtiers, le Sporting était effectivement devenu la principale force du subtop de l’élite belge. Des nouvelles têtes à moindre coût, dénichées grâce à un réseau d’agents de confiance, puis revendues bien plus cher pour financer la croissance du club: le modèle carolo hisse les Zèbres jusqu’à la troisième marche du podium en 2020, au moment où la crise sanitaire met un terme prématuré au championnat. La suite se déguste avec amertume, la septième position du printemps 2022 n’étant qu’une légère consolation entre les treizième et neuvième places de 2021 et 2023. S’il était probablement trop stable pour dégringoler, Charleroi semble être rentré dans le rang.

Le modèle belge et ses acteurs de toujours sont confrontés à de nouveaux concurrents, souvent venus de l’étranger.

Cette réalité agace Mehdi Bayat. Parce que l’actionnaire majoritaire du Sporting constate que son équipe ne lui a jamais coûté aussi cher, et que les résultats en fin de saison sont pourtant moins reluisants qu’un lustre plus tôt. A l’analyse, le constat est implacable: si les Zèbres ont reculé, c’est surtout parce qu’ils ont avancé moins rapidement que les autres. En trois ans, une concurrence nouvelle se bouscule aux portes du subtop du championnat, dans le sillage d’un G5 qui n’a plus son avance d’antan.

Les promus et les capitaux étrangers

Si Bruges, malgré une dernière saison ratée à l’échelon national, reste une référence historique, il faut remonter au moins cinq ans en arrière pour voir le Standard ou Anderlecht se mêler réellement à la lutte pour le titre. Genk et Gand sont sur courant alternatif, dans une course au sommet qui a officiellement rebattu les cartes depuis le printemps dernier et le titre de l’Antwerp. Le 3 septembre, le duel entre le «Great Old» et l’Union Saint-Gilloise, tous deux récemment sortis de deuxième division, aura d’ailleurs plus l’allure d’une affiche que le match entre Genk et Anderlecht, autre rendez-vous du premier «Super Sunday» de la saison.

Les malheurs de Charleroi se trouvent probablement là. Depuis quelques années, les équipes qui rejoignent l’élite ont rarement l’allure de modestes candidats au maintien. Si Seraing et Eupen n’ont jamais véritablement décollé, le premier retournant même en deuxième division au bout de deux saisons de survie, des bastions comme Malines, Westerlo, le Cercle Bruges, l’Union, Oud-Heverlee Louvain ou l’Antwerp ont fini par s’inviter plus ou moins haut dans la hiérarchie nationale. Le Top 10 de la défunte saison de Jupiler Pro League était ainsi composé de cinq équipes promues au sein de l’élite entre 2017 et 2022, laissant dans leur sillage l’historique Anderlecht.

Le raccourci est simple. A part l’Antwerp, gavé de millions par son président Paul Gheysens, les autres invités du Top 10 sont alimentés par des investisseurs étrangers. Tous voient dans le championnat belge, terre plutôt tolérante envers le talent extérieur sur le plan réglementaire – il ne faut inscrire «que» six Belges sur les 18 noms figurant sur la feuille de match – et fiscal, une opportunité pour faire grandir de jeunes talents. Cela dans un contexte sportif de qualité tout en se rapprochant rapidement d’une qualification pour une compétition continentale, puisque la Jupiler Pro League distribue cinq tickets européens et offre donc une exposition médiatique conséquente pour un prix d’acquisition souvent abordable. Une aubaine pour les riches clubs anglais en quête de succursales, réalité dont l’Union est devenue l’exemple le plus frappant à la suite de ses liens avec Brighton, dont le président, Tony Bloom, est également l’ancien propriétaire du club saint-gillois. Depuis cet été, le président Alex Muzio est également devenu l’actionnaire majoritaire du club, Bloom ne conservant qu’une minorité des actions.

Si les Zèbres de Mehdi Bayat ont reculé, c’est surtout parce qu’ils ont avancé moins vite que les autres.
Si les Zèbres de Mehdi Bayat ont reculé, c’est surtout parce qu’ils ont avancé moins vite que les autres. © belgaimage

Luttes d’influence au sommet de la Pro League

Dans les bureaux historiques du championnat, cette nouvelle distribution des puissances régie par des capitaux extérieurs fait grincer des dents. Lors de sa période anderlechtoise, l’ancien CEO mauve Peter Verbeke ne manquait jamais une occasion d’expliquer à qui voulait l’entendre qu’il était bien plus difficile désormais pour un grand club de traverser une crise qu’il y a quelques saisons, quand l’écart entre le top du championnat et le reste était bien plus conséquent. Il aimait alors citer l’exemple du Cercle Bruges recevant en prêt de sa maison mère monégasque des joueurs comme Strahinja Pavlović, défenseur valorisé à dix millions d’euros par le site spécialisé Transfermarkt et donc inaccessible dans un deal classique pour tout autre club de l’élite. Bonne surprise de la saison dernière, les Vert et Noir ont ainsi pu compter sur un onze rempli de joueurs d’une qualité inimaginable sous leur maillot voici quelques saisons.

«On ne s’est pas battus contre l’Union, mais contre Brighton», exultait Bart Verhaeghe, au mois de mai 2022, à l’occasion du troisième titre de rang conquis par son Club de Bruges. Les Blauw en Zwart, machine la plus performante du championnat belge, figurent parmi les adversaires farouches de ces nouvelles puissances soutenues par l’étranger. Au sein des instances, surtout, ils luttent pour maintenir les privilèges accordés au G5 (récemment devenu G6 avec l’arrivée de l’Antwerp), dont les membres bénéficient d’une voix qui compte triple pour toutes les décisions majeures. Une façon, selon eux, de conserver un pouvoir national face à des investisseurs étrangers qui font aujourd’hui essentiellement partie du «K10» – les dix autres clubs de l’élite, dont les voix comptent double – voire de la Challenger Pro League (voix simples).

Redistribués en 2020 pour une période de cinq ans, les droits télévisés de l’élite, attribués à Eleven Sports pour un montant annuel de cent millions d’euros, avaient ainsi été le cadre de négociations tendues, les clubs du G5 menaçant de se retirer de la table et de négocier leurs droits à part pour empocher une plus grande part du gâteau en profitant du fait qu’ils charrient également la plus grande base populaire. Si les clubs passés aux mains étrangères placent souvent des dirigeants belges à leur tête, les relations ne sont pas plus cordiales pour autant dans cette atmosphère où les hiérarchies sont incertaines.

Les lois du marché

Le marché des transferts et sa loi du plus riche sont sans doute l’endroit où s’expriment le mieux les nouvelles réalités du championnat belge. Cet été, alors qu’il était dans le viseur de nombreux clubs de l’élite pour ses prestations remarquées sur le sol croate, Matija Frigan, le buteur de Rijeka, a finalement posé les crampons dans le modeste club de Westerlo contre un peu plus de cinq millions d’euros. Un deal surprenant, rendu possible tant par les millions du propriétaire des Campinois, Oktay Ercan, que par les réseaux de son nouvel homme fort, Hasan Cetinkaya. Ancien responsable des transferts du puissant club stambouliote de Fenerbahçe, où il avait attiré des joueurs du calibre du Néerlandais Robin van Persie, le patron sportif de Westerlo connaît le milieu et ses rouages. Avant même le retour des pensionnaires du Kuipje au sein de la Pro League, il considérait déjà que le club était «parmi les six ou sept les mieux organisés de Belgique» tout en annonçant viser une qualification européenne à l’horizon 2024. Déjà septièmes la saison dernière, les Campinois sont donc passés à la vitesse supérieure, attirant une nouvelle fois l’ancien Diable Rouge Nacer Chadli comme autre témoin de leur puissance financière et de leurs ambitions sportives.

Il est plus que probable que Westerlo sera le seul club belge dont Matija Frigan portera le maillot. Paradis des recruteurs étrangers, la Belgique est en effet devenue une terre où les talents ne s’éternisent pas, l’étape dans un club confirmé après la révélation dans une entité plus modeste et avant l’envol vers l’étranger étant de plus en plus superflue. Le buteur japonais du Cercle, Ayase Ueda, est ainsi parti cet été vers les Pays-Bas, alors que le Sud-Africain Lyle Foster, homme fort du début de la saison écoulée, a quitté Westerlo dès le mois de janvier pour rejoindre Vincent Kompany à Burnley. La relation de dépendance économique entre les grands clubs historiques de l’élite et leurs fournisseurs nationaux appartient donc essentiellement au passé, et renforce l’audace de ces nouveaux venus qui ne s’embarrassent plus des hiérarchies traditionnelles.

La Belgique est devenue une terre où les talents, à l’image du Japonais Ayase Ueda, ne s’éternisent pas.
La Belgique est devenue une terre où les talents, à l’image du Japonais Ayase Ueda, ne s’éternisent pas. © belgaimage

Quelques fois, la concurrence s’exerce même à un autre échelon. Attraction de l’Union Saint-Gilloise la saison dernière, Simon Adingra avait ainsi longtemps été dans le viseur de Genk. Les Limbourgeois avaient bon espoir d’en faire le nouvel animateur de leur flanc gauche offensif, jusqu’à ce que Brighton débarque face à l’Ivoirien avec un projet qui lui ouvrait les portes de la Premier League grâce à un court séjour dans la capitale belge. Un discours convaincant et un joueur convaincu plus tard, le Racing passait à côté de l’opération, prenant sa revanche après douze mois en devançant le club anglais sur le dossier d’un autre ailier explosif, le Ghanéen Christopher Bonsu Baah.

La Pro League et la compétence internationale

Si viser juste sans se faire doubler devient de plus en plus difficile pour les clubs historiques de l’élite, c’est aussi parce que la concurrence s’est améliorée hors du terrain. Longtemps régie par des recruteurs à l’ancienne, la Belgique est désormais envahie par des batteries de scouts et de directeurs sportifs modernes, soutenus par des analyses de données généralement développées à l’étranger et plus performantes que les modèles belges. Président de l’Union et véritable tête pensante du projet saint-gillois, Alex Muzio est ainsi employé par l’entreprise Starlizard, dont on dit qu’elle a dix ans d’avance sur la concurrence en analyse statistique. Au Cercle, le Mexicain Carlos Aviña vient d’être récompensé de sa gestion sportive de qualité en étant nommé directeur technique de l’AS Monaco. Comme sur le terrain, les clubs filiales cherchent en coulisses des talents à développer pour intégrer à terme la maison mère. De quoi bouleverser le modèle belge et ses acteurs de toujours, désormais confrontés à de nouveaux concurrents.

S’il sera bel et bien à l’affiche du «Super Sunday» de ce début de mois de septembre, Charleroi devra se contenter d’un second rôle. Un duel face à Saint-Trond programmé à 19 h 15, à l’heure du coup d’envoi de la deuxième mi-temps d’un Genk-Anderlecht qui devrait attirer bien plus de regards. Doublés par l’Union et désormais concurrencés par le retour du RWDM dans le paysage médiatique francophone, les Carolos ont clamé haut et fort leur rêve de Top 6 avant le coup d’envoi d’une saison qu’ils peinent à faire décoller. Quelques années après avoir fait des duels contre Bruges ou Anderlecht des matchs à enjeu, leurs concurrents s’appellent désormais Westerlo, le Cercle ou Saint-Trond.

A l’époque, le modèle de Mehdi Bayat avait un temps d’avance. Le plan est resté le même, mais l’identité des concurrents a changé. La hiérarchie aussi.

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