Zlatan, le roi de la com’: comment a-t-il construit son image médiatique?
Avec treize titres nationaux dans cinq championnats différents, son palmarès est impressionnant. Mais pas plus que la façon dont Zlatan Ibrahimovic se met lui-même en scène.
Moi, Zlatan. C’est le titre sans équivoque de son autobiographie, parue en 2011. Un titre qui démontre combien Zlatan Ibrahimovic s’est auto-proclamé star et qui, en même temps, a marqué un tournant dans sa carrière. Très bien écrit par David Lagercrantz, le biographe suédois de la high-society, qui a avoué plus tard avoir inventé quelques expressions pour donner un ton plus anecdotique à l’ouvrage, il a été lu dans le monde entier et traduit en trente langues. Mais en dehors des passages amusants et parfois déconcertants ou des phrases-choc, c’est aussi l’histoire d’une vie au cours de laquelle Ibrahimovic a su changer son image : le gamin égoïste passe désormais pour un enfant de la rue appliqué et toujours prêt à répliquer qui, malgré sa dyslexie et son arrogance, est devenu un gagneur respecté. Sa biographie a fait beaucoup parler d’elle mais il l’a mise en valeur par ses prestations sur le terrain.
Le fait qu’il ait racheté 25 % des actions de Hammarby, club rival de Malmö, a renforcé un sentiment qui existait déjà en Suède : Zlatan ne pense qu’à Zlatan.
En 2011, l’AC Milan a déjà entamé son déclin lorsqu’il lui offre son premier titre depuis sept ans. La saison d’après, il est couronné meilleur buteur de Serie A pour la seconde fois. Un exploit qu’il réédite au cours des trois années suivantes, en Ligue 1, sous le maillot du PSG.
Très critiques, les médias et les fans anglais estiment qu’il ne brille jamais que dans des championnats faciles – l’histoire du borgne au royaume des aveugles. Mais cette année-là, il inscrit quatre buts au cours d’un match amical entre l’Angleterre et la Suède. Ce soir-là, on inaugure la Friends Arena à Stockholm, mais personne ne parle du stade, il n’y en a que pour le retourné des quarante mètres de Zlatan. Impossible de rêver meilleure publicité. C’est fou et génial. Arrogant et amusant. À partir de ce jour-là, ce sont les adjectifs qu’on va utiliser à son sujet en Europe.
Ibrahimovic commence à parler de plus en plus souvent de lui à la troisième personne. Il fait déposer son nom en tant que marque et son prénom entre dans le dictionnaire suédois, comme synonyme de » dominateur. » La Zlatanmania est en marche.
Grâce à Nike
Nike, son équipementier depuis 2004, l’a vite compris et joue là-dessus. En 2011 et 2012, Twitter, Facebook et, dans une moindre mesure, Instagram sont en plein boum. C’est à cette époque que Sam Kerkhofs lance Sporthouse Group, une entreprise spécialisée dans la gestion des réseaux sociaux des stars du sport. Parmi ses clients, Philippe Gilbert, Dries Mertens, Kevin De Bruyne et Youri Tielemans.
» Zlatan doit beaucoup à Nike, qui a fortement investi dans son évolution en tant que marque, de façon très stratégique « , dit Kerkhofs. » À l’époque, le plus important pour les sportifs de haut niveau étaient d’être présents en ligne. Il suffisait de poster un résultat ou une photo d’un match. Aujourd’hui, les internautes en demandent beaucoup plus et on voit que les stars cherchent sans cesse des angles plus originaux ou plus créatifs. »
Selon Kerkhofs, Zlatan Ibrahimovic est, avec Ryan Babel et Ricardo van Rhijn (Ajax), un des premiers à avoir compris qu’il devait faire appel à des professionnels. » Aujourd’hui, c’est accepté, à condition qu’on ne touche pas à la personnalité du sportif en question. L’authenticité est cruciale. Nike a su grossir les traits exacts de la personnalité d’Ibrahimovic. OK, tu es arrogant mais on va miser là-dessus. Nike a lancé le slogan Dare to Zlatan. C’est un des meilleurs exemples de ce qu’il faut faire. »
» De plus, les campagnes sont amusantes. Ibrahimovic n’accepte pas toutes les propositions, loin s’en faut. C’est différent dans le chef de Cristiano Ronaldo, qui semble ne s’intéresser qu’au côté financier. Ce n’est pas pour rien que c’est le joueur qui gagne le plus d’argent grâce aux réseaux sociaux. Personnellement, je préférerais travailler avec quelqu’un comme Zlatan, des gens qui n’ont pas peur de collaborer ou de donner leur avis. Dries Mertens et Philippe Gilbert sont comme ça aussi. Ils amènent leurs idées et on ne la leur fait pas. »
Le sagan du football
Le succès de la marque Zlatan sur les réseaux sociaux n’en est pas moins remarquable. Sur Instagram, il accepte parfois de poster des choses personnelles – très rarement en rapport avec sa famille, le plus souvent en référence à sa passion pour le taekwondo – mais ses comptes Twitter et Facebook sont avant tout des outils promotionnels. Il n’est d’ailleurs pas extrêmement populaire ou exubérant sur ces canaux. Son compte Instagram compte quarante millions de suiveurs, ce qui est beaucoup plus que Kevin De Bruyne, Eden Hazard ou Romelu Lukaku, mais à peine mieux que Sergio Ramos ou Karim Benzema.
En tant que marque, il se base surtout surtout sur les spots publicitaires ou les phrases choc qu’il propage sur les canaux médiatiques du monde entier. Un jeu qu’il maîtrise à merveille. Sur YouTube, on trouve plein d’interviews surprenantes, de blagues ou de spots publicitaires amusants. Il offense les gens, gonfle son ego mais sait aussi rire de lui-même, comme quand il parle de l’aménagement de sa maison à Los Angeles. » Ma femme m’interdit de poster des photos de moi, elle dit qu’elle me voit déjà assez souvent comme ça. »
» Son parcours est comparable à celui de Peter Sagan qui, il y a quatre ans, a décidé d’être plus présent en ligne et d’exagérer quelques traits de sa personnalité pour occuper le marché. Souvent avec humour. Seule sa dernière campagne pour Bethard était moins réussie, je trouve « , ajoute le CEO de Sporthouse Group. Une campagne sortie il y a quelques mois, lorsqu’on spéculait déjà beaucoup sur sa prochaine aventure. Le Suédois a fait croire qu’il allait revenir en Espagne en postant Hola España, guess what ? I’m coming back ! De nombreux fans se sont sentis lésés car en fait, il ne s’agissait que d’une publicité pour une firme de paris espagnole. Il avait déjà fait la même chose avant la Coupe du monde 2018, en laissant entendre qu’il pourrait revenir en équipe nationale. Mais finalement, il n’était présent en Russie que pour VISA.
Mécontentement à Malmö
Une autre affaire a fait du bruit en Suède : l’an dernier, il a acheté 25 % des actions de Hammarby IF, un pensionnaire de D1 suédoise, rival de Malmö FF, le club où il percé. Cela a renforcé un sentiment qui existait déjà en Suède : Zlatan ne pense qu’à Zlatan. La plupart de ses campagnes sont centrées sur lui et sur ses intérêts financiers. Pareil lorsqu’il dit quelque chose dans les médias.
Mécontents, les fans ont détruit sa statue devant le stade de Malmö. Au point qu’il a fallu l’enlever. Il a certes aménagé un terrain à Rosengård, le quartier à problèmes de Malmö où il a grandi. Mais à côté du slogan qu’il a fait inscrire sur le mur ( » On peut sortir un homme de Rosengård mais on ne peut pas sortir Rosengård d’un homme « ), quelqu’un a ajouté : » Si… avec de l’argent. »
Il a cependant le sens des affaires et il est soutenu par son épouse, Helena Seger, une femme d’affaires à succès, dix ans plus vieille que lui, qu’il a rencontrée en 2005.
C’est ainsi que son choix d’investir à Hammarby a été pesé. Il s’agit du club qui affiche le plus gros potentiel de croissance de toute la Scandinavie. Il est basé à Stockholm, joue offensivement et peut compter sur des supporters fidèles. Même lorsqu’il évoluait en D2, il y a quelques années, son stade de 30.000 places affichait complet lors de chaque match à domicile. Rien qu’en y associant son nom, il a fait connaître le club dans le monde entier.
En 2016, il a également lancé sa propre marque de vêtements, A-Z Sportswear. A-Z veut dire Amateur Zlatan. Au PSG, il avait lancé son parfum et au cours de ses deux saisons à Los Angeles, il a eu son propre jeu en ligne, Zlatan Legends. La marque Zlatan se diversifie.
Métamorphose en tant que joueur
Le phénomène Zlatan intrigue, irrite et attire. Il a placé la Suède sur la carte du monde. Selon les journalistes suédois, il a même réussi à changer la mentalité d’un pays où l’individu avait toujours été soumis au groupe jusqu’à ce qu’un gamin arrogant de Rosengård prouve qu’on pouvait aussi aller loin en sortant de la rue et en ne se laissant pas faire. Dans le même ordre d’idée, il a donné une voix aux jeunes issus de l’immigration qui, jusque-là, n’osaient pas bouger.
Mais Zlatan s’intéresse avant tout à lui-même. Un de ses professeurs a déclaré au magazine anglais FourFourTwo qu’à l’école secondaire déjà, Zlatan voulait être la star de son propre show. Des réalisateurs de documentaires ont raconté combien, adolescent, il était spontané mais insupportable. À Malmö, certains équipiers ne voulaient plus entendre parler de lui. Sur le terrain, il était agressif et têtu. » Quand j’étais jeune, le plus important n’était pas de marquer mais de montrer qu’on avait la meilleure technique « , dit-il. À l’Ajax, c’était ce qu’on lui reprochait aussi : il avait du talent mais ne jouait pas en fonction de l’équipe ou du résultat.
Zlatan s’est créé un personnage, un masque. Car il n’a jamais été très sûr de lui. » David Endt, ex-directeur sportif de l’Ajax
Ce n’est qu’à 22 ans, après son passage à la Juventus en 2004, qu’il a changé. » Avec Fabio Capello, j’ai compris qu’au niveau professionnel, on voulait que je marque. J’ai commencé à soigner mon physique et j’ai eu la chance de m’entraîner avec des gars comme Thuram, Cannavaro et Buffon, qu’on ne passait pas facilement. C’est là que j’ai appris à transformer des demi-occasions. »
C’est en Italie que Zlatan s’est métamorphosé. En tant que joueur, en tout cas. Il n’était plus seulement génial et fou mais aussi travailleur, tueur et gagneur. Les anecdotes à ce sujet ne manque pas. » On joue comme on s’entraîne « , dit-il. Une mentalité que Capello et José Mourinho (à l’Inter) lui ont inculquée. S’il joue toujours au plus haut niveau à 38 ans, ce n’est pas en mangeant des frites et en jouant à la PlayStation après les entraînements.
Il se montre parfois très dur avec les jeunes. Au PSG, après un entraînement, il a demandé à un espoir s’il voulait son maillot dédicacé. » Parce que c’était la dernière fois que tu t’entraînais avec moi « , a-t-il ajouté. Mais il peut aussi s’en prendre à des valeurs sûres comme Gennaro Gattuso à l’AC Milan et Esteban Cambiasso à l’Inter. Ce qui lui a valu d’être applaudi et respecté de tout le vestiaire.
Eric Cantona 2.0
Malgré tout l’intérêt qu’il suscite et une deuxième biographie ( » I am football « ), parue en 2018 mais moins couronnée de succès, Zlatan reste une énigme. Qui peut dire qu’il le connaît vraiment ? Après quatre ans au PSG, les journalistes français avouent ne pas savoir grand-chose de lui. David Endt, l’ex-directeur sportif de l’Ajax qui l’a fait venir aux Pays-Bas, dit que » Zlatan s’est créé un personnage, un masque. Pour se protéger du monde, il se fait plus gros qu’il ne l’est en réalité. Car il n’a jamais été très sûr de lui. »
Il n’est pas le seul à le dire. Fils d’immigrés yougoslaves, Zlatan a eu une jeunesse difficile, il a toujours cherché à attirer l’attention et à se rassurer. L’ex-international brésilien Maxwell, un de ses meilleurs amis dans le monde du football, a raconté un jour qu’après chaque match, il lui demandait son avis sur sa prestation.
Toute sa carrière a été marquée d’un sentiment de revanche. À l’Ajax, il a voulu prouver que Malmö avait commis une erreur en le sous-estimant. À l’AC Milan, en 2011, il a voulu démontrer que le Barça et Pep Guardiola s’étaient trompés à son sujet. À Manchester United, il a voulu convaincre les critiques anglais. Seuls le PSG et LA Galaxy représentaient vraiment des opportunités financières qu’il ne pouvait refuser. Ce qui ne l’a pas empêché de donner le meilleur de lui-même : à Los Angeles, il a inscrit 52 buts en 56 matches.
À l’AC Milan, Zlatan entame le dernier défi de sa carrière. Mais ce n’est pas parce qu’il quittera les terrains que la marque Zlatan cessera d’exister. » Son palmarès est tellement impressionnant qu’il peut encore miser longtemps dessus « , dit Sam Kerkhofs, de Sporthouse Group. » Il peut encore tourner des spots publicitaires, devenir consultant… un peu comme Eric Cantona, à la différence que celui-ci n’a pas pu miser sur les réseaux sociaux au cours de sa carrière et est moins connu dans le monde que Zlatan. N’oubliez pas que, désormais, même l’Amérique connaît Zlatan. Je pense que sa marque va encore connaître le succès pendant des années. »
L’effet Zlatan à Milan
C’est un Zlatan Ibrahimovic relativement modeste qui est revenu sur la scène européenne fin décembre, lors de son retour à l’AC Milan. Au cours de sa conférence de presse, le Suédois a dit qu’il n’était pas revenu pour être la mascotte et faire le fou. » L’équipe et moi, nous avons des objectifs. Je veux aider mes équipiers. Je ne suis pas là parce que je m’appelle Ibrahimovic. Je pars d’une feuille vierge. Ce que j’ai fait par le passé ne compte plus. »
Aussi étonnant que ça puisse paraître, il n’a signé qu’un contrat de six mois, à la prestation. Même après avoir inscrit son premier but pour le compte des Rossoneri, il est resté calme : Together stronger a-t-il posté en légende d’une photo où on le voit félicité par ses équipiers.
Pourtant, à Milan, c’est un dieu. Au lendemain de sa présentation, le club a vendu mille maillots, la vente des tickets a été boostée et le nombre d’abonnés de l’AC Milan sur les réseaux sociaux a augmenté de 1,5 %, ce qui est énorme. Reste à voir s’il ramènera un trophée à San Siro…
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