Yannick Bolasie : l’anti-système
Pour comprendre le style et la trajectoire détonante de l’attaquant anderlechtois, il faut se rendre dans le quartier de Willesden, au nord-ouest de la capitale anglaise, là où tout a commencé.
« Vous vous êtes trompé de numéro, c’est deux maisons plus loin. » Nous sommes fin 2016 dans le quartier de Bowdon, banlieue chic de Manchester, dans le cadre d’une longue entrevue avec Romelu Lukaku. Sauf qu’on n’a apparemment pas tapé à la bonne porte puisqu’après quelques minutes d’attente devant le portique, une Range Rover noire débarque avec au volant, la femme de Yannick Bolasie, qui nous redirige vers la bonne adresse.
Si on est très loin d’un décor de HLM, le quartier, qui abrite bon nombre de joueurs de Premier League, empile d’impressionnantes villas à l’architecture assez semblable, Romelu Lukaku et Yannick Bolasie ne se quittent déjà plus. Que ce soit sur le terrain ou en dehors. Mais la poisse brise leur relation sur le pré.
Quelques jours plus tard, le transfert de l’été des Toffees, arrivé de Crystal Palace pour la coquette somme de 25 millions de livres, se blesse gravement au genou et sera privé des terrains pendant un an. Romelu, lui, terminera la saison en talonnant Harry Kane au classement des meilleurs buteurs du championnat avant de parapher un contrat de cinq ans avec Manchester United. Deux trajectoires bien différentes, illustrées aujourd’hui par ce doublé au Parc des Princes de l’attaquant des Diables en huitième de finale de la Ligue des Champions alors que quelques jours plus tard, son pote validera face à Courtrai son ticket pour les plays-offs 1 d’une Jupiler League bien moins flamboyante.
Bolasie flick
Mais Yannick Bolasie sait d’où il vient et par quels chemins il est passé. Il n’a pas oublié Willesden, quartier du nord-ouest de la capitale anglaise, où il a grandi, et cet agora d’Unity Close où nous nous sommes rendus il y a une semaine, sous un gros crachin bien londonien.
L’ensemble a les dehors d’un film de Ken Loach. Des habitations sociales aux briques rouges et des paraboles qui s’entassent sur les toits. Un quartier ouvrier qui, au fil des ans, a été investi par une classe moyenne étranglée par les prix exorbitants de l’immobilier londonien. » C’est d’ici que vient la magie « , envoie Bolasie sur sa chaîne YouTube. Un style hors-norme, atypique qu’il a développé en bas de chez lui.
» Je regardais à travers la fenêtre de ma chambre et je voyais 20-30 jeunes qui jouaient au foot. Je descendais les escaliers et je les rejoignais. On était parfois tellement nombreux à poursuivre le même ballon dans un espace si petit que j’utilisais la plaine de jeu et le toboggan, la balançoire, pour me faufiler entre les joueurs. Dribbler à gauche, à droite, se retourner le plus vite possible, cette facette imprévisible de mon jeu, elle vient de là. »
Tout comme le Bolasie flick (un mouvement à 360 °, rendu célèbre en décembre 2014 avec Crystal Palace sur la pelouse de White Hart Lane devant Christian Eriksen). Du domicile familial, le jeune Yannick Bolasie pouvait aussi apercevoir l’arche de Wembley, située à moins de trois kilomètres, sorte de parabole d’un monde inaccessible pour ce footballeur de rue.
Comme Raheem Sterling
Le quartier de Willesden n’a pas enfanté que Yannick Bolasie mais également Raheem Sterling, autre génie technique issu de la rue, qui a côtoyé à l’école primaire la soeur de l’attaquant anderlechtois. D’autres, par contre, se sont brûlé les ailes.
» J’étais entouré de plusieurs footballeurs, mais beaucoup d’entre eux n’ont pas réussi « , témoigne Bolasie. À l’image de Phil Ifil ou Kerrea Gilbert, passés respectivement par Tottenham et Arsenal, mais qui ont disparu dans les méandres du foot anglais après avoir pourtant intégré très jeune l’équipe Première des Spurs et des Gunners.
» Il y a beaucoup de distractions à Londres, ce qui est un inconvénient pour beaucoup de jeunes footballeurs. Mon objectif a toujours été de combattre ça. Je ne veux pas être perturbé par quoi que ce soit, je veux uniquement me concentrer sur le football « , explique Bolasie au journal, The Independent.
Aujourd’hui, la famille Bolasie a quitté un quartier qui a d’ailleurs quelque peu oublié l’ex-attaquant de Palace ou d’Everton. Un petit détour par la rue commerçante où le barber shop est plus que jamais à la mode, nous le confirme. Yannick Bolasie n’évoque plus grand-chose pour les personnes croisées en ce début d’après-midi.
Les employés du garage M N Autos Ltd, situé à quelques mètres de l’ancien domicile familial et de l’agora de l’Unity Close, ne l’ont, eux, pas oublié. Minesh, l’un des mécaniciens, se rappelle du phénomène. » Tout le monde voyait que Yannick avait un talent particulier alors que la concurrence était rude et les jeunes joueurs nombreux. »
Pas la grosse tête
En ce mardi pluvieux, on a du mal à s’imaginer l’endroit rempli de jeunes footeux. » Il n’y a quasiment plus aucun jeune qui joue sur ce terrain « , poursuit Minesh. » Les nombre important d’attaques au couteau à Londres explique pourquoi beaucoup d’entre eux préfèrent rester chez eux. »
Avant de nous montrer fièrement une photo, postée sur le compte Facebook du garage, de Yannick Bolasie qui pose avec sa Bentley. » Elle date d’il y a un mois environ. Il arrive encore qu’il repasse dans le quartier et qu’il vienne nous dire bonjour. Yannick n’a jamais attrapé la grosse tête, il a pu compter sur des parents qui lui ont toujours inculqué de vraies valeurs. »
Yannick Bolasie : » La façon dont j’ai grandi, l’homme que je suis aujourd’hui, est un reflet de ma mère. J’ai vu d’autres personnes grandir sans avoir de respect. Et même si je joue au football, je parle à tout le monde dans le quartier, je ne me prends pas pour quelqu’un d’autre. »
Longtemps, le jeune Bolasie taquine le cuir par simple plaisir. Il n’imagine pas en faire son métier, même si son père, ancien international espoir congolais, a flirté avec le haut niveau.
Jusqu’à ce soir de novembre 2003. Arsenal se déplace au Milan AC et atomise les Rossoneri (1-5). Thierry Henry réalise à San Siro une prestation légendaire. » C’est en le voyant ce soir-là que j’ai voulu devenir footballeur professionnel. »
Hommage à Thierry Henry
» Enfant, je me rappelle que je jouais parfois arrière gauche ou arrière droit. J’observais Thierry Henry éliminer les défenseurs et c’est ce que je voulais faire aussi. Éliminer des défenseurs, c’est ce qui m’excite le plus. »
En signe d’hommage à la légende des Gunners, Boalise va même jusqu’à porter le numéro 14 lors de son arrivée à Everton. Mais la comparaison s’arrête là ou presque. Car l’enfant de Willesden a mis très longtemps à voir les projecteurs braqués sur lui alors que le meilleur buteur de l’histoire des Bleus était, dès l’adolescence, programmé pour réussir.
Quand, à 17 ans, Titi Henry passe du centre de formation à l’équipe Première de l’AS Monaco, avant de rejoindre la Juventus, Arsenal et le Barça, Bolasie se retrouve au même âge au club de Hillingdon Borough (club de la Southern League First Division, huitième étage du foot anglais) avant de passer par Malte, Plymouth Argyle, Rushden and Diamonds, Barnet ou Bristol City.
Un foot souvent peu académique, où la cisaille était régulièrement de sortie : » Ce fut une initiation dure, vraiment difficile, très physique d’autant que c’était ma première expérience avec un foot d’hommes, d’adultes « , explique Bolasie au quotidien The Straits Times.
» Je n’y étais tout simplement pas habitué. Il était donc difficile de jouer mon jeu. Mais cela m’a endurci. Physiquement, je savais que je devais être plus fort si je voulais éliminer mes adversaires et que je devais être rapide aussi, si je voulais éviter de recevoir des coups. En regardant en arrière, mon parcours ne peut pas être plus éloigné du système académique. Mais avec cet écolage à la dure, vous avez plus de chance de performer sur le long terme. Car je ne m’attendais à rien. »
Burger King Boy
À Hillingdon, Bolasie survole les débats. » Yannick a lancé sa carrière ici « , enchaîne la présidente du club, Dee Dhand. » Il avait toujours le sourire. Et, à chaque fois qu’il marquait, je lui offrais un burger. Il était même surnommé le Burger King Boy. » Aujourd’hui, Miss Dhand a quelque peu perdu la trace du dribbleur fou. » Comment ça se passe pour lui ? « , nous demande-t-elle.
» À l’époque, je voulais lui offrir un contrat à 20 pounds par semaine, mais les autres personnes de la direction n’étaient pas d’accord car selon eux, une femme ne connaît rien au football. Il est parti et la suite appartient à l’histoire. Je lui ai toujours souhaité le meilleur, c’est un super-joueur avec beaucoup de qualités mais surtout quelqu’un de très humble. »
Malgré le manque de considération d’une partie de la direction d’Hillingdon, Bolasie ne lâche pas l’affaire, et répond positivement à l’invitation de son cousin, Lomana Tresor LuaLua.
À 18 ans, l’enfant de Willesden s’envole pour Malte et le club de Floriana où sa carrière va prendre une trajectoire déterminante, qui passera cinq ans plus tard par Crystal Palace en 2012 où l’attaquant congolais éclatera définitivement après avoir participé à la montée des Eagles en Premier League.
» Le simple fait d’être un joueur professionnel était un rêve devenu réalité, mais si je n’avais pas percé, je serais probablement devenu menuisier. C’était à ça que je me destinais avant d’aller jouer à Malte. »
Français ghetto
Aujourd’hui, c’est tout Anderlecht qui se félicite de son acquisition hivernale. Si l’international congolais n’est plus que probablement que de passage chez les Mauves, tout le monde au club souligne son apport sur le terrain comme en dehors.
» Je me suis directement entendu avec Yannick « , explique Landry Dimata. » C’est quelqu’un qui peut mettre l’ambiance dans le vestiaire, et qui s’investit aussi totalement pour son métier, quelqu’un qui a un grand coeur. C’est un exemple pour tous. On est souvent en contact à trois avec Romelu via FaceTime. Et ce n’est pas pour rien qu’il est le meilleur ami de Romelu. Tous les deux, ce sont des guerriers, qui ont vécu des moments difficiles dans leur vie, et qui ont su se sortir de toutes les situations. »
Le natif de Lyon aux origines congolaises ne maîtrise par contre pas encore la langue de Molière. » Quand il s’essaie au français, il a ce petit côté ghetto. Et même le lingala, il le parle vite fait « , sourit Dimata, qui s’impatiente de pouvoir jouer à ses côtés.
» Avec lui, tout va très vite et vers l’avant. Il a un style unique. On a l’impression qu’il n’a jamais eu les codes du footballeur professionnel. Il fait des trucs à l’instinct, qu’on ne voit jamais ailleurs, comme quand il feinte de prendre la balle avec la main avant de partir en dribble. C’est vraiment le footballeur de rue par excellence. »
Un footballeur non-académique, hors-système, dont la trajectoire est à l’opposé du parcours balisé du footballeur pro du XXIe siècle. Mais un enfant de Willesden et de son agora d’Unity Close. » Là où la magie a opéré. »
» Les Congolais l’adorent car il est spectaculaire »
Né à Lyon de parents congolais qui ont émigré sur le sol anglais, Yannick Bolasie était éligible pour représenter la France, l’Angleterre et la RDC. C’est en mars 2013 alors qu’il n’évolue encore qu’en Championship avec Crystal Place qu’il répond favorablement à l’invitation des Léopards et dispute dans la foulée un match de qualification pour la Coupe du monde 2014 face à la Libye. Un voyage qui le marque au fer rouge.
» Au Congo, il y a tellement de familles qui survivent « , raconte-t-il au quotidien The Straits Times. » Chaque jour est une lutte pour des choses que beaucoup d’entre nous considèrent comme acquises, que ce soient les ressources et les commodités quotidiennes. Les enfants congolais jouent au football pieds nus sur des surfaces mélangées de sable et de roches. Mais cela engendre chez eux une faim et une telle détermination à réussir.
Le football est si populaire au Congo. À chaque arrivée à l’aéroport, le personnel de l’aéroport et les militaires vous saluent. Je me sens vraiment aimé. Beaucoup de choses qui se passent au Congo vous ouvrent les yeux. C’est ce genre de choses qui fait qu’une personne comme moi ne tient rien pour acquis. »
Yannick Bolasie devient très vite un porte-drapeau de la sélection. Paul-José Mpoku, qui a côtoyé pour la première fois le Londonien lors d’un Plymouth Argyle – Leyton Orient de la saison 2010-2011, a connu un choc culturel et un engouement assez semblable à son arrivée à Kinshasa. » Les Congolais l’adorent car il est très spectaculaire dans son jeu, et au pays c’est très important d’associer spectacle et résultat. »
» Il aime le beau jeu. C’est un gars magnifique qui va faire beaucoup de bien à Anderlecht parce que c’est un créatif qui va toujours de l’avant « , prédisait à juste titre, son ancien partenaire en sélection, le portier Nicaise Kudimbana.
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