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Galères de jeunesse, sorties et mauvaises fréquentations: Radja Nainggolan face à ses excès (portrait)
Radja Nainggolan a passé une nuit en cellule dans le cadre d’une enquête pour trafic de drogue entre Anvers et l’Amérique du Sud. Un virage de plus sur la trajectoire sinueuse du Diable le plus sulfureux de la génération dorée.
La nuit est courte, comme souvent. Cette fois, c’est un réveil précoce plus qu’un coucher tardif qui perturbe l’horloge biologique de Radja Nainggolan. Au matin du 27 janvier, celui que le monde du football surnomme «le Ninja» n’est pas sorti du lit par la perspective de son entraînement avec Lokeren, nouveau club avec lequel il a inscrit un but exceptionnel pour sa première apparition lors du week-end précédent. Le réveil est sonné par la police, en visite dans son luxueux appartement de la Braziliëstraat, dans l’un des quartiers les plus prisés d’Anvers. La nuit suivante sera longue, car derrière les barreaux. L’ancien Diable Rouge retrouve vite la liberté, mais est inculpé pour appartenance à une organisation criminelle liée à un trafic de stupéfiants établi entre le port de la Métropole et l’Amérique du Sud. Dans le viseur des enquêteurs, ses échanges de messages et d’argent liquide avec Nasr-Eddine Sekkaki, 33 ans et presque autant de condamnations.
L’histoire est une aubaine pour la presse flamande, toujours prête à remplir ses pages des déboires de ses rockstars. Très vite, on y lit que Radja Nainggolan fait parler de lui dans le milieu du crime anversois, parce qu’il serait à la recherche de gros montants d’argent liquide, en échange de virements bancaires. La piste du blanchiment n’est qu’une hypothèse, bien que confirmée par une source à la DH.
C’est alors au tour d’un autre «Bekende Vlaming» d’entrer en scène. Podcasteur, agent de joueurs et d’artistes, vedette du show télévisé De Expeditie, mais surtout avocat, Omar Souidi prend sa dose de lumière pour défendre son client. Les deux hommes sont particulièrement proches. En 2021, quand le Ninja quitte l’Italie pour revenir monnayer son talent sur les pelouses belges, c’est à l’initiative de l’avocat, souffleur préféré du président de l’Antwerp, Paul Gheysens, et de son influent fils Michael. C’est encore Omar Souidi qui, quelques mois plus tard, entamera les négociations pour attirer le directeur sportif néerlandais Marc Overmars (écarté puis suspendu pour comportement inapproprié avec des employées de l’Ajax Amsterdam) au Bosuil, siège du plus ancien club du pays. Nainggolan est pourtant un enfant du Beerschot, rival ancestral de l’Antwerp, mais les liens avec Omar Souidi et les millions de Gheysens sont de puissants arguments.
«Son instinct, il l’a développé dans la rue. Ce n’est pas toujours le plus fiable des baromètres.»
«Radja est un homme qui se fie purement à son instinct», plaide d’ailleurs l’avocat sur le plateau de la VRT, dans l’émission De Afspraak. Une séquence aux airs de plaidoyer face au tribunal des téléspectateurs, lors de laquelle l’homme, connu pour défendre de nombreux narcotrafiquants anversois, conclut son raisonnement: «Son instinct, il l’a développé dans la rue. Ce n’est pas toujours le plus fiable des baromètres.»
En bas des blocs
En 2021, seize ans après son départ d’Anvers, le retour aux sources de Radja Nainggolan n’est effectivement pas qu’un changement de couleur. Non content de passer du mauve du Beerschot au rouge de l’Antwerp, le Ninja s’offre un autre grand écart, suffisamment large pour enjamber l’Escaut. Il s’installe sur «Het Eilandje», quartier branché de la métropole où les logements ne sont à la portée que de quelques milliers d’habitants, sur la rive d’en face, un regard suffit à accrocher la rétine sur les tours de Linkeroever. C’est là que Radja Nainggolan a passé la deuxième partie de sa jeunesse anversoise, en compagnie de sa sœur Riana et de sa mère Lizy Bogaerts à la suite de la fuite de son père indonésien. A l’époque, l’endroit est présenté comme l’un des épicentres de la criminalité locale. Dans les tours de 25 étages, l’espace est rare et l’air souvent irrespirable. Si l’un de ces géants de pierre est surnommé «Chicagoblok», c’est alors plutôt en référence à Al Capone qu’à Michael Jordan.
C’est en tout cas là que Radja Nainggolan, alors adolescent, se fait des amis. Amara Cham, cousin d’un autre Diable Rouge (Moussa Dembélé), est l’un d’eux. «Aujourd’hui, le quartier est beaucoup plus beau qu’à notre époque, assure-t-il, en référence à des fresques colorées qui ornent les murs. Avant, il fallait vraiment faire attention quand tu passais au pied des tours. Tu n’étais jamais à l’abri de te ramasser quelque chose qu’on te lançait depuis le 25e étage.»
«Ce n’était pas simple pour ma mère, je n’étais pas un enfant facile», se remémore le Ninja à la fin de l’année 2021, à l’occasion d’une interview accordée à Sport/Foot Magazine où il rejoue les temps forts de sa carrière dans un restaurant anversois. «J’ai grandi ici avec pas mal de difficultés, mais ce sont aussi elles qui ont fait de moi l’homme que je suis aujourd’hui.»
Hargneux, protecteur, entier et parfois plus à l’écoute de ses entrailles que de ses méninges pour se lier d’amitié, Radja fait parler de lui sur les «pleintjes», ces petits terrains de foot urbains où tous les meilleurs manieurs de ballon de la Métropole s’affrontent, entre amis ou entre quartiers. Amara Cham édicte les impitoyables règles du jeu: «Il y avait toujours deux équipes sur le terrain, et toutes les autres étaient autour, à attendre leur tour. C’était très simple: cinq joueurs par équipe, les premiers qui arrivent à trois buts restent. Les autres sortent. Si tu ne voulais pas passer l’après-midi à regarder les autres jouer, il fallait être le plus fort.»
Toujours flanqué de sa sœur Riana, seule fille du quartier autorisée à participer aux tournois qui attirent les occupants des blocs voisins à leur balcon lors des longues soirées d’été, Radja Nainggolan passe bien plus de temps face au but que devant ses devoirs. «Je suis resté concentré sur mon foot. Beaucoup moins sur l’école», admet celui qui trouve dans le ballon un refuge pour éviter de succomber aux multiples tentations environnantes qui provoqueraient la colère maternelle.
Du fond du bus à l’Italie
Alors club phare d’une ville qui n’a plus les faveurs des hautes sphères du football belge, le Germinal Beerschot biberonne quelques-uns des futurs Diables Rouges de la génération dorée. Les défenseurs Thomas Vermaelen, Jan Vertonghen et Toby Alderweireld y passent avant de se révéler aux Pays-Bas, tout comme Moussa Dembélé. Radja Nainggolan, lui, y grandit sans vraiment y briller. Pas de prestigieux passage vers l’Ajax Amsterdam pour lui, ni d’avancée dans une catégorie supérieure à celle des enfants de son âge. Le Belgo-Indonésien est alors plus précoce dans la vie que sur le terrain. A tel point que lors des déplacements, qui concernent généralement plusieurs catégories d’âge amenées à affronter le même adversaire, Radja est le seul «petit» qui obtient le droit de s’asseoir au fond du bus, là où les plus grands aiment toujours faire la loi.
Au Beerschot, tout le monde sait que la jeunesse de Radja n’est pas simple. Pourtant, il n’en parle jamais. Mais rares sont ceux qui viennent de milieux favorisés. Beaucoup savent, rien qu’en se regardant: les autres aussi arrivent de ces quartiers où la musique et le football sont presque les meilleures perspectives de prendre l’ascenseur social sans quitter les clous de la légalité.
Pour Radja Nainggolan, l’aventure se poursuit alors en Italie. Rares sont ceux qui pensent qu’il réussira à Piacenza. Il enchaînera pourtant avec une réussite à Cagliari, une rencontre avec une Sarde et une vie conforme aux coutumes locales jusqu’à son départ à Rome, où il devient vite le joueur favori des franges les plus bouillantes du Stadio Olimpico. Rien ne semble pouvoir le sortir de sa vie idyllique, pas même les salaires mirobolants et le défi physique de la Premier League anglaise. Quand le coach Antonio Conte tente de le convaincre de rejoindre son projet à Chelsea, Radja lui répond: «Donne-moi du soleil et je viendrai jouer en Angleterre.»
Le chouchou des Romains
Il faut dire qu’à Rome, les excès d’un Radja Nainggolan parfois très éloigné de l’image qu’on attend d’un footballeur professionnel ne font pas trop de vagues. Là où les tabloïds ruineraient probablement très vite une aventure anglaise, les médias italiens écoutent le Diable Rouge raconter que «l’erreur est dans les yeux de celui qui la juge» (dans le Corriere dello Sport). Journalistes et «tifosi» ferment donc les paupières quand le Ninja est aperçu tard dans la nuit sur le dancefloor du Gilda Club, enchaîne les clopes dans son appartement romain, décolle vers Monaco en semaine pour jouer au casino ou appelle d’autres Diables en vidéo au cœur de la nuit, visiblement éméché. Même son coach favori, Luciano Spalletti, prend sa défense face aux journalistes: «Radja doit tout faire au maximum: manger beaucoup, courir beaucoup, et faire beaucoup de bisous.»
«Si je veux sortir, je sors. Si je veux aller au restaurant, j’y vais. Si je veux dormir seulement trois heures, je le fais. C’est à moi de savoir si mon corps acceptera», lance Nainggolan à son retour à Anvers. «Demain, quand j’arrêterai de jouer au football, je deviendrai un homme comme les autres. Pourquoi est-ce que je devrais seulement pouvoir changer à ce moment-là?»
Le retour aux sources anversoises ressemble à une forme de nouvelle adolescence pour celui qui devient peu à peu l’enfant terrible du football belge. En août 2021, quelques jours après être revenu au pays, Radja est arrêté par la police pour un excès de vitesse et signe un doublé d’infractions quand son taux d’alcoolémie est contrôlé. Son permis lui est retiré, et la situation ne s’arrange pas l’année suivante, quand il est une nouvelle fois arrêté par les forces de l’ordre pour avoir pris le volant sans permis. Le midi, après l’entraînement, on le voit souvent en ville, profitant des plaisirs de la ville en compagnie de sa sœur ou de ses amis pendant que certains de ses coéquipiers font des heures supplémentaires.
S’il signe quelques coups d’éclat sur le terrain, notamment un but spectaculaire dans le derby contre le Beerschot, le rendement est loin d’être à la hauteur de l’investissement consenti par l’Antwerp pour s’offrir ses services. Peu de temps après son arrivée, le président Paul Gheysens avait déjà dû justifier le salaire XXL dans les colonnes du Het Laatste Nieuws, sans se priver d’une pique à l’égard du président de Bruges, Bart Verhaeghe, son meilleur ennemi: «Vous préférez quoi? Nainggolan pour deux petits millions d’euros par an, ou Vanaken pour trois?» Quatre ans après la bravade, Hans Vanaken se prépare à remporter son troisième Soulier d’or, récompense attribuée au meilleur joueur de l’année écoulée sur les pelouses belges, tandis que le Ninja s’est engagé à Lokeren, en lutte pour le maintien en deuxième division.
«Radja doit tout faire au maximum: manger beaucoup, courir beaucoup, et faire beaucoup de bisous.»
Le paradis du pays de Waes
Après une pige de six mois en Italie pour venir en aide à son ancien coéquipier Daniele De Rossi, devenu entraîneur de la SPAL, puis une aventure sur les terres de ses ancêtres en Indonésie, sous les couleurs du FC Bhayangkara, c’est donc dans le pays de Waes que Radja Nainggolan est revenu lors de ce mois de janvier. On l’avait alors aperçu sur des terrains de futsal, mais sa carrière semblait être derrière lui.
Lokeren lui a offert un contrat à la prestation, et une conférence de presse de retour au pays où le joueur joue avec les caméras: «Ceux qui me connaissent savent que je suis plein de surprises.» Dans la salle de presse du Daknam, stade des Waeslandiens, le Ninja s’épanche sur son choix étonnant: «Mon corps me disait qu’il n’était pas encore temps d’arrêter, mais il n’était pas simple de trouver un club dans les environs. J’avais des propositions en Turquie et même en Iran ou en Irak. A Rome, on me proposait de faire du foot en salle. C’était une possibilité, mais entre-temps, j’avais retrouvé mon logement à Anvers, et mes amis et ma famille sont ici. Je ne veux plus partir.»
Amoureux de sa ville, «Belge mais surtout Anversois», Radja Nainggolan pense alors avoir trouvé son nouveau havre de paix à Lokeren, à une trentaine de kilomètres de son domicile en métropole. Un niveau tranquille, auquel il peut encore faire des différences sans vivre avec le professionnalisme d’un Cristiano Ronaldo, et l’opportunité de passer les après-midis et les soirées avec ses amis retrouvés au bout d’une carrière essentiellement passée loin de chez lui.
Les pièges de la métropole
L’ennui, pour que l’histoire soit conclue par un happy end, c’est que les amis d’hier n’ont pas tous pu compter sur le football pour éviter les pièges tendus à tous les coins de Linkeroever. Le Ninja a pourtant fait en sorte d’aider certains à connaître un avenir meilleur, s’investissant notamment comme parrain du club des City Pirates, fondé à Linkeroever et très impliqué sur le plan social pour soutenir et encadrer les jeunes du quartier tout en ayant sportivement réussi à atteindre les divisions nationales du football belge (en D3 amateurs). Une initiative inspirée par sa propre jeunesse, où Radja a vu plusieurs de ses amis prendre les mauvais virages sur la route de leur avenir.
Il faut dire que Nainggolan aime croire aux deuxièmes chances. Il en a donné une à son père, recroisé en Indonésie quand le Ninja était au sommet de sa gloire, avant de réaliser que son retour était plus intéressé financièrement que sincère. Il a également fondé l’entreprise RADLab, destinée à louer des jets privés, des yachts ou des villas de luxe en compagnie d’Ibrahim Ahmadoun. Quelques années plus tôt, cet associé était considéré par la DEA américaine comme un acteur clé du trafic de drogues mené par le Hezbollah. «Ibrahim veut faire quelque chose de positif, il est très bon dans son job. On ne peut que l’encourager», justifie alors le Ninja, concluant par cette fameuse formule: «Tout le monde mérite une nouvelle chance.»
Le 29 janvier, Radja Nainggolan saisit la sienne. Il est de retour sur le terrain d’entraînement de Lokeren. La nuit a probablement été courte. Comme souvent. Sans être une nuit comme les autres pour autant.
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