Un jour dans les coulisses du KV Courtrai: « Tu as vu le but ? »
Un stade vide, mais un stade qui vit. Pour la réception d’Eupen, affiche anonyme d’un week-end de Pro League à huis clos, Sport/Foot Magazine s’est faufilé dans les couloirs du stade des Éperons d’or. Pour y croiser, en vrac: un coach surpris, un enfant heureux, une mascotte désabusée et des infirmiers en pleine répétition. Visite guidée.
La Moorseelsestraat est presque silencieuse. Seuls les petits avions qui décollent et atterrissent à l’aéroport voisin de Wevelgem trahissent un silence étonnant, un peu plus de deux heures avant qu’un coup de sifflet retentisse dans le stade des Éperons d’or. Il faut dire que cette 23e journée de Pro League se dispute encore à huis clos. Ni le café De Kouter, rendez-vous des supporters à proximité du stade, ni les parkings environnants n’attirent la foule, qui se masse habituellement dès cette heure autour des stands de hamburgers. Il n’y a même pas encore de Panda. Il faut dire que l’adversaire du jour vient de loin. Pour rallier Courtrai, les pensionnaires des cantons de l’Est mettent trois heures, le temps d’avaler en bus les 230 kilomètres qui séparent deux des stades les plus éloignés de l’élite.
En attendant que l’après-midi s’anime, Jelle Rabaeys se charge de nous accueillir. Il n’y a pas beaucoup de visiteurs, en ces temps de Covid. Alors, Jelle, B2B Sales & Marketing et responsable du ticketing B2B, intervient là où c’est nécessaire. Ça inclut le contrôle des billets ou la gestion du bar VIP. « Malgré les mesures, nous recevons toujours environ 150 personnes », explique-t-il. « Il s’agit principalement des stewards, des membres du conseil d’administration et de la police. »
Une fois les portes franchies, nous découvrons un petit local à cinquante mètres de là, au pied de la tribune I. Tout le noyau courtraisien écoute l’exposé tactique de KarimBelhocine. Pendant que le T1 montre des images de match sur un grand écran de télévision derrière lui, nos regards se croisent brièvement. Belhocine est visiblement surpris de voir la presse l’observer si tôt avant le match. Pourtant, de nombreux médias sont déjà sur le terrain: l’équipe d’Eleven Sports est en pleins préparatifs pour la retransmission en direct. Installer des caméras, tirer des câbles, enregistrer une courte interview avec les entraîneurs: tout se passe sous le regard approbateur de MarcDeClerck, le matchdelegate qui observe depuis le bord du terrain. Au nom de la Pro League, il vérifie si tout a été fait pour le bon déroulement de la rencontre, et il est chargé de rédiger un rapport. Environ une heure et demie avant le coup d’envoi, Marc s’assied avec les arbitres, les délégués des équipes et les services de sécurité.
Nous le laissons rejoindre la réunion – territoire interdit pour nous, tout comme les vestiaires et le tunnel des joueurs – et pendant ce temps, nous voyons deux dames passer avec des plateaux remplis de nourriture alléchante. An est responsable de la salle de presse et Roos de celle des joueurs. « Les joueurs m’appellent mammie« , dit Roos. « Mes enfants en rigolent, ils demandent quand ils verront leurs frères au club. » An s’est retrouvée au KV après s’être inscrite à l’agence d’intérim AGO. Bien qu’elle ait un emploi dans l’enseignement, elle voulait avoir quelque chose à faire le week-end. Depuis lors, elle est responsable de la salle de presse du club courtraisien. Les sandwichs sur son plateau sont destinés à la presse, nous dit-elle. « Et il y a aussi de la soupe, n’hésitez pas à passer plus tard. »
Comment soulève-t-on une civière?
Nous tombons sur l’attaché de presse EddySoetaert en train de discuter avec SimonClinckemaillie. Ce dernier est le responsable des supporters: il est en charge de tous les points de restauration, de la gestion du personnel les jours de match et des services proposés aux fans. Il attire notre attention sur la machine à fumée au-dessus du tunnel des joueurs, juste à côté de nous. C’est la fierté du KVK. « C’est la machine à fumée la plus rapide et la plus bruyante du pays ». En cette période de huis clos, le travail de Simon est légèrement différent: « Aujourd’hui, j’enfile une veste de steward et je vais placer les ballons au bon endroit. Normalement, il y a entre quarante et soixante personnes qui travaillent ici, mais ils ne sont pas présents aujourd’hui. »
À 14h45, le bus des joueurs de la KAS Eupen arrive au stade. Les stewards accueillent chaleureusement les visiteurs. La hiérarchie au sein de ces hommes et femmes en orange fluo est surprenante. Le chef de division, Jackie, est heureux de nous parler: « Aujourd’hui, notre seul travail consiste à contrôler les portes d’entrée afin qu’aucun supporter ne puisse se faufiler. À l’intérieur du stade, nous vérifions si les mesures sanitaires sont respectées. En soi, c’est un luxe, mais en réalité, c’est aussi très ennuyeux. Je préfère de loin l’excitation d’un derby contre Zulte Waregem. Ce jour-là, tout le monde ici est sur le qui-vive. »
Dans les catacombes de la tribune familiale, un petit local est réservée à la Croix Rouge, une équipe de cinq volontaires. Nous les rencontrons à un moment où ils s’entraînent à soulever la civière. « Il faut faire preuve de coordination », explique Bart, le chef d’équipe. « Comme vous travaillez avec des personnes de tailles différentes, vous risquez de soulever le brancard de travers. Et c’est quelque chose qu’il faut à tout prix éviter sur le terrain, lorsque l’on transporte un joueur en bord de touche. Il faut aussi bien connaître le stade: où se trouvent les sorties, quel est le nom des tribunes. Car nous devons également agir lorsqu’il y a un accident avec un supporter. »
De Nirvana à Kanye West
Notre pérégrination dans le stade des Éperons d’Or nous mène plus loin, jusqu’à la loge VIP située au-dessus de la tribune principale. Là, les directions des deux clubs se voient servir un repas, mais dans des salles séparées. Le PDG MatthiasLeterme et le président RonnyVerhelst ont toujours l’air très détendus. Un joueur qui vient d’être recruté, BryanReynolds (un arrière droit américain prêté par l’AS Roma), bénéficie d’une visite guidée et est filmé par Kurt Bourgois de KVK-tv.
Juste à côté de l’espace VIP se trouvent deux locaux vitrés. L’un sert de tour de contrôle pour les services de sécurité, l’autre est occupé par le speaker du stade, un responsable des panneaux d’affichage LED et un responsable du marquoir, qui diffuse également la musique. Sur son ordinateur portable est ouverte une playlist Spotify. Un mélange très éclectique, qui va de Nirvana et Blur jusqu’à Brihang et Kanye West. Le choix des joueurs, paraît-il. Ils peuvent chacun choisir une chanson qui est ensuite jouée pendant l’échauffement.
Pendant ce temps, PieterVandoolaeghe nous prend par le bras. Il est responsable de l’espace VIP. Un sympathique Ouest-Flandrien et un vendeur né, qui nous explique tous les atouts du stade sans qu’on le lui demande. Par exemple, de grands aménagements ont été faits dans la tribune familiale construite pendant la crise sanitaire. Elle comprend une salle de divertissement où les enfants peuvent se glisser dans une cabine de commentateur pendant le match, ou apprendre à confectionner un tifo. Le Kids Club compte désormais 300 membres et sa popularité ne cesse de croître, nous dit Pieter. En temps normal, la loge VIP accueille environ 500 convives, mais lors des gros matches (contre Zulte Waregem, Bruges et Anderlecht), il y en a exactement 892. C’est la capacité maximale. Dans ce cas-là, on utilise la salle d’exposition du garage BMW situé à côté du stade. « Un endroit unique pour un dîner, n’est-ce pas? » Un vendeur né, on vous le disait.
La MASCOTTE SOLITAIRE
Entretemps, le match a commencé. Alors que nous nous réchauffons avec un café dans l’Inofec Lounge, située sous la tribune, Mélissa entre avec son fils Jérôme. Il vient de vivre son moment de gloire. Lorsque son père Kristof D’haene a été fêté pour son 200e match sous le maillot du KV, juste avant le coup d’envoi, il a été autorisé à monter sur le terrain. Apparemment encore impressionné par les événements, le petit Jérôme reste devant la porte de la cafétéria, demandant et montrant du doigt son père, qui court sur le flanc gauche à quelques mètres de là.
Pendant ce temps, Kereltje, la mascotte du club courtraisien, regarde le match d’un air plutôt déconfit, seul dans la tribune où le kop prend généralement place. L’avantage est que Wilfried, comme on appelle l’homme déguisé, a le temps de discuter avec nous. « J’ai l’habitude de me concentrer sur la tribune familiale, les enfants sont les plus faciles à divertir », révèle-t-il.
Pendant la mi-temps, nous nous rendons dans la Moorseelsestraat pour prendre la température dans l’un des cafés qui s’y trouvent. Profitent-ils du fait que les fans ne sont pas autorisés à entrer dans le stade? Non, comme nous le découvrons lorsque nous entrons dans le café De Vlaskapel, presque vide. « En temps normal, il y a beaucoup de monde ici », nous assure la gérante. Mais Judith est fidèle au poste. Elle est présente à chaque match de son KVK bien-aimé. « Sinon, je reste seule à la maison. Ici, je rencontre des personnes avec lesquelles je peux discuter. Mon fils est abonné, mais je préfère être ici », dit-elle.
Après le repos, l’attaquant de Courtrai, BillelMessaoudi, a égalisé: 1-1. C’est également le score final. Un jeune homme plein d’entrain passe devant nous et nous demande: « Vous avez vu le but? » C’est CederiqueDujardin, le responsable du stade. Il voit rarement un bout du match, c’est d’ailleurs le cas de la plupart des employés du club. Cederique est un touche-à-tout, qui gère le parc automobile en semaine, coordonne les travaux d’entretien dans le stade et, un jour de match comme aujourd’hui, commande même des pâtes pour que les joueurs des deux équipes puissent manger avant de rentrer chez eux. Il est le dernier homme à quitter le stade. À 19 heures précises, il éteint les lumières du stade du matricule 19. Sa semaine est terminée.
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