Pour le président Bouchez, David Lasaracina est «un ami et mon conseiller sportif». © belgaimage

Un agent de joueurs est-il le vrai patron des Francs Borains?

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Dans l’ombre de Georges-Louis Bouchez, le club promu en D2 belge est conseillé par un agent de joueurs. David Lasaracina aime les Francs Borains. Peut-être un peu trop?

Les foulées sont euphoriques et saccadées. Il faut dire que le jeans et les baskets ne sont pas la tenue idéale pour courir sur une pelouse taillée pour les shorts et les chaussures à crampons. Qu’importe: David Lasaracina est heureux. En ce jour de mai 2018, avec sur le dos le maillot ligné vert et blanc de «ses» Francs Borains, il rejoint la grappe sans cesse plus importante qui se forme au centre du terrain après cette victoire contre Aische, petit village namurois et dernier obstacle du club du Borinage sur la route de la D2 amateurs, quatrième échelon du football belge. Ce 4-0 grand cru vaut bien une douche de champagne. Un peu moins de trois ans après son retour dans le club qui lui avait ouvert les portes des bureaux footballistiques peu avant sa vingtième bougie, l’agent de joueurs fête un premier heureux événement dans ce Borinage qu’il aime propulser sur le devant de la scène. Pas le dernier, promet-il déjà face aux micros: «La fusée Francs Borains est en route, et elle vient de passer la première étape.»

C’est le premier supporter des Francs Borains. Et comme tout bon supporter, dès qu’il peut donner un coup de main, il le fait.

David Lasaracina prépare ce décollage depuis le mois d’octobre 2015. Agent de joueurs reconnu par la Fifa au début des années 2000, il acquiert une notoriété locale en gravitant autour du RAEC Mons et de La Louvière, fait parler de lui sur le sol national quand il sert d’intermédiaire pour l’arrivée de l’investisseur italien Antonio Imborgia à Eupen, et à l’international lors de son intervention au moment du départ de Radja Nainggolan vers la Botte. Après avoir tenté en vain de relancer le virus louviérois du ballon rond au sein du club de l’URLC, il revient à son amour de jeunesse, une passion transmise par son père. David Lasaracina a les Francs Borains dans la peau et des ambitions plein les yeux. Il refuse pourtant une fonction au sein de l’organigramme, et l’explique à la presse locale: «Ce n’est pas compatible avec mon activité d’agent […] C’est pourquoi j’accepte d’apporter une aide extérieure au RFB (NDLR: Royal Francs Borains) et d’y attirer des personnes influentes pour intégrer le consortium.» Le tout sentencié d’un explicite: «Je préfère travailler dans l’ombre.»

Pour rester à l’abri des projecteurs, rien de tel que la silhouette médiatique démesurée d’un homme qui accapare toute la lumière. En 2020, le club s’offre un président de prestige avec l’arrivée de Georges-Louis Bouchez, intronisé publiquement sur l’air de We Are The Champions face à un public clairsemé et éparpillé tous les mètres cinquante, mesures sanitaires obligent. «Passionné sans être connaisseur», comme on le présente dans le giron du club, le président du MR et du RFB peut heureusement compter sur un Lasaracina désormais étiqueté conseiller externe, à l’image de la dénomination accordée avec la bénédiction de la commission des licences par Anderlecht à Wouter Vandenhaute. L’homme d’affaires flamand était effectivement à la tête d’une agence de joueurs quand il a rejoint les Mauves dont il est ensuite devenu le président.

Quand il parle de son bras droit, Bouchez évoque «un ami et mon conseiller sportif. Il fait partie des gens avec qui je discute quand il faut recruter. Ce n’est pas un secret que sportivement, c’est une personne qui m’épaule et me conseille. Ses fonctions d’agent l’empêchent d’avoir un rôle officiel, mais c’est le premier supporter des Francs Borains et comme tout bon supporter, dès qu’il peut donner un coup de main, il le fait.»

La nébuleuse «influence notable»

Echaudée par le cas de Mouscron, devenu le jouet belge des très influents agents Pini Zahavi et Fali Ramadani au milieu des années 2010, la fédération de football s’est cependant protégée de ce rôle trouble que peuvent jouer les intermédiaires dans la gestion des clubs. Son article P7.19 affirme ainsi que «la licence ne sera pas octroyée à un club dont une ou plusieurs personnalités juridiques liées exerce(nt) des activités en tant qu’intermédiaire, conformément à la définition de la Fifa». Un peu plus loin, l’article P7.3 précise qu’on entend par «personnalité juridique liée», «toute entité, jusqu’à la partie exerçant le contrôle ultime, disposant directement ou indirectement de l’exercice de 10% ou plus du droit de vote au sein de l’assemblée générale du candidat à la licence ou exerçant une influence notable d’une manière ou d’une autre sur le candidat à la licence».

Confrontée, en 2016, à cette notion de «l’influence notable» dans le cas du club de Mouscron, où les agents suspects avaient habilement placé des hommes de paille au conseil d’administration, la Cour belge d’arbitrage du sport (CBAS) avait signalé que «la notion d’influence notable n’est pas définie dans le règlement de l’URBSFA (NDLR: la fédération belge de football, aujourd’hui renommée RBFA)» mais «doit être comprise comme une influence importante sur la stratégie et la gestion d’un club».

Si les mots flous permettent d’ajouter un peu de brouillard sur les zones d’ombre, le Borinage a longtemps eu du mal à ne pas mettre de la lumière sur le rôle de manager officieux occupé par le providentiel David Lasaracina. Quand il est nommé à la tête de l’équipe fanion en 2016, à la surprise générale, l’ancien joueur de l’élite française Nicolas Huysman précise ainsi qu’il le fait «surtout pour David». Deux ans et demi plus tard, lors de son départ, il «tire son chapeau à Roland Louf et à David Lasaracina, qui sont et resteront deux connaisseurs et les maîtres à bord du club». Toujours dans les pages de Sudinfo, son successeur Dante Brogno évoque le mercato de l’été 2020 et précise qu’il «laisse le soin à David Lasaracina de gérer les dossiers». Aujourd’hui à la tête du club de Mons, l’ancien buteur des Zèbres prend désormais soin de ne pas évoquer le nom de l’agent à l’heure de rassembler ses souvenirs du Borinage, mais parle d’une «direction ambitieuse qui sait y faire dans le recrutement» et d’un «club qui sait bien s’entourer, avec les bonnes personnes». En mars 2022, le retour du coach Arnauld Mercier – toujours en poste à l’heure actuelle – laisse également peu de place au doute quant à l’influence notable exercée par l’agent sur le club borain: «Je suis impatient de partager ma vision, mon expérience, mon ambition, c’est pour ces raisons et pour pouvoir nous projeter que Georges-Louis Bouchez, David Lasaracina et moi avons conclu un accord.» Aux dires du président, si l’agent était bien présent lors d’une première rencontre qualifiée d’informelle, la suite des négociations s’est déroulée en tête à tête entre Bouchez et Mercier, dont on affirme au club qu’ils forment aujourd’hui le duo qui dicte la politique sportive du RFB.

Lasaracina et les Francs Borains : l’amour avant l’argent?

Dans le giron du club basé au stade Vedette, où la passion de l’agent en tribune contraste avec sa froideur analytique dans ses affaires professionnelles, on reconnaît que le carnet d’adresses de Lasaracina était un recours précieux lors des mercatos où les liens entre clubs et agents n’étaient pas encore scrutés de près dans le football amateur. Les conséquences du Footgate, qui a éclaté au grand jour en 2018, ont incité à plus de prudence même si, fin 2022, le milieu défensif croate Mateo Itrak débarque de deuxième division slovène et déclare que «c’est là, en avril dernier, que David Lasaracina et Xavier Sauvage (NDLR: son bras droit au sein de l’agence Gallea Gestion S.A.) m’ont contacté pour la première fois après une de leurs missions scouting».

Selon le règlement fédéral, un agent ne peut pas avoir une «influence notable» sur la gestion d’un club.

Le mélange des genres surprend autant que l’absence de remarque écrite de la commission des licences sur le sujet. Au printemps dernier, à l’heure où ce pan procédurier de la fédération distribue des sésames toujours attendus avec anxiété, les Francs Borains sont certes envoyés en seconde session, mais sans la moindre évocation d’un problème d’influence notable dans les rapports publiés sur le site de la RBFA. «En foot amateur, le niveau d’exigence n’était pas le même», souligne Georges-Louis Bouchez, qui assure que le cas de l’agent de joueurs n’a pas été souligné par la commission des licences. Le club se tenait, de toute façon, prêt à évoquer la jurisprudence Vandenhaute, dont le statut de patron d’agence n’avait pas empêché Anderlecht d’obtenir sa licence au printemps 2020.

Peut-être les dénonciateurs potentiels sont-ils freinés par un élément particulier dans cette histoire de collusions. Contrairement au cas de Mouscron, qu’on présentait dans le milieu comme un club où on «rend service» et qui permettait aux agents qui le dirigeaient d’offrir indirectement de l’argent par des commissions de transferts de joueurs qui n’ont parfois jamais disputé un match officiel, David Lasaracina ne gagne pas d’argent aux Francs Borains. Il se dit même qu’il en perd beaucoup. Interrogé par Le Vif sur le sujet dans la foulée de son intronisation présidentielle, Georges-Louis Bouchez avait alors affirmé que l’agent n’avait «aucun pouvoir décisionnel», avant de préciser que «le seul lien qu’il a, c’est qu’il a fait des avances financières au club, mais ça ne fait pas de lui un dirigeant. Il n’est pas interdit à un agent de faire des avances à un club, moyennant un remboursement.» Un peu plus de trois ans plus tard, l’homme politique l’affirme: «Le club n’a plus de lien financier avec David Lasaracina. Cette question avait été réglée préalablement à l’obtention de la licence. D’ailleurs, on a dû fournir une liste de garants de la pérennité financière du club, et il n’en fait pas partie.»

Au stade Vedette, le carnet d’adresses de Lasaracina est un recours précieux lors des mercatos.
Au stade Vedette, le carnet d’adresses de Lasaracina est un recours précieux lors des mercatos. © belgaimage

Mélange des genres

Liens financiers ou pas, les risques de mélange des genres ne disparaissent pas pour autant. Blessé peu de temps après son arrivée le 1er juillet dernier, Kévin Vandendriessche était la tête d’affiche du mercato des Borains. Le milieu de terrain français facture 283 matchs au sein de l’élite du football belge, dont encore dix la saison dernière sous les couleurs de Courtrai. Le Nordiste est représenté par l’agence 442, entreprise française dont la page Transfermarkt renseigne également les noms des joueurs Grégory Grisez, Mégan Laurent, Benjamin Boulenger, de l’éphémère Thomas Vannoye (prêté cinq mois en début d’année) ainsi que du coach Arnauld Mercier. Sollicité pour évoquer ce lien important avec les Francs Borains, le directeur de l’agence 442, Thomas Buanec, n’a pas donné suite à nos sollicitations. Il est cependant à l’origine du transfert vers le club de Clermont de l’attaquant jamaïcain Shamar Nicholson, amené à Charleroi par l’intermédiaire de David Lasaracina au mois d’août 2019.

La collaboration entre les deux agents, gravée par une publication Instagram où ils entourent Maximiliano Caufriez lors de sa signature chez les mêmes Auvergnats, aurait-elle des retombées positives sur la constitution du noyau du RFB? L’exemple pourrait probablement être multiplié, et sème en tout cas le doute sur la régularité sportive d’un recrutement sans cesse plus ambitieux au stade Vedette, et paraissant surtout impossible sans le réseau et les interventions de David Lasaracina. «Ce club, on est quatre ou cinq à vraiment le tenir, résume Georges-Louis Bouchez. A la direction, je prends une large part et la décision finale me revient toujours, mais David m’aide bien, pour le scouting et le sportif. Ce n’est de toute façon pas possible aujourd’hui de diriger un club si des gens dont c’est le métier ne sont pas là pour vous conseiller.»

L’amour du blason peut parfois devenir un dangereux flirt avec les limites des règlements. L’agent de joueurs a probablement dû en être prévenu. Lors de son retour dans le Borinage en 2015, les premières semaines de l’automne ont vu la naissance d’un «club affaires» aux Francs Borains. Parmi les invités qui se sont succédé au micro, on remarque notamment le nom de David Delferière, président de l’Association des clubs francophones de football (ACFF), ou encore celui de Mehdi Bayat, interlocuteur privilégié en 2020 alors qu’il occupait depuis quelques mois la tête de la Fédération belge de football. A la manœuvre lors des arrivées de Nicholson, mais également de Núrio Fortuna ou d’Ivan Goranov dans le Pays Noir, David Lasaracina connaît très bien l’homme fort des Zèbres. Le Sporting carolo et les Francs Borains sont d’ailleurs officiellement partenaires depuis 2021, «pour l’équipe première avec d’éventuels prêts de joueurs, pour l’école des jeunes et pour les partenaires et sponsors», comme l’avait présenté le président Bouchez à l’époque. C’est d’ailleurs dans ce cadre que les équipes espoirs des deux clubs se sont récemment rencontrées pour un match amical disputé sur le terrain synthétique de Marcinelle, sous les yeux de Mehdi Bayat et de David Lasaracina. Le premier était présent en tant que dirigeant. L’autre n’était officiellement qu’un supporter.

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