Sans les buts de Romelu Lukaku, la Belgique a été condamnée à jouer contre-nature. © IMAGO/AOP.Press

Ukraine-Belgique: les Diables ont joué pour ne pas perdre (et ils avaient peut-être raison)

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Retour tactique sur le match nul de la Belgique contre l’Ukraine à l’Euro 2024, conclu par une qualification et des sifflets (0-0).

C’est toujours le même cauchemar. Celui qui réveille invariablement le Diable depuis la première nuit du mois de décembre 2022. 573 nuits à revoir les pieds de Romelu Lukaku cafouiller devant le but croate, au bout d’un troisième match de poule que la Belgique avait perdu l’habitude d’aborder en ayant tout à perdre. Comme au Qatar, le dernier adversaire est, sur papier, le plus redoutable. Même si elle se déploie dans un prudent 5-3-2 et laisse certains de ses artistes comme Zinchenko ou Tsygankov sur le banc, l’Ukraine a un casier footballistique bien plus effrayant que celui des Slovaques et des Roumains.

Les démons sont de sortie. Ils ne mettent que sept minutes à jaillir face au pied gauche de Romelu Lukaku. Le meilleur buteur de l’histoire de la sélection est mis sur orbite par l’une de ces passes que seul Kevin De Bruyne semble capable de calibrer. Le ballon atterrit comme s’il était guidé par une télécommande, se dépose dans la course de Big Rom’, mais le tir brouillon est confisqué par Trubin. «On devait marquer durant le début de la partie, parce qu’on était au niveau et on avait la possession», racontera Domenico Tedesco au bout de la qualification. Gloutonne offensive de la décennie écoulée, la Belgique se met à bafouiller aux abords de la surface adverse au pire des moments. Forcément, cela conditionne sa façon de jouer.

Le sélectionneur fait pourtant en sorte de raviver des bons souvenirs. Plus de surprise dans le onze, presque inchangé par rapport à la victoire contre la Roumanie. Seul Leandro Trossard relaie Dodi Lukebakio, suspendu, pour jouer la partition d’ailier intérieur qui aimante les ballons et résiste à la pression sur le côté droit. Le début de match a l’allure des victoires confortables. L’ennui, c’est qu’il faudra patienter près d’une heure de jeu entre l’occasion initiale et le tir suivant depuis l’intérieur de la surface ukrainienne, encore signé Lukaku à la 65e minute.

Les latéraux et le danger

Très vite, la Belgique comprend que son adversaire du jour a bien fait ses devoirs. Studieux, le coach Rebrov a disséqué le Diable et identifié les points faibles de l’animation offensive de son 4-2-3-1: oui, les ailiers sont redoutables, mais on peut les canaliser grâce à des prises à deux. Bien sûr, Kevin De Bruyne est un maestro d’exception, mais il sera moins létal face à un milieu de terrain renforcé et musclé. Evidemment, Romelu Lukaku a la carrure d’un pivot de parquets américains, mais un défenseur vif peut anticiper pour éviter qu’il soit servi dans la raquette. Tant de paramètres impliquent de sacrifier une portion du terrain. Avec son 5-3-2, Rebrov choisit de libérer les latéraux belges, voyant que ni Castagne ni Theate ne sont en mesure de transformer des possessions en occasions.

Enfermée au cœur du jeu et dans les intervalles, verrouillée dans les ballons qu’elle confie à Doku par la vitesse de Tymchyk, la sélection belge souffre également d’un pressing moins ambitieux que lors de ses deux premières sorties. Peut-être parce qu’elle se dit déjà que pour se qualifier dans ce groupe où tous les scénarios sont possibles, ne pas encaisser est plus important que marquer. Alors, le milieu de terrain s’ouvre et les Ukrainiens s’y régalent. Avec le très mobile Shaparenko à la manœuvre, malgré un Onana qui déploie ses foulées sur toute la largeur, le milieu de terrain se colore de jaune et bleu et le danger se précise. Parce que Yaremchuk oublie de tirer et que Dobvyk le fait à la moindre occasion, le marquoir reste gelé, mais la Belgique ne répond plus que par Kevin De Bruyne. Entre un coup de génie sur un coup franc excentré ou des passes inimaginables, le capitaine tente des miracles, mais c’est comme s’il faisait apparaître de l’eau dans un tonneau percé.

La Belgique qui calcule

L’Ukraine atteint la mi-temps avec sept frappes tentées. Probablement trop pour Tedesco. Moins entreprenant depuis son banc que lors des qualifications, le coach des Diables laisse toutefois passer une grosse opportunité belge supplémentaire avant de faire ses premiers changements. Kevin De Bruyne, encore lui, a mis sur orbite Jérémy Doku. Le centre arrive là où il faut, juste quand il faut, mais Lukaku joue en décalage horaire et passe sa soirée un temps en retard. Le sélectionneur réalise que marquer est toujours aussi compliqué. Alors, il fait deux changements. Poste pour poste. Sans augmenter ses chances de gagner, probablement en pensant avant tout à réduire celles de perdre. Orel Mangala est le plus conservateur de ses milieux, et Yannick Carrasco le plus défensif de ses ailiers. Le message est limpide: dans un match fermé, le talent offensif est plus présent du côté des Diables, qui ont donc plus de chances de déverrouiller le marquoir sur un exploit individuel venu de Kevin De Bruyne ou Jérémy Doku.

S’il fallait encore un avertissement, il intervient à quinze minutes du terme. La Belgique se dévoile, trouve enfin Lukaku en pivot dans le bon tempo, et fait armer Carrasco. Le tir est dangereux, mais pas autant que la transition où un Dobvyk égoïste est neutralisé par Wout Faes. L’Ukrainien ne frappe pas, et le plan porte globalement ses fruits: de sept frappes en 45 minutes, les hommes de Rebrov sont passés à deux tentatives en 35, quand la montée au jeu de Yarmolenko annonce un passage à quatre derrière et une prise de conscience qu’il faudra créer plus de danger pour gagner et se qualifier.

Subir et souffrir

La Belgique doit en profiter, mais Yannick Carrasco programme un grand écart. Dans tous les bons coups, sans jamais les jouer dans le bon rythme. Des passes mal choisies ou mal calibrées empêchent le Diable de punir un adversaire qui se découvre, et le laissent à la merci d’un but synonyme d’élimination. Un corner rentrant de Malinovskyi surprend presque Casteels, une énorme frappe de l’ancien de Genk est contrée par Castagne à l’entrée d’une surface désertée par ses milieux de terrain, et une dernière percée de Sudakov dans les arrêts de jeu transperce une défense qui recule comme si elle voulait aller s’asseoir en tribunes. Le Diable semble avoir sciemment décidé de subir, oubliant qu’il n’a pas les profils adaptés pour le faire sans souffrir.

La phase de poules se termine en jouant du sablier au poteau de corner. Kevin De Bruyne lève le poing au coup de sifflet final, puis baisse les bras en entendant ceux de son public. La Belgique est qualifiée sous les huées, à cause d’un match qu’elle a donné l’impression de jouer avec une calculatrice plutôt qu’avec le cœur. Entre la sécheresse offensive de Romelu Lukaku et les rares minutes confiées à Loïs Openda, marquer semble être devenu tellement compliqué que le Diable a décidé de ne plus sortir sans sa ceinture de sécurité.

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