
Ukraine-Belgique, l’analyse: Garcia voulait contrôler, un contrôle et deux blessures ont tout changé
L’analyse tactique de la défaite de la Belgique contre l’Ukraine, en barrage aller de la Ligue des Nations (3-1).
Puisqu’elle met le patriotisme à tous les coins de son discours, la nouvelle Belgique ne pouvait sans doute pas trouver d’adversaire plus approprié pour sa première sortie. Murcie est à 3.000 kilomètres de Kiev, mais les Ukrainiens s’égosillent sur chaque note de leur hymne national, drapeaux posés sur les épaules. De l’autre côté du corps arbitral, les visages belges sont plus fermés. Un mélange de concentration et de tension qui contamine les premiers ballons. Même la passe de Brandon Mechele vers Maxim De Cuyper, pourtant exécutée des centaines de fois sous le maillot bleu et noir de Bruges depuis deux saisons, finit en touche à la première occasion.
Rudi Garcia a pourtant taillé à sa première Belgique un costume de contrôleur. Les dynamiteurs Doku et Lukebakio sont laissés sur le banc au profit de Leandro Trossard et Charles De Ketelaere, plus milieux de terrain qu’ailiers. Comme s’il fallait rendre hommage à l’Espagne de ses ancêtres, le nouveau sélectionneur esquisse le scénario d’un match aller à la Pep Guardiola: peu de risques, surtout de la maîtrise. Parce que 180 minutes, c’est très long. Pas question, donc, de confier la mission de sentinelle à Youri Tielemans, qui doit plutôt servir de connecteur entre les coups d’œil décisifs de Kevin De Bruyne et les longues jambes de Zeno Debast. Clairement, le Diable est venu jouer un match sans péripéties.
Les premiers mouvements sont pourtant brouillons, et obligent Thibaut Courtois à s’éveiller plus tôt que prévu sur une frappe de Roman Yaremchuk trop facilement permise par Koni De Winter. Trois minutes plus tard, Courtois parle avec les pieds, contrôlant parfaitement un ballon miné de Thomas Meunier. Paradoxalement, c’est le gardien qui donne le premier signal de qualité technique de la Belgique. Peut-être parce qu’il a le plus gros palmarès du terrain. Sa confiance est visiblement contagieuse.
De Bruyne et la baguette magique
Les Diables s’installent en multipliant les passes courtes et les frappes longues. De Bruyne et Trossard n’inquiètent pas Lunin, mais ouvrent des espaces qui profitent bientôt à un milieu belge qui prend le dessus. Autour d’un rond central où pullulent les pertes de balle, De Bruyne s’en donne à cœur joie quand la sphère atterrit dans ses pieds. Même avec les poumons qui rétrécissent, le pied droit du taulier de Manchester City reste une baguette magique. Deux ballons délicieux vers la surface adverse pour Lukaku, un centre tendu repoussé par Lunin, et un danger qui se précise contre une Ukraine aux idées floues.
La Belgique, elle, voit de plus en plus clair. Elle laisse alors lire ses cartes offensives, souvent distribuées par ses arrières latéraux. Profitant d’un Zeno Debast qui décroche souvent en position d’arrière droit à la relance, Thomas Meunier ouvre la porte de son couloir et y multiplie les appels pour empiler les centres. A l’opposé, Maxim De Cuyper est plus illisible. Souvent à l’intérieur du jeu, comme un milieu de terrain supplémentaire, il est plus organisateur que centreur. Pour laisser Kevin De Bruyne près de la défense adverse, là où son pied fait le plus de dégâts, le Diable cherchait désespérément un chef d’orchestre devant sa défense. Elle l’a peut-être trouvé. Tant pis s’il est arrière latéral, le coach s’arrangera.
Le couloir gauche est laissé aux pieds de Leandro Trossard. Le Gunner y emmène Viktor Tsygankov dans un indigeste tour de manège en empilant les feintes, et l’ailier ukrainien finit par vomir une faute. Kevin De Bruyne dépose le coup franc sur le front de Romelu Lukaku, pour que la Belgique de demain débute avec les habitués d’hier. C’est 1-0, et les vestiaires sont rejoints sur une phase arrêtée ukrainienne dégagée de la tête par Youri Tielemans qui célèbre son geste défensif comme un but.
La sieste puis Zinchenko
Confortablement installée dans son bloc bas, la Belgique revient sur le terrain en protégeant une défense toujours en chantier. Si les sorties intempestives au pressing de Maxim De Cuyper ouvrent des brèches qu’on aurait lourdement reprochées à Yannick Carrasco quelques années plus tôt, la première véritable opportunité d’une deuxième période entamée avec l’énergie d’une grasse matinée dominicale sort du canon droit de Kevin De Bruyne. Zinchenko réplique par un coup franc catapulté sur le poteau de Courtois suite à une faute de Koni De Winter, puis la star ukrainienne se retrouve arrière droit à cause des blessures combinées de Konoplya (en début de match) puis de son remplaçant Sych. Rebrov bricole, mais trouve un lingot d’or au fond de sa boîte à outils.
Hors d’un cœur de jeu congestionné par le plan belge, Zinchenko ne déborde pas comme un latéral classique, mais rentre vers son pied gauche pour dessiner les plans ukrainiens. Il n’est pas pour grand-chose dans l’égalisation locale, offerte au bout de dix passes belges par un ballon délicat de Trossard et surtout une coupable approximation technique de Koni De Winter à la réception. Par contre, c’est lui qui aiguille la possession ukrainienne vers le 2-1. Hors de portée d’un De Cuyper qui n’est ni assez haut pour l’empêcher de jouer, ni assez bas pour fermer son couloir, le Gunner lance une combinaison qui finit au fond des filets de Courtois en profitant des espaces dans une défense diabolique désarticulée.
Rudi Garcia remet des jambes au milieu avec l’arrivée de Vanaken, et de la profondeur sur le flanc en offrant le couloir droit à Dodi Lukebakio. Ce dernier remplace un De Ketelaere déconnecté, trop loin de ses coéquipiers pour briller, lui qui n’est jamais aussi fort que dans les combinaisons courtes. Le match ne bascule pas pour autant, parce que la Belgique ne parvient jamais à le maîtriser à nouveau. Exposé à ses limites défensives désormais connues sans le ballon, le Diable ne parvient jamais à retrouver la possession, faute de porte de sortie pour ses relances. Lukaku est injoignable, et les miracles individuels de Jérémy Doku, si précieux dans les remontées de Tedesco, sont sur le banc. C’est même Saelemaekers qui montera sur le côté gauche, plus pour mettre un sparadrap sur les plaies ouvertes par Zinchenko que pour poignarder le dos du maître à jouer ukrainien. Parce que Rudi Garcia n’oublie pas que le match durera 180 minutes.
Les mots qui tonnent
La neutralisation de Zinchenko est préparée, mais le changement doit attendre un corner. Ou plutôt deux. Intelligemment placé au coin opposé de la surface, largement hors de la zone défensive mise en place par les Belges, le joueur d’Arsenal tente une frappe déviée sur la première tentative, puis choisit le centre pour la deuxième. L’Ukraine marque une troisième fois, faisant subir à Thibaut Courtois un bilan qu’il n’avait plus connu depuis plus de trois ans sous le maillot des Diables. La suite est presque plus proche du 4-1 que du 3-2, malgré un passage à trois derrière tenté par Garcia et malgré un centre bien amené mais pas repris au bout des arrêts de jeu.
«Quand on pense être une grande équipe, on ne peut pas sombrer comme ça», assène le sélectionneur après le coup de sifflet final. La Belgique n’a pas encore réussi son examen de grandeur, parce qu’elle doit toujours s’habituer à sa nouvelle position dans le système métrique international. Celle d’une équipe qui ne parvient ni à subir sans souffrir, ni à souffler avec le ballon.
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