Bart Verhaeghe «prépare l’avenir» du FC Bruges: il aurait adressé, via une banque d’affaires, un prospectus à des acquéreurs potentiels. © BELGAIMAGE

Tout le foot belge est-il à vendre?

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Passé sous pavillon américain, le club de Courtrai incarne une tendance de plus en plus forte dans le foot belge. La fièvre vendeuse pourrait même toucher le Club de Bruges. Tour d’horizon d’un phénomène.

C’est un deal qui se grommelle dans la langue de Vondel. Une histoire qui semble d’un autre temps, dans ces bureaux du foot belge où l’anglais est devenu la langue véhiculaire mondiale. Elle se joue pourtant au bout de l’année 2017, quand le président Roger Vanden Stock décide de mettre en vente un RSC Anderlecht devenu affaire de famille à l’aube des années 1970 sous la houlette de son père Constant. Si l’homme d’affaires ouzbek Alicher Ousmanov, alors détenteur d’un petit tiers du club londonien d’Arsenal, passe l’apéritif à la table des négociations, c’est surtout parce que Christophe Henrotay, l’un des agents les plus influents du marché belge, l’y a invité, appâté par la juteuse commission promise à celui qui amènera le futur patron du club aux dirigeants mauves. A l’heure du dessert, l’addition se joue entre Flamands. Le puissant Marc Coucke, patron d’Omega Pharma et du club d’Ostende, d’un côté. L’homme de médias Wouter Vandenhaute (Woestijnvis), un temps associé au magnat de la construction Paul Gheysens, de l’autre. Coucke remporte une empoignade nationale aux airs d’anomalie: désormais, quand un club belge change de propriétaire, il franchit presque systématiquement les frontières.

Posséder un club belge semble être devenu un atout de choix.

Bruno Venanzi l’a appris à ses dépens. Riche supporter devenu président du Standard, l’ancien patron de Lampiris a d’abord cherché son successeur à la tête des Rouches sur le sol national. Ni François Fornieri (Mithra) ni la riche famille Lhoist sollicitée par Venanzi n’ont finalement repris le club, racheté par le fonds d’investissement floridien 777 Partners au bout d’une lutte à trois avec l’Américain John Chayka et le Russe Sergei Lomakin. Au printemps 2022, les Liégeois sont devenus le premier club de l’historique «G5» (Standard, Anderlecht, Bruges, Gand et Genk) à passer entre les mains d’un fonds étranger. Probablement pas le dernier.

Dragué de longue date par des courtisans venus de l’autre côté de l’Atlantique, le club gantois ne devrait pas tarder à céder, même si la vente future de son joyau nigérian Gift Orban lui promet encore d’intéressantes retombées financières. Quant à Bruges, locomotive du championnat ces dernières années, Sporza révèle récemment que ses dirigeants – l’homme d’affaires Bart Verhaeghe en tête – ont adressé, par l’intermédiaire d’une banque d’affaires, un prospectus à des acquéreurs potentiels. «La bonne gouvernance consiste à préparer l’avenir, et c’est exactement ce que nous faisons aujourd’hui», réagit le Club dans un communiqué, ouvrant la porte à une revente future.

Un paradis du business

«Il n’y a plus beaucoup de clubs disponibles pour les investisseurs étrangers», analysait le Français Gauthier Ganaye, à l’été 2020, tout juste installé dans son fauteuil de CEO du KV Ostende, intronisé par les propriétaires américains de Pacific Media Group, aujourd’hui passé chez un autre patron d’outre-Atlantique à la tête du RWDM, et dégainant dans la foulée sa prophétie: «Je suis persuadé que d’ici quelques années, il n’y en aura plus aucun.»

Scellée le 14 juin, la vente du club de Courtrai est sans doute l’incarnation d’une nouvelle tendance: des clubs belges qui passent de mains étrangères en mains étrangères. Vendeur, le Malaisien Vincent Tan a notamment négocié avec les propriétaires du club anglais de Burnley, avant de finalement céder son club flandrien contre un peu plus de 17 millions d’euros au groupe Kaminski, implanté aux Etats-Unis. Un deal qui raconte, à lui seul, le nouveau panorama d’un football belge où les propriétaires locaux ne représentent désormais plus qu’un bon tiers du paysage professionnel.

Remis sur le marché par ses propriétaires américains, le club côtier d’Ostende attire ainsi les acheteurs internationaux. Les patrons saoudiens du club de Newcastle, en quête d’un pied-à-terre sportif sur le continent, ont tâté le terrain, tout comme le fonds chinois Fosun, impliqué à Wolverhampton, et le groupe du Texan Bill Foley, à la tête de Bournemouth et tout récent actionnaire majoritaire des Français de Lorient. Dans ces constellations internationales qui pullulent désormais dans le football mondial, posséder un club belge semble être devenu un atout de choix.

Ephémère propriétaire de Lommel qu’il a ensuite revendu au City Football Group (propriétaire de Manchester City, le récent champion d’Europe), l’avocat d’affaires israélien Udi Shochatovitch expliquait son investissement dans ce coin isolé du Limbourg par l’attraction noire-jaune-rouge. «L’un des trois paradis pour faire du business dans le football», glissait-il à l’époque à Sport/Foot Magazine, plaçant le pays sur le podium avec le Portugal et Chypre. Sur la plus haute marche même, les clubs portugais étant plus difficiles à racheter à cause des réglementations locales alors que la ligue chypriote a une réputation sulfureuse et, surtout, un niveau sportif moindre.

Les frères Kaminski, nouveaux propriétaires du KV Kortrijk.
Les frères Kaminski, nouveaux propriétaires du KV Kortrijk. © BELGAIMAGE

La Belgique, carrefour de l’Europe de l’Ouest, a l’avantage d’être facile d’accès et très prisée par les recruteurs des grands championnats. Sans oublier un seuil de rémunération relativement bas pour les joueurs venus de l’extérieur des frontières de l’Union européenne et un système de protection du talent national plutôt permissif. Piégé par une caméra cachée de la BBC à une époque où il travaillait encore pour le club de Charleroi, alors possédé par son oncle Abbas, le sulfureux Mogi Bayat l’avait résumé à merveille: «La Belgique est une plate-forme en Europe. On peut y jouer avec autant de joueurs étrangers qu’on le désire. Si tu veux aligner onze Africains, onze Turcs ou onze Brésiliens, tu peux.» Le règlement oblige effectivement à avoir au minimum six joueurs belges parmi les 18 noms couchés sur la feuille de match, mais il est donc mathématiquement possible que tous se retrouvent sur le banc.

Le foot belge et la stratégie du satellite

Sur les rectangles verts où l’heure est à la surenchère, nombreux sont les clubs locaux qui ont les finances exsangues. A l’échelle d’un football aux montants qui décollent, leur prix de vente reste donc souvent très abordable pour s’inviter à la table d’un championnat qui demeure une référence dans le subtop européen. Pour acquérir Ostende, tout juste descendu en D2, il faudrait ainsi débourser dix millions d’euros. Un prix d’entrée modeste, quand on le compare aux 350 millions qu’a mis sur la table PIF, le fonds d’investissement public saoudien, pour s’offrir un club de Newcastle englué dans le bas du tableau anglais.

Plus nombreuses depuis le Brexit, les contraintes pour voir un jeune joueur prometteur débarquer sur le sol anglais ont incité les propriétaires de clubs de Premier League à débusquer des filiales européennes, et notamment belges. En mars 2017, le club d’Oud-Heverlee Louvain avait ouvert la voie en cédant aux avances de King Power, le groupe propriétaire de Leicester City. Depuis, d’autres ont suivi: Lommel appartient à Manchester City, des actionnaires de Crystal Palace sont à la tête du RWDM (via John Textor) et de Beveren (par l’intermédiaire de David Blitzer et John Harris) et ceux de Sheffield United possèdent également le Beerschot. Sans oublier l’exemple désormais illustre de l’Union Saint-Gilloise, dont l’actionnaire majoritaire Tony Bloom est le président du club de Brighton. Au Parc Duden, les talentueux Kaoru Mitoma et Simon Adingra ont ainsi animé le championnat suite à un prêt des Seagulls de Brighton, qui voyaient d’un bon œil la poursuite de leur développement sur le sol belge. A quelques minutes près, les Saint-Gillois auraient pu soulever un trophée de champion qui aurait validé jusqu’aux sommets de la hiérarchie nationale cette nouvelle tendance du football en Belgique.

La stratégie du club-satellite, également suivie par les clubs français de Monaco (propriétaire du Cercle Bruges) ou de Metz (à la tête de Seraing), n’est pas un phénomène unique dans le jeu noir-jaune-rouge. L’échiquier a pris des allures de planisphère, avec des Turcs pour diriger Westerlo ou des Japonais à Saint-Trond ou à Deinze. De quoi contraindre la commission des licences, qui distribue les bons points permettant à un club de jouer au niveau professionnel, à une longue gymnastique administrative pour déterminer l’origine de ces fonds parfois de plus en plus obscure. Il faut dire que depuis la nouvelle réglementation de la Fifa qui interdit aux agents de joueurs de posséder des clubs de football, ces derniers rivalisent d’ingéniosité pour conserver des «clubs amis».

La Belgique est une plate-forme en Europe. On peut y jouer avec autant de joueurs étrangers qu’on le désire.

D’abord revendu par Lille au très puissant agent Pini Zahavi (l’homme qui a ficelé le transfert de Neymar vers le PSG), Mouscron était devenu dès 2015 «un club où on rend service», selon un acteur du monde des transferts. Joueurs fantômes, passés officiellement par le Hainaut sans jamais y avoir mis les pieds, ou meneurs de jeu médiocres arrivés chez les Hurlus dans le cadre d’un plus grand deal entre deux autres clubs, servant alors uniquement à faire gonfler artificiellement la commission des agents concernés: tout cela était devenu monnaie courante au Canonnier. Même quand la réglementation ne l’a plus permis, Pini Zahavi et ses associés ont placé des hommes de paille dans le conseil d’administration des Mouscronnois jusqu’en 2020, quand Lille a finalement racheté le club (aujourd’hui disparu). En voulant à tout prix faire survivre le club de leur ville, les patrons belges cèdent parfois au premier samaritain venu, sans réellement mesurer les risques de la manœuvre.

A l’Union, Simon Adingra a animé le championnat grâce à un prêt des Seagulls de Brighton.
A l’Union, Simon Adingra a animé le championnat grâce à un prêt des Seagulls de Brighton. © BELGAIMAGE

La vague américaine sur le foot belge

Il faut dire que les sollicitations ne manquent pas. «On a déjà été contactés à plusieurs reprises par des agents qui nous demandent si nous sommes en recherche d’investisseurs étrangers», confie Eddy Cordier, le CEO d’un Zulte Waregem toujours couleur locale. Dans un autre club encore aux mains belges à l’heure actuelle, on estime à trois ou quatre approches concrètes le rythme annuel des approches étrangères. Elles arrivent souvent par des agents, parfois par l’intermédiaire d’avocats très réputés qui se laissent prendre au jeu du football, d’autres fois encore par des «apporteurs d’affaires» qui sont en contact fréquent et étroit avec des fonds américains.

C’est bien de l’autre côté de l’Atlantique qu’arrive la nouvelle vague. Selon un consultant installé par des investisseurs américains dans un club européen, «le football est perçu depuis les Etats-Unis comme un secteur terriblement déficitaire». Souvent, les fonds américains rachètent donc des clubs européens pour une somme minimale, prennent quelques années pour le restructurer de fond en comble en limitant généralement les dépenses, puis le revendent en recherchant une plus-value financière. Racheté en 2020 par Bolt Football Holdings, il se dit aujourd’hui que le club de Beveren est déjà à vendre. On raconte, surtout, que ses propriétaires auraient aimé le voir retrouver l’élite pour faire décoller le prix réclamé. Malheureusement pour les Américains et leur amour des ligues fermées, le système de promotion et de relégation à l’européenne fait un peu trop fluctuer les prix du marché. Ce sera peut-être la prochaine manœuvre venue de l’autre côté de l’Atlantique, quand la bannière étoilée flottera au-dessus d’une majorité de stades européens.

Qui sont les propriétaires des clubs belges*?

Jupiler Pro League

Anderlecht: Marc Coucke (BEL)

Antwerp: Paul Gheysens (BEL)

Cercle de Bruges: Dmitri Rybolovlev (Russie)

Charleroi: Mehdi Bayat (France-Iran)

Club Bruges: Bart Verhaeghe (BEL)

Courtrai: KAM Sports (USA)

Eupen: Aspire Football Group (Qatar)

Gand: Ivan De Witte (BEL)

Genk: ASBL KRC Genk (BEL)

Malines: Philippe van Esch (Pays-Bas)

OH Louvain: King Power (Thaïlande)

RWDM: John Textor (USA)

Saint-Trond: DMM.com (Japon)

Standard: 777 Partners (USA)

Union Saint-Gilloise: Tony Bloom (Grande-Bretagne)

Westerlo: Oktay Ercan (Turquie)

Challenger Pro League

Beveren: Bolt Football Holdings (USA)

Beerschot: United World Group (Arabie saoudite)

Deinze: ACA Football Partners (Japon)

Dender: Sihar Sitorus (Inde)

Francs Borains: Royal Francs Borains asbl (BEL)

RFC Liège: Jean-Paul Lacomble (BEL)

Lierse: Luc Van Thillo (BEL)

Lommel: City Football Group (Emirats arabes unis)

KV Ostende: Pacific Media Group (USA)

Patro Eisden Maasmechelen: Common Group (USA)

RFC Seraing: Bernard Serin (France)

Zulte Waregem: Tony Beeuwsaert (BEL)

Actionnaire majoritaire au 15 juin 2023 (saison 2023-2024).

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