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Toby Alderweireld à coeur ouvert: «On a laissé un héritage pour les générations futures des Diables »

La déception de la Coupe du monde au Qatar atténuée, Toby Alderweireld (33 ans) se tourne vers le futur. Le défenseur veut propulser l’Antwerp au sommet et voit toujours un avenir pour lui chez les Diables rouges.

Each day I come closer to the home where I was born. (Chaque jour, je me rapproche de la maison où je suis né). Cette phrase poétique est tatouée sur le biceps gauche de Toby Alderweireld. C’est une ode à sa ville natale d’Anvers et une déclaration d’amour à sa vieille famille – ses deux frères et ses parents – comme il l’appelle lui-même. Sur son bras droit, le Diable rouge a ensuite fait immortaliser à l’échelle la cathédrale Notre-Dame d’Anvers, haute de 123 mètres. Et ses enfants devaient à tout prix naître à Anvers pour que la ville soit mentionnée sur leur carte d’identité. Dire que Toby est particulièrement attaché à sa ville est un euphémisme. Dans le monde du football, on ne trouve sans doute pas de meilleur ambassadeur de la Métropole qu’Alderweireld.

Toby Alderweireld: «Chaque footballeur veut laisser quelque chose derrière lui. Je ne pense pas que l’argent soit l’unique source de motivation pour le joueur moyen.»
Toby Alderweireld: «Chaque footballeur veut laisser quelque chose derrière lui. Je ne pense pas que l’argent soit l’unique source de motivation pour le joueur moyen.»

«Le dialecte anversois, les gens, l’atmosphère, le mode de vie bourgeois… Fantastique! Ce sont les choses auxquelles j’associe Anvers», commence Alderweireld, qui ne laissera pas son regard s’éloigner du terrain du Bosuil pendant une heure et demie. «J’ai vécu à Amsterdam, à Madrid et à Londres, mais mon cœur est toujours resté à Anvers. À chaque moment libre, je descendais à Anvers. Je suis resté fidèle à ma ville, ce n’est qu’à la fin que je me suis un peu ouvert à Londres, et à mes amis. Il y a quelque chose de romantique dans l’idée d’avoir les mêmes amis toute sa vie, mais ça a aussi ses limites. Mon attitude m’a coûté quelques amitiés.»

Tu as pourtant vécu plus longtemps hors de Belgique que dans ta ville natale. Ta première rencontre avec un pays étranger a eu lieu lorsque tu as déménagé d’Ekeren à Amsterdam à l’âge de quinze ans. As-tu constaté certaines similitudes entre les Anversois et les Amstellodamois, qui sont tous deux connus pour leur grande gueule.

TOBYALDERWEIRELD: (hochelatête) Les Amstellodamois et les Anversois sont très fiers de leur ville, on est pareils à cet égard. On l’exprime aussi ouvertement. Ça tend vers l’arrogance, c’est du moins ce que les étrangers ressentent, mais je le vois surtout comme une façon sûre d’elle d’exprimer son amour.

Lors de sa présentation à l'Antwerp: «Je n'irai plus jamais ailleurs.»
Lors de sa présentation à l’Antwerp: «Je n’irai plus jamais ailleurs.»

«Peu de joueurs ont disputé deux finales de Champions League»

Avant de rejoindre l’Ajax, tu as passé cinq ans à défendre les couleurs du club fusionné du GBA. Mais depuis ton transfert à l’Antwerp, ça n’a jamais été un problème pour les supporters.

ALDERWEIRELD: Non, loin de là. De toute façon, j’ai toujours été un fan du football anversois. En tant que jeune joueur au GBA, j’ai évidemment assisté à des matches au stade olympique, mais ma première expérience de football a eu lieu au Germinal Ekeren. J’habitais littéralement à côté du Veltwijckpark et j’avais environ sept ans lorsque je suis allé voir un match pour la première fois. J’étais au Heysel quand Tomasz Radzinski, Gunther Hofmans, Alex Czerniatynski et tous ces gars ont gagné la Coupe contre Anderlecht. Entretemps, je suis vraiment tombé amoureux de l’Antwerp. À mon sens, je joue dans le plus beau club de Belgique.

Alderweireld en 2009 lors de l'un de ses premiers entraînements avec les Diables rouges.
Alderweireld en 2009 lors de l’un de ses premiers entraînements avec les Diables rouges.

La boucle est-elle bouclée pour toi maintenant?

ALDERWEIRELD: Ça semble si négatif. Comme si je mettais un point final à tout… J’ai encore très faim et les gens de l’Antwerp peuvent le confirmer. Pendant les deux ans et demi de contrat qu’il me reste, je veux créer quelque chose dont on parlera encore dans dix ans. Mon rêve ultime? Amener la Ligue des champions au Bosuil. Les supporters attendent également un titre depuis plus de soixante ans. On ne peut pas commander un titre du jour au lendemain et pourtant je pense que c’est normal que nos fans soient impatients. On ne peut pas attendre d’eux qu’ils exhortent le club à se ménager.

En principe, l’Antwerp sera ton dernier club au plus haut niveau?

ALDERWEIRELD: Je suis super heureux ici et je n’irai plus jamais ailleurs. J’ai donné mon cœur et mon âme à l’Ajax, à Tottenham et à tous les clubs où j’ai joué au football, mais l’Antwerp est encore plus spécial. Si j’avais pu écrire le scénario de ma carrière sur une feuille blanche, j’aurais mis l’Antwerp en première position. Aussi à cause de ma famille. Je vais le redire de manière très romantique: y a-t-il quelque chose de plus beau, en tant que footballeur, que de pouvoir défendre sa propre ville dans le championnat national et en Europe? .

As-tu jamais pensé que tu terminerais ta carrière en Belgique?

ALDERWEIRELD: J’aurais certainement ressenti un manque si je n’avais jamais joué en Belgique. On me pose souvent la même question: ne détestes-tu pas jouer dans les stades belges après avoir regardé la Premier League? Au contraire, j’adore. Avant, je ne voyais ces stades qu’à la télévision et maintenant, je suis moi-même sur le terrain. Mais il y a tellement de facteurs externes qui influencent un transfert que vous ne pouvez pas prédire à quoi ressemblera votre carrière.

Comme durant ton passage à Tottenham. À l’été 2018, Manchester United voulait faire de toi l’un des défenseurs les plus chers de Premier League. Mais Daniel Levy, le chief negociator de Tottenham, s’y est opposé à l’époque. N’aurais-tu pas dû insister?

ALDERWEIRELD: Les gens pensent à tort que les joueurs ont leur mot à dire dans les transferts. On est généralement les derniers à être informés d’un éventuel accord. C’est la réalité. Après la Coupe du monde en Russie, j’ai découvert ce qui était en jeu avec Manchester United. C’est aussi dû à moi, en partie. J’ai toujours dit à mon agent que je voulais me concentrer uniquement sur le foot. Je lui ai dit: «Si un club arrive, tu peux tout arranger et je l’apprendrai.» Dans le cas de Manchester United, aurais-je dû davantage imposer mes vues? Non, je ne regrette rien. J’ai vécu mes meilleures années en tant que footballeur à Tottenham. J’ai tellement de respect pour ce club que ce serait bizarre de dire maintenant que j’aurais dû forcer mon transfert à Manchester United.

Face au Dinamo Zagreb lors de sa période ajacide.
Face au Dinamo Zagreb lors de sa période ajacide.

Ton transfert loupé s’inscrivait parfaitement dans l’évolution que la Premier League a connue en termes de sommes de transfert. Lorsque tu as fait tes débuts en Angleterre lors de la saison 2014/15, on ne dépensait pas 80 millions d’euros pour des défenseurs.

ALDERWEIRELD: Beaucoup de choses sont liées au transfert de Neymar. L’indemnité de transfert de 220 millions d’euros est devenue un prix cible sur lequel les clubs se basent pour déterminer le prix de vente de leurs joueurs. Tous ces joueurs valent-ils autant? Peut-être pas. Mais en raison du système de la Premier League, où chaque club reçoit une somme substantielle provenant des droits de télévision, les sommes en jeu sont si élevées que les meilleurs joueurs du monde peuvent être répartis entre un grand nombre de clubs.

À Tottenham, tu as fait partie d’une génération dorée qui a échoué dans la conquête du titre en 2016/17, perdu la finale de la Ligue des champions en 2018/19 et la League Cup en 2020/21.

ALDERWEIRELD: Souvent, on a échoué de peu. Mais on a franchi des étapes importantes avec le club. Quand j’y suis arrivé, Tottenham était une équipe qui finissait toujours en dehors du top 4 ou plus bas. Au cours de mes sept saisons, on a atteint quatre fois la Champions League. Je commence aussi à me rendre compte du peu de joueurs qui ont disputé la finale de la Ligue des Champions. Encore moins deux fois dans une carrière (égalementavec l’Atlético de Madrid en 2014, ndlr). Il y a eu aussi le dernier match à White Hart Lane, le déménagement temporaire à Wembley, où on ne se sentait pas vraiment chez nous, et le déménagement dans le nouveau stade.

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Tu as vécu l’une des meilleures périodes de Tottenham de ces trente dernières années. Tu es, en quelque sorte, une légende des Spurs.

ALDERWEIRELD: Je ne dirais jamais de moi que je suis une légende, mais j’espère qu’ils me voient comme ça à Tottenham. On a fait passer Tottenham au niveau supérieur. Chaque footballeur veut laisser quelque chose derrière lui, non? Je n’arrive pas à croire que l’argent soit la seule motivation du joueur moyen.

«Ma femme est fantastique»

Il y a quelques années, Geert De Vlieger a raconté une anecdote remarquable dans un podcast sur son passage à Manchester City. Il a expliqué que les voitures des joueurs étaient lavées pendant l’entraînement. N’as-tu pas l’impression que les footballeurs sont trop choyés?

ALDERWEIRELD: Les clubs ne sont pas là pour choyer les joueurs. Cependant, le stress et les intérêts financiers sont si élevés qu’ils veulent nous protéger du monde extérieur. Moins on a à s’occuper de questions périphériques, plus on peut se concentrer sur notre travail. C’est ainsi que je l’interprète, en tout cas.

Tu as dû tout apprendre toi-même lorsque tu as déménagé à Madrid à l’âge de 24 ans. Qu’en penses-tu maintenant?

ALDERWEIRELD: J’ai dû me débrouiller seul très tôt et ça m’a aidé à me débarrasser de mon côté introverti. J’étais tellement habitué à vivre sous mon clocher que je ne savais même pas comment acheter un billet de train. Je me souviens que j’étais dans le train en direction d’Amsterdam et que tous les passagers ont dû descendre parce qu’un des wagons était défectueux. Je suis resté dehors en me demandant comment j’allais bien pouvoir aller à Amsterdam. Aujourd’hui, vous pouvez me déposer n’importe où dans le monde et j’arrangerai tout de A à Z pour ma famille.

Ces dernières années, beaucoup de choses ont reposé sur les épaules de ma femme Shani. Ce qu’elle a fait en termes d’organisation est sans précédent. Elle s’est occupée du déménagement après mes transferts à Al-Duhail et à l’Antwerp, car à chaque fois, je prenais un vol direct de mon lieu de vacances vers mon nouveau club.

L’expression «derrière chaque grand homme se cache une femme forte» s’applique parfaitement à votre cas.

ALDERWEIRELD: J’ai une femme fantastique. Par deux fois, je l’ai quittée le lendemain de la naissance de nos enfants – une fois pour Tottenham et une fois pour les Diables rouges – et je ne l’ai pas entendue râler. Ce que je lui ai fait, était en fait inhumain. Le lendemain du jour où ma femme a donné naissance à Jace, j’étais attendu en Angleterre pour un match de championnat contre Aston Villa. Le club avait affrété un avion pour moi, mais en raison du temps orageux, aucun vol n’a été autorisé. J’ai alors pris le train pour Londres et le taxi pour Birmingham. Douze heures de voyage! J’étais à bout et je ne pensais qu’à mon fils. Je me suis dit: «Je n’ai pas vraiment envie d’être ici, mais l’entraîneur et l’équipe ont besoin de moi». En première mi-temps, j’ai marqué contre mon camp, et ensuite j’ai inscrit le but égalisateur. Aurais-je dû refuser de jouer? Je ne prendrais pas la même décision aujourd’hui.

Tu t’es senti coupable envers le reste de ta famille au cours des dix dernières années?

ALDERWEIRELD: D’abord envers mes frères. Mon frère aîné Steve a six ans de plus et il menait déjà sa propre vie quand je suis parti. Avec mon jeune frère Sven, j’étais très proche (il tient son majeur et son annulaire collés ensemble). Un jour, je suis parti pour l’Ajax et je ne suis jamais revenu à la maison. Cet épisode l’a marqué. 100% sûr. J’étais à Amsterdam quand mes parents ont divorcé, je n’étais pas là quand les enfants de mon frère sont nés… Mes parents et mes frères ne m’ont jamais blâmé. Mais cette culpabilité ne disparaît pas comme ça. J’essaie de compenser toutes les années où je n’étais pas là en les aidant.

Jan Vertonghen a été confronté à un dilemme lors de son transfert de Benfica à Anderlecht et a ressenti un immense ascenseur émotionnel à cause de sa famille. En lisant ou en entendant l’histoire de Vertonghen, de nombreux Belges ont pu se dire: vous, les footballeurs, n’avez aucune raison de vous plaindre. Le monde extérieur comprend-il trop peu vos situations personnelles?

ALDERWEIRELD: Ça ne me dérange pas, on n’a pas besoin de susciter la pitié. On gagne bien notre vie et on est donc dans une position privilégiée. Mais on a dû laisser beaucoup de choses derrière nous depuis notre enfance. Depuis l’âge de huit ans, je suis sur un terrain de foot au moins quatre jours par semaine. Calculez juste combien de temps ça fait. Si le beau côté de la médaille du football brille, le revers est parfois terne.

«Je veux être présent pour mes enfants»

Pourrais-tu échanger le football professionnel contre un football amateur où le plaisir et la troisième mi-temps sont primordiaux?

ALDERWEIRELD: Non, j’ai besoin de la pression extérieure pour préparer mon corps au combat. Je ne dirai pas que c’est une drogue, il faut faire attention à ce mot à Anvers ces jours-ci, mais c’est une sorte de dépendance positive. À l’Antwerp, j’ai été amené, pour ainsi dire, pour encaisser la pression et les critiques. Il fallait juste me critiquer à moi et laisser le reste de l’équipe tranquille. C’est comme ça. (Il réfléchit) Les joueurs n’expriment pas facilement leurs sentiments, même dans le vestiaire, mais ça ne veut pas dire que tout leur échappe. C’est pourquoi j’ai du mal avec la façon dont nos matches sont disséqués maintenant. Avec l’essor de TikTok, YouTube, Instagram et autres réseaux sociaux, tout doit aller vite et on ne retient que les déclarations les plus extrêmes. Tout est question de vues, de clics et de likes. Les gens doivent se rendre compte de l’effet que ça peut avoir sur les joueurs.

Thierry Henry console Toby Alderweireld après l'élimination des Diables rouges au Qatar.
Thierry Henry console Toby Alderweireld après l’élimination des Diables rouges au Qatar.

Quand je t’entends parler, j’ai l’impression que tu vas devoir arrêter le football professionnel.

ALDERWEIRELD: Un jour, ça s’arrêtera. C’est pourquoi j’essaie vraiment d’en profiter maintenant. J’ai vécu loin de chez moi pendant vingt ans, j’ai tout quitté pour le football, et maintenant j’attends avec impatience la deuxième partie de ma vie avec ma famille et mes amis. Je me souviens de ce que ma femme m’a dit un jour: «Je te suivrai partout pour le football et je ferai tout pour que tu puisses te concentrer sur ta carrière. Mais après ta retraite, on ne vivra plus la même vie que maintenant.»

Je veux être présent sept fois sur dix pendant les activités de mes enfants. Actuellement c’est deux fois au maximum. Je ne veux plus faire ça à mes enfants, parce que je ne peux pas racheter ce temps. Si j’ai peur du trou noir? Non. J’ai déjà pu officier comme consultant et je serais heureux de le faire à nouveau. Mais les téléspectateurs apprécient-ils de voir ma tête à la télé? En tout cas, je ne ferme aucune porte.

Tu as récemment produit tes propres boissons sous le nom de MM Antverpia. Tu n’es pas du genre à marcher sur des cadavres, mais le monde des affaires est impitoyable. Deviendras-tu un meilleur homme d’affaires que footballeur?

ALDERWEIRELD: Non. Et je n’en ai pas besoin. Je suis l’inspirateur du projet, mais je laisse les négociations à mon partenaire commercial. Je suis trop gentil pour ça. J’aime une situation gagnant-gagnant. À long terme, c’est mieux. Est-ce que je décrocherai les meilleurs contrats? Non. Mais bien les contrats qui dureront le plus longtemps. J’aurais du mal à rire aux éclats après une négociation, en me disant: «Cette personne, je l’ai bien eue.»

Raúl García, un de tes anciens coéquipiers à l’Atlético de Madrid, a récemment déclaré à un journal espagnol que ça ne le dérangerait pas d’être encore plus imposé financièrement en tant que footballeur qu’il ne l’est actuellement. Penses-tu que les footballeurs et autres sportifs de haut niveau devraient faire preuve de plus de solidarité avec le reste de la population qui est moins bien lotie?

ALDERWEIRELD: Ça me dérange qu’on soit pris pour cible. Comme si les footballeurs ne payaient pas d’impôts… À l’exception du Qatar, où mon salaire était exonéré d’impôts, j’ai payé 50% ou plus de mon salaire toute ma vie. En Belgique, je paie maintenant 50%, en Angleterre, c’était presque 50%, aux Pays-Bas, j’étais même à 53%. Si j’ai un million sur mon compte, ça signifie que j’ai remis un million à l’État. C’est comme ça que ça devrait être. Les épaules fortes peuvent porter plus, n’est-ce pas? Je ne veux pas passer pour un saint: cet argent m’a été pris. Je n’avais pas le choix. Mais en attendant, j’ai apporté ma contribution à la société. Toutefois, n’allez pas jusqu’à nous accuser d’être des profiteurs.

Toby Alderweireld: «Mon rêve ultime? Amener la Ligue des Champions au Bosuil.»
Toby Alderweireld: «Mon rêve ultime? Amener la Ligue des Champions au Bosuil.»

«On a laissé un héritage»

Tu es le joueur belge le plus capé derrière Vertonghen et Witsel. Mais tu as parcouru un très long chemin avec l’équipe nationale depuis tes débuts en 2009.

ALDERWEIRELD: J’ai reçu ma première cap lors de la Kirin Cup au Japon. La moitié des joueurs qui avaient été appelés à l’époque avaient refusé… J’avais 19 ans et je n’avais aucune raison de ne pas y aller. Mais je sais donc ce que c’est que d’aller perdre en Arménie et d’être encouragé par deux supporters belges lors d’un déplacement en Turquie. Le négativisme qui entoure l’équipe nationale, généralement provoquée par les querelles entre Wallons et Flamands, m’a également surpris. J’ai parfois pensé: «Est-ce que c’est vraiment l’équipe nationale?» Après la nomination de Dick Advocaat et l’arrivée d’un groupe de jeunes gars qui s’entendaient bien, on était partis.

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La Coupe du monde au Qatar était l’adieu définitif à la génération dorée des Diables rouges. Quel bilan dresses-tu de la meilleure formation belge de ce siècle?

ALDERWEIRELD: Nos performances ont rapporté de l’argent, que la Fédération a utilisé pour financer la construction du centre national d’entraînement à Tubize. Ensemble, on a laissé un héritage pour les générations futures. Je comprends la déception des supporters belges, mais je regrette que l’on ne se souvienne de nous que comme de la génération dorée qui n’a pas décroché de prix.

Vous avez également poli l’image du football belge.

ALDERWEIRELD: On a ouvert certaines portes. Les clubs et les recruteurs étrangers savent qu’il y a beaucoup de talents en Belgique. Le fait qu’Amadou Onana et tant d’autres Belges aient pu signer à l’étranger à un jeune âge est en partie dû à notre génération.

Combien de temps te vois-tu encore jouer en équipe nationale? Si tu commences les qualifications, l’objectif est quand même de continuer jusqu’à l’EURO?

ALDERWEIRELD: (hochelatête) Je reste disponible pour le nouveau sélectionneur. D’ici l’EURO 2024, j’aurai 35 ans. Après ça, il sera progressivement temps de se dire au revoir. Il ne faut jamais dire jamais, mais le Qatar a été ma dernière Coupe du monde. Si je veux apporter ce que l’Antwerp attend de moi, j’ai besoin de repos à mon âge. Physiquement et aussi dans ma tête. Je suis fier d’avoir pu jouer plus de 130 matches internationaux pour la Belgique, mais dans les prochains mois, l’Antwerp occupera la première place. La Belgique ne viendra qu’en second lieu.

« Mes enfants et ma femme étaient vraiment heureux au Qatar »

Quel souvenir gardes-tu de ton éphémère aventure au Qatar, à Al-Duhail?

ALDERWEIRELD: Moi aussi, j’avais des idées préconçues sur le Qatar. Les premières fois que le club m’a appelé, j’ai dit fermement: «Je ne viendrai pas!» Ils ont insisté et je me suis renseigné sur les conditions de vie sur place, par l’intermédiaire d’Edmilson Junior, entre autres. Il m’a immédiatement dit: «C’est super sûr là-bas». On peut littéralement laisser sa voiture ouverte pendant trois jours avec les clés à l’intérieur et personne ne partira avec. Les étrangers se trompent souvent sur le Qatar: on ne peut pas comparer ce pays à Dubaï. On peut y vivre une vie ordinaire sans tomber dans le luxe.

Mon transfert au Qatar était principalement un choix pour ma famille. Après la naissance de ma fille Ayla, je ne pouvais plus supporter de passer autant de temps dans les hôtels avec Tottenham. Il était temps de tourner la page et ça a eu un impact sur ma façon de vivre le football. Je voyais constamment un nuage sombre au-dessus de ma tête et le plaisir disparaissait. Au Qatar, je pouvais emmener mes enfants à l’école et il n’y avait plus de mises au vert. Mes enfants et ma femme étaient vraiment heureux. Le jour du départ, ma femme a même dû verser une larme.

On pourrait dire qu’un footballeur qui va jouer au football au Qatar approuve tacitement tout ce qu’il s’est passé pendant la préparation de la Coupe du monde. C’est comme si vous partiez jouer en Russie, aujourd’hui. Tu y as pensé?

ALDERWEIRELD: Il y a des choses qui se passent au Qatar qui ne sont pas correctes. Et je sais que ma réalité n’est pas celle de beaucoup d’autres personnes au Qatar. Mais je trouve que c’est un raisonnement étrange de dire: ce pays n’est pas bon et donc on devrait tous s’en éloigner. Si personne ne fait rien, rien ne changera. Avais-je l’intention de changer toute cette société? Bien sûr que non. De par ma position privilégiée, j’ai estimé qu’il était important d’apprendre à connaître les gens sur place. On trouvait également qu’il était normal d’offrir à notre aide ménagère plus que le salaire moyen pour ce type de travail. On lui a acheté un billet d’avion pour qu’elle puisse se rendre aux Philippines, son pays d’origine, pour rendre visite à sa famille, et on lui a montré la Belgique. Ce qu’on a fait était une goutte dans l’océan, mais imaginez que tout le monde fasse quelque chose. Je ne suis pas un bienfaiteur. Qui suis-je pour aspirer à ça? Je crois qu’à titre individuel, on peut améliorer la vie des gens dans notre environnement immédiat.

Tu n’es pas un bienfaiteur, mais on t’écoute et on t’admire. Pourtant, peu de footballeurs osent s’exprimer ouvertement sur les droits de l’homme au Qatar.

ALDERWEIRELD: Parce qu’ils ont peur de dire quelque chose de mal. On est des footballeurs. On ne peut pas nous faire porter la responsabilité, il faut s’adresser à la FIFA pour ça. Je soutiens certaines associations caritatives pour aider à résoudre certains problèmes en Belgique et à Anvers. Si chacun faisait sa part, la vie de tous serait bien plus agréable. Ça semble très philosophique, mais c’est comme ça que je le vois.

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