Suède – Belgique : les symptômes de Stockholm (analyse)
Retour tactique sur la victoire des Diables à Stockholm pour la première Belgique de l’ère Tedesco (0-3).
Étaient-ce vraiment toujours les mêmes pièces, ou est-ce la langueur de fin de règne qui gommait le sens de la nuance ? En six ans, la Belgique avait fini par penser que Roberto Martinez portait toujours le même costume. Alors, quand pour sa grande première Domenico Tedesco s’habille en col roulé et en 4-4-2, tout le pays scrute le tapis vert de Stockholm avec l’appétit de la nouveauté des spécialistes qui se massent autour des podiums d’une Fashion Week. Wout Faes et Dodi Lukebakio sont les invités inattendus d’un défilé dont le Diable tarde à dévoiler la véritable chorégraphie.
Comme si l’effet de surprise devait s’accompagner d’un dernier écran de fumée, les cinq premières minutes belges sont encore recouvertes d’un voile de brume. Seul Amadou Onana lit déjà son script de toujours, inégal et colossal, avec une passe trop brutale vers Thibaut Courtois qui donne aux Suédois un corner qu’il repoussera lui-même du front. Pour le reste, le ballon est surtout local et souvent dans les airs, comme si le jeu long était le seul moyen de surmonter le mur de dix briques cimentées par le nouveau sélectionneur. Leandro Trossard et Romelu Lukaku ferment la connexion entre la défense et le milieu scandinave, préférant le bloc compact au pressing aventureux pour ne pas retrouver les lignes trop étirées du Qatar.
C’est seulement après cinq minutes que tout s’éclaire. Une première possession plus longue pour des mouvements qui se précisent : Trossard abandonne Lukaku seul en pointe et décroche dans l’axe gauche du terrain, alors que Kevin De Bruyne déserte sa position aux côtés d’Onana pour stationner dans l’axe droit, dans les rétroviseurs du milieu suédois. Dans les couloirs, Yannick Carrasco et Dodi Lukebakio collent la ligne pour étirer le 4-4-2 bétonné des hôtes du soir et ouvrir des espaces à l’intérieur du jeu. Pour mettre KDB dans sa tenue de gala, la Belgique se déploie en 4-1-4-1 dès qu’elle maîtrise le ballon. Gaucher électrique et audacieux, Lukebakio imite les solos mancuniens de Riyad Mahrez pour aimanter les défenseurs et libérer son capitaine. La première chorégraphie belge se conclut par le centre préféré de Kevin De Bruyne, pour un Carrasco qui n’y gagne qu’un corner.
Une fenêtre pour Lukebakio
Parce qu’elle choisit de fermer les pocket zones, ces espaces entre l’axe et le flanc qui sont les territoires de prédilection de Trossard et De Bruyne, la Suède ouvre la porte à Lukebakio. Le gaucher déboule alors au centre de la scène et fait parler son jeu de jambes. Au bout de la soirée, Dodi prend à son compte huit des 21 dribbles réussis par la Belgique. Chaque prise de balle semble faire l’effet d’un nouveau son entraînant lancé par le DJ, et incite l’ailier à ramener tout Stockholm sur sa piste de danse. La souffrance du côté gauche suédois est criante, mais personne au cœur du jeu ne semble oser venir jouer les pompiers parce que les incendies dans le couloir valent toujours mieux qu’un De Bruyne qui s’embrase.
Les locaux résistent, et s’offrent même la plus belle occasion du premier quart d’heure quand personne ne protège Arthur Theate, amené contre sa ligne de touche par un long ballon. Dejan Kulusevski en profite, efface Carrasco mais croise sur le chemin des filets la tentacule de Thibaut Courtois, puis les pieds salvateurs d’un Wout Faes réputé pour son sens du sauvetage en catastrophe. Une alerte majeure pour une Belgique qui peine encore à trouver ses premiers repères, surtout avec le ballon. Puisque les latéraux restent très bas (une seule tentative de centre sur l’ensemble du match pour Theate et Castagne) et que les meilleurs pieds nationaux sont dans le dos du milieu adverse, les défenseurs et Onana doivent amener des ballons que leurs pieds approximatifs sont rarement capables de donner. Et comme Lukaku n’apparaît jamais entre les centraux comme à l’époque de son mariage avec Antonio Conte, Trossard et De Bruyne se mettent à décrocher derrière la ligne de pression pour toucher des ballons et les transformer en situation dangereuse. Le problème, c’est que quand on se met aux fourneaux, il est plus difficile d’être à table dès que le repas est servi. Vertonghen tente bien de casser les lignes avec sa passe intérieure favorite, mais constate rapidement que Leandro Trossard n’est pas Eden Hazard.
Si le danger belge se précise, c’est donc surtout via les phases arrêtées. Un travail efficace à l’entraînement, idéal pour gagner des points sans être complètement préparé à tous les scénarios du jeu en mouvement. Six des neuf corners belges de la soirée aboutiront à une tentative au but. Un peu de temps investi pour en gagner beaucoup, avec un plan qui passe déjà tout près de la cible peu avant la demi-heure, quand Lukebakio profite d’un corner joué à deux pour trouver Theate au deuxième poteau. La tête du Rennais est astucieuse, l’arrêt d’Olsen majestueux.
La Belgique des corners
Comme si le tableau d’affichage voulait valider le scénario du match, c’est d’un corner puis de Lukebakio que tombe le 0-1. De Bruyne et Carrasco combinent au coin du terrain, et le ballon de KDB repoussé par la défense reste dans les pieds belges. Trossard tente un premier centre repoussé, puis s’associe avec Castagne et Lukebakio qui dépose l’ouverture du score sur le front de Romelu Lukaku. La tête décroisée est le premier duel aérien gagné par Big Rom. Sa trajectoire va épouser le poteau, puis les filets.
Si la mi-temps est encerclée par un centre dangereux d’Emil Forsberg après une perte de balle de Trossard, puis une combinaison rapide qui offre à Alexander Isak une possibilité de centre en retrait contrée par Faes, la contre-attaque permet à Lukaku de gagner un corner trois minutes après le retour des vestiaires. De Bruyne le joue court, encore, et offre à Lukebakio un duel face à Forsberg. Piégé comme un débutant par le dribble de débordement ravageur de Dodi, le playmaker de Leipzig ne peut que constater l’étendue des dégâts quand le gaucher des Diables s’offre un deuxième assist en centrant en puissance vers un Lukaku qui marque avec son pied d’appui.
Lire aussi | Les chantiers de Domenico Tedesco
Peut-être parce qu’une glissade d’Arthur Theate nécessite une intervention de Jan Vertonghen pour verrouiller la surface belge, Domenico Tedesco cherche alors plus de maîtrise quand Orel Mangala prend la place de Trossard sur le terrain, et celle de KDB dans le 4-4-2 sans ballon, tandis que Johan Bakayoko relaie Lukebakio sur le côté droit. La Belgique tâtonne vers de nouveaux repères, cafouille un peu sa possession à l’image d’un Onana qui met en une touche et en touche un ballon anodin sans avoir regardé s’il était sous pression. L’image d’un joueur installé devant la défense, mais qui aura plus fait avancer le jeu par la course que par la passe (une course progressive, aucune passe progressive).
Le Diable voulait plus de contrôle, il semble l’avoir un peu perdu. Bakayoko gagne un corner sur sa première prise de balle, Carrasco conclut un contre et un raid solitaire par un tir dans le petit filet, mais la plus belle opportunité est pour Forsberg, esseulé par un mauvais coulissement de la défense belge mais loupant complètement sa frappe sans sembler réaliser la facilité de sa situation.
Les leçons de la Belgique de Tedesco
Comme s’il avait senti la fébrilité potentielle d’un bloc belge encore en chantier, le sélectionneur suédois emmène la foule dans le sillage de ses couleurs en lançant Zlatan Ibrahimovic sur le terrain. Les Scandinaves sont plus hauts et exposent les plaies de la relance belge, en difficulté sous pression. Si le quarantenaire manque de profiter d’un ballon aérien mal estimé par Wout Faes (un duel gagné sur trois dans les airs, contre 6/7 pour Vertonghen), le principal danger local reste Dejan Kulusevski, dont les courses vers l’intérieur font souffrir un Arthur Theate qui peine à ajuster le curseur entre énergie précieuse et impulsivité risquée. Avec deux duels défensifs gagnés sur huit disputés, le Rennais finit en apnée mais avec le sourire quand il quitte la pelouse à une dizaine de minutes du terme, Tedesco profitant du troisième but pour passer en 5-2-2-1.
Parce que malgré un match anonyme hors de la surface, Romelu Lukaku plante un triplé, marquant en nonante minutes autant de buts de plein jeu que depuis le début de saison avec l’Inter. Cette fois, c’est Johan Bakayoko qui fait le service, au bout d’un coup de reins qui provoque une collision grotesque entre deux défenseurs suédois. Le score en reste là, même si Loïs Openda tout juste monté au jeu manque encore de saler la facture locale.
Domenico Tedesco quitte Stockholm avec trois points et des enseignements. Sa possession est encore perfectible, mais les Diables ont retrouvé leur tradition de transition (32 des 62 possessions belges ont duré moins de dix secondes) et Lukaku son efficacité. Surtout, son système hybride et ses phases arrêtées travaillées sont de premiers symptômes pour diagnostiquer sa première Belgique, qui pourrait être une équipe de plan de match plutôt que de plan de jeu.
La meilleure nouvelle, c’est sans doute qu’une équipe taillée pour mettre KDB dans des conditions idéales est capable de marquer trois fois quand l’adversaire fait tout pour encercler son capitaine. Le premier Lukebakio de Tedesco rappelle en ce sens le Carrasco des débuts de Martinez : un homme à qui les adversaires n’oseront plus trop ouvrir la fenêtre. Le problème, pour eux, ce sera qu’en allant colmater la brèche, il faudra abandonner la garde de la porte de l’axe. Celle que Martinez avait conçue pour Eden Hazard, celle dont Tedesco a confié la clé à Kevin De Bruyne.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici