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Standard : le plan MPH

Pourquoi le chantier semblait si important en début de saison ? Quels ont été les principaux bouleversements ? Que s’est-il passé en coulisses ? Retour sur les 221 jours de Michel Preud’homme au Standard.

À vrai dire, on ne s’attendait pas vraiment à autre chose. Autrement dit, à de l’engagement, beaucoup d’ambiance, de l’animosité, et surtout pas mal de provocations lors du sommet du week-end dernier entre l’Antwerp et le Standard. Les visités avaient d’ailleurs tenu à allumer la mèche dès le matin même du match à travers une interview plutôt surréaliste de Lucien D’Onofrio, parue dans les journaux du groupe Sud Presse.

Morceaux choisis :  » Il (Bruno Venanzi, ndlr) a anesthésié tout le monde, il n’y plus de réaction, d’émotion, ni de la part des supporters, ni des médias.  » La direction du Standard avait été prévenue la veille de la teneur de la sortie médiatique de l’ex-homme fort des Rouches, mais pas de son contenu.

Ce 25 janvier vers 6 h du matin, Bruno Venanzi n’est pas tombé de son lit mais presque à la lecture des propos de Lucien D’Onofrio. Pourquoi ce flingage public à ce moment précis ? Du côté du Standard, on n’a toujours pas de réponse précise.

Si, en aparté, Don Luciano ne se privait pas de tacler Bruno Venanzi, il était resté plutôt mesuré médiatiquement. Mais il est un fait certain : difficile de trouver deux personnes diamétralement plus opposées que Venanzi et D’Onofrio, que ce soit en termes de méthode ou de personnalité. L’ex-boss du Standard est-il toujours frustré de ne pas avoir participé à la reprise du club il y a maintenant plus de trois ans et d’avoir dû se rabattre sur le projet anversois ? Reproche-t-il à la direction du Standard d’avoir licencié son ami et comptable, Philippe Gillis fin novembre ?

Luis Pedro Cavanda, sacrifié par le staff après l'élimination européenne face à l'Ajax.
Luis Pedro Cavanda, sacrifié par le staff après l’élimination européenne face à l’Ajax.© BELGAIMAGE

Le retour de Michel Preud’homme à Sclessin, qui a pour but de crédibiliser le projet Venanzi et lui donner encore davantage d’ambitions, est-il digéré ? Difficile de le savoir tant les propos parus vendredi passé manquent de clarté. Mais il faut sans doute y voir une combinaison des trois.

La paratonnerre MPH

La rencontre au sommet entre Anversois et Liégeois n’a été qu’un prolongement de cette sortie haut en couleur. Une soirée clôturée par les propos tout aussi surréalistes et ridicules de Laszlo Bölöni – qui n’en est pas à son coup d’essai -. Michel Preud’homme est, lui, apparu lucide mais ferme au micro des journalistes pointant l’anti-football anversois et la dangerosité de leur  » jeu « .

Si MPH est aujourd’hui (relativement) serein, c’est parce qu’il est conscient du chemin parcouru depuis le 18 juin dernier, date de son premier entraînement avec le Standard version 2018-2019. 221 jours plus tard, au soir du match à l’Antwerp, son équipe est sur la bonne voie, malgré la déception du partage au Bosuil.

Depuis plus d’un mois, tout semble rentré dans l’ordre, mais tout ne fut pas rose pour autant. Qui d’autre d’ailleurs que Michel Preud’homme aurait pu résister aux mauvais résultats du début de saison et au football sans panache des premiers mois (après la victoire en Coupe de Belgique et les spectaculaires play-offs de son prédécesseur, Ricardo Sa Pinto) ? Personne.

Car Saint-Michel, c’est de l’expérience, un palmarès, une aura, et une bonne partie des médias du nord comme du sud du pays dans sa poche. Et gare à ceux qui se montreraient trop véhéments. Digérer la critique n’a jamais été son plat préféré.

Un mois de juillet orageux

 » Le fait qu’il ait observé et analysé le Standard avant de reprendre le groupe en mains a été un avantage « , observe le directeur général, Alexandre Grosjean.

 » Il savait pertinemment bien qu’il lui faudrait du temps pour arriver à ses fins. Qu’il faudrait énormément bosser, notamment au niveau physique mais aussi de la discipline « . Car les cadeaux aux joueurs sous forme de jours de congé, comme ce fut le cas lors des play-offs l’an dernier, ça fonctionne un temps.

Le terme Club Med a souvent été employé par le staff actuel pour expliquer l’ambiance qui régnait dans le groupe en fin de saison dernière. Il fallait donc arriver à leur faire tourner le bouton et remettre le groupe au travail.

Le 7 juillet, alors que le Standard est en stage à Arnhem (Pays-Bas), les hommes de MPH s’inclinent face au Beerschot (1-0). Le nouveau T1 des Rouches se prend à plusieurs reprises la tête dans les mains et ne peut masquer son inquiétude devant la pauvreté de la prestation.

La communication autour du départ de Junior Edmilson (qu’il aurait tant aimé garder au bercail) l’irrite encore davantage. MPH vit un mois de juillet orageux, heureusement sauvé par une victoire encourageante face à son ex-employeur gantois en ouverture du championnat.

La gifle de l’Ajax

En tour préliminaire de la Ligue des Champions, c’est une autre histoire. Deux mois après une remise en route éprouvante physiquement et compliquée tactiquement, le coach liégeois ne peut masquer son inquiétude puis son agacement lorsque son équipe prend l’eau de toutes parts à la Johan Cruijff Arena de l’Ajax (3-0) après avoir fait illusion à l’aller (2-2).

 » Les consignes, c’était de faire presque la même chose qu’à l’aller, c’est-à-dire empêcher les Ajacides de jouer. Mais pour ça, il faut être réveillé et avoir envie de faire les efforts dès le début, tout ce qu’on n’a pas fait en début de match. On a pressé à 2 kilomètres/heure et on était à 10 mètres des adversaires.  »

Les mots sont cash et cette rencontre fait une première victime, Luis Pedro Cavanda, pas assez concerné aux yeux du staff et qui, depuis, n’a pas retrouvé grâce aux yeux de ses supérieurs.

MPH se rend très vite compte qu’il n’a pas affaire à un noyau de bons petits soldats comme sur la fin à Bruges mais qu’il a devant lui pas mal d’éléments talentueux accompagnés de caractères compliqués.

Un noyau trop vite satisfait de lui-même, et qui marche sur l’eau depuis la qualification heureuse pour les PO1 et la victoire en Coupe en mars 2018.

Un fameux chantier

 » Le bilan de la saison dernière était contrasté entre la saison régulière ou les play-offs « , pointe le T1 bis, Emilio Ferrera.  » Quel angle d’attaque devait-on choisir ? On n’a pas vraiment su le définir. On s’est donc dit qu’on allait repartir d’une feuille blanche. Et on a débuté avec un noyau qui n’avait pas encore digéré la saison passée.

Que ce soit pour Renaat (Philippaerts, le préparateur physique, ndlr) ou moi, ça n’a pas été facile. On était au-devant d’un fameux chantier. Le plan de jeu, on l’avait mis en place par le passé à Al Shabab ( en Arabie Saoudite, où le duo va pour la première fois travailler de concert entre 2011 et 2013, ndlr).

Mehdi Carcela, un artiste matraqué souvent comme pas permis.
Mehdi Carcela, un artiste matraqué souvent comme pas permis.© BELGAIMAGE

Et c’est vrai que ça n’était pas évident après le premier entraînement. Les joueurs ne savaient pas où ils allaient mais nous, on avait le puzzle. Mais on donnait aux joueurs les pièces progressivement.  »

À Bruges, Preud’homme utilise les mêmes préceptes promulgués par Ferrera dans le Golfe. Et ceux-ci fonctionnent. Pour son nouveau départ, que l’on croit passer par Bordeaux, voire l’équipe nationale, Preud’homme veut absolument Emilio Ferrera à ses côtés.

D’autant que ses bientôt 60 balais l’invitent à prendre un peu de recul par rapport au terrain. MPH a reçu toutes les clefs de la maison rouche ou presque et est dans l’obligation de déléguer.

La réunion salvatrice

Devenu durant l’été, T1, vice-président, directeur sportif, et administrateur du matricule 16, le nouveau boss du Standard fait des pieds et des mains pour attirer Obbi Oulare, dont le profil ne fait pas l’unanimité d’autant que le colosse arrive blessé à Liège.

Une semaine plus tard, le 1er septembre 2018, le Standard réalise une seconde période catastrophique à Eupen (défaite 2-1) et clôture un premier bilan décevant.

Une claque de plus grande envergure encore intervient en Coupe face à Knokke. Le tenant du titre est bouté de l’épreuve, chez lui, face à pensionnaire de D1 amateur.

L’ambiance aux entraînements est sinistre, et les joueurs se plaignent d’un schéma de jeu qui tue toute créativité et liberté ( voir cadre, la méthode Ferrera). Malgré un match-référence face au champion en titre, le Club Bruges, les Rouches retombent dans leurs travers à Zulte Waregem, avant de mordre la poussière à domicile face à l’Antwerp, le 4 novembre.

La situation est de plus en plus tendue et le retour du mage MPH a des allures de fiasco. Avant le déplacement à Courtrai du 11 novembre, une réunion a lieu entre plusieurs joueurs et le staff. Les deux  » clans  » se disent les choses de façon cash, la glace est rompue. MPH comprend le message envoyé par le groupe des joueurs. Et les effets sont quasi immédiats. Depuis ce déplacement au stade des Éperons d’Or (victoire 0-2), le Standard ne s’est plus incliné, hormis à Bruges suite à une entame de rencontre catastrophique.

MPH, le sniper

Le 29 novembre, le Standard tient son deuxième match-référence, en Europa League, face au FC Séville, quintuple vainqueur de l’épreuve. Ce soir-là, MPH convint, si besoin en était, ses joueurs de sa qualité de coach en matraquant le flanc droit du club andalou via notamment les dribbles supersoniques de Moussa Djenepo. Si Emilio Ferrera insiste sur le jeu en possession de balle et le plan de jeu, MPH est celui qui frappe là où ça fait mal et décèle les faiblesses de l’adversaire.

Depuis l’éclosion de Zinho Vanheusden, un onze de base s’est dessiné et le Standard n’a jamais semblé aussi solide. Il faut remonter à bien longtemps, pour trouver une telle sérénité aux abords de Sclessin et du Sart-Tilman. Même si l’on sait que cette sérénité peut très vite être mise à mal dans un club comme le Standard.

MPH n’a rien perdu de sa poigne, comme le prouve la sanction récente sous forme d’amende et de déclassement infligée à Mehdi Carcela, absent de la soirée du Soulier d’Or, mais surtout arrivé récemment en retard à plusieurs entraînements.

 » Au niveau de la direction, on a appris de nos erreurs « , poursuit Alexandre Grosjean.  » On a retenu à la fois le positif et, surtout, le négatif de nos trois premières années. Aujourd’hui, on veut avancer à travers un projet et plus dans la précipitation. Et faire revenir Michel, c’était la clef pour construire quelque chose. Car il a amené son incomparable expérience et les clefs de sa réussite.

C’est la première fois que je me retrouve avec un homme de foot qui me fait penser à un chef d’entreprise. Il en a en tout cas les traits de caractère : le leadership (cette capacité à emmener les gens avec lui), le charisme et une vision. Aujourd’hui, au sein du Comité exécutif, on connaît tous notre rôle et nos prérogatives.  »

Coach et après ?

La meilleure preuve est le rôle de Benjamin Nicaise, arrivé comme team manager en début de saison dernière, mais qui, et c’est un euphémisme, n’a jamais eu voix au chapitre sous Ricardo Sa Pinto.

 » Il avait un mode de fonctionnement… propre à lui. Michel, lui, imbrique toutes les personnes qui l’entourent dans son plan. Il a compris qu’il devait avoir des collaborateurs à ses côtés. Et chacun connaît son rôle. L’organisation et la structure mise en place sont au service de la performance. Michel a une vue à moyen et à long terme « , souligne celui qui joue le rôle d’interface entre la direction et le groupe pro.

 » Il est méticuleux, avec lui tout est sous contrôle. Et je suis frappé par sa capacité à redescendre au niveau émotionnel, à tourner le bouton. Après une rencontre, dès qu’il descend dans le vestiaire, il est toujours très calme, je le trouve aussi très humain avec les joueurs « . Alors qu’on a encore en mémoire ses crises d’hystérie du temps de Bruges.

Michel Preud’homme semble plus détendu que par le passé. Alors que les différentes fonctions qu’il occupe sont censées lui donner du boulot supplémentaire.  » N’en fait-il pas trop ? 95 % de son temps, il est coach. Mais à travers notamment sa présence au Comité exécutif, il a une vue d’hélicoptère sur tout le club « , rappelle Alexandre Grosjean.

Un club qu’il n’est pas près de quitter, même si on l’imagine dans le futur (et l’intéressé en premier lieu) dans une autre fonction que celui de coach car l’homme est naturellement usé par le poids des ans. Si MPH est monté dans le navire Venanzi, alors que lors des premières négos le club était sportivement dans la mouise, c’est pour travailler sur le long terme. Même si, dans le foot, ce terme ne semble pas vouloir dire grand-chose.

Emilio Ferrera et Michel Preud'homme, pouces levés.
Emilio Ferrera et Michel Preud’homme, pouces levés.© BELGAIMAGE

La véritable influence d’Emilio Ferrera

En débarquant dans le sillage de Michel Preud’homme, Emilio Ferrera a emmené avec lui une flatteuse réputation en terme de méthodes d’entraînement, bien moins en terme de people management. Emilio Ferrera, c’est aussi une méthodologie implacable et un système de jeu que Michel Preud’homme a pompé du temps de Bruges.

Un 4-3-3 sur papier, qui se transforme en 4-2-2-2 avec deux numéros 6 et deux numéros 10 et des latéraux placés très haut. Un système qui a mis du temps à être installé et compris par le groupe. Mais aussi des méthodes et une communication qui ont rendu les rapports compliqués entre le groupe et ce  » T1 bis  » : absence de plaisir à l’entraînement, attitude froide et gueulantes excessives lui ont souvent été reprochés.

Encore aujourd’hui, la situation reste tendue entre le Bruxellois et certains joueurs. Emilio Ferrera a d’ailleurs la franchise de reconnaître ce qui lui est reproché.  » Ma méthode n’est pas populaire mais je l’assume, même si les critiques me font mal. Et je sais pourquoi je suis là. Je suis payé par le club pour faire des résultats mais aussi pour que la valeur du joueur devienne plus grande. Je ne pense pas qu’en faisant continuellement des démarquages, on augmente la valeur d’un joueur. Je ne vois pas la nécessité, par exemple, qu’un défenseur frappe au but. Il faut rester fonctionnel et professionnel.  »

Quant au manque de plaisir à l’entraînement ?  » On a des responsabilités par rapport à notre statut, notre salaire. Le plaisir, c’est celui de se retrouver dans le vestiaire avant l’entraînement ou tous ensemble à table. Mais est-ce qu’il doit y avoir une notion de plaisir à l’entraînement ? Est-ce qu’un plombier intègre la notion de plaisir quand il se rend chez un client ?  »

Chez Emilio Ferrera, le foot a toujours été conçu comme un travail. Avec un plan de jeu précis, qui peut sembler rébarbatif au premier abord.  » Le système met les joueurs en valeur. L’an passé, on ne parlait que de Carcela et d’Edmilson, aujourd’hui la lumière est braquée sur de nombreux joueurs. Mais ça a été un chantier. Pour que Mpoku atteigne un tel niveau, il fallait que les deux 6 derrière soient bons mais ça devait obligatoirement prendre du temps.

Les différents éléments devaient s’imbriquer. Et je trouve que notre possession de balle pourrait être meilleure compte tenu de la qualité de l’effectif, même s’il y a eu d’énormes progrès. Quand tu veux avoir le ballon avec des joueurs qui n’y sont pas habitués, ça ne se fait pas du jour au lendemain. Mais je note que, depuis deux mois, nos entraînements sont d’un très haut niveau.  »

Avec des rôles qui semblent bien définis. Emilio Ferrera en théoricien de terrain alors que MPH est plus pragmatique :  » Pour moi, les moyens pour arriver à une victoire sont plus importants que la victoire en elle-même. Ça me différencie peut-être de Michel. Et je dois reconnaître que si tu n’as pas une personnalité comme Michel pour tirer le groupe, tu ne peux pas aller au bout. Il a son histoire et sa légitimité. C’est un énorme avantage. Et les décisions, c’est Michel qui les prend. Parfois je l’influence en bien, parfois en mal. « 

Gojko Cimirot est devenu incontournable à Sclessin.
Gojko Cimirot est devenu incontournable à Sclessin.© BELGAIMAGE

Standard, l’anti-Antwerp

À chaque rencontre entre le Standard et l’Antwerp, la presse rappelle les nombreux points communs entre les deux clubs : les couleurs, les supporters fanatiques, la direction et les nombreux joueurs passés de Sclessin au Bosuil. Sauf qu’il y a un point qui les oppose totalement, c’est en matière de politique de transferts.

Le Standard est aujourd’hui bien plus bankable que l’Antwerp, dont l’effectif repose beaucoup sur des éléments revanchards mais dont la valeur marchande est plutôt faible. Au Standard, la politique définie par le club est d’attirer des joueurs talentueux dont on espère qu’ils rapportent gros à la sortie.

On pense à Razvan Marin, Konstantinos Laifis, Christian Luyindama, Gojko Cimirot ou Moussa Djenepo, tous des éléments qui pourraient rapporter gros l’été prochain mais dont les départs cumulés pourraient fameusement déforcer l’effectif.

Le Standard a déjà refusé plusieurs offres pour les joueurs précités, notamment pour Cimirot (offre de 8 millions venue des Émirats), qui s’impose de plus en plus comme une pièce essentielle, d’autant qu’Uche Agbo ne semble pas faire partie des plans du duo MPH-Ferrera.

Si le départ de Luyindama semble acté, pour l’été prochain, le club espère pouvoir garder Laifis d’autant que les prestations pleines de maturité de Zinho Vanheusden pourraient inviter l’Inter à le rapatrier dès la fin de saison. Des problèmes de luxe en termes de trésorerie mais des problèmes sportifs en perspective. Preuve s’il en est de la qualité du travail en matière de recrutement depuis le mercato d’été 2018.

Moussa Djenepo : la bonne surprise de la saison.
Moussa Djenepo : la bonne surprise de la saison.© BELGAIMAGE

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