Ivan Leko n'est pas du genre à débarquer discrètement © BELGA - Bruno Fahy

Standard : comment le nouvel entraîneur Ivan Leko transforme ses équipes tactiquement

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Nouvel entraîneur du Standard, Ivan Leko est un habitué des métamorphoses. Analyse.

C’est une image que Sclessin n’oubliera pas de sitôt. Un tacle qui maîtrise le ballon de la main, puis une passe décisive de Ruud Vormer. L’assist numéro 24 de la saison du Soulier d’or néerlandais offre l’égalisation à Jelle Vossen, et le titre au Bruges d’Ivan Leko. À bout de souffle lors des play-offs, pourchassé par des Liégeois en lévitation, le Club a alors des airs de champion par défaut au terme d’une saison pourtant longuement maîtrisée. Successeur d’un Michel Preud’homme qui avait ramené le titre dans la Venise du Nord deux ans plus tôt, le Croate ne s’était pourtant pas facilité la tâche. En arrivant au stade Jan Breydel, comme il l’avait déjà fait auparavant et comme il le fera encore dans le futur, Ivan Leko avait décidé de tout changer.

« Moi, ce que j’aime, c’est le football qui ne dépend pas d’un seul joueur », racontait le coach au terme de ses deux saisons brugeoises. « Avant mon arrivée, Bruges dépendait énormément d’Izquierdo. » L’ailier colombien, dynamiteur de défenses, était devenu l’arme majeure du Club version MPH. Sans lui, Ivan Leko a construit un collectif d’un autre type. Un 3-5-2 protégé par un Brandon Mechele dont Bruges ne voulait plus et qui a fini par pousser la porte des Diables rouges, sublimé sur le flanc par un Anthony Limbombe qui n’a plus jamais atteint son niveau de cette saison-là, et dirigé par le duo Vanaken et Vormer.

En prenant à chaque fois un défenseur excentré, un joueur de couloir, un milieu de terrain et un attaquant, le système dessine alors deux losanges qui créent des surnombres face aux adversaires et libèrent de l’espace pour attaquer le dos de la défense. Ce sont les deux principes favoris d’Ivan Leko. Le premier dit que « c’est très important d’avoir toujours un joueur de plus que l’adversaire autour du ballon. » Le second, que « si un joueur qui n’a pas le ballon court au bon endroit et au bon moment, tu ne peux pas l’arrêter. » À Sclessin, en ce mois de mai 2018, même l’arbitre semblait d’ailleurs avoir décidé qu’il ne pouvait pas arrêter la course de Ruud Vormer, cet appel dans l’espace après avoir trouvé un appui resté indéfendable pour les adversaires tout au long du périple brugeois.

Les chorégraphies endiablées d’Ivan Leko

Si Ivan Leko sait faire briller les hommes qui appellent le ballon, comme il l’avait déjà fait avec Pieter Gerkens à Saint-Trond (14 buts et 5 passes décisives lors de la saison 2016-2017), c’est avant tout par fascination pour le mouvement collectif. En regardant les spectacles de danse de sa fille alors encore à l’école primaire, le Croate était magnétisé par la faculté du professeur à coordonner les mouvements d’une vingtaine d’enfants, bien plus facilement que des entraîneurs qui peinent parfois à faire bouger onze adultes en fonction de leurs partenaires. Une fois les crampons enfilés pour une séance d’entraînement, c’est donc cette harmonie collective qui obsède Leko. De préférence avec le ballon.

« On veut le ballon, et on ne veut pas faire des fautes parce que ça casse le rythme. Et nous, on veut du rythme », racontait l’ancien milieu offensif lors de son passage éphémère à la tête de l’Antwerp pour justifier le fait que les « salopards » de son prédécesseur Laszlo Bölöni étaient devenus sous ses ordres l’équipe à faire le moins de fautes du championnat. Passé d’une moyenne de 366 à 474 passes par match et diminuant le pourcentage de longs ballons de 14 à 10%, son Great Old s’était métamorphosé de façon spectaculaire en l’espace de quelques semaines.

Comme lors de son arrivée à Bruges, le Croate avait alors passé l’essentiel de la préparation à changer les réflexes de ses joueurs, les incitant sans cesse à chercher l’espace après des années passées à créer le contact et le duel. Le tout sans jamais atteindre des moyennes démesurées en termes de passes accumulées, parce que l’objectif, « ce n’est pas de la possession pour la possession. Il faut avancer, éliminer l’adversaire, et toujours penser offensivement. Chaque prise de balle d’un joueur est un challenge. Il doit toujours chercher à provoquer. » Flashé à 480 passes par rencontre sous Preud’homme, Bruges est ainsi redescendu autour des 460 de moyenne sous ses ordres, maintenant toutefois la moyenne autour des quatre passes par séquence de possession.

L’intensité et l’initiative

Soulignée à maintes reprises par les observateurs lors du stage du Standard à Marbella, l’intensité est donc l’une des clés du jeu prôné par Ivan Leko. Lors de son arrivée en Chine pour prendre les rênes d’une équipe de Shanghai où brillaient le Brésilien Oscar et l’Autrichien Arnautovic, le Croate a bien tenté de freiner ses velléités offensives en proposant un bloc plus bas pour s’offrir une défense hermétique, mais il n’a même pas tenu jusqu’au bout du premier match amical avant de constater l’ennui que ce parti pris lui procurait. Parce qu’en plus de l’intensité, Ivan Leko aime l’initiative.

C’est mentalement qu’il transforme ainsi ses joueurs. En proposant des automatismes forts, d’abord, qui permettent aux joueurs de se sentir plus à l’aise en possession du ballon et de se sentir progresser rapidement. En les invitant à oublier la peur de l’erreur, ensuite : « La peur, c’est le plus grand danger pour un joueur ou un entraîneur », explique d’ailleurs celui qui avait fini son mandat brugeois avec deux véritables ailiers, Emmanuel Dennis et Krépin Diatta, sur les ailes de son système devenu 3-4-3 avec un milieu en losange pour créer le surnombre au cœur du jeu grâce à Siebe Schrijvers. Toujours en tournant ses pensées vers les filets adverses, le surnombre entre les lignes devant permettre de créer de l’espace, de la profondeur, puis des occasions. Une apothéose conclue dans le sillage du Genk de Philippe Clement, mais avec l’audace d’un système à la Johan Cruyff. Un paradoxe pour celui qui n’aime pas voir ses équipes porter un maillot blanc, couleur qu’il estime réservée à ce Real Madrid qui le fascine.

À Sclessin, c’est en rouge que son premier Standard accueillera Courtrai. Difficile d’être catégorique sur la forme que prendra dans les semaines à venir une équipe disposée avec un milieu en losange dès le match amical contre Dortmund, offrant les interlignes à Kawabe et Price. Le passé offre toutefois quelques pistes : à Liège, on devrait voir décoller les 48,8% de possession moyenne et fondre les 12,7% de passes longues en vigueur sous Carl Hoefkens. Les Rouches semblent désormais avoir un chemin à suivre, sans encore savoir jusqu’à quelle place il va les mener.

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