Salah est grand
Meilleur joueur et buteur de Premier League, Footballeur africain de l’Année, c’est aussi lui qui a catapulté l’Égypte au Mondial, pour la première fois en 28 ans. Mohamed Salah est devenu une star, cette saison. Mais sur quelle planète a-t-il vécu tout ce temps ?
En début d’année, en recevant le trophée de Footballeur africain de l’Année, à Accra, au Ghana, Mohamed Salah (25 ans) l’a dédié à tous les enfants d’Égypte. » Ne cessez jamais de rêver, ne renoncez jamais « , a-t-il déclaré avec sa voix douce et son éternel sourire.
La vedette de Liverpool sait de quoi elle parle. Chaque fois que Salah entend l’hymne de la Ligue des Champions, il se souvient de son enfance à Nagrig, un hameau paysan situé à 130 kilomètres du Caire, dans le delta du Nil. Nagrig est réputé pour son jasmin, exporté pour la fabrication de parfums. Son père Salah Ghaly travaillait dans ce secteur, en plus d’un emploi dans les services publics locaux, comme sa femme.
Le petit Mo passait ses journées à jouer au football en rue, avec un kora sharab, un ballon fait à partir de vieilles chaussettes. Son père et ses oncles, eux-mêmes footballeurs à un niveau modeste, ont immédiatement décelé son talent. Il n’est pas resté longtemps dans la petite équipe de Nagrig : il a rejoint Basioum, la ville de la province, puis Tanta. Salah rêvait déjà. Les soirs de Ligue des Champions, il retrouvait ses camarades devant la télévision pour admirer ses héros : Zinédine Zidane, le Brésilien Ronaldo et Francesco Totti.
Totti, l’empereur de Rome, allait devenir son coéquipier mais la semaine dernière, il a vu, désolé, le buteur égyptien dépecer son AS Rome à Anfield. Le chemin que Salah a accompli en moins de dix ans doit l’avoir surpris. Il a quitté les routes poussiéreuses de Nagrig pour emprunter le tunnel des joueurs d’Anfield, le stade légendaire de son équipe préférée, Liverpool FC.
Bâle, premier sur la balle
Son succès n’a pas coulé de source. Passer, à 14 ans, de Tanta City aux équipes de jeunes d’Al Moqaouloun, un club de première division, a requis beaucoup de détermination et entraîné moult sacrifices. Mo Salah passait quatre heures en bus pour rejoindre le Caire et autant pour retourner chez lui. Il devait changer de bus trois ou quatre fois. Parfois, il passait deux heures à l’école le matin avant de partir s’entraîner à 9h30, a-t-il récemment expliqué à Four Four Two.
Aux Arab Contractors, le surnom d’Al Moqaouloun, Salah a d’abord évolué à l’arrière gauche, dans un registre offensif, en U15. Jusqu’au jour où il s’est effondré en pleurs dans le vestiaire, après avoir raté cinq occasions franches dans un match perdu par les siens. Son entraîneur est intervenu : dorénavant, Mo allait évoluer sur le flanc droit, dans un rôle offensif. Il allait ainsi mieux exploiter sa vitesse et être plus frais devant le but. Un coup de maître : l’ailier est devenu le meilleur buteur de deux catégories d’âge et, à seize ans, il a découvert la division un égyptienne. Il a débuté à cet échelon en mai 2010 contre El Mansoura (1-1).
Sa carrière prend un deuxième tournant deux ans plus tard. Les U23 égyptiens effectuent un stage en Suisse pour préparer les Jeux Olympiques de Londres. Salah entre à la mi-temps d’un match contre la Suisse, il inscrit deux buts et contribue ainsi à la victoire 3-4 des siens. Les scouts du FC Bâle n’ont rien perdu du match, d’autant qu’ils s’intéressaient déjà depuis longtemps à Mo Salah. Le grand club helvétique lui offre un contrat de quatre ans après ce match. C’est bien joué car le même été, Salah conduit les Pharaons en quarts de finale du tournoi olympique et son nom figure désormais dans tous les carnets des scouts.
Hors de prix pour le Lierse
Pour le même prix, Mo Salah aurait mis le cap sur la Belgique. Un peu plus tôt dans l’année, le Lierse avait eu l’opportunité d’embaucher le jeune Égyptien mais le président Maged Samy, qui connaissait pourtant bien le championnat d’Égypte, étant propriétaire de Wadi Degla, avait eu des doutes.
» On nous a proposé Mo Salah mais je n’ai pas osé accepter. On n’a jamais discuté concrètement de son salaire mais il aurait de toute façon été trop élevé pour nous « , a raconté Samy.
Salah a eu du mal à s’intégrer en Suisse. Il ne parlait pas anglais et encore moins l’allemand. Il a fallu attendre janvier 2013 et l’arrivée de son compatriote Mohamed Elneny, un autre produit des Arab Contractors, actuellement à Arsenal, pour que Salah se sente moins seul et trouve enfin ses marques. Désormais, il n’était plus condamné à se promener comme une âme en peine dans les rues de Bâle, a-t-il expliqué à Four Four Two.
Le paisible et courtois Égyptien a commencé à déterminer des matches. Il a eu une part importante dans l’excellente campagne de Bâle en Europa League dès sa première saison. Les Suisses n’ont été barrés qu’en demi-finales, par… Chelsea.
Salah a marqué contre les Blues à ce moment comme quelques mois plus tard dans les deux matches de la phase par poules de la Ligue des Champions. José Mourinho a, dès lors, voulu l’ailier. Liverpool s’était déjà manifesté très concrètement mais n’était pas aussi généreux que son concurrent londonien. En janvier 2014, Chelsea a donc versé 16 millions d’euros au FC Bâle.
Snobé à Chelsea comme De Bruyne et Lukaku
Ses débuts à Chelsea ont été prometteurs. Malgré la concurrence d’ Eden Hazard, Willian, Andre Schürrle et Oscar dans le compartiment offensif, Salah a obtenu du temps de jeu et a même été élu homme du match à quelques reprises. Il paraissait proche d’une place de titulaire mais c’était sans compter avec Mourinho.
Pendant les premiers mois de la saison 2014-2015, le vif extérieur de Nagrig n’a quasiment plus joué. Un an plus tôt, Kevin De Bruyne avait connu le même scénario. Sans la moindre explication.
Que se serait-il passé si Mourinho avait fait preuve de plus de patience avec les jeunes talents de Chelsea ? Romelu Lukaku, Kevin De Bruyne et Mohamed Salah porteraient tous les maillot des Blues.
C’est le sujet de conversation préféré des analystes depuis que le trio banni par Chelsea excelle dans d’autres grands clubs européens. John Terry a récemment pris la défense de son ancien entraîneur.
» Nous avions un noyau très fort et il n’était pas facile pour les jeunes de s’y faire une place. A cette époque, les trois talents n’apportaient pas de plus-value. Il ne faut donc pas regretter qu’ils aient été loués. »
Kevin De Bruyne a conquis son statut à Wolfsburg, Lukaku à Everton tandis que l’Italie a constitué l’étape idéale pour Salah.
Quasi aussi rapide que Bolt
La Fiorentina a été la première à lui tendre la main. Mo Salah a immédiatement retrouvé confiance à Florence, pendant les cinq mois de sa location, sous la houlette de Vincenzo Montella. Il a confirmé son talent en inscrivant neuf buts en 26 matches et en tenant un rôle de premier plan en demi-finale de la Coppa Italia contre la Juventus. L’Égyptien est ensuite retourné à Londres, où il a eu un entretien avec Mourinho, sans obtenir le résultat escompté. Salah a été loué une fois de plus, cette fois à l’AS Rome.
Luciano Spalletti y a mûri Salah. Le tacticien italien l’a souvent pris à part, à l’issue des séances, pour lui expliquer comment exploiter plus efficacement les espaces. En plus, Salah a appris à opérer une pression élevée et à participer à la réflexion défensive. Il est devenu un footballeur plus complet dans la capitale italienne. Il a également amélioré sa technique et a appris à mieux se servir de son corps.
Alors qu’à Bâle, il s’appuyait surtout sur sa vitesse et son tir, Salah a appris à pivoter pour se détacher d’un adversaire ou à s’engager dans un duel. A l’exemple d’Eden Hazard et de Lionel Messi. Son centre de gravité est bas, puisqu’il ne mesure que 1m75, il procède par passes courtes, avec des mouvements de hanches souples mais surtout, il possède un démarrage fulgurant.
Son explosivité a toujours formé la base de son instinct. A l’AS Rome, qui l’a transféré de Chelsea pour quinze millions l’été 2016, Salah a piqué un sprint de 70 mètres contre la Fiorentina. Une analyse scientifique a démontré qu’il était capable de parcourir le cent mètres en dix secondes, soit presque aussi vite qu’ Usain Bolt.
Pour 42 millions au FC Liverpool
Il ne lui manque encore qu’un atout : plus d’efficacité devant le but. Malgré un beau bilan de 29 buts en 65 matches pour Rome et le titre de meilleur joueur de la saison, il n’est pas encore considéré comme un buteur.
» Il ratait encore trop de tirs quand il était face au gardien « , raconte Kevin Strootman, son coéquipier à Rome. Mo Salah était certes un pilier et il était apprécié des joueurs comme des supporters mais il avait encore une carence.
Il a fallu attendre son retour en Premier League et sa rencontre avec Jürgen Klopp pour que le puzzle se mette en place. Les scouts des Reds suivaient attentivement Salah depuis des années et étaient convaincus qu’il était prêt. Liverpool a versé 42 millions à l’AS Rome. Des cacahuètes, comme on allait rapidement s’en rendre compte…
Le football heavy metal de Klopp convient à merveille à Salah. » Je suis bien plus proche du but que dans mes clubs précédents « , raconte Salah pour expliquer sa métamorphose. En outre, il s’entend très bien avec ses compagnons d’attaque, Roberto Firmino – un travailleur qui pense collectivement – et Sadio Mané, qui détourne l’attention vers l’autre côté. C’est ainsi que, cette saison, Mo Salah est à pied d’égalité avec Lionel Messi et Cristiano Ronaldo, buteurs en série.
Footballeur africain de l’Année, il a qualifié l’Égypte pour sa première Coupe du Monde depuis 1990, il est le meilleur joueur et buteur de Premier League et, qui sait, il va peut-être décrocher le Soulier d’Or qui récompense le meilleur buteur d’Europe, voire le Ballon d’Or. Il lui sera quasi impossible, un jour, d’égaler la saison 2017-2018.
Ambassadeur des musulmans
Pourtant, outre ses statistiques phénoménales, c’est sa simplicité qui le rend si spécial, si populaire. Ses coéquipiers actuels, comme Mané et Simon Mignolet, ainsi que d’anciens, comme Eden Hazard et Edin Dzeko, sont unanimes : tous vantent les qualités humaines de Salah.
Il fait profil bas. Sa journée préférée consiste à rester à la maison sans devoir parler à quiconque, a-t-il déclaré sur le site de Liverpool. Toutefois, il est toujours de bonne humeur, il écoute les consignes de ses collègues, des entraîneurs et même des collaborateurs du club. Il ne ménage pas sa peine à l’entraînement. Il ne fait jamais la une de manière négative. De ce point de vue, beaucoup de gens voient en lui l’ambassadeur idéal de la communauté musulmane internationale.
Salah fête ses buts en pointant deux doigts vers le ciel et en effectuant un salat – une prière traditionnelle. Sa petite fille Makka porte le nom de la ville sainte d’Arabie saoudite. Il est donc dévot. Il a aussi un bon coeur. En octobre, un homme d’affaires égyptien lui a offert une semaine de vacances dans une villa de luxe, pour le remercier d’avoir qualifié son pays pour le Mondial, grâce à un penalty converti dans les dernières minutes de jeu contre le Congo.
Il a refusé et proposé d’offrir la somme à une oeuvre de Nagrig. Il a déjà financé la construction d’une école dans son village natal, acheté des ambulances à l’hôpital local et il verse 3.000 euros par mois à un fonds d’aide pour les sans-abris et les nécessiteux. Il a convié tout le village à son mariage avec Magi, son amour de jeunesse, en 2013.
Par Matthias Stockmans
Un million de votes aux présidentielles !
De l’Arabie saoudite au Maroc et à l’Algérie, ils sont tous rivés à leur petit écran quand le Pharaon joue. Il rassemble des pays a priori opposés. On n’a réalisé sa portée politique que lors des récentes élections présidentielles en Égypte. Le très sérieux magazine The Economist a annoncé que, le 23 mars, un million de suffrages étaient revenus à Mo Salah.
Les gens avaient même écrit le nom du footballeur sur leurs bulletins en guise de protestation contre le régime autoritaire du président Abdul Fatah al-Sisi, qui a quand même été réélu, faute d’opposition. Une forme soft de protestation se poursuit : sur la page néerlandaise que Wikipedia consacre à l’Égypte, Mohamed Salah occupe la présidence et a même donné son nom à la capitale du pays…
Vodafone a embrayé sur l’euphorie suscitée par la qualification pour le Mondial et a proposé à ses clients égyptiens onze minutes gratuites par but inscrit par Salah. Le fan shop de Liverpool a également découvert le potentiel commercial du joueur sur le marché arabe. A elle seule, l’Égypte compte près de cent millions d’habitants. Les maillots du gaucher partent comme des petits pains, surtout quand son nom est écrit en caractères arabes au-dessus du numéro onze.
A 25 ans, Mohamed Salah a réussi à devenir un monument de Liverpool en l’espace d’une seule saison. Liverpool, le club dont il rêvait petit. » Never stop dreaming, never stop believing. »
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