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Rudi Garcia pour les Diables: comment comprendre ce choix?
Rudi Garcia n’avait pas les faveurs du public pour prendre les rênes des Diables Rouges. Vincent Mannaert l’a pourtant choisi: un taulier passionné pour raviver la flamme diabolique.
Certains rêvaient de Zinédine Zidane, nom le plus prestigieux sur le marché des entraîneurs libres de tout contrat. Voire de Julen Lopetegui, coach raté au Real Madrid mais sélectionneur de l’Espagne entre 2016 et 2018, quand «la Roja» était redevenue une terreur avant d’être chamboulée par son départ vers le club de la capitale.
Le troisième s’imaginait bien découvrir un nouveau grand championnat, après avoir écumé les clubs français et bourlingué sur de prestigieux bancs italiens. Quand le podcast «Le Média Carré» lui avait demandé à la fin de l’année 2024 où il se projetterait dans les prochains mois s’il avait une baguette magique, Rudi Garcia parlait de «Liga ou Premier League, avec un club qui peut avoir des ambitions». L’élite espagnole semble l’attirer particulièrement, pour le style de jeu et parce que «ce serait quand même dommage de ne jamais entraîner en Espagne avec un nom comme le mien…»
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Zinédine Zidane n’est pas en Belgique. Julen Lopetegui est retourné en Espagne, et Rudi Garcia n’y est pas arrivé. Le 24 janvier, de grand matin, la Fédération belge bombarde les boîtes mail des rédactions du pays pour annoncer son mariage avec l’entraîneur français. Une annonce restée secrète, et qui n’a pas soulevé un élan d’enthousiasme chez les suiveurs.
L’homme des rendez-vous
Peut-être parce que «mettre un Français à la tête de la Belgique, c’est un peu comme mettre un Brésilien en Argentine», relevait le chroniqueur Stephan Streker sur le plateau de La Tribune, sur la RTBF. Ou parce que les dernières lignes du CV du coach français renseignent des étapes trop éphémères à Al-Nassr puis à Naples, où sa mise à pied fut accompagnée de critiques virulentes de la part du fantasque président Aurelio De Laurentiis, déclarant qu’il aurait dû «le virer dès le jour de sa présentation». Si son nom a encore été lié au FC Porto dans les derniers jours, le Parisien était sans banc de touche depuis le milieu du mois de novembre 2023, et il devait bien y avoir une raison.
Peut-être, encore, parce que sur ce qu’il aime appeler les «réseaux des cas sociaux» (expression qu’il utilise dans le podcast «Le Média Carré»), le nouveau sélectionneur des Diables est souvent caricaturé dans son pays natal d’homme fort des entretiens d’embauche. «L’homme des rendez-vous», le surnomment même certains dans le milieu, pour sa faculté à vous convaincre en une présentation PowerPoint et quelques phrases d’accroche bien senties. Dès sa première rencontre avec la presse nationale, massée dans les sièges de l’auditorium de Tubize, Rudi Garcia manie aussi bien l’une des langues nationales que le langage de la séduction. Il parle déjà comme un naturalisé: «On était encore il y a peu une des meilleures nations, on peut le redevenir.»
S’il avait été champion, d’Italie ou d’Europe, aurait-il vu les portes du Proximus Basecamp de Tubize s’ouvrir devant lui?
Il serait toutefois malhonnête de le réduire à son sens de la formule, à ce ton chaleureux et pertinent qui fait que beaucoup de téléspectateurs français le considèrent comme le meilleur consultant TV du PAF. Parce que l’épluchage du CV renseigne aussi deux deuxièmes places dans le Calcio, derrière l’intouchable Juventus du début des années 2010 mais avec un style de jeu salué; une finale d’Europa League, aussi, avec un Marseille bouillant en 2018, butant sur l’Atlético Madrid de Griezmann en finale après avoir sorti Bilbao, Salzbourg ou Leipzig; une demi-finale de Ligue des Champions, encore, avec Lyon et en s’offrant le scalp de la Juve de Cristiano Ronaldo et du Manchester City de Pep Guardiola lors d’une édition 2020 marquée par les stades vides. Certes, il n’y a là que des médailles en chocolat, dans un palmarès vierge de tout trophée depuis son doublé coupe-championnat de France à la tête de Lille en 2011. Mais si Rudi Garcia avait été champion, d’Italie ou d’Europe, aurait-il vu les portes coulissantes du Proximus Basecamp de Tubize s’ouvrir devant lui?
«Un esprit collectif»
En 2016, déjà, il avait été l’un des trois candidats privilégiés à pousser les grilles de l’imposant château de Bever, propriété de Bart Verhaeghe. Le président du Club Bruges était alors membre, en compagnie de Mehdi Bayat et Chris Van Puyvelde, de la fameuse «commission technique» chargée de désigner le successeur de Marc Wilmots. La prestigieuse bâtisse a ainsi vu défiler Ralf Rangnick, Rudi Garcia et Roberto Martínez, ce dernier décrochant les faveurs et les clés d’une sélection qu’il emmènerait sur le podium de la Coupe du monde deux ans plus tard.
Garcia, lui, venait alors d’importer avec succès son 4-3-3 aux accents de possession très espagnols sur le sol italien, avec une AS Roma inégale au fil de ses trois saisons italiennes, mais toujours animée par un milieu de terrain audacieux où brillait d’ailleurs un Belge, Radja Nainggolan. «Cela va fonctionner», a d’ailleurs commenté -quelques jours avant son arrestation, lundi 27 janvier, pour soupçons de complicité dans un trafic de drogue- un «Ninja» visiblement toujours conquis par son ancien coach à l’heure de juger son arrivée à la tête des Diables.
Audacieux, le jeu du Français tranche alors avec une Italie où le football offensif est toujours laissé aux mains des joueurs. Il parvient à faire de la légende locale Francesco Totti la clé de son plan de jeu, et déroule un football qu’il définit pour le podcast «The Coaches’ Voice»: «Un jeu basé sur la possession, offensif, avec des contre-attaques rapides quand on a récupéré le ballon et, le plus important, en ayant un esprit collectif. Tu ne peux pas atteindre le modèle de jeu que tu veux si tu n’as pas d’esprit d’équipe.»
Le vestiaire et les anciens
Voilà sans doute le chantier majeur du nouveau sélectionneur à l’heure de prendre les Diables Rouges en main. La récente Ligue des Nations, ponctuée par un match face à Israël déserté par la majorité des cadres, a laissé la sensation d’un collectif en lambeaux.
A l’image de Kevin De Bruyne, capitaine qui déclarait après l’humiliante défaite en France que des joueurs «n’avaient pas effectué leur mission». Ou encore que «quand on n’est pas assez bon pour le top, il faut tout donner et je n’ai même pas vu cela. Je peux accepter qu’on ne soit plus si bon qu’en 2018, je suis le premier à avoir dit ça, mais je ne peux pas tolérer la façon dont on a joué ce soir.»
Ou de Romelu Lukaku, confiant dans une interview au podcast flamand «Friends of Sport» qu’il avait dit à Domenico Tedesco qu’il avait «perdu la flamme» de jouer pour la sélection au lendemain du dernier Euro.
Cette Belgique-là est à reconstruire, et les talents de séducteur de Rudi Garcia seront un indéniable atout pour y parvenir. L’appel du pied à Thibaut Courtois, présenté par le coach comme «meilleur gardien du monde» dès ses premiers mots à son égard face à la presse nationale, en dit déjà long sur la cour que le nouveau sélectionneur est prêt à faire aux derniers résistants de la prestigieuse génération précédente.
Le coach français devra résoudre l’équation que n’a jamais pu déchiffrer Domenico Tedesco.
Le temps des équations
Jamais refroidi par l’intégration de jeunes joueurs dans ses équipes, Rudi Garcia peut aussi parler à l’oreille de la nouvelle vague nationale. Au tableau tactique, l’un de ses premiers chantiers sera de concilier les talents offensifs à disposition, incarné par un Charles De Ketelaere prêt à devenir un taulier du onze diabolique, avec les besoins de protection d’une défense où de nouveaux cadres tardent à émerger.
Que ce soit dans le 4-3-3 de ses années de gloire ou dans un système plus protecteur et adapté aux forces adverses, comme quand il a disposé son Lyon en 5-3-2 pour chambouler le Manchester City de Pep Guardiola, le coach français devra résoudre l’équation que n’a jamais pu déchiffrer Domenico Tedesco, et trouver le moyen de mettre dans les meilleures dispositions tactiques les joueurs capables de faire gagner sa Belgique.
Qui choisira-t-il de mettre en évidence entre les vieillissants Lukaku et De Bruyne ou la jeune garde que représentent De Ketelaere ou Doku? Les premiers indices ne se liront qu’en mars, à l’aube de sa double confrontation face à l’Ukraine dans le cadre des barrages de la Ligue des Nations. Jusque-là, il n’y aura sans doute qu’une succession de témoignages d’anciens collaborateurs, joueurs ou dirigeants, racontant à la presse nationale les victoires et défaites passées pour stimuler l’imagination d’un public qui rêve à nouveau de Diables jouant les premiers rôles.
L’heure des réalistes
Ce rêve est-il vraiment réalisable? Pour schématiser le déclassement de la Belgique en l’espace d’une petite décennie, quoi de mieux que de rappeler que l’entraîneur choisi en 2025 avait été éconduit en 2016, au terme d’une campagne de recrutement pourtant dirigée avec une logique similaire. Neuf ans après Bart Verhaeghe, c’est en effet son ancien bras droit brugeois Vincent Mannaert qui a mené la chasse au sélectionneur, et jeté son dévolu sur Rudi Garcia.
L’ancien CEO du Club Bruges a lancé ses hameçons dans tous les sens, mais n’a récolté que les poissons appâtés par le goût de la sélection belge. Ils se classent en deux catégories: les Tedesco ou Conceição, des coachs qui rêvent d’un jour diriger les plus grands clubs mais n’en ont pas encore eu l’occasion, et les Garcia ou Lopetegui, qui se sont brûlé les ailes en touchant les sommets du bout des doigts et n’ont finalement pas eu l’occasion de s’y installer. Parce que si un coach a réussi au Real Madrid ou est en passe de signer au Bayern, il ne sera certainement pas intéressé à l’idée de prendre en main des Diables Rouges à la jeunesse certes prometteuse, mais bientôt orphelins des derniers héros de sa génération de talents XXL.
Parmi ces deux catégories, les prédécesseurs de Vincent Mannaert avaient choisi le profil du «coming man». Un jeune entraîneur pour propulser et encadrer de jeunes joueurs. Le nouveau patron sportif des Diables Rouges aurait probablement pris la même direction si Sergio Conçeicão n’avait pas reçu une offre du prestigieux Milan AC, mais le Portugais a un CV de joueur et de coach bien plus garni que Tedesco, qui a semblé désemparé par la pression de son premier grand événement quand l’improbable défaite contre la Slovaquie a rendu la suite incertaine. Ensuite, Mannaert s’est résolument tourné vers des profils expérimentés, recherchant autant le calme face à la pression que la passion mise dans les discours.
Entre les deux styles de poissons, la Fédération a choisi d’opter pour ceux qui ont déjà approché les sommets. Sans doute parce que l’expérience Tedesco a montré qu’on ignorait trop comment les autres réagiraient au contact de l’altitude.
Comme des parents qui veulent le meilleur pour leur enfant, les supporters rêvaient sans doute bien plus grand pour «leurs» Diables. Pour eux, la Belgique n’a probablement pas choisi le sélectionneur idéal.
La réalité est que la Belgique a sans doute le sélectionneur qu’elle mérite. Du moins, celui qu’elle est capable d’attirer avec un salaire très éloigné des standards des grands clubs européens et une perspective sportive qui, malgré l’optimisme du public belge quand il évoque la percée de chacun de ses jeunes talents, est loin d’être aussi radieuse qu’une décennie plus tôt.
C’est une évidence: la Belgique ne rêvait pas de Rudi Garcia. Il faut dire que Rudi Garcia ne rêvait sans doute pas de la Belgique non plus.
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