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Romelu Lukaku, le roi déchu qui veut retrouver son trône à l’Inter et en Italie

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Un an après son retour en grande pompe à Chelsea, Romelu Lukaku s’offre un come-back beaucoup moins fracassant. Jamais à son affaire dans la Premier League du futur, Big Rom retrouve un Calcio qui semble bien mieux épouser son idée du jeu. Comme en atteste d’ailleurs son but d’entrée pour son retour sur les prés de la Botte.

Il y a du gigantisme jusque dans la présentation. Une tasse de café qui tremble, une ombre démesurée qui obscurcit le ciel, et un slogan pour épouser cette silhouette rendue plus grande que les buildings: The Giant has arrived. Le géant est arrivé. Au zénith de l’été 2019, la signature de Romelu Lukaku chez les Nerazzurri est un évènement. Pas seulement parce que le buteur belge était au sommet de la wishlist d’Antonio Conte, mais surtout parce que les 74 millions déboursés par l’Inter pour lui faire quitter la Premier League sonnent comme un avertissement des ambitions bleues et noires de reconquête.

S’il parvient quand même à éparpiller quinze buts tout au long de l’exercice, le retour à Chelsea de Lukaku sonne incontestablement comme un échec.

Très vite, le Diable se sent chez lui. Un sentiment qu’il n’avait jamais vraiment ressenti à Manchester United, où il avait atterri en cédant le volant de sa carrière à son agent d’alors, Mino Raiola, pendant qu’il rêvait déjà d’un retour revanchard à Chelsea. Ses premiers mots d’italien ne tardent pas, ses premiers buts arrivent dans la foulée, et son leadership s’affirme après quelques frictions avec le bouillant Marcelo Brozovic. Son duo avec Lautaro Martínez fait des ravages mais, à l’heure de les départager, c’est bien Lukaku qui s’empare du statut de figure de proue de l’Inter de Conte.

Finaliste malheureux de l’Europa League en 2020, avec une déviation dans ses propres filets qui offre le trophée à Séville, Big Rom en profite pour écrire son histoire favorite: celle d’un homme qui rend au centuple les coups que la vie lui assène. S’il ne parvient pas à aider son équipe à franchir l’hiver européen, ses 24 buts et dix passes décisives en championnat en font l’homme fort du titre nerazzurro, le premier depuis 2010. Le tout assorti d’un titre de MVP qui, dans la vie à l’américaine choisie par le buteur, a des sonorités plutôt plaisantes.

Malgré les millions dépensés par les Anglais, le retour de Lukaku à Chelsea n'a pas été une réussite.
Malgré les millions dépensés par les Anglais, le retour de Lukaku à Chelsea n’a pas été une réussite.© GETTY

LE RÊVE AMÉRICAIN

Tout, dans le parcours de Lukaku, semble suivre le script soigneusement élaboré de l’American Dream. Quand le 18 juin 2018, jour de l’entrée en matière des hommes de Roberto Martínez sur le sol russe face au Panama, le site américain The Players’ Tribune publie l’histoire en « je » de Romelu Lukaku, certains des proches historiques de l’attaquant ne peuvent réprimer un léger sourire. S’ils savent que la jeunesse des frères Lukaku n’a pas été des plus faciles, l’exagération made in USA du récit est passée par-là, comme s’il était nécessaire de rendre les obstacles plus hauts, l’ascension plus ardue.

Ce n’est sans doute pas un hasard si quelques mois plus tôt, le Belge confie ses intérêts à l’agence américaine Roc Nation Sports, fondée en 2013 par le rappeur Jay-Z. Avant d’être rejoint dans les années suivantes par ses compatriotes Kevin De Bruyne et Axel Witsel, Romelu devient l’égérie footballistique de Roc Nation Sports, se rapprochant de son patron Michael Yormak qui raconte encore récemment au Guardian avoir été en contact quotidien avec l’attaquant durant son année difficile à Chelsea. Son histoire devient plus américaine que jamais, lui qui aimait déjà s’inviter au bord des parquets de NBA ou dans de luxueuses villas lors de ses vacances, à Los Angeles ou à Miami. Sans jamais oublier le gène du compétiteur si cher aux sportifs US, au point de disputer un five contre des inconnus en Floride en compagnie de ses potes, à quelques jours de la signature de son bail à Old Trafford.

S’il se rêve en star internationale en rejoignant les Red Devils, souvent dominateurs au classement des clubs les plus bankables de la planète, c’est finalement en Italie que Big Rom trouvera son paradis. Antonio Conte dessine l’équipe autour de ses qualités, faisant de lui la clé de voûte de son Inter minutieusement chorégraphiée, et le duel pour le titre avec le Milan tourne par moments au règlement de comptes « homme contre homme » entre Lukaku et Zlatan Ibrahimovic. Leur duel tête contre tête devient une fresque, peinte à quelques encablures du stade Giuseppe Meazza, et Romelu s’auto-proclame « King of Milan » sur les réseaux sociaux dans la foulée du titre des Nerazzurri.

La Curva Nord a été claire: Lukaku devra « mériter les encouragements grâce à son humilité et sa sueur dépensée sur le terrain.

Hors du terrain aussi, le Belge pèse de plus en plus lourd. Des partenariats avec Maserati, Versace ou Sony, qui le met en valeur pour présenter la cinquième version de sa PlayStation: autant de marques qui portent le sceau de Roc Nation, réalisant le potentiel d’une star croissante au pays des très passionnés tifosi. Au quotidien aussi, l’agence chouchoute son égérie, lui offrant la compagnie d’un certain Andrea Opipari, devenu « Andy Opi » pour les intimes et sur les réseaux sociaux. Cet ancien modeste gardien, grimpé jusqu’en D2 suisse puis blessé et désormais jeune trentenaire, devient l’homme à tout faire, puis l’ami de Big Rom. Ils partagent journées, soirées, ou même selfies avec les trophées qui garnissent enfin l’armoire longtemps très clairsemée du numéro 9 des Diables. Si la Coupe d’Europe ne lui a pas souri, Lukaku semble alors considérer qu’il a fini le jeu italien, et voit son appétit augmenter avec la perspective de lancer une nouvelle partie anglaise.

Big Rom en action pour l'Inter lors d'un amical de pré-saison face aux Suisses du FC Lugano.
Big Rom en action pour l’Inter lors d’un amical de pré-saison face aux Suisses du FC Lugano.© GETTY

LA NOUVELLE ANGLETERRE

Storytelling, toujours. L’histoire est presque trop belle pour ne pas tenter de la raconter. Alors que l’Inter pense conserver son buteur quand elle monnaie au PSG le talent d’Achraf Hakimi pour préserver son équilibre financier, Chelsea frappe à la porte bleue et noire. D’emblée, Lukaku se dit favorable à un come-back sur les terres où il avait débarqué une première fois en 2011, sans jamais parvenir à s’imposer dans ce qu’il présentait alors comme son « club de coeur », avec Didier Drogba en guise d’idole. Les retrouvailles se chiffrent bien au-delà des cent millions d’euros, montant dont l’ampleur laisse envisager une équipe blue construite autour des atouts du nouveau transfert le plus cher de son histoire. Ce serait presque oublier que sans lui, Thomas Tuchel a bâti en quelques mois un style de jeu capable d’installer les Londoniens au sommet de l’Europe et parmi les équipes les mieux rodées du monde. Idéale sur le papier, la romance doit encore se frotter à la réalité du terrain.

« Nous étions à la recherche d’un profil spécifique, et Romelu correspond à celui-ci », explique d’emblée le coach allemand, présentant dès le départ son nouvel attaquant comme un rouage de son plan de jeu plutôt que sa nouvelle raison d’être. « Romelu sera un excellent complément à ce groupe, je ne pense pas que nous devrons changer notre style de jeu pour qu’il puisse briller », ajoute encore Tuchel. Difficile d’être plus explicite. Le discours du champion d’Europe est le symbole d’un football anglais dont les figures de proue ont changé d’ère. Autrefois paradis du franchise player à l’américaine, avec un joueur acheté pour des sommes à huit ou neuf chiffres comme incarnation majeure du projet, la Premier League est désormais passée dans une autre dimension. Celle où on parle du Manchester City de Pep Guardiola plutôt que de Kevin De Bruyne, du Liverpool de Jürgen Klopp avant celui de Virgil van Dijk ou Mohamed Salah. Dans ce football-là, ce sont les joueurs qui se fondent dans les plans des managers, bien plus que l’inverse.

Incompréhensible pour Michael Yormak, qui s’épanche dans les colonnes du Guardian sur l’échec du come-back londonien de son égérie Roc Nation: « Quand vous investissez autant d’argent sur un joueur, il faut lui permettre de jouer sur ses forces. Pour moi, un bon coach est quelqu’un qui comprend comment diriger différentes personnalités et comment maximiser leurs performances. Je ne pense pas que ça s’est produit cette année. » S’il parvient quand même à éparpiller quinze buts tout au long de l’exercice, le retour au bercail de Big Rom sonne incontestablement comme un échec. Ses seules actions décisives en Ligue des Champions se recensent contre le Zénit et Malmö, tandis qu’il trouve principalement le chemin des filets contre des adversaires plus modestes en FA Cup ou en championnat. S’il est certes décisif à deux reprises en deux matches lors de la Coupe du monde des Clubs, des roses plantées au fond des filets d’Al-Hilal ou de Palmeiras ne parviennent pas à faire oublier ses soirées difficiles quand l’adversaire est de prestige. Ces jours-là, c’est d’ailleurs souvent Kai Havertz qui prend le relais, encensé par son coach et compatriote pour des atouts qui ne figurent pas dans la manche de Lukaku: « Il nous donne du volume, il couvre énormément de mètres avec une haute intensité et il aime venir dans les half-spaces pour créer des surnombres. » Le profil est complètement compatible avec le jeu de Chelsea, beaucoup moins avec la gamme offerte par Romelu.

L’IDÉALE ITALIE

« Voilà notre arme. Un calibre 90 », s’enflamme le président de l’Inter Steven Zhang sur ses réseaux sociaux à l’heure d’annoncer, depuis le toit de l’Inter building, le retour en bleu et noir du MVP de la saison 2020-2021. Si le 90 fait référence à son nouveau numéro de maillot, celui de son deuxième come-back en deux ans, la façon de faire les présentations est toute autre qu’à Londres. Admirateur convaincu de Lukaku, le coach de l’Inter Simone Inzaghi semble réserver une place bien plus centrale au coeur de son projet à l’attaquant belge, tout comme Antonio Conte l’avait fait avant lui. Un prélude presque indispensable pour un joueur qui cache mal son besoin de se sentir important et aimé.

Le profil de Kai Havertz est complètement compatible avec le jeu de Chelsea, beaucoup moins avec la gamme offerte par Romelu Lukaku.

Romelu Lukaku se retrouve chez lui. Littéralement, quand il reprend possession de son appartement du quartier d’affaires ultra-moderne de Milan, le CityLife. Au sens figuré, aussi, dans un championnat qui n’a pas encore autant délaissé le culte du joueur au profit de la logique globale. En Italie, pas de « super noyaux », une donnée fondamentale dans une course au Scudetto qui semble désormais se jouer à la fin de l’hiver. Débarrassé de toute échéance européenne, le Milan a ainsi profité du creux d’un voisin bleu et noir qui avait abandonné beaucoup d’énergie dans sa double confrontation face à Liverpool. Un an plus tôt, c’est l’Inter qui avait profité de son calendrier allégé pour faire une différence décisive dans le sprint final du Calcio. La rotation déforce beaucoup les clubs de la Botte, parce que leurs moyens ne permettent généralement pas de construire des noyaux dépassant la vingtaine de joueurs très compétitifs.

Romelu Lukaku semble devoir obtenir une place centrale au sein du projet intériste de Simone Inzaghi.
Romelu Lukaku semble devoir obtenir une place centrale au sein du projet intériste de Simone Inzaghi.© GETTY

Il reste en Italie quelque chose de football à l’ancienne. Un pays où le 9 reste un 9, qui argumente avant tout avec des buts. Comment mieux définir un championnat à part qu’en comptant les roses plantées par un Ciro Immobile impérial sur ses terres, mais incapable de tirer son épingle du jeu lors de ses expériences en Allemagne ou en Espagne? Peut-être en rappelant que le titre vient d’être conquis par une équipe qui alignait en pointe, la plupart du temps, un Olivier Giroud qui ne pouvait plus prétendre à mieux qu’un statut de supersub sur le sol anglais. Impérial dans les duels, le champion du monde français est l’exemple d’un championnat italien qui peut encore se dominer physiquement, que ce soit avec les cuisses ou les muscles. Une théorie magnifiée par le Lukaku de Conte, injouable dos au but pour tous les défenseurs de la Botte et cible de toutes les sorties de balle imaginées par le Mister italien, aujourd’hui à Tottenham.

UN TRÔNE EN PÉRIL

Peut-on se marier une deuxième fois, et être à nouveau heureux? Romelu Lukaku l’espère, la Curva Nord affiche ses doutes. Trahie par le départ d’un attaquant affirmant haut et fort la volonté de retrouver son amour de jeunesse, la base des supporters les plus fervents de l’Inter a trouvé les mots qui piquent, à l’heure du retour en Italie du buteur belge. En demandant que personne ne se déplace avec des écharpes pour l’accueillir à l’aéroport, offrant à Lukaku un contraste gigantesque avec sa première arrivée sur le sol transalpin, les hommes forts de la Curva ont également insisté sur le fait que Big Rom devra « mériter les encouragements grâce à son humilité et sa sueur dépensée sur le terrain. »

« Nous avons pris acte de la trahison de Lukaku », ajoutaient-ils encore. Sans oublier le coup de grâce, une phrase qui résume non seulement l’état d’esprit des tribunes du Giuseppe Meazza, mais qui pourrait également raconter les douze derniers mois de la vie de Romelu Lukaku: « C’était un roi. Maintenant, il est un joueur comme les autres. »

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