Retour sur l’année du Real Madrid: sur le toit de l’Europe en renversant les situations désespérées
Comment devient-on la meilleure équipe du monde? En renversant des situations désespérées. Le Real l’a fait, plus que jamais, en 2022. Explications.
Et le trophée du supporter le plus mal inspiré va à… cet homme qui, le 4 mai 2022, quitte sa tribune du Bernabéu, avec sa petite fille, quelques minutes avant le coup de sifflet final. Le Real affronte Manchester City en demi-finale de la Ligue des Champions, on est à la 89e minute, les Citizens mènent 0-1 et ils se sont imposés 4-3 à l’aller. Donc, ça sent complètement le cramé pour les Espagnols. Un journaliste interpelle ce supporter, lui fait remarquer que le Real vient d’égaliser et qu’il a tort de ne plus y croire. Et le même fan lui rétorque: «Je veux éviter à ma petite le chagrin de l’élimination, je préfère qu’elle n’assiste pas à ça.» Il a à peine fini sa phrase que le stade explose, tremble sur ses bases. Rodrygo, d’un coup de tête rageur, vient de faire 2-1. On part donc pour des prolongations. L’homme se met à sauter comme un dératé, il embrasse l’enfant puis ils font leur retour en tribune. Le papa serre le poing.
Au match aller de la demi-finale sur le terrain de Manchester City, on aurait pu perdre 10-1. Mais on a limité la casse à 4-3.» TONI KROOS
Qu’est-ce qui a pris à ce supporter? Il n’avait pas vu les matches précédents de son équipe en Ligue des Champions? Il n’était pas au courant des renversements de situation miraculeux contre le Paris Saint-Germain et Chelsea? Dans les deux cas, le sort du Real semblait scellé, irrémédiablement, mais chaque fois, les Madrilènes sont revenus de nulle part. Beaucoup de matches du Real, en phase à élimination directe, ont fait penser à The Rumble in the Jungle, l’inoubliable combat de boxe entre George Foreman et Mohamed Ali en 1974. Pendant les premiers rounds, Ali s’est régulièrement retrouvé dans les cordes, impuissant face aux coups de boutoir de Foreman. Les connaisseurs ne se demandaient pas si Foreman allait remporter ce combat, mais seulement après combien de temps Ali allait devoir jeter l’éponge. Mais au huitième round, The Greatest est subitement sorti de sa boîte pour démolir le géant texan. C’est sans aucun doute la plus impressionnante remontada de l’histoire du sport.
Dans une interview à la chaîne allemande ZDF en octobre dernier, le médian Toni Kroos a abordé ces moments difficiles du Real. «Zinédine Zidane disait toujours qu’on devait apprendre à souffrir. Il ajoutait que si on arrivait facilement à souffrir, on aurait beaucoup de chances de gagner nos matches. Au plus haut niveau, il y a des moments où il faut accepter d’être moins bon que l’adversaire. Au match aller de notre demi-finale contre Manchester City, on aurait pu perdre 10-1. Mais on a limité la casse à 4-3. Quand les Anglais ont pris l’avance sur notre terrain, plus personne n’aurait parié un euro sur notre qualification. Mais on est toujours capables de trouver un second souffle, et quand on le fait, le stade suit. Quand vous réussissez des trucs pareils plus d’une fois, même les joueurs d’une équipe aussi prestigieuse que City commencent à se dire qu’on va encore réussir un exploit.»
Les statistiques du match retour (voir encadré) sont éloquentes. Ce soir-là, Thibaut Courtois a dû sortir huit arrêts, pour seulement deux à son vis-à-vis, Ederson. Après le match, face aux caméras, Pep Guardiola a résumé: «Parfois, vous menez au score alors que vous êtes dominé. On n’a jamais eu ce sentiment, ce soir. Le Real ne nous a pas assiégés. Mais ils ont marqué un but. Une minute plus tard, encore un autre. Ils ont souvent renversé des situations désespérées, donc on savait qu’ils risquaient aussi de le faire contre nous.»
C’est une des constantes du Real Madrid cuvée 2022. L’équipe a régulièrement renversé la vapeur. Elle l’a fait en Ligue des Champions, mais aussi en championnat. La série a commencé dès la deuxième journée, à l’extérieur face à Levante, quand Karim Benzema et ses potes ont été menés deux fois, mais sont repartis avec le point du nul (3-3). ViníciusJúnior a égalisé à la 85e minute. Après cela, il y a eu des retours un peu miraculeux contre le Celta Vigo, Valence (victoire 1-2 avec des buts marqués à la 86e et à la 88e), le FC Séville, etc.
Ces retournements ont inspiré une idée originale à Carlo Ancelotti. Avant la demi-finale retour contre Manchester City, il a montré aux joueurs une vidéo dans laquelle étaient rassemblés huit retournements favorables de situations depuis le début de la saison. Il a ajouté, en commentaire: «Il en manque encore un petit.» Et ça allait être le plus magique de tous.
Le Real a poursuivi sur son élan lors du premier match de championnat de la saison 2022-2023. Sur le terrain d’Almería, il a été mené 1-0 pour émerger finalement à 1-2. Le chas de l’aiguille est devenu une spécialité de la maison.
C’est qui, le douzième homme du Real?
À l’approche de l’ouverture de la saison 2021-2022, peu de spécialistes avaient prévu un scénario pareil. Tout a commencé avec l’arrivée de Carlo Ancelotti, qui a remplacé Zinédine Zidane. L’Italien portait l’étiquette d’un grand-père tranquille qui filait doucement vers la quille. Il n’avait plus rien gagné depuis 2017 et le titre en Bundesliga avec le Bayern. Les dirigeants allemands l’avaient écarté parce qu’ils trouvaient ses méthodes d’entraînement dépassées, et aussi parce qu’ils lui reprochaient de ne pas être assez dur avec les joueurs. Ancelotti semblait avoir sa carrière derrière lui. Mais en voyant que Massimiliano Allegri avait signé à la Juventus, en voyant que Mauricio Pochettino ne pouvait pas quitter le PSG, le président Florentino Pérez a décidé de récupérer l’entraîneur qui avait apporté au Real sa dixième victoire en Ligue des Champions, en 2014. De nombreux suiveurs du club ont froncé les sourcils. Ancelotti était-il l’homme qui allait réussir à rendre du ressort à un vestiaire pressé comme un citron la saison précédente?
Mais si on regarde les quatorze victoires du Real en Coupe des Clubs Champions et Ligue des Champions, on se rend compte que ce trophée a souvent été gagné par des coaches calmes, des gars qui ne perdent pas leur sang-froid devant le banc. Il y a eu Ancelotti (2014) mais aussi Miguel Muñoz (1960, 1966), Vicente del Bosque (2000, 2002) et Zinédine Zidane (2016, 2017, 2018).
À l’approche de la saison 2021-2022, Ancelotti a par exemple signalé que Casemiro, LukaModric et Kroos ont parfois fait des choses qu’il ne leur avait pas demandées. Et il a ajouté, laconique: «Mais les supporters ne doivent pas s’inquiéter, je ne vais pas me mêler de ça.» À 63 ans, l’Italien affirme aussi que son boulot au Real est un boulot «facile.» Parfois, il donne l’impression que tout ce qu’il a à faire, c’est observer tranquillement ses joueurs.
Mais ce serait une injure de résumer son boulot comme ça. Parce que Carletto a réussi un pari que ses prédécesseurs n’avaient pas su relever. Il a donné de la confiance et des opportunités aux jeunes. Vinícius Júnior, Rodrygo et Federico Valverde ont percé grâce à lui. Et ça a fait plaisir à Florentino Pérez, qui les avait transférés à un jeune âge pour des montants conséquents.
En retournant à Madrid, Carlo Ancelotti a aussi emmené dans ses bagages un homme qui allait devenir important: le préparateur physique Antonio Pintus. L’homme qui avait affûté les joueurs lors des trois victoires consécutives de Zidane en Ligue des Champions. On ne doit pas sous-estimer son apport dans le succès contre Liverpool, le 28 mai 2022. Cet Italien de soixante ans, qui met toujours un point d’honneur à se farcir chaque matin un jogging de neuf kilomètres, est parfois surnommé le douzième homme du Real. Dans les renversements de scores en fin de matches, il joue un rôle prépondérant.
Ça devait être une saison de transition
Le club n’a pas transféré de grands noms durant l’été 2021. Il y a eu de nouveaux épisodes dans le feuilleton impliquant Kylian Mbappé, avec un échec au bout des négociations. Et on pensait le Real parti une saison de transition. Deux nouveaux visages sont arrivés: DavidAlaba est venu gratuitement du Bayern et il y a eu de jeune EduardoCamavinga, que l’on considérait surtout comme un renfort pour l’avenir. Sergio Ramos et Raphaël Varane, qui ont longtemps tenu la baraque derrière, sont partis voir ailleurs. Le premier parce qu’il devait s’en aller, le second parce qu’il avait envie d’autre chose. On pensait que ce serait une très grosse perte. Mais le nouveau duo, formé par Alaba et ÉderMilitão, a vite trouvé ses marques. Militão n’avait jamais été vraiment calculé par Zidane, mais avec Ancelotti, sa vie a complètement changé.
Et le Real a continué à compter sur ses usual suspects pour faire tourner la boutique. Karim Benzema, Luka Modric, Toni Kroos, Casemiro et Dani Carvajal savent ce que ça représente de jouer pour un club qui, sur ses écharpes, fait imprimer un slogan en un seul mot: ganar. Ces vieux guerriers ont déjà survécu à d’innombrables batailles. Ajoutez-y une bonne dose de jeunes talents, le meilleur gardien du monde, et tout s’explique!
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