Que retenir du passage de Marcelo Bielsa à Leeds ?
Malgré son statut de légende du club, Marcelo Bielsa n’a pas résisté à la mauvaise passe de Leeds. Remercié après la défaite 0-4 contre Tottenham, le coach argentin laisse derrière lui un groupe fatigué mais considérablement grandi. C’est tout le paradoxe d’une éthique de travail qui ne tolère pas le moindre relâchement.
Jamais l’expression « remercier un coach » n’aura autant pris son sens. D’habitude accompagnés d’une phrase laconique à l’attention de leur défunt entraîneur, les communiqués des clubs pour officialiser la séparation ne se démarquent pas pour l’amour et la reconnaissance qu’ils dégagent. Celui de Leeds consacré au départ de Bielsa revient en long et en large sur ses plus grands accomplissements à la tête de l’équipe, s’excusant presque de devoir mettre fin à la collaboration dans les toutes dernières lignes. Il faut dire qu’en quatre saisons, il n’a laissé personne indifférent.
Stakhanoviste des terrains d’entraînement
A son arrivée dans le Yorkshire, Leeds était une équipe de ventre mou de Championship, engluée en deuxième division anglaise depuis 2004 avec même un passage en League One. La plupart des cadres de l’équipe actuelle sont déjà là, de Mateusz Klich à Pascal Struijk en passant par Liam Cooper, Luke Ayling mais surtout Kalvin Philips et Patrick Bamford. C’est avec ce groupe qu’il marque l’histoire du club : la première saison débouche sur l’accession en barrages pour la Premier League (défaite contre le Derby County de Frank Lampard et Mason Mount) avant de remporter le titre de champion symbolisant la montée en Premier League l’année suivante et de terminer à une très honorable neuvième place lors de la première saison parmi l’élite.
Mais plus encore que les résultats, c’est le management sans concessions de Bielsa qui a marqué les esprits. Certains se sont lassés de la hype qui s’est construite autour du personnage. Pourtant, rarement le championnat anglais avait connu un entraîneur qui allait à ce point au bout de ce qu’il entreprenait, quitte à mourir avec ses idées. L’ancien coach de Marseille aime rappeler que si on l’appelle « El Loco », ce n’est pas parce qu’il est fou mais parce que sa manière d’agir surprend ceux qui n’y sont pas habitués.
Comme quand l’espion qu’il envoie au centre d’entraînement de Derby County se fait intercepter et provoque un tollé en Angleterre. A cette occasion, il avoue qu’il avait fait de même pour tous les adversaires que Leeds avait affrontés jusque-là. Lors d’une autre conférence de presse, un journaliste lui demande ce qu’il compte faire pour pallier l’indisponibilité de son défenseur central Robin Koch. Sa réponse est plutôt claire : il révèle position par position le onze qui sera aligné contre West Ham deux jours plus tard. C’est avec le même étonnement que des journalistes l’aperçoivent cet été au centre d’entraînement de Leeds, alors que tout le noyau est en vacances, en train de donner un entraînement aux U11.
Ce dévouement de tous les instants, il l’exige aussi de ses joueurs. Le noyau ne tarde pas à le découvrir : quelques semaines après son arrivée, Bielsa emmène le groupe ramasser les poubelles pendant trois heures pour se rendre compte du travail que certains supporters doivent effectuer pour pouvoir se permettre d’assister à un match.
A l’entraînement, la barre est placée très haut pour amener les joueurs au niveau qu’il ambitionne. Après l’officialisation de son départ, Patrick Bamford lui a rendu hommage : « C’est l’homme qui a tout changé pour chacun de nous« . Kalvin Philips va plus loin : « Bielsa a vu en moi des choses que je n’avais moi-même pas soupçonnées« . Sous sa houlette, les deux Anglais sont passés de joueurs étiquetés « Championship » au statut d’internationaux avec les Three Lions, Philips disputant même l’intégralité de l’EURO dans le milieu de terrain anglais l’été passé. Comme dans ses clubs précédents, l’héritage est considérable : les joueurs qu’il a façonnés ont à chaque fois rapporté gros les saisons d’après. On pense à Ander Herrera et Javi Martinez à l’Athletic Bilbao puis Benjamin Mendy ou Giannelli Imbula à Marseille.
Avaler le venin
Caractéristique de l’après-Bielsa, la lumière braquée sur la plus-value apportée est presque inévitablement accompagnée par l’ombre d’un noyau sur les genoux, lessivé par les méthodes du professeur argentin. Dans ses causeries, Bielsa enjoint son groupe d’avaler le venin pour oublier la douleur. Mais à force de multiplier les courses à haute intensité pour créer des supériorités numériques aux quatre coins du terrain, c’est plutôt l’acide lactique qu’il faudrait ravaler pour recracher la fatigue.
Cette saison encore, Leeds est l’équipe qui effectue le plus de sprints sur le continent. L’année passée, bon nombre d’observateurs misaient sur un effondrement au deuxième tour. L’équipe a fini le championnat avec un bilan de 23 sur 30 lors des 10 derniers matchs. La prédiction s’est finalement réalisée cette saison, avec un an de retard.
Symboles des pas de géant effectués, Bamford et Philips sont également ceux qui ont été le plus loin dans le rouge. Le premier s’est blessé en septembre après sa première convocation avec l’équipe nationale, il est toujours indisponible. Quant à Philips, c’est au début du mois de décembre que son corps a dit stop, digérant sans doute les efforts consentis et la trêve estivale raccourcie par sa présence à l’EURO. Avant sa blessure, le club n’avait perdu qu’un match sur les six derniers disputés. Depuis, Leeds reste sur un bilan de 7 points sur 33.
Des défaites lourdes dans les chiffres, Leeds en subissait déjà la saison passée, quand son pressing tout terrain était déjoué par la débrouillardise technique des joueurs les plus créatifs du championnat, comme lors du 6-2 encaissé à Old Trafford. Mais à force d’avaler le venin, l’empoisonnement guette. Les derniers scores sont lourds (3-0 à Everton, 2-4 contre Manchester United, 6-0 à Liverpool, 0-4 contre Tottenham) et font craindre pour la survie de Leeds en Premier League. Le club est actuellement seizième avec seulement deux points d’avance (et deux matchs de plus) sur Burnley, premier relégable.
Comme celles de chaque entraîneur, les façons de faire de Bielsa ont les défauts de leurs qualités. A l’image des montagnes russes émotionnelles vécues par les supporters de Leeds ces trois dernières années, elles explosent sans doute au grand jour de manière plus spectaculaire. C’est dans cette ambiance de fin de règne que débarque le nouvel entraîneur Jesse Marsch, avec l’objectif d’éviter que le serpent ne se morde la queue jusqu’au bout. Avec son profil d’entraîneur Red Bull passé par Salzburg et Leipzig pour implanter son jeu direct, pas sûr que les joueurs trouvent en lui quelqu’un qui les autorise à baisser la garde. L’acide lactique n’a pas fini de couler à Elland Road.
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