Quand Sadio Mané découvrait l’Europe au FC Metz
En 2011, Sadio Mané passe de Génération Foot, au Sénégal, à la maison-mère du FC Metz. Le temps d’une saison, résumée en six mois de placard et six mois de lumière. Suffisant en tout cas pour décrocher un transfert à Salzbourg, en échange d’un chèque de quatre millions d’euros, mais pas assez pour sauver le FC Metz d’une descente en troisième division. Cinq anciens collègues racontent.
Olivier Perrin, responsable du partenariat franco-sénégalais du FC Metz
» À l’époque, je me déplaçais trois fois par an à Dakar pour m’occuper de la détection et du recrutement. J’y ai travaillé pendant six ans, mais je partage toujours ma vie entre la France et le Sénégal. Ce n’est pas moi qui ai découvert Sadio, mais je l’ai vu jouer quand il est arrivé à Génération Foot, l’antenne du FC Metz, qui évoluait en troisième division. C’était un joueur qui était capable de prendre la balle dans ses dix-huit mètres pour l’amener dans les dix-huit adverses, soit tout seul, soit avec un petit relais. Au départ, ce n’est pas un joueur qui jouait beaucoup en équipe, mais comme il faisait la différence, on lui pardonnait. Il n’était pas perso pour la flambe, ce n’était pas un individualiste primaire qui ne jouait que pour sa gueule, c’était vraiment un bon gamin. Il n’arrivait pas toujours à faire des matches complets parce qu’il souffrait déjà des adducteurs, mais on ne savait pas encore qu’il souffrait d’une pubalgie ( dont il sera opéré, à Metz, ndlr).
À ce niveau-là, on peut se faire avoir par quelques flashes, mais on a choisi de faire confiance aux entraîneurs de Génération Foot. L’été suivant, il est arrivé chez nous. Je coachais les U19 et, pour son premier match, il était sur le banc. Je l’ai fait rentrer, puis je l’ai fait sortir vingt-cinq minutes après. Je m’en souviendrai toujours : tactiquement, il ne comprenait rien. On jouait une grosse équipe, ça n’allait pas, donc il a fait un aller-retour ( rires). Après, il nous a caché pendant un ou deux mois sa blessure. Depuis, on a évolué au niveau médical, à Dakar, mais lui, il n’a pas bénéficié des mêmes installations, comme les joueurs qui arrivent aujourd’hui : Ismaïla Sarr, Ibrahima Niane ou Habib Diallo, l’actuel meilleur buteur du club en Ligue 1.
Sadio, lui, s’entraînait quatre fois sur cinq dans le sable ou sur des terrains synthétiques pourris. Je pense qu’il avait des difficultés avec le froid, le changement de culture, la douleur… Au début, il était largement en dessous de son niveau et je crois qu’il y a même beaucoup de coaches, à Metz, qui se sont demandés pourquoi je l’avais fait venir. Il ne faut pas oublier qu’il a ensuite été plusieurs fois remplaçant en équipe réserve ( qui évolue alors en CFA, au quatrième échelon, ndlr). »
Albert Cartier, entraîneur au début de la saison 2012/2013
» Quand j’ai repris l’équipe, elle venait de descendre en National. Pour Sadio, officiellement, il n’y avait aucune proposition, mais le Président ( Bernard Serin, ndlr) m’avait clairement dit que si une opportunité se présentait, il ne pourrait pas la refuser. Financièrement, le club en avait besoin. Donc je savais, très tôt, que j’allais probablement faire une grande partie de la saison sans Sadio. Il l’a quand même commencée avec nous, après son retour des Jeux Olympiques, le temps de quelques matches ( trois rencontres au total, ndlr).
Dans l’un d’eux, il y a une anecdote, qui est incroyable : on frappe sur les poteaux, les barres, partout. L’équipe en face passe quarante-cinq minutes dans son camp, leur gardien fait des arrêts dans tous les sens et les défenseurs sauvent involontairement le ballon sur la ligne… Bref, ils font des trucs de fou. Là, je profite d’un temps mort pour appeler Sadio, qui est sur le banc de touche. Je lui dis : Sadio, il faut que tu nous aides, là. Il faut que tu aides tes potes, on n’y arrive pas.
J’ai regardé le staff et j’ai dit : Putain, mais c’est qui ce mec, c’est un extraterrestre. » Albert Cartier
Le match reprend, je le fais rentrer. Johan Carrasso, notre gardien, relance à vingt-cinq mètres de notre but, sur lui. Sadio élimine deux mecs, prend appui au milieu du terrain sur Diafra Sakho, qui lui remet le ballon, ils remettent ça une autre fois et là, Sadio part au but. Il fixe le gardien, avec passement de jambes, tout. Le gardien le fauche, penalty. Dans la foulée, il y a la contestation habituelle, comme toujours dans ces cas-là, et Sadio en profite pour venir vers moi : Voilà, coach. C’est fait. J’ai halluciné. Je me suis retourné, j’ai regardé le staff et j’ai dit : Putain, mais c’est qui ce mec, c’est un extraterrestre.
On savait qu’il était bon mais là, en accélérant, il avait éliminé trois joueurs, en partant du milieu de terrain. C’était du très, très haut niveau. Diafra Sakho a ensuite marqué son penalty et on a gagné ( victoire 1-2 à Vannes, le 11 août 2012, ndlr). Sadio, non seulement il était explosif, mais il était aussi extrêmement sain. Il faut aussi savoir que quand il était à Metz, il avait vraiment un tout petit salaire, mais il n’avait pas spécialement envie de partir parce que pour lui, c’était quitter ses potes. Metz lui tenait à coeur, c’est quelqu’un qui est très famille. Moi, me passer d’un mec comme ça alors que l’objectif était de monter, c’était une vraie souffrance. »
Samy Kehli, coéquipier en réserve et en première, aujourd’hui à OHL
» Je l’ai vu arriver en CFA. Ce n’était pas facile pour lui : il n’était pas très costaud, il ne connaissait pas Metz, où le cadre est complètement différent du Sénégal et où il ne fait pas souvent très, très chaud. Il faut pouvoir s’habituer, mais chez lui, on voyait qu’il y avait des qualités. Ce qui m’a frappé, c’était son insouciance. Il ne se prenait pas la tête, il jouait pour le plaisir, il dribblait, il ne changeait pas son jeu pour les autres. C’était un dribbleur, un mec très vif, même s’il y avait un peu de déchet, notamment dans les passes. Par contre, je vais être honnête, je ne m’attendais vraiment pas à ce qu’il aille si haut. Par exemple, j’avais côtoyé Miralem Pjanic ( le métronome de la Juve porte les couleurs de Metz de 2004 à 2008, ndlr) et là, on voyait qu’il allait devenir un top joueur. Sadio, lui, pas du tout. Il avait des qualités de vitesse et de vivacité que beaucoup d’autres joueurs ont dans les centres de formation, mais de là à dire qu’il allait se retrouver à Liverpool…
Puis, il a commencé à s’entraîner avec la première, tout doucement, quand on avait besoin d’un joueur en opposition. On n’était surtout pas dans les meilleures conditions, parce qu’on jouait le maintien, même si on avait aussi Kalidou Koulibaly ( ex-Genk, désormais à Naples, ndlr) et Andy Delort ( Montpellier, ndlr) dans l’équipe. Mais là, c’est pareil : le Kalidou de l’époque n’était pas celui d’aujourd’hui. De ce que je me souviens, Sadio avait déjà un fort caractère, il ne se laissait pas trop faire, il ne fallait pas trop le chercher. Je ne vais pas dire qui, mais il y a eu quelques prises de bec avec des anciens ( rires). Disons qu’il préférait recevoir des consignes de ses proches.
En gros, il a joué six mois en Ligue 2, avant de partir. Quand il a rejoint Salzbourg, on l’a rejoué avec Metz ( une préparation et un amical en Autriche étaient prévus dans le deal, ndlr). Là, il m’a impressionné. La qualité de jeu qu’il avait pris en peu de temps, en quelques mois à peine, c’était incroyable. C’était complètement différent. C’est clair qu’il jouait avec des joueurs d’un autre niveau, mais dans sa façon d’être, on voyait qu’il avait franchi un palier. Il avait pris un peu plus en muscles, ce n’était plus le même joueur. C’est lui qui commandait le jeu. »
Dominique Bijotat, entraîneur lors de la saison 2011/2012
» J’allais voir les jeunes régulièrement et Sadio jouait en réserve. Je l’ai vu faire quelques matches et j’ai vu qu’il était plein de talent. Il avait une qualité essentielle, qui était l’accélération balle au pied. De ce côté-là, c’était exceptionnel, mais il était encore un peu intermittent donc je l’ai laissé mûrir, quelque temps. En réserve, il était aussi parfois sur le banc. Je ne me permettrais pas d’expliquer pourquoi. Cette situation est déjà arrivée à plusieurs grands joueurs, lors de leur formation.
En janvier, je l’ai complètement lancé. Sur son premier match, ses premières touches de balle avaient montré qu’on tenait quelque chose. Puis, on avait été à Reims et il avait déposé trois ou quatre adversaires ( défaite 3-0 de Metz, le 23 mars 2012, au cours de laquelle il dispute 74 minutes, ndlr). Faire ça, à cet âge-là, en Ligue 2, où il y a quand même des gens solides, c’était assez frappant. Bon, malheureusement pour nous, il n’a pas fini son action mais il y avait toute la panoplie de ses qualités : le changement de rythme, l’accélération qu’il fallait, la technique. J’ai vraiment l’image d’un joueur qui était capable, sur cinq, six mètres, de déposer l’adversaire.
Il avait une qualité essentielle : l’accélération balle au pied. » Dominique Bijotat
À ce moment-là, il était déjà installé dans l’équipe. Ce serait trop facile de le dire aujourd’hui, mais j’estimais qu’il avait un potentiel énorme et tous les ingrédients pour le très, très haut niveau. Sinon, j’aurais patienté davantage. Pour moi, il ne fallait plus perdre de temps avec lui, même s’il avait tendance à exagérer un peu son talent. La relation avec les autres n’était pas encore bien huilée : il avait plutôt envie de faire l’exploit individuel que le travail collectif. Mais bon, on lui pardonnait parce que c’est un mec adorable, d’une gentillesse, en dehors du terrain, et d’une volonté, sur le terrain, très rares.
C’était un peu la double personnalité de Sadio. Alors, il a fallu l’imposer. On a eu quelques discussions sur le plan technique. Je lui ai dit : Le jour où tu vas réellement te servir des autres, tu vas devenir quelqu’un d’exceptionnel. J’avais la responsabilité de la Ligue 2, mais il y avait aussi cette volonté de faire jouer les jeunes, comme Kalidou Koulibaly, qui démarrait aussi. En janvier, on n’était pas mal, mais ensuite, on a fini par descendre. Les raisons, je ne les dirai pas, mais elles ne viennent pas de là. »
Gérard Houllier, directeur mondial de la branche football de Red Bull
» C’est assez simple. Mané, je l’ai découvert pendant les Jeux Olympiques de Londres, en 2012. Je l’ai vu pendant plusieurs matches et je ne vais pas tricher en vous disant que je l’avais vu avant, à Metz. Je ne me souviens pas du match en particulier, mais je me souviens qu’il avait été très bon. Le Sénégal avait fait un bon parcours ( éliminé en quarts de finale, après prolongations, par le Mexique, futur vainqueur, ndlr). Quand je l’ai vu, j’ai été très vite convaincu par son talent. Ensuite, on s’est renseigné sur la personne et on a compris que c’était un bon mec.
On ne pouvait pas simplement le recruter sur quelques matches aux JO, alors on a fait notre homework, comme on dit. Maintenant, avec la technologie, vous pouvez regarder des bouts de matches et donc j’ai aussi pu visionner son retour en troisième division française, où Metz était redescendu. On a fait un montage et c’était facile de se décider. Ce qui m’avait plu tout spécialement chez lui, c’était sa vitesse et sa technique, sa capacité d’éliminer. J’ai négocié son transfert à la fin du mois d’août. On a surtout discuté avec le club, on n’a pas eu le temps de le faire avec lui, parce qu’après les JO, il était reparti au Sénégal. Metz était vendeur.
Comme tous les clubs qui descendent, ils avaient des difficultés financières. On a décidé de l’acheter pour quatre millions, pour qu’il aille à Salzbourg ( il part le 31 août 2012, ndlr). Il s’est vite adapté là-bas puisqu’il a marqué seize buts dès sa première saison. Après, il avait joué un amical contre le Bayern, gagné 3-0, et il avait été exceptionnel. Il était parti du milieu de terrain pour marquer ( le 18 janvier 2014, ndlr). À partir de ce moment-là, tout le monde voulait l’avoir. Au final, il est resté deux ans, puis il est parti à Southampton. C’est quelqu’un qui est très focus, qui a cette capacité à se fixer des objectifs et les atteindre. Il a fait les choses bien, étape par étape. »
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