Pourquoi Bruges s’éclate en Europe mais ne survole plus le championnat
Encore largué en championnat, le Club Bruges brille pour la deuxième année de rang sur la scène européenne. L’histoire d’une institution qui s’est peut-être un peu trop mise à accumuler les talents.
Le mois d’août pousse ses derniers soupirs, et Ronny Deila suit le mouvement. Arrivé à Bruges quelques mois plus tôt, débauché d’un Standard de Liège qu’il avait ressuscité, le coach norvégien doit permettre au Club de retrouver de la sérénité. Une transition indispensable après de longs mois de crises successives, interrompues par de rares moments de gloire. Aux côtés du discret Jonas De Roeck et du flegmatique Karel Geraerts sur la shortlist des dirigeants brugeois, Deila s’est distingué par son charisme. Une aura qui doit emmener tout le monde dans son sillage, au sein d’une institution qui vacille. Alors, ce 31 août, le Scandinave joue déjà gros.
Lancé dès la fin du mois de juillet dans un marathon européen qui vivra, face au Paok Salonique, sa quinzième escale, Bruges semble pourtant sur le point de quitter l’aventure bien plus tôt que prévu quand Ante Budimir plante, peu après 21 heures, le deuxième but de la soirée pour les Espagnols d’Osasuna. Vainqueur à Pampelune au match aller, le Club se remet finalement dans le match grâce à Igor Thiago, puis émerge sur une frappe de Skov Olsen qui claque dans le petit filet. Le parcours en Conference League se poursuit, et la tension baisse d’un cran. Parce qu’au sein du Belfius Basecamp établi à Knokke, les jours précédant cette double confrontation face aux Basques étaient emplis de tension. Plus encore que le quotidien de la Pro League, c’est en effet l’excitation européenne qui semble servir de carburant aux ambitions du vestiaire brugeois.
Paradoxalement, la machine à gagner s’est enrayée tout en brillant plus fort à l’échelle continentale.
Si la scène est moins grandiloquente qu’un an plus tôt, quand les Blauw en Zwart avaient émergé d’un groupe composé de Porto, du Bayer Leverkusen et de l’Atlético de Madrid pour s’offrir une place en huitièmes de finale de Ligue des Champions, la quête continentale reste bien présente dans tous les esprits brugeois. «On veut être le numéro un en Belgique, mais aussi avancer en Europe», glissait Dévy Rigaux (récemment nommé directeur du football du Club) au lendemain du titre de 2022. A l’époque, Bruges empile son troisième titre de champion consécutif, le cinquième en sept saisons, et caracole en tête de toutes les évolutions sportives, statistiques et managériales du pays. On en parle alors – son président Bart Verhaeghe en tête – comme du «Bayern de Belgique» et l’ancien arrière latéral de la maison, Thomas Meunier, raconte à Sport/Foot Magazine que «Bruges, à la limite, ce n’est plus un club belge, ça peut être un Top 5 de Ligue 1 ou de Bundesliga aujourd’hui.» Des mots pour esquisser l’ampleur d’un écart avec la concurrence qui semble tel que même une saison loupée peut se conclure avec un trophée.
Deux ans plus tard, l’avancée européenne est incontestable. Un huitième de finale de Ligue des Champions, obtenu grâce aux miracles de Simon Mignolet et à la maturité d’un groupe qui se connaît presque par cœur, puis un quart de finale de Conference League qui n’a pas l’allure d’un terminus. Les Grecs du Paok Salonique sont un adversaire abordable pour le Club, qui rêve en secret d’être le premier bastion belge en plus de 30 ans à s’inviter au rendez-vous d’une finale de Coupe d’Europe. Seul cet exploit pourra, cependant, faire oublier une aventure nationale décevante pour la deuxième saison consécutive. Invité in extremis et dans un rôle de sparring-partner dans le Top 4 synonyme de play-offs 1 la saison dernière, Bruges est à nouveau largué de la lutte pour le titre dès l’aube du mois d’avril cette année. Comme douze mois plus tôt, c’est un coach intérimaire qui a été promu de Club NXT (l’équipe des moins de 23 ans qui évolue en deuxième division) pour finir l’exercice à la tête de l’équipe fanion. Pas plus que Rik De Mil l’an passé, Nicky Hayen ne semble avoir les épaules pour assumer la charge au-delà du printemps. Paradoxalement, la machine à gagner s’est enrayée tout en brillant plus fort à l’échelle continentale, devenant une équipe de coups et donc de coupes. La mise en retrait de Vincent Mannaert, CEO à succès des Brugeois qui quittera ses fonctions à la fin de la saison et a déjà fait un pas de côté suite aux révélations de Humo sur son assuétude à l’alcool, n’est pas étrangère à cette perte de cap.
Bruges et la chasse au talent
Dans les colonnes de L’Echo, et dans la foulée du transfert de son ailier canadien Tajon Buchanan vers l’Inter, le futur ex-homme fort du Club livre une partie de son secret: «Je n’ai jamais considéré les transferts comme des revenus exceptionnels, mais comme des recettes annuelles récurrentes. Les clubs de petits championnats ne peuvent pas s’en passer s’ils veulent être rentables. Le manager d’un club situé hors des grands pays se doit de scruter les championnats qui sont sous les radars. On joue en quelque sorte les éclaireurs pour les très grands clubs. Cela a toujours été mon job et reste le grand défi du Club, même après mon départ.»
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En matière de recrutement, justement, là où Bruges fait systématiquement la différence en générant de conséquentes plus-values sur des jeunes talents, les Blauw en Zwart sont en train de se restructurer pour relever le défi fixé par Mannaert. Face à une concurrence locale qui travaille de mieux en mieux, il faut continuer à avancer pour maintenir le leadership qui permet aujourd’hui au Club de compter cinq des douze transferts sortants les plus chers de l’histoire du championnat belge. L’été prochain, c’est ainsi le buteur brésilien Igor Thiago, déjà plus de 25 buts toutes compétitions confondues mais un style qui ne convainc toujours pas les puristes, qui quittera la Venise du Nord pour la Premier League contre un montant annoncé au-delà des 30 millions d’euros. Initialement, c’est le prodige norvégien Antonio Nusa qui devait rejoindre Brentford contre une somme record, alors que ce futur grand talent annoncé n’a pas encore réellement dominé la Pro League comme certains l’attendaient. L’exemple parfait que le Club Bruges a atteint des sommets inattendus sur le marché: ses joueurs n’ont même plus besoin de lui faire gagner de grands matchs et des trophées pour faire sauter la banque.
C’est le résultat financier d’une politique bien rodée. Les Brugeois sont devenus une référence pour faire avancer les jeunes talents vers les grands championnats, et ont prouvé leur savoir-faire dans le domaine des dénicheurs de pépites. En quête d’un défenseur central de haut niveau pour solidifier un secteur défensif devenu fragile depuis plusieurs saisons, les recruteurs chevronnés que sont Raymond Mommens, Kenneth Brylle ou Peter Van Wambeke tentent de réussir une fois de plus un coup fumant en attirant un jeune défenseur inconnu venu d’un championnat mineur pour en faire une énorme plus-value sportive, puis financière. Les expériences réussies d’Odilon Kossounou et Abakar Sylla, tous deux revendus à prix d’or après avoir explosé dans la Venise du Nord, renforcent cette volonté de mettre la main sur la perle rare, au détriment de joueurs à un âge déjà plus avancé dont l’expérience ou la fiabilité pourraient faire avancer le Club à plus court terme. Une politique de l’accumulation de talents qui commencerait à faire grincer les dents du grand patron Bart Verhaeghe, président courroucé de ne plus jouer les premiers rôles sur la scène nationale.
Les scouts historiques du club, qui ont à leur tableau de chasse les noms de Noa Lang, Antonio Nusa ou Odilon Kossounou, approchent aujourd’hui de la retraite. Une perte tant leur flair a permis à Bruges de réussir de gros coups, mais également l’opportunité de revoir les méthodes de travail. En décembre dernier, Bruges a ainsi mis en place un nouveau coordinateur du recrutement, et ouvre de plus en plus les portes de sa cellule de scouting à des profils jeunes, capables d’analyser un joueur en vidéo mais aussi de décortiquer les innombrables chiffres sortis des bases de données. A l’étage inférieur, pour son équipe Club NXT qui accumule de jeunes talents venus du Japon, de Norvège, d’Espagne ou des Etats-Unis autour des produits de la formation locale, l’institution bleue et noire a également lancé la quête – par une annonce officielle – d’un «Head of Scouting & Recruitment». En coulisses, la révolution du recrutement brugeois se prépare.
Un gouvernail sans Mannaert
Sur le terrain, en revanche, la direction à suivre semble bien moins claire. Souvent, on présente le flou collectif avec le ballon comme une conséquence de l’absence de ligne claire en haut lieu. Après une longue décennie à suivre sans broncher la vision millimétrée de Vincent Mannaert, le Club semble donc se chercher inlassablement un nouveau cap. Depuis la fin de l’année 2021, Nicky Hayen est ainsi le septième coach à s’asseoir sur le banc du stade Jan Breydel, avant un huitième déjà attendu cet été. Des échecs successifs qui commencent à ouvrir la porte d’un problème dépassant le simple cadre du coaching, même si certaines erreurs de casting comme celle de Scott Parker étaient évidentes. Brillante sur la scène européenne quand la motivation surpasse les plans de jeu, l’équipe brugeoise peine à confirmer ses possibilités quand le quotidien parfois rébarbatif du championnat pointe le bout de son nez. Symbole de cette énergie sur courant alternatif, le Nigérian Emmanuel Dennis (passé par Bruges entre 2017 et 2021) s’était ainsi distingué avec un but contre Manchester United ou un doublé face au Real Madrid, sans jamais briller de façon continue en championnat.
Visiblement conscient de cette équipe qui manquait de fiabilité et de constance, Ronny Deila avait insisté pour le recrutement d’un milieu défensif de référence, poste problématique depuis plusieurs saisons dans la Venise du Nord, en vain. Il était aussi à la manœuvre de l’arrivée de Philip Zinckernagel, son maître à jouer lors de la saison écoulée à Sclessin (où on le soupçonnait aussi de «choisir ses matchs»). Une importance donnée au coach que le Club avait rarement accordée lors des saisons précédentes, quand Vincent Mannaert faisait encore la pluie et le beau temps en Flandre-Occidentale.
Depuis le départ de Michel Preud’homme, tout-puissant entraîneur et manager à l’anglaise d’un blason brugeois qu’il a ramené vers les sommets, le CEO avait ainsi pris soin de nommer des coachs qui recevaient une opportunité unique en prenant les rênes de Bruges, à l’image d’un Ivan Leko venu de Saint-Trond ou d’un Carl Hoefkens promu depuis son costume d’adjoint. Bien plus que le coach, dont l’identité devenait presque anecdotique, c’est la structure globale qui devait garantir les succès du Club. Sans Mannaert au gouvernail pour donner le cap à suivre, Bruges donne aujourd’hui l’impression de naviguer à vue, confiant la barre à un coach inexpérimenté et pas vraiment réputé pour son charisme en attendant de choisir sa destination pour la saison prochaine.
Les pistes du futur
L’avenir, justement, est un immense point d’interrogation chez les Brugeois. Au printemps dernier, les bruits d’une vente avaient même parcouru les travées du club suite à la diffusion par la VRT d’un document prouvant que les dirigeants du FCB sont à la recherche de repreneurs. Finalement, c’est bel et bien Bart Verhaeghe qui devrait encore piloter le délicat dossier de la succession sportive de Vincent Mannaert. Si plusieurs noms d’anciennes gloires du football belge ont circulé, de l’ancien coach de Zulte Waregem Francky Dury au joueur et coach à succès Hugo Broos, les bruits de couloir indiquent que le futur de Bruges devrait s’écrire avec des profils plus modernes. L’avantage, c’est que le Club a fait du dénichage de talents sa spécialité, et pas uniquement sur le terrain.
C’est ainsi que pour succéder à Mannaert dans la gestion opérationnelle de l’entreprise brugeoise, la confiance a été accordée à Bob Madou, arrivé à Bruges en 2019 après avoir travaillé durant cinq ans comme directeur stratégie et communication de la Fédération belge de football. Il avait également été question d’embaucher Pierre Locht, l’actuel CEO du Standard avant qu’il hérite de cette fonction tandis que Tom Caluwé, le directeur sportif à succès de Malines, a fait un éphémère passage au sein du Club en tant que Sports Manager avant de quitter le navire suite à une collaboration peu fructueuse avec Vincent Mannaert.
Au sein de la direction brugeoise, la tentation d’un retour à la méthode des années Preud’homme, avec un profil coach qui serait très impliqué dans la stratégie sportive, est un scénario envisagé pour recruter une personne plutôt que deux. Il faudrait dans ce cas avoir le nez plus fin que lors des derniers castings pour le banc de touche, lors desquels les échecs ont été plus nombreux que les réussites. L’histoire rappelle néanmoins qu’à l’heure de trouver un successeur à Philippe Clement, puis de pallier le départ d’Alfred Schreuder vers l’Ajax quelques mois plus tard, les dirigeants du Club avaient longuement flirté avec un certain Xabi Alonso, ancien milieu de terrain iconique de Liverpool, du Real Madrid ou du Bayern qui entraînait alors les jeunes de la Real Sociedad. Aujourd’hui, le Basque est en passe de remporter la Bundesliga avec le Bayer Leverkusen, grâce à une série hallucinante qui a atteint les 40 matchs sans défaite. De quoi faire tomber de son trône l’éternel champion d’Allemagne et ses onze titres nationaux de rang: le Bayern Munich. Le vrai, pas celui de Belgique.
Même si le football n’est pas à l’abri d’une surprise, Xabi Alonso ne coachera probablement jamais Bruges. Le Club devra trouver son futur homme fort ailleurs. En espérant qu’il puisse remettre la machine bleu et noir en marche avant.
La tentation d’un retour à la méthode des années Preud’homme est un scénario envisagé.
- Ronny Deila
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