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Portrait: Locatelli, le manuel du parfait milieu de terrain (VIDÉO)

Fabien Chaliaud Journaliste

Auteur d’un doublé et étincelant contre la Suisse, le joueur de Sassuolo s’est installé dans le milieu d’une Squadra Azzurra qui devra refaire une place à Marco Verratti.

« Je suis très fier, c’est incroyable de jouer pour l’Italie, gagner ce trophée d’homme du match que je veux partager avec ce groupe auquel je suis fier d’appartenir. » Si l’émotion est présente dans la voix, les larmes, elles, ne coulent cette fois pas le long de ses joues devenues plus barbues. Manuel Locatelli a forcément mûri depuis ce soir d’automne 2016 où il inscrivait son premier but chez les professionnels à San Siro. À l’époque, le Sassuolo d’Eusebio Di Francesco fait tourner en bourrique les Rossoneri et mène 3-1 à l’heure de jeu. Mais les locaux ont de la ressource et recollent au score grâce à Bacca et Paletta. Puis entre en scène un ado aux fines bouclettes qui offre la victoire à ses couleurs sur une superbe demi-volée. La folle course pour célébrer ce goal inattendu, les larmes qui coulent sur ses joues, le jeune homme de 18 ans vit à fond ce moment « que chaque enfant rêve de connaître une fois dans une vie ». Depuis Locatelli a pris de la bouteille et nourrit d’autres rêves. Retour sur le parcours de celui qui risque d’être l’une des hypes du prochain mercato.

Né sur un air d’Aida

Le spectacle du soleil embrasant le ciel de couleurs vives avant de se cacher derrière les montagnes bordant le lac de Côme est sans doute l’un des plaisirs d’été qu’aiment s’offrir de nombreux habitants de l’animée Lecco. Chaque automne ou presque, les cyclistes du Tour de Lombardie y passent et la ville fut même le cadre d’arrivée de l’édition 2011. C’est peut-être cette passion pour la Petite Reine qui explique que celle qui fut « Ville des Alpes » en 2013 est jumelée avec la commune d’Overijse, autre terre passionnée par le bruit des derailleurs.

Lecco, construite à l’époque romaine, fut longtemps prisée des artistes et des poètes. Elle vit naître au XIXe siècle un certain Antonio Ghislanzoni, un librettiste dont le nom est associé à Aida, l’oeuvre de Guiseppe Verdi. L’opéra n’est a priori pas la tasse de thé de Manuel Locatelli, qui a vu le jour dans la ville lombarde quelques mois avant le Mondial français de 98. Mais le jeune homme de 23 ans a sans doute hérité de la fibre artistique qui entoure Lecco et c’est avec ses pieds qu’il la fait le mieux parler.

Manuel Locatelli sous le maillot de Milan.
Manuel Locatelli sous le maillot de Milan.© iStock

Un destin lié à Montolivo

Les débuts de la destinée footballistique de Locatelli, alors âgé de six ans, se déroulent à une trentaine de kilomètres de la terre de son enfance, du côté de Bergame. L’Atalanta locale n’est pas encore le club qui enchante actuellement les amateurs de Serie A. À l’époque, l’emblématique Demetrio Albertini y termine sa carrière tandis qu’un certain Riccardo Montolivo s’y révèle. Malgré un honorable parcours de quart de finaliste en Coupe, La Dea termine bonne dernière en championnat et quitte l’élite. Dans cette institution encore instable, Manuel Locatelli épate déjà alors qu’il n’est que haut comme trois pommes. L’AC Milan voisin lui propose alors d’intégrer son centre de formation. Il n’a que neuf ans.

Que ce soit au sein des équipes d’âge rossoneri ou de celles de la Squadra , la justesse et l’intelligence de jeu du natif de Lecco saute aux yeux. Et dans un football transalpin qui peine encore à lancer trop rapidement ses jeunes pousses, Locatelli doit attendre ses 18 ans pour intégrer le noyau A.

Le Milan, qui a perdu de sa superbe depuis quelques années, n’est désormais plus tenu d’une main de fer par Silvio Berlusconi qui a revendu « son bébé » à un propriétaire chinois. La saison 2016-17 est laborieuse : l’équipe est en perdition en championnat et s’apprête à subir une nouvelle débâcle à domicile contre le modeste Sassuolo. Les ligaments du genou gauche d’un certain Montolivo lâchent à une vingtaine de minutes de la fin. L’entraineur Vincenzo Montella n’a d’autre solution que de faire confiance à sa jeune cuvée, la suite on la connaît.

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Lancé par son premier but pro, victorieux de surcroît, Manuel Locatelli remet le couvert une vingtaine de jours plus tard contre le nouveau numero uno de la Botte, la Juventus. Celui porte la liquette ornée du 73 s’infiltre dans le rectangle pour décocher une frappe croisée imparable pour Gianluigi Buffon. Vincenzo Montella ne peut dissimuler son soulagement. Le petit jeune à qui il n’avait pas spécialement envie d’offrir grand-chose s’est hissé au rang d’incontournable de son système. Les tifosi s’emballent, les comparaisons pleuvent et inévitablement celle avec Andrea Pirlo. Le produit sorti des usines de Milanello doit encore être poli mais il incarne déjà avec Donnarumma et Romagnoli l’avenir doré qui doit permettre au club lombard de retrouver son rang.

Biglia freine sa progression

Sauf que la patience n’est pas une vertue chinoise et le nouveau président de l’AC Milan décide de sortir le chéquier lors de l’été 2017 afin d’accélérer le processus de retour au sommet. Derrière l’énorme coup de la venue de Leonardo Bonucci, arraché pour 42 millions à la Juve, le milieu des septuples vainqueurs de la Coupe aux grandes oreilles s’étoffe fameusement avec les venues de Hakan Calhanoglu, Frank Kessié et Lucas Biglia, l’ancien Anderlechtois devant devenir par son statut de vice-champion du monde l’un des patrons de cet entrejeu new look.

Comme souvent dans ces cas-là, les joueurs comptant plus de matches sur leur CV et de zéros sur leur fiche de paie finissent par avoir la préséance sur les jeunes premiers. Le temps de jeu de Locatelli diminue drastiquement. De 17 titularisations, il tombe à cinq lors de cette saison 2017-2018. Mais pour éviter que son talent ne dépérisse comme beaucoup d’autres promesses transalpines, la décision est prise de le prêter l’exercice suivant. Et c’est à Sassuolo, l’équipe contre laquelle il avait trouvé la faille pour la première fois dans le monde pro qu’il pose ses valises.

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De Zerbi, le coach qui lui confère une nouvelle dimension

Les Neroverdi appartiennent à la famille Squinzi, dont l’entreprise Mapei fut au cours des années 90 l’égérie des maillots d’une équipe cycliste dominante portée par les exploits vitaminés des Johan Museeuw, Andrea Tafi, Franco Ballerini et bien d’autres. Dans ce cocon familial mais ambitieux, les coaches amateurs de jeu ambitieux ont l’occasion de s’épanouir. Roberto De Zerbi établit ses quartiers en Émilie-Romagne, la même année que Locatelli. Il vient de connaître une saison de relégation à Benevento, mais le projet de jeu de ce jeune coach a convaincu les décideurs de Mapei de lui confier la tâche de reprendre le flambeau éteint depuis le départ d’Eusebio Di Francesco.

Locatelli trouve rapidement grâce auprès de son nouveau mentor, qui le titularise à 21 reprises avec deux goals à la clé. La saison suivante, le natif de Lecco prend encore du galon au sein du milieu neroverdi. Il commence 31 matches, ne marque pas mais son impact dans le jeu de sa formation est grandissant. Cette deuxième année de prêt concluante pousse Sassuolo à lever l’option de quatorze millions d’euros. Une décision que le club d’Émilie-Romagne ne regrettera pas.

Une pandémie qui change tout

Mais il n’y a pas qu’à l’ombre du Mapei Stadium que les prestations de Manuel Locatelli interpellent. Visiteur régulier de l’antre de Sassuolo, Roberto Mancini coche dans son petit calepin le nom du numéro 73. Il est appelé pour la première fois en sélection nationale en septembre 2020 à l’occasion d’un match de Ligue des Nations contre les Pays-Bas. Si certains ont mal vécu la pandémie de coronavirus, Manuel Locatelli en a profité pour squatter le groupe de Mancini. Sans quoi, il aurait sans doute dû attendre encore un peu avant de prendre part à son premier grand tournoi international.

Les absences répétées de Marco Verratti, combinées à la saison la plus aboutie de sa jeune carrière (34 matches, trois buts et quatre passes décisives) lui ont permis de squatter régulièrement le milieu en triangle de la Nazionale et d’y engranger l’expérience internationale qu’il ne peut acquérir au sein d’un Sassuolo cantonné aux duels dans le championnat italien.

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Un avenir en club turinois ou avec Marco Verratti ?

Si l’EURO n’avait pas bousculé le calendrier estival de 2021, Manuel Locatelli aurait sans doute déjà été l’une des grandes attractions du mercato. Roberto De Zerbi, s’est envolé pour Donetsk, et le maître à jouer du Mapei Stadium sent qu’il est temps de franchir un palier en rejoignant une équipe capable de lui offrir des duels sur la scène continentale.

Actuellement, la Juventus et le PSG font les yeux doux au Lombard qui n’a pas rejeté un départ dans la capitale française où évolue son « rival » en sélection, Marco Verratti. Pour l’instant, sa mise à prix est de quarante millions mais ce montant pourrait encore s’envoler pendant un championnat d’Europe qu’il a commencé tambour battant.

Après une première mi-temps timorée contre les Turcs, Locatelli est monté en puissance lors de la seconde. Contre les Suisses, on avait déjà l’impression qu’il faisait partie des meubles italiens depuis des années.

Sa connection naturelle avec son partenaire en club Domenico Berardi saute aux yeux et a trouvé son prolongement avec le premier but des Azzurri. Sur sa seconde réalisation, le natif de Lecco a montré que son pied gauche n’avait rien à envier au droit. Élégant sur la pelouse, efficace à la récupération, Manuel Locatelli semble avoir toujours un coup d’avance, enchaînant les passes courtes et longues efficaces avec une simplicité déconcertante. Son physique athlétique lui offre quelques possibilités, notamment dans les airs. De quoi déjà en faire un incontournable alors que Marco Verratti à qui il a piqué la vedette semble sur le chemin du retour.

Buteur contre la Suisse avec la Nazionale.
Buteur contre la Suisse avec la Nazionale.© iStock

« Inamovible ? Non je ne pense pas, on est un groupe, j’espère vraiment que Marco pourra revenir, c’est un joueur très fort qui fait la différence », a glissé Locatelli, désireux de ne pas créer de polémique inutile. Il sait de toute manière que sa polyvalence lui permettra peut-être de garder une place dans le onze, même si ce n’est pas à la place de Verratti.

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