Play-offs en Jupiler Pro League: l’analyse tactique des 6 concurrents
La course au titre démarre pour de bon en Pro League avec le coup d’envoi des play-offs. Voyage tactique chez les six engagés avant le grand départ.
Qui remportera le titre de la Jupiler Pro League cette saison? La course au trophée devrait vraisemblablement se jouer entre l’Union Saint-Gilloise et Anderlecht durant ces play-offs.
Début des play-offs: l’Union plus insaisissable que jamais
Quand on l’interrogeait sur les atouts du coach Kompany, côtoyé au bout de sa carrière belge qui avait bourgeonné de succès à Bruges puis à l’Antwerp, Lior Refaelov ne prenait pas vraiment le temps d’hésiter: «Dans chaque moment de jeu, même quand on n’a pas le ballon ou qu’on doit défendre en bloc bas, on a toujours la possibilité de marquer des buts. C’est quelque chose que je suis très heureux d’apprendre: comment être dangereux à chaque seconde de chaque match.» Deux ans plus tard, la leçon semble s’être déplacée de quelques kilomètres, récitée à merveille par les troupes jaunes d’Alexander Blessin. Surtout, elle est améliorée: personne, cette saison, ne s’est ménagé autant d’opportunités que l’Union Saint-Gilloise, qui vire en tête du classement des expected goals (mesure reprenant la qualité de chaque occasion créée en fonction des chances qu’elle finisse en but) au bout de la phase classique avec 67,2 xG.
Encore plus que le volume des occasions unionistes, c’est leur diversité qui saute aux yeux. Impressionnante dans les transitions offensives lors de l’année de leur retour au sein de l’élite sous les ordres de Felice Mazzù, avec les appuis sur Deniz Undav et les courses de Dante Vanzeir en vedette, l’Union était devenue plus patiente et ordonnée quand Karel Geraerts avait pris le relais sur le banc de touche. Désormais, le club de la Butte est capable de frapper tous les coups qui font souffrir ses adversaires, des courses dans l’espace d’Amoura aux centres vers Nilsson en passant par les combinaisons entre les lignes qui font briller l’insaisissable Cameron Puertas. Sans même parler des phases arrêtées, où la longue balle au deuxième poteau vers Ross Sykes, Christian Burgess ou Koki Machida est devenue une marque de fabrique. Chaque instant du jeu est mis à profit pour se créer une occasion de but.
Si l’Union ne brille plus autant sur les frappes à distance que quand Casper Nielsen et Teddy Teuma faisaient la loi aux alentours de la surface adverse, elle a retrouvé son efficacité en reconversion. Personne en Belgique n’a fait mieux que les douze buts marqués par l’Union en contre-attaque cette saison. Un art du coup de poignard dans le dos qui s’accompagne, en plus, d’une maîtrise très affirmée du maniement du bouclier. Les Saint-Gillois ne concèdent en effet que 6,93 tirs adverses par match en moyenne. Les chiffres d’une machine qui semble dénuée de point faible, à la tête d’une série de 23 matchs consécutifs sans défaite en championnat entamée au cœur du mois de septembre dernier.
Anderlecht retrouve ses traditions
C’est comme si, à force de saigner de souffrance au cours d’années passées loin de la lutte pour le titre, Anderlecht avait retrouvé la texture de son sang mauve. De retour pour éteindre les incendies de la capitale, Vincent Kompany avait remis le jeu au centre du débat, professant la bonne parole d’une école anderlechtoise à base d’inspiration néerlandaise, de combinaisons courtes et de mouvement permanent. Ce serait oublier qu’avant d’avoir une tradition de jeu, le Sporting bruxellois a surtout une tradition de joueurs. Ceux qui sont capables de faire tanguer une défense et chavirer un stade en une action de génie. Ceux qui gagnent des matchs et des titres.
L’été dernier, Jesper Fredberg n’a pas chômé. Averti par sa cellule de recrutement qu’il faudrait attirer du lourd pour se mêler à la lutte du haut de tableau, tant l’aspect tactique ne suffirait pas pour concurrencer les grosses machines de l’élite, le directeur sportif danois a activé ses réseaux préférés. Quelques mois après Anders Dreyer, ce sont ses compatriotes Thomas Delaney, Kasper Dolberg puis Kasper Schmeichel qui ont débarqué dans la capitale, les connexions des uns et des autres faisant le reste pour encore attirer Ludwig Augustinsson ou Thorgan Hazard. Anderlecht est redevenu Anderlecht: une équipe qui empile les stars, menée par un coach sans grand élan révolutionnaire sur le plan du jeu, qui se contente de trouver la meilleure manière d’associer les grands noms entre eux sans porter préjudice à l’équilibre global.
Peu à peu, les Mauves ont trouvé leurs repères. Une défense centrale autoritaire, flanquée d’un Schmeichel devenu le gardien le plus décisif de l’année 2024. Sollicité, mais robuste. Des latéraux qui s’occupent d’offrir de la largeur, et une fluidité absolue autour de Kasper Dolberg dans un carrousel où les milieux deviennent des ailiers pendant que les ailiers se transforment en milieux. Le tout sans même avoir besoin de s’approcher du but adverse pour créer le danger: avec 676 ballons joués dans la surface de l’adversaire en 30 sorties, Anderlecht n’obtient ainsi que le septième total de cette catégorie. En revanche, personne ne fait mieux que les dix buts inscrits hors de la surface par les Bruxellois cette saison. Principal pourvoyeur de ces frappes téléguidées, Anders Dreyer a trouvé la cible à quatre reprises après un tir à distance. Souvent grâce à un ballon soyeusement enroulé du pied gauche, comme pour incarner au mieux la classe individuelle à l’anderlechtoise.
L’Antwerp entre orange et Italie
Montés en solitaire sur le podium lors de la dernière journée de la phase classique du championnat, les hommes de Mark van Bommel poursuivent l’éternel dialogue footballistique qui semble se jouer dans l’esprit de leur coach, entre racines bataves et longs séjours italiens.
L’Antwerp aime se défendre, et le fait mieux que personne avec le ballon. En tournant à une moyenne de 503 passes par rencontre, le Great Old est effectivement l’équipe la plus prolifique de cette catégorie. C’est son côté néerlandais, avec des positions minutieusement occupées entre les lignes par les milieux de terrain, et un partage équitable de chaque couloir entre l’ailier et l’arrière latéral. Le fruit d’une théorie populaire dans les milieux footballistiques, qui racontent que si les Bataves sont si doués pour exploiter le moindre espace libre sur un rectangle vert, c’est parce que la réalité d’un pays de plus en plus menacé par l’avancée de la mer les oblige à être naturellement astucieux dans leur gestion du territoire. C’est ainsi que sur la pelouse du Bosuil, l’éternel buteur Vincent Janssen se réinvente ces derniers mois dans un rôle hybride entre deuxième attaquant et troisième milieu de terrain, laissant de plus en plus souvent le combat face aux défenseurs centraux adverses au prodige français George Ilenikhena.
Fil rouge de la carrière d’un Mark van Bommel qui a connu le Milan des défenseurs élégants, celui de Nesta et Maldini, l’Italie n’est pourtant jamais bien loin dans l’équilibre anversois. «Parfois, je dis à Mark qu’il est un coach italien. Tout doit toujours être bien en place, il est très concentré là-dessus», expliquait d’ailleurs le directeur sportif Overmars l’an dernier à Het Laatste Nieuws. A cette époque, c’est en accumulant les matchs sans encaisser de façon impressionnante que l’Antwerp avait lancé sa course folle vers le doublé. Douze mois plus tard, si les chiffres tapent moins à l’œil, le matricule 1 affiche cependant la meilleure défense de l’élite lors des dix matchs de championnat disputés depuis le passage en 2024. Sept buts encaissés seulement, avec une moyenne de 0,95 expected goal pour l’adversaire qui fait également des Anversois la référence nationale en la matière cette année.
Protégée par le Français Jean Butez, encore une fois roi des clean-sheets (matchs terminés sans encaisser de but), la défense du Great Old sera probablement sa meilleure arme dans le sprint final. Italie contre Pays-Bas, 1-0.
Personne, cette saison, ne s’est ménagé autant d’opportunités que l’Union Saint-Gilloise.
Bruges, le souffle et les chiffres
Certains diront que le jeu brugeois manque de souffle. De cette énergie qu’incarnait le capitaine Ruud Vormer, et que même le volcanique Ronny Deila n’aura pas réussi à ramener. L’homme avait pourtant rallumé le chaudron congelé de Sclessin en l’espace de quelques mois. A Bruges, le Norvégien n’aura pas réussi à conjuguer au pluriel les (trop?) nombreux pieds talentueux de son équipe pour les faire gagner aussi souvent que prévu.
Paradoxalement, c’est peut-être au sommet de sa maîtrise collective que le Bruges de Deila a pris fin. Parce qu’en 2024, personne ne s’est approché des 24 buts marqués en dix matchs par les Blauw en Zwart, les poursuivants les plus efficaces restant sous la barre des 20 réalisations. Un coup d’œil sur les statistiques avancées montre même que les Brugeois affichent la plus grande marge moyenne entre occasions créées et concédées depuis la reprise de janvier: +0,92 en différence d’expected goals, c’est même mieux que l’Union (+0,90) et bien mieux que l’Antwerp (+0,70) ou le Cercle (+0,44). Le problème, c’est que le bilan défensif 2024 des Brugeois les place hors du Top 6 avec douze buts encaissés. Si le Club conclut paradoxalement la phase classique avec la meilleure défense du championnat, son bilan récent trahit la difficile quête d’équilibre de son coach: dès qu’il s’est à nouveau concentré sur le fait de mieux attaquer, Bruges s’est remis à mal défendre.
En coulisses, Ronny Deila a longtemps insisté sur l’un des grands problèmes des Brugeois ces dernières saisons: l’absence d’un milieu défensif de haut vol. Déjà lorsque le titre avait échappé au Club en 2019, en pleine hégémonie bleue et noire sur le championnat, c’est la capacité du «6» norvégien de Genk Sander Berge qui faisait saliver la Venise du Nord. Depuis, Bruges souffre pour trouver une alternative crédible au rugueux mais vieillissant Eder Balanta. Acheté dix millions d’euros à l’été 2022, le Nigérian Raphaël Onyedika a du volume mais manque de justesse, avec et sans le ballon. Deila l’a mentionné à maintes reprises à sa direction, laquelle n’a pas voulu brider le temps de jeu d’un joueur dont la valeur marchande est conséquente. Les recherches se sont plutôt portées vers le poste de défenseur central, priorité de cet hiver mais quête finalement inassouvie.
Comme s’il voulait surtout penser à ses points forts, le Bruges de Ronny Deila s’est donc retourné vers l’avant. Avec à la clé la meilleure attaque de 2024, mais un bilan de 17 points sur 30 qui a convaincu les dirigeants de se séparer d’un troisième coach en moins de deux ans.
Un Cercle sans poète
S’il ne fallait qu’un chiffre pour résumer le jeu du Cercle, invité surprise des play-offs pour le titre, il serait double: les Vert et Noir sont l’équipe qui tente le moins de passes par match cette saison (282) mais également celle qui envoie le plus souvent le ballon vers le tiers offensif du terrain (57 par rencontre). Les stigmates d’une philosophie de jeu radicale, sans fioriture esthétique ni concession philosophique, prônée par les dirigeants brugeois depuis plusieurs saisons et désormais sublimée sous les ordres du coach Miron Muslic.
Le plus impressionnant, avec un Cercle qu’on pourrait dire cynique, c’est sans doute qu’il crée bien plus qu’il ne marque. Kevin Denkey a beau être le meilleur buteur du championnat, tapant dans l’œil de nombreuses écuries étrangères et notamment anglaises, les Vert et Noir usent tant d’énergie qu’ils font parfois preuve d’une certaine maladresse à la finition. Parce que ce qui compte, chez eux, c’est le volume. Celui des courses qu’ils font, des duels qu’ils gagnent ou des occasions qu’ils créent. Même les équipes les plus agressives sans ballon des grands championnats européens ne tutoient pas les chiffres de pressing intensif imposé par le Cercle à ses adversaires, dans un plan machiavéliquement simple: envoyer le ballon le plus près possible du but adverse, jouer le duel, courir vers le rebond et récupérer la sphère en ayant gagné sans grande circulation de balle un terrain conséquent.
Une tactique qui prend parfois des airs de plan rugbystique, mais que la plupart des adversaires peinent à contourner, surtout quand ils manquent de qualité individuelle intrinsèque. Pour son deuxième match à la tête du Standard, Ivan Leko a ainsi choisi de ne faire prendre aucun risque à la relance à ses défenseurs encore fébriles, et a concurrencé les Brugeois dans un match aux airs de duel à la catapulte. Quand l’adversaire mêle talent offensif et qualité défensive pour ne pas trembler sous pression, par contre, la stratégie semble se confronter à ses limites: lors des dix matchs disputés face au reste du Top 6 au cours de la phase classique, les hommes de Muslic n’ont jamais gagné, prenant seulement trois points (dont deux dans les derbies contre le Club) et ne trouvant le chemin des filets qu’à quatre reprises contre seize buts encaissés.
A l’heure de faire mieux, le Cercle pourra en tout cas compter sur l’une de ses armes les moins médiatisées: les phases arrêtées. Avec treize buts inscrits dans le domaine, les Vert et Noir ne sont devancés que par Gand. Ils seront donc la référence en la matière en Champions play-offs.
La tactique du Cercle prend parfois des airs de plan rugbystique.
Genk, l’habitué en pleine transition
L’image du coach Wouter Vrancken s’associe systématiquement à un football flamboyant, l’un des plus offensifs du pays. Pourtant, le qualifié de dernière minute de la grande course au titre se situe plus haut dans le classement des meilleures défenses (quatrième) que dans celui des meilleures attaques (sixième) du championnat. Le paradoxe d’une équipe qui, après des années passées au service de son prolifique buteur nigérian Paul Onuachu, n’a pas encore trouvé la parade pour compenser le départ de celui qui a pourtant quitté le Limbourg il y a désormais treize mois.
Puisque Genk est perçu par la plupart des joueurs qui y atterrissent comme l’un des meilleurs tremplins d’Europe vers les grands championnats, la mutation permanente de l’équipe ne permet que trop rarement de disposer de talents à maturité capables de lutter pour les trophées. Si la colonne vertébrale axiale reste plus ou moins intacte, notamment articulée autour du capitaine Bryan Heynen et du stratège slovaque Patrik Hrosovsky, le secteur offensif n’a plus grand-chose à voir avec celui qui survolait le championnat il y a un an et demi. Après Onuachu en janvier 2023 et Mike Trésor lors de l’été suivant, c’est l’ailier Joseph Paintsil qui a quitté la Cegeka Arena pour compléter la mise en pièces d’un trident qui faisait trembler toutes les défenses de l’élite.
Certes, Genk produit toujours beaucoup d’occasions, notamment grâce au génie créatif de Bilal El Khannouss (le prochain grand départ cet été?), puisque le Racing n’est devancé que d’une courte tête par l’Union au classement des expected goals créés. Cependant, le départ de Paintsil a mis un coup au volume offensif limbourgeois. En 2024, cette boulimie d’occasions créées s’est estompée, faisant de Genk le plus mauvais élève du Top 6 avec seulement 1,53 expected goal créé par rencontre, huitième bilan de l’élite depuis la reprise avec des chiffres inférieurs à ceux de Saint-Trond ou de Westerlo. Et puisque le Racing crée bien plus qu’il ne marque, ses dix petits buts en 2024 n’en font que la onzième attaque du pays cette année. Le bilan peu reluisant d’une équipe en reconstruction.
Equipe cyclique, dépendante des convoitises qu’attirent ses meilleurs talents sur le mercato, Genk est probablement l’un des plus irréguliers des grands clubs belges en termes de performance. Pourtant, le club a décroché lors de la dernière journée sa dixième qualification pour les play-offs 1 en quatorze éditions. Seuls Bruges et Anderlecht ont fait mieux. Est-ce que l’important sera seulement de participer?
- Guillaume Gautier
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