Pays-Bas – Belgique : le cimetière des dribbleurs (ANALYSE)

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Retour tactique sur la défaite des Diables rouges dans le derby des Plats Pays à Amsterdam (1-0).

Un match de football se gagne-t-il avec des mots ? Peut-être, parfois, avec des proverbes. L’un d’eux dit qu’on n’apprend pas à un vieux singe à faire des grimaces. Si on n’a jamais vu Louis van Gaal grimper aux arbres, rares sont ceux qui ont donné la leçon au septuagénaire sur la scène internationale. En se déplaçant à Amsterdam pour la finale officieuse de son groupe de Ligue des Nations, la Belgique se pose ainsi au pied d’une muraille d’histoires. Celle qui dit que les Bataves n’ont plus perdu par trois buts d’écart à domicile depuis la visite des conquérants Hongrois des sixties, d’abord. Celle du sélectionneur oranje, ensuite. Parce que depuis le début de sa troisième pige à la tête de la sélection, van Gaal n’a pas encore connu la défaite. En 57 matches comme homme fort des Pays-Bas, il n’a d’ailleurs été battu que quatre fois. Même l’élimination des siens en demi-finale du Mondial brésilien était un match nul.

Amadou Onana et Timothy Castagne sont catapultés parmi les onze soldats diaboliques, chargés de démentir les discours triomphants venus du camp d’en face au match aller. Ce jour-là, van Gaal avait qualifié la Belgique d’équipe « facile à bousculer » alors que Virgil van Dijk avait avoué que les espaces se trouvaient facilement dans le bloc belge. Le Diable franchit donc la frontière avec l’esprit de conquête.

Le plan de Louis van Gaal est aussi rudimentaire que redoutable. Le défenseur central belge est laissé seul, mais tout le reste du terrain se transforme en duel géant, avec des marquages individuels partout. Toby Alderweireld a l’initiative au bout de la catapulte qui lui sert de pied droit, mais ne peut trouver que des appuis sous haute surveillance, à l’image d’un Eden Hazard qui décroche de plus en plus mais ne se débarrasse jamais du souffle de Jurrien Timber sur sa nuque. Pour la première fois depuis que les statistiques avancées mesurent les accomplissements de sa carrière internationale, le capitaine des Diables conclut un match entamé comme titulaire sans le moindre dribble réussi. À Amsterdam, la Belgique des slalomeurs vient peut-être d’écrire sa nécrologie.

Toby Alderweireld (Photo by Andre Weening/Orange Pictures/BSR Agency/Getty Images)

TOBY ET LE TROISIÈME HOMME

Il y a bien d’autres chemins, pour sortir Toby Alderweireld de sa solitude, très marquée dans les chiffres (106 passes tentées, 40 de plus que n’importe quel autre Diable) et palpable à chacune de ses progressions ballon au pied. Amadou Onana en trouve un premier, dès l’entame de la rencontre, en s’infiltrant côté droit. Le Toffee, fuyant en possession mais puissant entre les lignes,efface un défenseur et sert Hazard sur un plateau, mais Eden balance l’offrande dans la marée orange. Moins de dix minutes plus tard, c’est un pressing bien senti de Michy Batshuayi qui offre à Batsman, via le pied droit de velours de Kevin De Bruyne, un premier tir en direction des gants de Remko Pasveer.

La Belgique a forcément l’initiative, notamment grâce à son pressing plus précis et à sa densité physique plus marquée qu’à l’aller. Elle franchit aisément la ligne médiane, mais n’arrive presque jamais jusqu’à la surface adverse, enfermée dans les hommes contre hommes imposés par ses hôtes. On n’apprend pas à des Hollandais à rationaliser l’espace, eux qui en ont historiquement fait une question de survie. Habitué à déjouer les défenses adverses, Kevin De Bruyne sait que la solution passe par le concept du troisième homme. Si la passe du joueur A vers le B est fermée, passons par le C qui pourra trouver B. Une formule mathématique toute simple, mais difficile à appliquer pour les Diables dont les deux milieux préfèrent souvent s’écarter du cœur du jeu pour ouvrir la passe d’Alderweireld vers De Bruyne ou Hazard. Le problème, c’est qu’une fois servis dos au jeu et sous pression, les génies nationaux n’ont d’autre option que l’exploit individuel qui n’aboutit jamais. En 22 tentatives de dribbles, la Belgique n’en réussira que treize au bout de la rencontre.

Le sort national est alors remis entre les pieds de Toby Alderweireld. L’Anversois réussit 22 de ses 28 passes longues, et offre surtout une fenêtre de tir à Castagne quand l’intensité du Luxembourgeois lui permet de gratter un rebond aux abords de la surface batave. Le même plan offre encore une frappe du gauche à Onana avant la pause, alors que les Pays-Bas restent organisés, profitant des surnombres créés par le rusé Davy Klaassen ou de l’avantage physique de Vincent Janssen sur Zeno Debast pour frapper à la porte de la zone dangereuse.

Virgil van Dijk a crucifié la défense belge en prenant l’ascendant sur Zeno Debast lors d’un corner. (Photo by Andre Weening/BSR Agency/Getty Images)

LA LECON DE VIRGIL

Comme à l’aller, Roberto Martinez – en tribunes – et son staff tentent alors la voie d’un 9 plus mobile pour sortir des impressionnantes griffes de Virgil van Dijk. Charles De Ketelaere débarque sur la pelouse, en même temps qu’un Yannick Carrasco censé soigner la timidité individuelle du Diable. Le Colchonero provoque, mais ouvre surtout des portes au bulldozer Denzel Dumfries, mis sur orbite à deux reprises par le pied droit téléguidé du défenseur central des Reds. Il faut alors une sortie bien sentie et une main droite à rallonge de Thibaut Courtois pour éviter la sanction immédiate.

La rencontre bascule dans le cinquième quart d’heure, entamé avec la montée au jeu de Leandro Trossard, plus dynamique mais pas spécialement plus efficace qu’un Eden Hazard toujours irréprochable techniquement mais amputé de ces reins qui ont fait tant de ravages. La première balle de match est belge, quand De Bruyne a enfin l’occasion d’activer ses yeux de faucon et ses pieds précis comme les coups d’un professeur de tennis. Onana est au bout de la parabole, mais Pasveer pose un feu rouge sur le chemin des filets. À l’autre extrémité du terrain, une passe mal claquée par Alderweireld finit en corner batave, sur lequel van Dijk se joue du block de Debast puis bondit dans la zone d’Onana pour agiter un marquoir qu’on pensait endormi pour de bon.

Plus ouverte, animée par les initiatives d’un Debast qui n’a pas froid aux yeux mais semble avoir chaud aux pieds (dix progressive passes tentées, seulement quatre réussies), la fin de rencontre se résume en un chiffre, exacerbé dans le sprint final mais présent tout au long du match : sur leurs 84 possessions, les Belges en ont amené 60 de l’autre côté du rond central, mais seulement treize dans la surface. À l’opposé, les Néerlandais n’ont franchi que 47 fois le milieu de terrain en 82 possessions, mais ont poussé à vingt reprises les portes de la surface belge. Devant Gakpo puis Bergwijn, Courtois garde le match en vie, permettant même à Dodi Lukebakio de dégainer un ciseau passé tout près de l’égalisation spectaculaire. Les analyses auraient-elles été identiques au bout d’un partage que l’histoire de la rencontre aurait sans doute rendu logique ?

Battus dans un match haché par le plan de jeu adverse, éliminés de la Ligue des Nations, les Diables quittent Amsterdam dans l’amertume. Avec une certitude, qui a le paradoxe de rendre l’avenir incertain : le Brésil d’Europe ne vit plus à Bruxelles. Si c’était encore le cas, jamais Louis van Gaal n’aurait opté pour un marquage intégral au moment d’obstruer la route belge vers ses filets. L’autoroute du dribble n’existe plus. Reste à savoir s’il est encore temps de tracer d’autres voies pour se faufiler entre les favoris sur le chemin du Qatar.

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