Mister Nacer, le Super Pro
Depuis le début de saison, Nacer Chadli a enfilé les costumes de sauveur à de trop nombreuses reprises. Exemplaire, voire indispensable, sur et en dehors des terrains, les dirigeants mauves rêvent de garder leur homme fort une saison supplémentaire. Mais est-ce réellement envisageable ? Analyse.
25 septembre 2019, Beerschot-Anderlecht. L’attaquant local, Loris Brogno envoie ses Mauves en prolongation à la 90e minute. Le Kiel explose. Les visiteurs, eux, ont la mine basse. Trois jours après avoir bu la tasse à Bruges (défaite, 2-1), les voilà à nouveau dans de sales draps, d’autant que Vincent Kompany, sur le coup bien trop présomptueux, sort dès la 25e minute de jeu sur blessure.
Après un début de championnat calamiteux, il est impensable pour les Bruxellois d’être sortis de la Coupe de Belgique, d’autant que l’adversaire du soir, qui navigue alors difficilement en D1B, n’a rien d’un foudre de guerre. Heureusement, à la 106e minute, Isaac Kiese Thelin passe par là et donne l’avantage en prolongations (2-3).
À la 118e minute, alors que les Anversois jettent leurs dernières armes dans la bagarre, Nacer Chadli sort, sur une frappe à bout portant, un tacle du désespoir et empêche les tirs au but. Le Sporting se qualifie. La crise est reportée de quelques jours.
Patron de l’ombre
Ce 25 septembre, Chadli ne brille pas, cette fois, par sa classe mais a enfilé son bleu de travail. Notamment pour aider Killian Sardella, visiblement en souffrance. Les Anversois balancent de longs ballons dans le dos du jeune latéral droit, qui est régulièrement mis en difficulté.
Chadli vient lui prêter main forte et le soulage défensivement. Ce soir-là, le Diable évolue à plusieurs postions. Certes, la partition est peu académique, mais son rôle est déterminant lors d’une rencontre déjà couperet. Une dizaine de jours plus tard, sous les yeux de Franky Vercauteren, installé en tribune zébrée aux côtés de Vincent Kompany et de Michael Verschueren, l’ancien Spurs donne la victoire à ses couleurs face à Charleroi.
L’après-match est même festif. Pour la première fois de la saison, les Bruxellois semblent sur la bonne voie. Le jeune trentenaire raconte kiffer ce nouveau-rôle, sorte de guide auprès des jeunes pousses anderlechtoises, après avoir connu une saison galère à Monaco.
» Je crois que c’est pour une série de choses que Vincent a été le chercher, car Nacer nous fait vraiment beaucoup de bien « , reconnaît Albert Sambi Lokonga, grande promesse de la maison mauve. » On peut se reposer sur ses qualités, car il sait un peu tout faire, garder le ballon, marquer, donner un assist. Et en dehors du terrain, c’est quelqu’un d’intelligent, de humble. C’est vraiment un bon gars, Nacer. »
Si Vincent Kompany est arrivé au Sporting, comme à son habitude en bombant le torse, Chadli se fait bien plus discret en coulisses. » Il ne se la ramène pas. Que du contraire alors qu’il a la carrière qui l’autoriserait pourtant à le faire « , glisse un membre de la maison mauve.
Le plus fort à plusieurs postes
Et pourtant, les chiffres parlent pour lui. Six buts et 4 assist en 746 minutes de championnat. Détonnant. Surtout dans pareil contexte. Où en serait aujourd’hui Anderlecht sans l’enfant du Thier-à-Liège ? D’autant que Nacer Chadli a été balloté à tous les postes. Rares sont ceux qui débarquent avec un tel statut et qui sont prêts à de tels sacrifices.
» C’est le plus fort et à plusieurs postes « , raconte-t-on dans le vestiaire mauve. » Cette polyvalence, il ne la vit pas mal. Au contraire, le message c’est : Tu es le joueur le plus important, c’est toi qui dois résoudre les problèmes. »
Pour Albert Sambi Lokonga, il ne fait aucun doute : » La patron sur le terrain, c’est lui. Vu ses statistiques, ses performances, il mérite bien ce titre. »
» Il assume son rôle de leader. C’est ça les grands joueurs « , poursuit le consultant RTBF, Alex Teklak. » Ce n’est pas seulement être bon, c’est aussi être bon quand les autres ne le sont pas ou le sont moins. Et ça, il le fait très bien. »
Nacer Chadli : » Je dois reconnaître que je ne pensais pas m’adapter aussi vite au championnat belge. Je me suis rendu utile pour l’équipe rapidement. » Tout simplement.
Viré de l’académie du Standard dès l’adolescence, parti en désespoir de cause aux Pays-Bas où il prendra son envol avant de connaître la gloire en Angleterre, le public belge connaît finalement très peu Nacer Chadli, hormis pour ses performances en équipe nationale et ce but entré dans l’histoire face au Japon.
Humilité et discrétion
D’autant que l’homme n’a jamais cherché le feu des projecteurs. Plutôt discret médiatiquement, même les sulfureux tabloïds anglais n’ont jamais rien eu à se mettre sous la dent. Ce retour en Belgique est marqué du sceau de la réussite. Même dans les travées rivales, difficile de lui chercher des noises.
Alors que Kompany traîne depuis ses débuts chez les pros une forme (assumée) d’arrogance, ce sont l’humilité et la discrétion qui accompagnent l’ex-Monégasque, tout heureux d’avoir (d’un point de vu sportif) quitté ce paradis fiscal où il n’est jamais entré dans les plans de Leonardo Jardim.
» L’été a en effet été difficile pour moi car je ne savais pas quoi faire « , commente l’intéressé. » À Monaco, je n’étais plus le bienvenu, il me fallait donc un nouveau défi. Anderlecht m’a directement intéressé. Aujourd’hui, je m’y sens bien et donne constamment le meilleur de moi-même sur le terrain. »
Ces mots n’ont rien d’un effet de com’. Même s’il a fallu plusieurs semaines avant que le Liégeois accepte l’offre de Vincent Kompany, après de premières approches datant du mois de juin.
Malgré les errements du début, le manque de clarté derrière » le projet Kompany « , des renforts qui se font attendre, Chadli est épanoui dans la capitale. Tant dans sa vie privée que sportivement. Le retour au bercail de Franky Vercauteren, qui a ramené dans ses valises de l’expérience et une bonne dose de pragmatisme, ne fait que renforcer son propos. » Je pense qu’avec lui, il y a plus de structure. Le travail qu’il fait actuellement est très bon. Son expérience du championnat est forcément un atout. »
Élégance et rendement
Au plus profond de la crise qui a touché le club fin septembre, Chadli est sorti une première fois de sa boîte pour rassurer ses fans, tout eu leur demandant en retour de continuer à soutenir les jeunes talents de Neerpede.
» Tout le monde ne le réalise pas encore, mais on va faire quelque chose de beau. Je vois qu’on grandit tout doucement. On a envie de produire du beau football et de construire de derrière. C’est un processus qui demande du temps. On vit une crise de confiance. Il ne faut pas céder à la panique et rester soudés. On a de la pression en interne, ce qui est logique, mais s’il y en a une externe de la part des fans, ce sera trop lourd pour les jeunes.
Pour jouer notre football, il ne faut pas que les joueurs aient peur sinon on est mort. On va encore faire des erreurs mais il faut continuer à y croire. On a besoin d’un déclic et de petits réglages, mais à chaque poste il y a de la qualité, donc je ne m’en fais pas. »
À l’applaudimètre, le Liégeois est loin devant tout le monde, désormais. Héros de la dernière Coupe du monde, potentiel titulaire lors du prochain EURO (même si Thorgan Hazard a marqué pas mal de points en Russie), Chadli offre aux fans anderlechtois un savoureux mélange d’élégance et de rendement, qui rappelle les meilleures périodes de Matias Suarez, avec une dimension physique supplémentaire.
Sur le plateau de la Tribune sur la RTBF, Hein Vanhaezebrouck, grand amateur du joueur, clame que » Chadli est trop fort pour la D1, qu’il n’a rien à faire dans notre championnat. » À l’analyse, l’ex-mage de Gand, dont l’aventure en mauve a pris fin il y a un an, n’a pas tort. En pleine possession de ses moyens, Nacer Chadli est le meilleur joueur de notre championnat. Sans des blessures qui ne l’ont pas épargné ces dernières saisons et le fiasco monégasque, ce passage en Belgique aurait été impensable à tout juste 30 ans.
Impossible à garder ?
Arrivé en prêt cet été pour une saison, sans option d’achat derrière, la prolongation du Diable Rouge à l’ombre de Saint-Guidon semble plutôt compromise. L’intéressé ne s’en est jamais caché, ce pacte avec Kompany avait pour but de lui redonner du temps de jeu et du plaisir à l’approche de l’EURO (tournoi qu’il avait loupé en 2016). Mission jusqu’ici accomplie.
Jeudi dernier (un jour avant de devoir déclarer forfait pour le déplacement en Russie), lors d’une conférence de presse sous l’étiquette Diable Rouge, Nacer Chadli a répondu de façon polie à la question entourant son avenir.
» Concernant la saison prochaine, je ne sais pas encore vous répondre. Il n’y a pas encore d’accord en vue avec le RSCA. On fera le point à la fin de cette saison avec le Sporting et Monaco. Je ne suis pas catégorique. Je laisse toutes les portes ouvertes. »
La direction anderlechtoise a logiquement décidé de prendre les devants. Une première prise de contact a eu lieu il y a un peu plus d’un mois entre Michael Verschueren et son homologue monégasque lors d’une réunion à l’ECA (European Club Association) avant que les dirigeants bruxellois ne reviennent à la charge afin de trouver un terrain d’entente. Mais on est aujourd’hui très loin du compte.
Deux principales raisons à cet obstacle : la volonté du club monégasque de récupérer la totalité ou presque de l’investissement de 12 millions d’euros consenti lors du transfert, à l’été 2018, de l’international belge en provenance de West Bromwich Albion et le contrat de trois ans qui le lie à l’ASM. Puis la volonté pour le joueur de goûter à une dernière expérience à la fois sportive et lucrative (son contrat monégasque lui assure près de 230.000 euros brut mensuels) à la sortie de l’EURO.
Thierry Henry sous le charme
Le nouveau coach de l’Impact Montreal, Thierry Henry, qui avait déjà connu Nacer Chadli en principauté, souhaiterait (selon les médias outre-Atlantique) retravailler avec l’international belge. Même si du côté de l’Impact, on tempère la rumeur. D’autres offres devraient rapidement tomber dans les mains de son agent, Walid Bouzid (qui s’est notamment occupé de Fredrik Ljunberg du temps d’Arsenal), qui n’a évidemment pas attendu pour tâter le terrain.
Du côté de la direction anderlechtoise, on se dit prêt à faire un effort conséquent tant au niveau du prix du transfert que du salaire pour un joueur dont la valeur de revente, à déjà 30 ans, sera pourtant très faible. En aparté, on ne se fait pourtant guère d’illusions dans la maison mauve. » Ça va être très difficile de le garder. Voire impossible. »
La suite de la saison pourrait-t-elle faire infléchir la tendance actuelle ? Souhaite-t-il s’investir dans un projet à plus long terme à Anderlecht ? Impossible d’y répondre. À l’heure actuelle, et ce malgré des résultats très décevants en début de saison, Chadli ne cache pas son bonheur d’être revenu sur ses terres et près de ses proches. Alors que Vincent Kompany était attendu tel le messie, avant de se transformer en mauvais rêve, son partenaire en équipe nationale, lui a très vite volé la vedette. Avec élégance et discrétion.
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