Mannaert chez les Diables: pourquoi il est «le meilleur coup de la Fédé depuis Martínez»
Vincent Mannaert est le nouveau directeur sportif de l’Union belge. Malgré ses casseroles, tous s’accordent à dire qu’il est l’homme de la situation.
Si la valeur d’un homme se mesure au faste de son pot de départ, quelques images suffisent à qualifier l’importance de Vincent Mannaert dans l’histoire récente du Club de Bruges. Celles de gradins qui débordent, pour un derby brugeois potentiellement synonyme de nouveau titre de champion pour les «Blauw en Zwart». Dans les quatre tribunes du stade Jan Breydel, des feuilles bleu et noir sont brandies par les supporters avant le coup d’envoi. Quelques-unes sont blanches, pour faire passer un message: «Merci, Vincent.»
Parce que si Bruges est le club du bulldozer Bart Verhaeghe, personne au sein de l’institution ne doute vraiment de l’importance de celui qui fut son bras droit pendant plus d’une décennie. En interne, c’est avec le sourire qu’une bonne partie des employés ont un jour lu la presse qui faisait de Bart Verhaeghe le «patron du football belge». Ceux-là savaient que le véritable patron, à Bruges et donc à l’échelle nationale, était Vincent Mannaert. «C’est vraiment quelqu’un de très influent. Sans doute encore plus que ce que les gens pensent», résume un ancien employé de la maison Blauw en Zwart.
Sur le marché depuis la fin de son aventure brugeoise, déjà envisagée à la suite de tensions de plus en plus fréquentes avec Verhaeghe mais précipitée par les révélations du magazine Humo quant à son assuétude à l’alcool, le désormais ex-CEO du Club de Bruges mettra «son expérience, sa vision stratégique et sa passion pour le sport» au service de la nation. Les mots de Peter Willems, CEO de l’Union belge, esquissent les contours de la nouvelle fonction de celui qui sera, dès le 1er décembre et jusqu’à la Coupe du monde 2026, le responsable sportif du football masculin et, surtout, des Diables Rouges. En coulisses, on dit que la nomination a été poussée par Wouter Vandenhaute, président d’un Anderlecht pourtant grand rival du Bruges de Mannaert. Dans les couloirs de Neerpede, le centre d’entraînement des Mauves, les réussites structurelles du Club de Bruges sont d’ailleurs souvent citées en exemple, même si cela doit être fait en chuchotant. On ne valorise pas trop son plus grand adversaire. Dans le sérail du foot pro, pourtant, toutes les couleurs se réjouissent de cette nomination.
Intransigeance et ouverture
«C’est le meilleur coup de la Fédé depuis l’embauche de Martínez, ose un autre ancien du Club de Bruges. Vincent est excellent pour tracer une direction claire dans laquelle avancer, poser une série d’éléments non négociables et ainsi dessiner les contours d’une culture.» Un chemin vers la performance que le dirigeant a toujours tracé entre intransigeance et ouverture.
Lors des entretiens d’embauche avec tous ceux qui devaient faire gonfler la structure d’un Club de Bruges en pleine expansion (passé d’une vingtaine à une centaine d’employés sous son «règne»), Mannaert impressionnait ses interlocuteurs par la minutie de ses interrogatoires. De la vision du football à la place qu’il prenait dans leur vie, en passant par les impératifs de leur vie privée ou leur point de vue par rapport à une série de principes forts de l’institution qu’ils voulaient rejoindre, rien n’était laissé au hasard. Tous étaient logés à la même enseigne, même la légende de Manchester United Roy Keane, candidat au poste d’entraîneur en 2012 suite au licenciement de Georges Leekens. Deux heures d’entretien détaillé pour conclure que l’homme aux 480 matchs à Man U ne pourrait pas faire avancer Bruges dans la bonne direction. Certains coachs l’ont appris à leur dépens: venir avec leur staff, pourquoi pas, mais à condition que chacun de ses membres soit convaincant aux yeux du patron au bout de l’un de ces entretiens d’embauche dont on ne sort jamais indemne, et toujours épuisé.
Si certains principes sont impossibles à négocier, l’autre force de Vincent Mannaert est son ouverture. L’homme a toujours su voir l’avenir, notamment en accordant sa confiance à de jeunes profils talentueux et en percevant très vite l’importante des nouvelles technologies dans le football du futur, même s’il n’en comprend pas les moindres détails. Le Club de Bruges a ainsi investi bien plus que n’importe quel autre club belge dans son département data, notamment pour perfectionner ses méthodes de recrutement. En privé, le dirigeant aime d’ailleurs glisser une anecdote: lors de son étape à Zulte Waregem, où il était directeur général entre 2007 et 2011, il était le premier dirigeant du football belge à prendre un abonnement à Wyscout. La plateforme de vidéos, permettant de regarder dans les moindres détails des matchs et des joueurs du monde entier, est aujourd’hui devenue l’alliée indispensable de toutes les cellules de recrutement du pays. Mannaert, lui, avait déjà un coup d’avance.
«Si le Club est devenu la référence en Belgique à tous les niveaux, c’est en grande partie grâce à lui.»
Les casseroles de l’architecte
Lors de sa dernière décennie brugeoise, celle qui avait suivi le titre de champion reconquis sous les ordres de Michel Preud’homme en 2015, Vincent Mannaert s’est attelé à maintenir le temps d’avance pris par le Club de Bruges sur la concurrence. Partout, dans l’organigramme de ses rivaux, il scrutait les talents hors du terrain pour percevoir s’ils pourraient encore renforcer la structure de la machine brugeoise. Un entraîneur à Genk, un analyste de données à Charleroi, un dénicheur de talents à Malines ou un directeur général au Standard: tous étaient dans le radar bleu et noir. Beaucoup ont accepté, notamment alléchés par la perspective de travailler au Belfius Basecamp, de très loin le centre d’entraînement le plus développé du pays. Là aussi, le rôle de Mannaert ne fut pas négligeable. En interne, on raconte qu’il est le grand architecte de cette zone presque futuriste, si on la compare avec la vétusté de nombreuses installations nationales.
«Ici, à Bruges, tout le monde dit que si le Club est devenu la référence en Belgique à tous les niveaux, c’est en grande partie grâce à lui», synthétise-t-on depuis les couloirs du centre d’entraînement basé à Knokke. Des états de service qui ont fini par convaincre la Fédération de lui confier ses rênes sportives, le tout contre un contrat plutôt modeste à la lecture de son CV. Enrichi par la revente de ses parts du Club de Bruges à son départ au printemps dernier, Mannaert aurait surtout été rattrapé par le fameux «virus du football». L’Union belge a sauté sur l’occasion, fermant les yeux sur les quelques casseroles pourtant plutôt bruyantes de son passé récent. Inculpé dans le sulfureux dossier de l’«Opération mains propres» pour faux en écriture, il a ainsi payé une transaction pénale pour éviter le passage devant les tribunaux.
Plus tard, il a également multiplié les lourdes amendes pour conduite en état d’ébriété, et a traîné ses problèmes d’alcoolisme jusqu’au vestiaire du Club de Bruges, où il débarquait parfois dans une colère noire et imbibée les soirs d’importantes défaites, suscitant l’étonnement des plus jeunes joueurs et le courroux des plus chevronnés. Dans son contrat avec la Fédération, des accords assez stricts sont mentionnés pour éviter toute dérive de ce genre lors des 20 mois à venir.
Avec un parcours réussi et une fortune faite, l’homme relève un défi sans doute moins chronophage et énergivore.
Un appui pour Tedesco
Dans les couloirs de Tubize, siège de l’Union belge de football, tout le monde semble avoir une confiance gigantesque en Mannaert. Tous ses anciens collaborateurs, y compris ceux avec lesquels les échanges ont parfois été houleux, vantent son quotient émotionnel hors norme. Il est l’un de ceux dont on dit qu’ils sont capables de «sentir un vestiaire», désamorçant les crises potentielles avant qu’elles se présentent grâce à un art aigu de la conversation. Capable de manipuler les gens et les situations à l’avantage de l’institution qu’il représente, il a ainsi multiplié les relais de choix dans la presse flamande pour défendre ses points de vue, et par extension ceux du Club de Bruges, pendant plus d’une décennie. Il n’était pas rare que les coachs qui entendaient ses analyses sur les prestations de l’un ou l’autre joueur s’étonnent de voir un discours semblable repris dans un article d’un quotidien influent quelques heures ou jours plus tard.
Avec un parcours réussi et une fortune faite, Vincent Mannaert relève un défi sans doute moins chronophage et énergivore, mais suffisamment prenant pour le faire sortir de sa courte pause carrière. A la Fédération, tous espèrent qu’il sera capable, mieux que Vercauteren, de faire parler son charisme pour permettre à Domenico Tedesco de travailler de façon plus calme que lors des tourmentés mois écoulés. Plus à l’ombre qu’à Bruges, où il accaparait souvent la lumière du «hors terrain» en refusant que la plupart des employés du Club s’expriment dans la presse pour ne pas titiller les ego de leurs collègues, il n’aura sans doute pas un stade uni derrière son prénom lors de son pot de départ. Il se contenterait déjà d’un voyage de l’autre côté de l’Atlantique à l’été 2026. Un bel endroit pour se dire au revoir. Ou prolonger un contrat.
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