L’incontrôlable Emmanuel Dennis: « Il ne faut pas lui donner trop d’importance »
En deux ans, Emmanuel Dennis a révélé son potentiel au Club Bruges mais il reste incontrôlable. Évaluation.
Emmanuel Bonaventure Dennis (21 ans) a eu une vie mouvementée : orphelin, il a été élevé par ses frères aînés. A seize ans, il s’est retrouvé en Ukraine, où il a raté ses test à l’Olympic Donetsk et au Dynamo Kiev. Il est, dès lors, retourné au Nigeria avant d’être engagé, à 18 ans, par le Zorya Louhansk.
Il y a deux ans, le Club Bruges l’a transféré pour 1,3 million. En deux saisons, il a inscrit 19 buts et délivré 8 assists en 70 matches. Il a parfois excellé, d’autres fois il a été complètement invisible. Pourquoi ? Trois questions à Rudi Cossey, l’adjoint d’Ivan Leko durant ces deux années.
1. Quelle est sa principale qualité ?
RUDI COSSEY : Il a tout mais sa vitesse est sans doute son atout majeur. Dennis est imprévisible. Il s’appuie sur son intuition. Dans ses bons jours, il se joue de son adversaire et est un tourment pour la défense. Il est vif et mobile mais aussi en parfaite condition. C’est une machine. Pour entrer en duel avec lui, il faut être solide. Il ne se laisse pas faire. Il est dur, agressif et il peut être un tantinet salopard. Il anticipe et a le sens du but sans être un véritable buteur. Son insouciance lui fait rater des buts qui semblent tout faits. Son tir est bon mais sauvage. Malgré sa petite taille (1m74), il est bon de la tête car sa détente est phénoménale. La saison passée, il a souvent marqué de la tête. Seul Hans Vanaken a fait mieux mais il a vingt centimètres de plus.
2. Quel est son meilleur poste ?
COSSEY : L’avant-centre. Son sens du but et son explosivité peuvent faire des ravages dans le rectangle. En décrochage, son rendement dépend de l’avant. Il aurait plus de problèmes avec Okereke qu’avec Wesley car l’Africain est rapide et a besoin d’espaces. Dennis ne disposait pas d’assez d’espaces sur le flanc, sous notre gouverne à Leko et moi, d’autant que nous n’y alignions qu’un seul homme, ce qui le contraignait à assumer des tâches défensives, ce qui ne l’intéresse pas. Le système actuel avec deux hommes sur le flanc lui convient mieux. Il peut jouer des deux côtés mais je le pense meilleur à droite. Il a tendance à pousser le ballon ou à courir en profondeur sans ballon. Il vaut donc mieux qu’il joue du côté de son meilleur pied.
3. En quoi doit-il progresser ?
COSSEY : Sur le plan mental. A son arrivée, il voulait s’imposer et il s’est intégré. Il était motivé, modeste et se donnait à fond. Tout est allé vite, peut-être trop. Il a dérapé, est devenu difficile à recadrer et très irrégulier. L’entraîneur l’a déplacé vers le milieu mais sans obtenir plus de constance. Il a tendance à planer quand ça va bien et à être embêtant dans le cas contraire.
Comme de nombreux Africains, il veut gagner le plus d’argent possible le plus vite possible, pour aider sa famille. Il sait qu’il possède les qualités requises et qu’au Club, il a des chances d’obtenir un transfert lucratif. Mais il doit comprendre que dans un grand club, il ne sera une certitude que s’il est performant chaque semaine car il aura au moins deux concurrents prêts à prendre sa place. Or, il est difficile quand il a le sentiment de mériter plus de temps de jeu.
Il doit réaliser que l’équipe prime. Car quand il n’a pas envie de jouer, il ne court pas. Avec ostentation. Or, Ivan Leko exigeait 100% de chacun à chaque séance. Et avec 25 joueurs à manager, on ne peut pas laisser chacun n’en faire qu’à sa guise. Dennis est un garçon flamboyant, qui aime rigoler, qui veut se rendre intéressant d’une façon ou d’une autre mais parfois, il franchit les limites.
Nous allons bientôt voir comment Philippe Clement s’y prend. peut-être va-t-il lui parler davantage, lui insuffler confiance. Mais la pire erreur serait de lui faire des promesses et de lui donner trop d’importance. Il n’oublie rien et vous confronte avec vos déclarations plus tard. Il ne faut pas trop lui dire qu’il joue bien, sinon il plane, il exagère. Mais si on fait en sorte qu’il reste concentré et qu’il fait ce qu’on lui demande, on en obtient beaucoup de plaisir.
Pour le moment, ça a l’air d’aller. Il veut faire ses preuves, dans l’espoir d’obtenir un transfert. S’il n’y parvient pas, je me demande comment il va réagir. Conservera-t-il son niveau ou retombera-t-il dans ses erreurs ? Idéalement, il devrait rester encore au moins un an. Il possède toutes les qualités requises mais n’en retire pas encore le meilleur. Après tout, il n’a que 21 ans.
Pour survivre et arriver où il en est, il a dû se battre. Il a une forte personnalité. Mais ça ne suffit pas. Il doit se servir de sa tête et prendre conscience qu’il doit faire bon usage de son talent, soit entretenir ses qualités, essayer d’atteindre le meilleur rendement et progresser. J’espère qu’il a compris qu’il avait encore une large marge de progression et qu’il ne croit plus que tout coule de source. Dans un grand club, on ne peut pas se reposer sur son seul instinct et toujours essayer d’être déterminant. Il doit se placer au service de l’équipe, être fort sur le plan tactique et s’en tenir aux consignes, sans penser que sa manière de se profiler est la bonne. Quand il aura compris ça et qu’il sera disposé à le mettre en pratique, il aura un bel avenir devant lui.
» Faire les bons choix »
Emmanuel Dennis a bien entamé la saison sous la direction de Philippe Clement. » Je pense qu’il a l’ambition de progresser encore. Je ne m’occupe pas de ce qu’on raconte sur lui. Jusqu’à présent, notre collaboration est positive. Il fait de son mieux pour exécuter les tâches que je lui assigne, il pense à l’équipe, pas seulement à réaliser des actions en solitaire. Il doit encore apprendre à opérer les bons choix mais ça viendra. Dans mon style de jeu, ce sont les ailiers qui sont confrontés aux choix les plus difficiles car il ne suffit pas d’intercepter le ballon et de réaliser une action. Il faut réfléchir, courir en fonction des autres, délivrer une passe au bon moment car le timing peut faire la différence. Je l’ai visionné il y a deux ans et demi, quand il fallait remplacer José Izquierdo, mais je ne connais pas l’homme. Quelles sont ses aptitudes à apprendre, à jouer collectivement ? Mais pour le moment, je suis satisfait de son travail. «
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