Les frères Still au RC Lens: les secrets d’une réunion de famille inattendue
A l’approche d’un duel contre l’ogre du Paris Saint-Germain, les frères Still font tourner le RC Lens à haut régime. Récit d’un surprenant rassemblement familial.
Les retrouvailles sont inattendues. Plus surprenantes encore quand on se rappelle le contexte de la dernière fois. C’était à l’aube du mois de mars 2022, à l’occasion d’un partage sans but ni saveur entre le Charleroi d’Edward et Nico et le Standard de Luka Elsner, coach franco-slovène secondé par Will. Les trois frères Still sur les bancs d’une même rencontre, mais pas tous du même côté. A l’époque, c’est la cote de l’aîné qui monte en flèche. A la tête des Zèbres, «Ed» propose un football minutieux, parfois brillant. Au coup de sifflet final de la saison, il finit d’ailleurs deuxième au scrutin de «coach de l’année», seulement devancé (mais de très loin) par Felice Mazzù.
Pour Will, en revanche, l’ascension vertigineuse semble suivie d’un faux plat descendant. Catapulté coach au Lierse à 25 ans, puis au Beerschot à 28, les dirigeants anversois lui ont préféré le chevronné Peter Maes au terme de la saison précédente où il a trouvé refuge à Reims, dans le staff d’Oscar García. Touché par le mal du pays, il quitte le navire rémois en pleine saison pour intégrer le nouveau staff d’un Standard en perdition. Rien n’indique alors qu’avant la fin de l’année 2022, dans la foulée d’un retour en Champagne, il fera parler de lui dans toute l’Europe. Sa série folle de 17 matchs sans défaite à la tête du Stade de Reims (où il remplace Oscar García, frappé par un drame familial) coïncide avec la perte de vitesse du Charleroi de son aîné, licencié par Mehdi Bayat six jours après le premier match de Ligue 1 dirigé par Will. Un peu comme si, pour qu’un des deux frères touche le plafond, il fallait que l’autre glisse sur le plancher.
Outre leur nom de famille, rares sont alors leurs dénominateurs communs. Il y a tout de même ce troisième frère, Nico, assistant d’Edward à Charleroi puis à Eupen avant d’intégrer le staff de Will à Reims au début de la saison dernière. Analyste pointu, le cadet s’adapte aux exigences bien différentes de deux frères plus âgés pour lesquels la génétique semble être le seul point commun. «Ed est plus pointilleux, plus précis. Il aime tout contrôler de A à Z, pouvoir garder un œil sur tout», esquisse Will lors d’un passage des deux frères coachs sur le plateau de la La Tribune, à la RTBF. «Will a un feeling sur le terrain et il fait beaucoup de choses à l’instinct, sans spécialement savoir les expliquer, mais avec une grande précision et il arrive, avec ça, à toucher ses joueurs», rétorque Edward. Ils sont presque diamétralement opposés. Certains, parmi leurs proches, se risquent à les dire complémentaires, provoquant presque systématiquement l’hilarité familiale. Impossible, semble-t-il, de travailler ensemble sans créer d’innombrables querelles fraternelles.
Certains se risquent à les dire complémentaires, provoquant l’hilarité familiale.
Trajectoires opposées
Le printemps 2024 crée pourtant l’opportunité. Edward y réfléchit longuement, échange sur le sujet avec Nico lors de plusieurs de ces parties de golf auxquelles ils sont accros. Indéniablement, le terrain manque à l’aîné, remercié à Courtrai après un début de championnat catastrophique dans les chiffres (deux points en huit matchs) en conséquence d’un été trop mouvementé en coulisses, avec deux reprises avortées du club flandrien. S’il a décliné l’opportunité d’intégrer le staff de Ronny Deila à Bruges suite au départ de Rik De Mil vers Westerlo, «Ed» reste sollicité dans le milieu belge où des décideurs influents comme Vincent Mannaert ou Peter Verbeke apprécient ouvertement son travail. Avant les contacts avec le Bayern Munich, Vincent Kompany insiste ainsi pour l’intégrer à son staff à Burnley, tandis que des réunions ont lieu avec Anderlecht et Bruges, à chaque fois pour prendre les rênes de l’équipe U23 en deuxième division. L’opportunité d’une expérience à l’étranger semble cependant avoir la préférence de l’aîné des Still, qui a passé une bonne partie de la saison à étudier avec sa rigueur habituelle les divisions inférieures en France et en Angleterre.
A l’inverse d’un grand frère qui a l’appétit débordant, Will semble lui rassasié. Les derniers mois de son passage à la tête de Reims prennent l’allure d’un énorme poids psychologique pour un homme mentalement vidé par un hiver mouvementé. Avec le mercato du mois de janvier en ligne de mire, les divergences d’opinion s’accroissent entre le coach du Stade de Reims et ses dirigeants. Le premier envisage avec inquiétude les compétitions internationales africaine et asiatique qui le priveront pendant plusieurs semaines de joueurs importants du début de saison réussi des Rémois, vissés au Top 5 jusqu’au mois de décembre. Ses espoirs de renforts de poids lors de la fenêtre hivernale sont douchés par sa direction, et les frustrations des deux camps augmentent quand les rumeurs se mettent à viser l’avenir de l’entraîneur au stade Auguste Delaune.
De l’autre côté de la Manche, le quotidien The Guardian fait alors état d’une rencontre entre les patrons du club de Sunderland (D2 anglaise) et le coach belgo-anglais. Si Will n’a jamais caché son rêve d’entraîner un jour dans sa patrie de cœur, il alimente le carrousel médiatique en conférence de presse quand il explique que ses voyages fréquents vers Londres ont un caractère plus romantique que professionnel. «Quand j’ai retrouvé mes joueurs à l’entraînement, j’ai dû leur expliquer pour la première fois que j’étais en couple depuis quelques mois avec quelqu’un qui vit à Londres. Tout le monde a bien rigolé», désamorce alors le coach. L’incendie s’éteint, mais la fumée continue à planer dans le ciel rémois. Quelques mois plus tard, quand le divorce est acté entre le club et son entraîneur, l’hypothèse la plus probable pour l’avenir immédiat de Will Still est l’année sabbatique, tant les batteries de l’un des entraîneurs les plus jeunes d’Europe semblent vides. «Ce boulot, ça te draine» , racontait-il déjà lorsqu’il était à la tête du Lierse. A court de cette énergie dont il use si précieusement pour sublimer ses joueurs, le désormais ex-coach de Reims envisage de faire un break.
Leurs expériences passées leur ont appris qu’au sein d’un staff, la fidélité est aussi importante que la compétence.
Retrouvailles des frères Still à Bollaert
Si les options existent dans l’antichambre de l’élite anglaise, c’est plutôt dans la plus britannique des enceintes françaises (à la fois par son architecture et par son ambiance) que s’écrit la suite de l’histoire. Quand le Racing Club de Lens, quitté par son coach à succès Franck Haise, doit se mettre en quête d’un successeur pour assumer ce lourd héritage, Will apparaît rapidement dans une short-list où l’on trouve aussi Bruno Genesio, coach français passé par Lyon et Rennes et qui prendra finalement les rênes du Lille voisin. L’adrénaline du défi prend rapidement le dessus sur les risques émotionnels d’une reprise si précoce, et il ne faut pas longtemps pour que le Brabançon soit convaincu par l’idée de relever le défi lensois. Très vite, à l’heure de constituer son staff et alors qu’il semble évident d’emmener Nico dans ses valises rémoises, Will envisage d’y amener aussi son grand frère.
Edward, lui, doit réfléchir. D’abord, parce qu’il a d’autres options sur la table. Ensuite, parce qu’il se pose énormément de questions sur le rôle qu’il aurait à jouer et l’influence réelle qu’il pourrait exercer sur le travail au quotidien. Redevenir adjoint n’est pas un tabou, car les pistes de le faire dans l’ombre de Vincent Kompany (à Burnley) puis de son ancien mentor Ivan Leko (au Standard) se présentent également à lui. Etre l’adjoint de son frère cadet, en revanche, c’est autre chose. C’est là que les réunions et conversations se multiplient, pour que la complémentarité naturelle entre leurs deux profils soit exploitée au maximum.
Quelques mois plus tard, le RC Lens de la famille Still présente un football qui mêle l’énergie transmise par Will, la minutie tactique prônée par Edward et la connaissance de l’adversaire communiquée par Nico. Les méthodes familiales se sont ajustées à celles des autres membres du club, dans une ouverture permanente menée par le tempérament fédérateur de l’entraîneur principal. Les rôles, eux, sont soigneusement répartis. «C’est Will qui trace la voie, et s’il y a friction c’est de ma faute, parce que tant que lui est clair dans le chemin sur lequel on est, vers où on va, il n’y a pas lieu d’y avoir de la friction», précise Edward dans La Voix du Nord. «Je lui pose tellement de questions que je dois m’assurer que les choses soient claires entre nous, parce que sinon, ça va directement se ressentir sur les joueurs.» En charge de la confection des séances d’entraînement en accord avec le plan de jeu et les plans de matchs, l’aîné de la fratrie endosse aussi une partie de la pression tactique et émotionnelle. Un rôle précieux pour Will, qui sait qu’il peut faire une confiance aveugle à ses deux adjoints qui le connaissent par cœur. Parce que leurs expériences passées ont appris aux frangins qu’au sein d’un staff, la fidélité était au moins aussi importante que la compétence. Une certitude qui valait bien des retrouvailles.
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