De Serneels à Gunnarsdottir: les raisons du grand changement chez les Red Flames
L’Islandaise Elisabet Gunnarsdottir plonge dans le brasier des Red Flames à quelques mois de l’Euro et avec un rêve brésilien dans le viseur. Le football féminin belge poursuit son évolution.
Quand on demandait à Sir Alex Ferguson le secret de sa longévité, le légendaire coach écossais de Manchester United attirait toujours les regards vers le terrain. Là, sur la pelouse d’Old Trafford, ses 1.500 matchs à la tête des Red Devils ont été jalonnés de talents bien différents, des centres de David Beckham aux dribbles de Cristiano Ronaldo en passant par les buts à la pelle de Robin van Persie. La clé pour rester au sommet? Continuer de se réinventer. Pas spécialement en révolutionnant la tactique, plutôt en adaptant le système de jeu aux atouts des plus gros calibres du vestiaire. Pour durer, il faut pouvoir faire évoluer ses idées.
En Suède, c’est également ce qu’on disait d’Elisabet Gunnarsdottir. Celle que les Suédois ont surnommé «Beta» a passé quinze années sur le banc du club de Kristianstads, entre 2009 et 2023. En attirant successivement des grands noms du football islandais, suédois ou danois, et en modelant toujours son équipe et son plan tactique de façon à rendre son équipe compétitive dans le championnat de Suède, l’un des plus relevés du football féminin mondial. Un caméléon en crampons qui s’invite à la table des discussions quand certains clubs de haut vol doivent trouver une nouvelle patronne sportive.
Du côté de Chelsea, l’un des clubs les plus puissants sur l’échiquier du football féminin mondial, on envisage ainsi très sérieusement le profil de «Beta» quand vient l’heure de trouver une remplaçante à Emma Hayes, la coach en vogue qui s’apprête à traverser l’Atlantique pour diriger la sélection américaine. Si le poste sur le banc des «Blues» revient finalement à la Française Sonia Bompastor, Gunnarsdottir reste en course jusqu’à l’ultime short-list. L’histoire était la même à Aston Villa, où la fonction de coach avait finalement été offerte au Batave Robert de Pauw, ainsi qu’à Portland, dans le puissant championnat américain, où le profil de l’Islandaise séduisait sans décrocher la timbale.
L’obsession du Mondial
Après la fin de son long bail à Kristianstads, Elisabet Gunnarsdottir n’a donc pas de banc de touche à se mettre sous la dent. Le fastidieux processus de recrutement de Chelsea lui prend tant de temps et d’énergie qu’elle passe à côté d’autres opportunités, jusqu’à ce que le début de l’année 2025 amène le projet des Red Flames à son menu. L’appétit est de taille, le défi aussi: la nouvelle coach doit permettre à l’équipe nationale belge de disputer la première Coupe du monde de son histoire, prévue au Brésil à l’été 2027.
La Belgique du football féminin est si obsédée par cette participation mondiale qu’elle a même récemment tenté, en compagnie des Pays-Bas et de l’Allemagne, d’organiser l’événement. S’il est finalement revenu au pays du football samba, le grand rendez-vous planétaire de 2027 est perçu au sein de la Fédération belge comme l’opportunité immanquable de donner un nouvel élan au foot féminin.
A deux reprises, les Red Flames sont passées tout près de ce fameux élan, au bout de qualifications qui imposent de se hisser parmi les onze ou douze meilleures équipes du Vieux Continent pour décrocher un billet vers le Mondial. Au mois d’octobre 2018, c’est la règle du but à l’extérieur qui avait amèrement scellé la double confrontation contre la Suisse. Dans le giron des Flames, la professionnalisation a alors passé un cap supplémentaire dans le but de laisser dans le rétroviseur national des pays comme la Suisse ou l’Autriche, qui bataillent aux portes du Top 10 continental. Sur le papier, le Portugal ne devait pas jouer dans cette cour-là. Quatre ans plus tard, pourtant, quand les barrages sont à nouveau au menu, ce sont bien les Lusitaniennes qui claquent la porte de la Coupe du monde au nez des Red Flames. A Vizela, au nord du Portugal, le verdict tombe au bout du temps réglementaire, mais valide un match dominé par les locales et marqué par l’impuissance tactique des coéquipières de Tessa Wullaert. C’est là, pour la première fois, que des voix mettent plus ouvertement en doute l’avenir d’Ives Serneels à la tête de la sélection belge.
Serneels contre le temps
Publiquement, la remise en cause reste timide. Parce que sans l’ancien défenseur du Lierse, les Red Flames n’en seraient sans doute pas là. En 2011, quand il prend les rênes de la sélection, c’est avec les yeux écarquillés qu’il constate le manque de structure professionnelle autour de l’équipe nationale féminine. Celles que l’on surnomme alors encore «les Diablesses» sont baladées entre pelouses et vestiaires de provinciale, n’ont même pas d’entraîneur des gardiennes et cumulent leur statut d’internationales avec un travail qui occupe l’essentiel de leurs journées.
Epaulé par Steven Martens, alors CEO de la Fédération et issu du monde du sport féminin (le tennis), Ives Serneels multiplie les e-mails, les appels et les démarches pour obtenir de meilleures conditions de travail. Son obstination est récompensée, son caractère admiré dans les couloirs de Tubize, où les Red Flames prennent désormais leurs quartiers à l’image des Diables Rouges, et c’est avec un staff enfin digne du professionnalisme qu’il débarque lors de l’Euro 2022 en Angleterre, conclu en quarts de finale contre la Suède malgré une résistance héroïque, après avoir écarté l’Italie et l’Islande lors de la phase de poules. C’est également ce résultat probant, le meilleur de l’histoire des Red Flames aux championnats d’Europe, qui préserve Ives Serneels d’une fin de bail quelques mois plus tard, dans la foulée de l’échec majeur du barrage de Vizela.
Le problème, c’est que les temps ont changé plus vite qu’Ives Serneels. Avant-gardiste pour les joueuses belges lors de ses débuts, mettant notamment fin à une ère où le copinage était un critère de sélection au moins aussi important que les mérites sportifs, le sélectionneur affiche de plus en plus ses limites tactiques. Ses Flames gagnent souvent au talent, savent se sublimer pour résister quand l’adversaire est de renom, mais peinent à convaincre de leurs idées quand elles ont la balle au pied. Pour les cadres du groupe, le contraste grandit entre les passages en équipe nationale et le quotidien qu’elles côtoient dans des clubs de plus en plus huppés. Pour goûter aux joies du professionnalisme et à la culture du haut niveau, les joueuses en vue des Red Flames quittent ainsi de plus en plus tôt la Super League nationale pour s’envoler vers l’Italie (Marie Detruyer, Tessa Wullaert, Elena Dhont, Kassandra Missipo), l’Angleterre (Justine Vanhaevermaet, Janice Cayman, Sari Kees, Amber Tysiak), la France (Lisa Lichtfus) ou les Pays-Bas (Nicky Evrard). Leur cadre change, lui aussi. Ives Serneels, lui, reste toujours le même.
Le choix de la Fédération va dans le sens de Red Flames encore plus professionnelles.
Le chemin du Top 8
Si le sélectionneur n’est pas le principal responsable d’une formation des jeunes joueuses qui est encore embryonnaire ou du désintérêt de certains clubs phares du pays pour leur section féminine, le sentiment que certains pays concurrents progressaient plus rapidement que la Belgique avec des moyens équivalents a fini par coûter sa place au sélectionneur. Le plafond de Serneels, souvent trop frileux tactiquement, paraissait atteint, alors que celui des Flames doit encore se bâtir quelques mètres plus haut pour rencontrer les objectifs de Top 8 européen et de Top 12 mondial fixés à Tubize.
C’est sans doute tout cela qui a amené la Fédération à se séparer de son coach, présent depuis plus d’une décennie, au détour d’une froide rencontre en visioconférence. De l’autre côté de l’écran, l’annonce est venue de Peter Willems. Le nouveau CEO de la RBFA affiche sur son CV un passage dans les mêmes fonctions à Oud-Heverlee Louvain, probablement le club le mieux structuré dans le développement du football féminin sur le sol belge.
L’heure n’est pas encore aux grands moyens pour véritablement faire franchir un cap au football féminin en Belgique, mais le choix d’Elisabet Gunnarsdottir va dans le sens de Red Flames encore plus professionnelles. Une pointure du football féminin plutôt qu’un nom ronflant issu de la version masculine du ballon rond, preuve que le choix a été posé par des gens qui connaissent l’écosystème particulier du foot féminin. Si la Fédération reste discrète sur l’identité de ceux qui ont posé ce choix, l’Islandaise a incontestablement l’allure d’une décision réfléchie.
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